Le règlement amiable des intérêts patrimoniaux
Le règlement amiable des intérêts patrimoniaux
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Absence de contraintes liquidatives. – À défaut de trancher les désaccords liquidatifs subsistant entre les époux, et quelle qu'en soit la raison, le juge aux affaires familiales n'a plus à désigner un notaire afin de procéder au règlement des intérêts patrimoniaux des ex-époux et met ainsi les parties face à leurs responsabilités : une fois le divorce définitif, à eux de s'entendre pour régler leur régime matrimonial, à défaut de quoi ils devront le ressaisir, mais alors en qualité de juge de la liquidation-partage, et entamer une nouvelle et potentiellement fort longue procédure. Les ex-époux n'ont plus de lien judiciaire entre eux, puisqu'ils ont été libérés de tout lien d'instance en même temps qu'ils sont redevenus des tiers. Aucune obligation ne s'impose à eux en termes de délai. Ils peuvent donc opter pour un statu quo et demeurer, le cas échéant, en indivision sur tout ou partie des biens qu'ils ont acquis ensemble, remettant à plus tard les risques de chicaneries entre eux concernant le sort de leurs biens. Le plus souvent, l'un des ex-époux au moins souhaite cependant liquider et partager le régime matrimonial dans les meilleurs délais.
Les concubins, soumis – en l'absence de texte les concernant – au droit commun de l'indivision, se retrouvent dans une situation similaire aux ex-époux : ils n'ont aucune obligation à régler leurs intérêts patrimoniaux, au sortir de leur rupture. Il en va de même des partenaires, auxquels la loi laisse le soin de procéder « eux-mêmes à la liquidation des droits et obligations résultant pour eux du pacte civil de solidarité », tout en précisant qu'en l'absence d'accord, « le juge statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture » (C. civ., art. 515-7).
Vers une liquidation obligatoire ?
L'on constate en pratique qu'en l'absence de biens immobiliers, la liquidation des intérêts patrimoniaux des ex-partenaires et des ex-concubins est rarement effectuée et qu'en présence de tels biens, elle est souvent incomplète, le notaire se concentrant sur le partage de l'ancien domicile du couple sans s'intéresser aux éventuelles créances susceptibles d'être invoquées par l'un d'entre eux. Face à des partenaires ou à des concubins soumis au droit commun de l'indivision, les conséquences apparaissent mineures mais le sont-elles réellement ? L'apparente étanchéité entre les patrimoines des partenaires est en réalité souvent contredite par la pratique. Dans de nombreux cas, des comptes devraient être effectués. La situation est plus épineuse encore en présence de partenaires liés par un régime d'indivision d'acquêts, car les questions liquidatives pourront ressurgir des années plus tard, voire au moment du décès de l'un d'eux, avec toutes les difficultés de preuves qui peuvent en résulter des années après la séparation. Le 106e Congrès des notaires de France a adopté une proposition rendant la liquidation obligatoire609 et Me Wilfried Baby de rajouter, dans sa thèse consacrée au Pacs610, le cas de la rupture par mariage avec un tiers611. Ce dernier s'est également prononcé en faveur de la promotion du Pacs authentique, ce qui pourrait faciliter la liquidation du patrimoine patrimonial. Il est certain que si le Pacs empruntait la seule forme authentique, le notaire en charge des formalités de dissolution alerterait les partenaires sur la nécessité de liquider leur régime pacsimonial. En tout état de cause, à l'heure actuelle, et en dépit de l'absence d'obligation légale, le notaire, qui intervient lors de la vente de l'ancien domicile du couple, acquis en indivision, doit attirer l'attention de ses clients sur la nécessité de liquider leurs intérêts patrimoniaux, et notamment traiter la question des flux financiers qui sont intervenus en cours d'union, entraînant potentiellement des créances entre eux.
– Absence de contraintes temporelles. – Quel que soit le mode de conjugalité, aucun délai n'est imposé par les textes pour procéder au règlement des intérêts patrimoniaux, ce qui peut entraîner un risque évident d'enlisement des dossiers. L'absence d'encadrement légal ne signifie pas que les textes ne prévoient pas de contraintes temporelles implicites, notamment par le jeu des prescriptions. Pourtant l'action en partage est imprescriptible, le partage pouvant toujours être demandé, à tout moment, sans limite dans le temps, conformément à la lettre de l'article 815 du Code civil612. Mais il existe d'autres prescriptions qui doivent être maîtrisées par le praticien et qui, en raison de leurs conséquences613, soumettent les clients à une certaine pression temporelle. Par ailleurs, les biens objets du partage sont valorisés à la date de la jouissance divise (C. civ., art. 829). Cette exigence légale peut également devenir une pression temporelle, puisque la valeur des anciens biens conjugaux a vocation à évoluer, dans un sens qui pourrait être plus ou moins défavorable à l'une des deux parties, notamment celle qui entend se voir attribuer un bien indivis. Il en va de même pour les ex-époux, autrefois mariés sous le régime de la participation aux acquêts, dont les biens faisant partie du patrimoine final sont curieusement estimés, par principe, « au jour de la liquidation » (C. civ., art. 1574). C'est dire que ces règles de revalorisation peuvent rapidement devenir un moyen de contrainte au sein de l'ancien couple. Le notaire devra ainsi maîtriser ces différentes règles au titre de son devoir de conseil, faute de quoi sa responsabilité pourrait être engagée.
Vers un encadrement des opérations de liquidation-partage dans le temps ?
Suite à la séparation d'un couple, la loi ne devrait-elle pas limiter la durée des opérations liquidatives ? Il s'agirait de permettre aux uns et aux autres de tourner la page mais aussi, à l'ère des nouvelles tribus et de la potentialité d'appartenance à plusieurs familles successives, de permettre à chacun de se relancer dans une nouvelle aventure matrimoniale et, le cas échéant, de créer sereinement sa nouvelle tribu. L'on pourrait utilement envisager d'encadrer strictement dans le temps le déroulement des opérations liquidatives, à l'image de l'ancien article 267-1 du Code civil avant sa modification par la loi du 12 mai 2009. Cet encadrement serait envisageable sans grande difficulté pour les ex-époux et les ex-partenaires dans la mesure où le point de départ des opérations pourrait être facilement défini : la date à laquelle le jugement du divorce est passé en force de chose jugée pour les premiers et la date d'enregistrement de la dissolution du Pacs pour les seconds. La question serait naturellement plus délicate pour les concubins, dont la rupture n'obéit à aucune forme particulière. Dans une logique similaire, le 106e Congrès des notaires de France614 avait proposé de mettre en œuvre une prescription de l'action en liquidation pour les partenaires, et ce comme outil de contrainte temporelle à court terme. Naturellement cette proposition, toujours d'actualité, emporte notre entière approbation.
– La mise en route des opérations. – À cette fin, et pour tenter de conclure un accord, les parties peuvent contacter l'une et l'autre un notaire et/ou un avocat, étant ici souligné que l'expérience démontre que l'intervention d'un notaire impartial et indépendant par rapport aux parties favorise la mise en place de solutions négociées. Dans ce dernier cas, il est certain que le rôle du notaire consiste à mettre ses compétences liquidatives et d'amiable compositeur au service des parties, afin qu'elles trouvent un accord. Il n'est doté d'aucun pouvoir particulier.
– Plan. – La phase de partage amiable est régie par les articles 835 à 839 du Code civil et par l'article 1358 du Code de procédure civile. Si elle débouche souvent sur un accord entre les indivisaires (Section I), elle donne malheureusement parfois lieu à des difficultés entre eux, qui sont bien connues des praticiens et susceptibles de venir contrarier le règlement de leurs intérêts patrimoniaux (Section II).
Un règlement apaisé
– Un bon arrangement vaut mieux qu'un mauvais procès ! – Qu'ils aient opté pour le mariage, le Pacs ou le concubinage, les deux membres d'un couple qui se séparent doivent, sur un terrain strictement patrimonial, non seulement régler, sous forme de créances, l'ensemble des transferts de valeurs qui ont pu intervenir eux, mais surtout partager les biens qu'ils ont pu acquérir conjointement. Nous allons successivement envisager la recherche (§ I) puis les formes (§ II) de l'accord.
Pour aller plus loin
Un règlement contrarié
– Double difficulté. – Si la phase de partage amiable débouche souvent sur un accord, il n'empêche que le notaire qui intervient à ce stade peut être confronté à une double difficulté, bien connue de la pratique : l'une résulte du désaccord entre les deux indivisaires (Sous-section I) et l'autre de la carence de l'un d'entre eux (Sous-section II).
Pour aller plus loin