La filiation vécue

La filiation vécue

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– La fin du modèle unique « un seul père, une seule mère, pas un de moins, pas un de plus » 1211 . – Dans les années 1960, la famille dite « traditionnelle » reposait sur un couple marié composé de deux personnes de sexe différent, ayant conçu des enfants de manière charnelle au cours de l'union. Elle n'est désormais plus le seul modèle. De nouvelles configurations familiales ont émergé : la famille monoparentale, la famille recomposée, la famille homoparentale, etc. Le modèle binaire de la famille, « qu'il s'agisse de l'alliance (un couple) ou de la parenté (deux parents) »1212, ne s'impose plus avec la même force1213. Par ailleurs, on a pris conscience que des personnes – autres que les parents – gravitent autour de l'enfant. Ces personnes, qualifiées de tiers proches de l'enfant, participent à son entretien et à son éducation au quotidien sans pour autant qu'un lien de filiation ne soit établi1214.
– Distinction entre parenté et parentalité. – Pour mieux comprendre les enjeux de la place de ces tiers auprès de l'enfant, il est nécessaire de définir les deux notions que sont la parenté et la parentalité. La première est « une notion juridique qui désigne le lien unissant les personnes par le sang. Ce lien peut également être créé par le droit à travers l'adoption insérant un enfant dans une famille »1215. Quant à la seconde, elle « n'est pas une notion juridique mais désigne une fonction exercée de fait par un adulte auprès d'un enfant à travers un rôle parental et/ou éducatif »1216. En ce sens, la parentalité « est fondée sur une vie commune avec l'enfant et sa prise en charge au quotidien »1217. Ces deux notions semblent, de prime abord, indissociables. En effet, parce qu'un lien de filiation est établi entre l'enfant et son ou ses parents, ce ou ces derniers exercent l'autorité parentale. Ils doivent protéger leur enfant « dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, (…) assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne »1218. Apparaît alors la notion de parentalité comme faisant référence à l'éducation des enfants, laquelle est donc confiée aux parents. Néanmoins, la parentalité peut se détacher de la parenté. Dans le cadre de l'aide sociale et de la protection de l'enfance où le terme de parentalité a d'ailleurs fait son apparition1219, l'article 375 du Code civil permet à un juge d'ordonner des mesures d'assistance éducative lorsque « la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ». La parenté est alors bien dissociée de la parentalité ; cette dernière étant alors partagée entre les parents et d'autres personnes sur décision du juge en vue de protéger l'enfant1220. Cette notion de parentalité a ensuite été étendue, en dehors de toute mesure de protection de l'enfance, aux tiers qui s'impliquent dans l'éducation de l'enfant.
– Qui sont ces tiers proches de l'enfant ? – En droit, un tiers est celui qui n'est pas partie à un contrat, « c'est la personne étrangère à une situation juridique déterminée »1221. En droit de la famille, le tiers n'est pas le parent de l'enfant pour lequel la filiation est légalement établie. On songe alors immédiatement au beau-parent dans la famille recomposée. Celui-ci « n'est pas à l'origine de l'existence de l'enfant qu'il n'a ni conçu, ni désiré »1222. Il n'a aucun lien biologique avec lui. Il a un jour fait la connaissance d'un de ses parents et a décidé de vivre avec lui. Il peut alors être amené, dans les faits, à assumer au quotidien « des responsabilités de soin, d'éducation et de prise en charge » d'un enfant qui n'est pas le sien1223. Pendant longtemps, le beau-parent a occupé la place laissée vacante par l'un des parents tant après un décès qu'une séparation1224. Or, si cette dernière sonne le glas du couple conjugal, le couple parental subsiste bien au-delà d'ailleurs de la majorité de l'enfant : « on est parent pour toujours »1225. Malgré la séparation du couple, et même si l'enfant ne vit désormais plus avec ses deux parents, ces derniers continuent à exercer en commun l'autorité parentale. Ce principe de coparentalité a été réaffirmé par la loi no 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale1226. Si le beau-parent qui apparaît dans la vie d'un enfant peut jouer un rôle « substitutif » en l'absence de l'autre parent par suite d'un décès ou dans le cadre d'une famille monoparentale, il a essentiellement un rôle « additif » lorsque la famille se recompose à la suite d'une séparation1227. Il pourra exercer une fonction « parentale » qui dépendra bien évidemment de la place que les parents légaux lui accorderont. Néanmoins, il ne se substitue pas à eux.
Le parent d'intention est également considéré comme un tiers. Il est celui qui a participé, dès l'origine, au projet parental duquel est issu l'enfant mais dont le lien de filiation n'a pas été établi à son égard. Il désigne généralement le second parent ayant eu recours à une gestation pour autrui (GPA) à l'étranger ou une assistance médicale à la procréation (AMP) en dehors du cadre légal1228. La parenté d'intention n'a pas « d'autre fondement (…) que le projet parental, à savoir la volonté, l'intention d'être parent »1229. Parce qu'il se considère comme le parent de l'enfant, le parent d'intention participe à son entretien et à son éducation et assume toutes les responsabilités au même titre que le parent légal. Il a généralement pour objectif que la filiation soit établie à son égard ou reconnue si elle l'est à l'étranger1230. Si l'établissement d'un lien de filiation n'est pas toujours possible, il souhaite, a minima, se voir reconnaître juridiquement une place auprès de l'enfant au regard de la parentalité.
Des membres de la famille élargie peuvent également s'investir dans l'entretien et l'éducation des enfants – les grands-parents, les oncles et tantes, etc. – en cas de carence éducative ou de décès des parents ou tout simplement par besoin dans le cadre d'une famille monoparentale.
De même, on voit apparaître aujourd'hui des configurations familiales où un enfant est issu d'un projet parental réalisé par deux personnes qui ne sont pas en couple, voire par plus de deux personnes. Il peut alors s'agir d'un couple de femmes et d'un homme ou d'un couple d'hommes et d'une femme, voire de deux couples, l'un composé de deux femmes et l'autre composé de deux hommes. Les configurations familiales peuvent être multiples, mais elles ont toutes un point commun : ces personnes participent ensemble au projet parental. Ces dernières souhaitent, pour certaines d'entre elles, se voir reconnaître des droits à l'égard de l'enfant. Émerge le concept de « familles plurielles »1231.
Enfin, des tiers ont pu participer au projet parental d'autrui en réalisant un don de gamètes, d'ovocytes ou d'embryons ou en ayant porté un enfant. Ils ont alors « une place dans l'histoire et l'identité personnelle de l'enfant »1232, sans pour autant se voir reconnaître un rôle, ni en termes de parenté, ni de parentalité.
– Plan. – Les tiers dont il sera question dans les prochains développements sont essentiellement le parent d'intention et le beau-parent. Le premier veut établir un lien de filiation avec l'enfant afin qu'il soit considéré comme « son parent ». En attendant la reconnaissance ou l'établissement de ce lien, il recourt aux outils juridiques mis en place par le législateur pour assurer une fonction « parentale ». Quant au second, il n'aspire pas toujours à devenir parent et souhaite, bien au contraire, « tenir sa place de beau-parent »1233. Néanmoins, en l'absence d'un « lien de droit venant consacrer cette relation de fait » dans le système français1234, le beau-parent envisage parfois l'adoption pour établir ce lien avec l'enfant. Il sera également fait état des familles dites « plurielles » pour lesquelles ni le droit de la filiation, ni le droit relatif à l'autorité parentale ne sont adaptés à la réalité de ces nouvelles tribus. Seront évoqués, dans un premier temps, les modes permettant d'établir un lien de filiation entre l'enfant et le tiers qui l'a élevé (Sous-titre I). Toutefois, comme il n'est pas toujours possible, voire judicieux, d'établir un tel lien avec l'enfant, il sera fait état des outils permettant de prendre en charge l'enfant dans son entretien et son éducation (Sous-titre II). Le rôle du notaire sera régulièrement rappelé. S'il intervient pour l'établissement du lien de filiation, il pourrait devenir un professionnel du droit à consulter pour encadrer les responsabilités prises à la fois par les parents et les tiers.

La place du beau-parent dans la famille recomposée

Tandis que certains beaux-parents s'impliquent dans l'entretien et l'éducation des enfants aux côtés des parents, d'autres préfèrent ne pas y participer. Ils préfèrent « rester dans « l'ombre » juridique »1235, raison pour laquelle chaque beau-parent doit trouver sa place au sein de la nouvelle configuration familiale sans que le droit n'impose un statut obligatoire pour eux1236.
L'établissement d'un lien de filiation
– Plan. – Deux outils permettent d'établir un lien de filiation entre une personne et un enfant qu'il élève ou a élevé : la possession d'état visée au titre VII du livre I du Code civil1237, et l'adoption mentionnée au titre VIII de ce même livre.
Pour aller plus loin
La prise en charge de l'enfant par les tiers
– Filiation et autorité parentale. – Selon l'article 371-1 du Code civil, « l'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant ». Elle est une « fonction » qui n'appartient qu'aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de leur enfant. L'autorité parentale est l'une des conséquences directes de la filiation. Dès que le lien de filiation est établi à l'égard du ou des deux parents, ces derniers sont automatiquement titulaires de l'autorité parentale.