Valoriser et transmettre le patrimoine dans le monde numérique

Valoriser et transmettre le patrimoine dans le monde numérique

– De l'immeuble à l'immatériel. – L'immeuble, dans son sens le plus large de tout ce qui est fixé au sol, est un endroit où l'on vit, où l'on travaille et, jusqu'à il y a encore quelques années, le théâtre unique de notre existence terrestre.
Ce postulat était entièrement vrai pour l'homme jusqu'à il y a encore une vingtaine d'années, mais il n'est l'est plus entièrement aujourd'hui avec l'arrivée du numérique. En effet, l'avènement des réseaux d'information et de communication de l'internet permet aujourd'hui à chaque individu de mener une partie de son existence dans un monde totalement imaginaire et intangible, un monde numérique.
Les développements de la première commission ont démontré l'influence du numérique sur l'identité même de l'homme et ses droits personnels extrapatrimoniaux. Il convient désormais de s'intéresser à l'impact du monde numérique sur son lieu de vie, et comment se superposent, se nourrissent ou s'opposent l'immobilier, actif tangible par essence, et le monde numérique, totalement immatériel.
Les problématiques liées à l'immobilier numérique seront traitées dans les développements qui vont suivre sous le prisme de l'immeuble compris comme un patrimoine qui se construit, s'exploite, s'occupe et s'échange.
– L'immeuble, un actif prépondérant. – La place de l'immobilier en France est particulière, tant pour les Français qui en ont fait leur premier produit d'épargne Fin 2016, l'immobilier, c'est-à-dire les constructions et leurs terrains d'assise, représentait environ 22 % du patrimoine national brut et plus de la moitié (53 %) de celui des ménages (Source : Insee). que pour la nation française dont le patrimoine immobilier est l'un des plus remarquables et mieux conservés au monde.
Au niveau mondial, l'immobilier pèserait plus de 217 000 milliards de dollars Y. Barnes, Around the World in dollars and cents, 2016, Savills.com (https://pdf.euro.savills.co.uk/global-research/around-the-world-in-dollars-and-cents-2016.pdf">Lien). , soit à peu près 60 % de la valeur totale de tous les actifs, incluant les capitaux, les obligations et l'or ; ou encore 2,7 fois le produit intérieur brut mondial.
– L'immeuble, un actif énergivore. – Au-delà de sa valeur intrinsèque, l'activité immobilière dans son ensemble est également la deuxième cause des émissions mondiales de gaz à effet de serre (CO2), ce qui oblige la filière et les États à prendre en considération les enjeux de l'immobilier sur le réchauffement climatique.
Comme le souligne le récent livre blanc rédigé par l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), la Fondation Internet nouvelle génération (FING), GreenIT.fr et le World Wildlife Fund France (WWF France), la transition numérique est aussi un accélérateur de la transition écologique Livre blanc Numérique et Environnement – Faire de la transition numérique un accélérateur de la transition écologique », mars 2018 : « Le numérique transforme nos manières de nous déplacer, de consommer, de produire, d'apprendre, de participer au débat public, d'élaborer des politiques, notamment au niveau des villes. On ne peut penser la société de 2050, neutre en carbone notamment, plus juste, sans penser en même temps à comment nous vivrons et débattrons à cet horizon, “après” la transition numérique ». , et les attentes sont fortes.
– L'immobilier, un secteur encore peu digitalisé. – Malgré une volonté politique forte, le numérique ne semble pas impacter significativement l'activité de construction et, globalement, la filière de la construction n'a pas bénéficié de gains significatifs de productivité avec des taux de marge et des coûts de construction relativement stables Selon une étude de l'Observatoire de la Construction Tech publiée le 27 juin 2019 par le salon Batimat et le groupement des entreprises de la filière électro-numérique française (Gimelec) : « La productivité de la construction française « sous-performe » celle des autres secteurs d…
– L'immobilier, un secteur encore peu digitalisé. – Malgré une volonté politique forte, le numérique ne semble pas impacter significativement l'activité de construction et, globalement, la filière de la construction n'a pas bénéficié de gains significatifs de productivité avec des taux de marge et des coûts de construction relativement stables Selon une étude de l'Observatoire de la Construction Tech publiée le 27 juin 2019 par le salon Batimat et le groupement des entreprises de la filière électro-numérique française (Gimelec) : « La productivité de la construction française « sous-performe » celle des autres secteurs d'activité. Avec, en particulier, un différentiel cumulé de productivité entre l'industrie et la construction de 127,3 % depuis 1995 ». . Des études pointent même une décroissance de productivité du secteur de la construction.
Par ailleurs, la part de l'immobilier dans le budget n'a pas diminué, que ce soit pour les entreprises ou les ménages, bien au contraire Selon une étude de Régis Bigot parue dans la revue Informations Sociales 2009/5 (no 155) consacrée au coût du logement, ce dernier augmente dans la plupart des pays d'Europe depuis au moins une vingtaine d'années (www.cairn.info/revue-informations">Lien). D'après une étude plus récente du Centre d'observation de la société en 2020, après une forte hausse la tendance est à la stabilisation sur les cinq dernières années à un niveau élevé (www.observationsociete.fr/modes-de-vie/logement-modevie/depenses-contraintes-le-poids-du-logement.html">Lien). . Ce retard d'optimisation par le numérique par rapport au secteur marchand ou même l'industrie peut s'expliquer par un éclatement des filières et la multiplicité des usages. Il en résulte qu'à ce stade, l'immobilier ne semble pas globalement disrupté et la filière est contrainte de modifier significativement ou de réinventer son modèle.
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Quelques chiffres sur le retard de digitalisation de la filière construction

Pour illustrer les retards de la digitalisation du secteur de la construction, on peut citer une étude de McKinsey publiée en septembre 2014 qui analyse les performances et la digitalisation des principales filières de l'industrie et des services. L'étude conclut que la filière construction est la plus mauvaise élève en matière de digitalisation et d'optimisation des processus de fabrication.
Deux extraits de l'étude accompagnés de figures sont assez éloquents :
  • « certains secteurs en sont encore aux prémices de la transformation. Dans le secteur du BTP par exemple, seules des entreprises pionnières testent et adoptent pour l'heure les technologies de maquette numérique du bâtiment (MNB) ».
  • Le rapport pointe également que : « Dans un contexte de marges souvent serrées qui contraignent les capacités de R&D des acteurs, la faiblesse des investissements technologiques contribue à des gains de productivité horaire plus faibles dans la construction que dans l'industrie manufacturière : alors que, au sein de cette dernière, la productivité horaire a augmenté de 87 % depuis 1995, elle s'est érodée de 6 % dans le secteur de la construction ».
– Un vent d'innovation numérique dans l'immobilier. – Il ne faut pas toutefois s'arrêter à ces premiers constats. Un vent d'innovation souffle depuis quelques années sur la filière, et cet élan ne provient pas nécessairement des acteurs classiques, mais plutôt de plateformes de services ou startups qui reposent sur le numérique et qui essayent de profiter ou de capter une partie de la valeur numérique dans l'immobilier.
Les plus ingénieux de ces nouveaux acteurs du numérique envisagent ainsi d'appliquer à l'immobilier des technologies telles que l'intelligence artificielle, la blockchain, la matérialisation en trois dimensions, les objets connectés (IoT), le big data, etc., afin d'accroître l'efficience des immeubles, de leur construction à leur transaction, mais également de créer de nouveaux usages de l'immeuble.
Cette effervescence se vérifie au fil des nombreux salons sur la Property Tech (ou PropTech), parfois aussi appelée Real Estech, agrégation de Real Estate (immobilier en anglais) et de Technologie, preuve de l'appétit croissant du marché et des startups en recherche de création de valeur dans ce secteur Selon une étude Xerfi (La filière de l'immobilier face au défi des PropTech, déc. 2017), les créations de PropTech ont presque doublé en trois ans. Une véritable ébullition liée à l'émergence de nouvelles technologies ou concepts – crowdfunding, BIM, réalité virtuelle, big data. .

Quelques chiffres sur l'innovation en immobilier

Une étude de PricewaterhouseCoopers France (PwC France) sur l'innovation dans le secteur du BTP constate fin 2018 une accélération de l'innovation dans le secteur de la construction. Cette étude, qui a analysé un panel de cent quarante-trois startups avec l'appui de grands groupes et acteurs de la construction, dresse un panorama complet de l'état des innovations dans la construction, subdivisées en trois familles d'innovations : les outils de digitalisation et de collaboration, les procédés de construction et matériaux innovants, et les nouveaux outils technologiques. L'étude cible les cinq besoins auxquels les innovations tentent de répondre : sécurité, productivité, expérience utilisateur, développement durable et ville connectée.
Le nombre de startups créées chaque année dans le secteur du BTP est en croissance depuis cinq ans :
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La digitalisation des échanges, les objets connectés et le BIM occupent plus de 70 % des startups :
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– L'approche servicielle de l'immobilier par le numérique. – Actif classiquement de rente ou d'épargne, l'immobilier deviendrait un objet de services valorisables dont la diffusion et l'administration reposeraient en grande partie sur le digital, et plus généralement sur l'approche communautaire et collaborative de la société qu'il véhicule. Il s'agit en définitive de vivre ensemble ou de vivre mieux par le digital.
En premier lieu, cette approche se matérialise par la capacité de concevoir les immeubles directement en trois dimensions sur des maquettes numériques construites de manière collaborative, avec la technologie dite du Building Information Modeling (BIM) V. la définition infra, no . .
Ensuite, l'appropriation collective de l'immeuble a donné naissance à des nouveaux usages de l'immeuble, que l'on pourrait qualifier d'immeuble partagé, d'immeuble connecté et même d'immeuble augmenté.
L'exploration de ces nouveaux outils et usages consistera à mesurer l'impact du numérique sur les différents cycles de vie de l'immeuble (Titre I) .
La seconde section sera dévolue à l'étude, plus classique pour le notaire, de l'impact du numérique sur les transactions immobilières (Titre II) . En effet, la digitalisation immobilière dont les notaires sont des acteurs incontournables arrive probablement à un point de rupture avec l'essor de la blockchain.
La vie de l'immeuble dans un environnement numérique sera abordée principalement au travers de ces deux principaux cycles, à savoir une phase de conception/construction (Sous-titre I) précédant sa gestion (Sous-titre II) .
Comme tous secteurs de l'économie, le numérique a joué un rôle dans l'évolution des transactions immobilières, sans pour autant en bouleverser le modèle et les acteurs traditionnels Principalement les acteurs des activités de construction-promotion, de gestion ou encore de commercialisation/vente des immeubles (www.pantheonsorbonne.fr/fileadmin/CEP/Master-GESIIC/Docs/2018-ey-observatoire-des-metiers-de-limmobilier-et-de-la-ville.pdf">Lien). . Il a été vu V.
« Toute personne a nécessairement un patrimoine » C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français, t. IX, Paris, LGDJ, 1917, no 573-576. . Cette affirmation de Charles Aubry et Charles Rau dans un cours de droit civil de 1917 trouve encore plus de résonance dans le monde numérique du XXI e siècle.
En effet, le patrimoine peut revêtir diverses formes et se composer de biens qui n'ont pas nécessairement de valeur économique. Cette diversité des biens et des valeurs qui composent le patrimoine s'est fortement accentuée avec la dématérialisation omniprésente que la révolution numérique a opérée dans toutes les strates de notre vie économique et sociale. La dématérialisation a impacté le patrimoine dans sa globalité et le patrimoine familial en particulier.
De matériel et visible, le patrimoine est devenu également immatériel et invisible. Cependant, même dématérialisé, le patrimoine reste l'héritage du passé dont nous profitons aujourd'hui et que nous souhaitons transmettre aux générations à venir.
De quelle manière le patrimoine familial a-t-il été investi par le numérique ?
Quelles en sont les conséquences sur l'application des règles et principes liés au droit de la famille ?
Il convient tout d'abord de s'interroger sur l'incidence du numérique dans la composition du patrimoine familial (Titre I) avant d'envisager sa transmission (Titre II) .
Selon le professeur Alain Bénabent : « Un effacement de la notion d'ordre public au profit d'une libre organisation de leurs biens par les individus peut être constaté à la faveur du bouleversement du droit de la famille soumis aux pressions des progrès scientifiques, de la sociologie et à l'internalisation des droits fondamentaux » A. Bénabent, Droit de la famille, Montchrestien, 5e éd. 2020. .
Les actifs numériques que sont aussi bien les monnaies numériques ou cryptomonnaies, telles que bitcoin, euthereum, litcoin… que les jetons numériques (tokens), sont désormais compris dans le patrimoine de la famille Sur la notion d'actif numérique familial, V. supra, nos et s. .