La filiation et la procréation avec tiers donneur

La filiation et la procréation avec tiers donneur

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Une autre façon de concevoir un enfant. – L'acte sexuel entre un homme et une femme fut pendant longtemps l'unique moyen de concevoir un enfant. Or, il n'était pas rare, lorsque l'un des membres du couple avait un problème de stérilité ou que la femme ne pouvait physiquement porter un enfant, de recourir « aux services » d'un autre homme ou d'une autre femme afin de s'assurer une descendance. Puis les progrès scientifiques ont permis de distinguer la sexualité de la procréation. Notre société a alors admis que des enfants puissent être conçus dans un cadre médical – en dehors de toute procréation charnelle –, avec l'assistance de tiers, permettant ainsi à des hommes et des femmes de devenir parents.
– Le développement des techniques médicales permettant d'assister la procréation. – Les premières inséminations artificielles dateraient de la fin du xviii e siècle893. Pendant longtemps, elles se sont réalisées de façon clandestine et dans des conditions ne conférant de sécurité sanitaire ni à la mère, ni à l'enfant à naître894. Puis, au cours du xx e siècle, d'autres techniques médicales permettant d'assister la procréation se sont développées895. Il faut attendre l'année 1973 pour que la procréation médicalement assistée (PMA) soit mise en œuvre, en France, dans un cadre médical896. Qualifiée à cette époque par certains « d'adultère médical », elle est alors autorisée uniquement pour les couples de personnes de sexe différent qui ne peuvent concevoir naturellement un enfant. Puis, par deux lois bioéthiques du 29 juillet 1994, la France s'est dotée d'un cadre juridique en matière d'assistance médicale à la procréation (AMP)897. Ces dispositions ont depuis été modifiées et complétées par plusieurs lois898, et tout particulièrement, par la loi no 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique899.
– Définition de l'AMP. – Si le législateur pose une définition de l'AMP dès 1994, la loi no 2011-814 du 7 juillet 2011 la définit comme regroupant les « pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle »900. L'AMP regroupe donc l'ensemble des techniques envisageables qui permettent de donner naissance à un enfant en dehors de tout processus naturel.
– Les différentes méthodes d'AMP. – La liste des procédés biologiques utilisés en AMP est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé après avis de l'Agence de la biomédecine.
La fécondation in vitro et l'insémination artificielle. La fécondation in vitro (FIV) et l'insémination artificielle (IA) sont deux méthodes différentes d'AMP. La fécondation in vitro consiste à mettre en contact entre elles, en laboratoire, les deux cellules de reproduction mâle (spermatozoïdes) et femelle (ovocytes) pour qu'il y ait fécondation. Celle-ci peut avoir lieu avec les gamètes du couple ou avec l'intervention d'un ou deux tiers donneurs901. Lorsqu'un ou plusieurs embryons se sont développés, il est procédé à leur transfert in utero. C'est ainsi que les bébés qui naissent de cette méthode ont été appelés les « bébés éprouvettes »902. Quant à l'insémination artificielle, elle consiste à introduire dans l'utérus de la femme des spermatozoïdes préparés à l'avance en laboratoire. L'insémination est réalisée soit avec les gamètes du couple – insémination artificielle intraconjugale (IAC) –, soit avec les gamètes d'un tiers donneur – insémination artificielle avec tiers donneur (IAD). La fécondation a lieu ensuite naturellement in utero.
L'accueil d'embryons. L'AMP inclut également l'accueil d'embryons. Dans le cadre d'une FIV, le couple ou la femme non mariée peut donner son accord par écrit pour que des ovocytes soient fécondés en nombre supérieur de façon à obtenir des embryons « surnuméraires ». Ceux qui se sont développés de manière satisfaisante et qui n'ont pas été implantés dans la cavité utérine peuvent être congelés en vue d'une éventuelle utilisation ultérieure. Lorsque la FIV a été réalisée avec succès et a abouti à la naissance d'un ou plusieurs enfants, le couple ou la femme non mariée peuvent souhaiter mettre fin au parcours d'AMP. Dans ce cas, il leur est tout à fait possible de donner leurs embryons congelés à des personnes qui sont en attente d'un tel don pour réaliser à leur tour une AMP exogène.
– Des techniques interdites. – D'autres techniques ne sont pas autorisées en France, comme celle de la réception d'ovocytes de la partenaire (ROPA). Elle consiste, au sein d'un couple de femmes, pour l'une à fournir ses ovocytes et pour l'autre à porter l'enfant. Cette interdiction repose sur le principe de l'anonymat du don posé à l'article 16-8 du Code civil. Le Conseil d'État s'est d'ailleurs prononcé en ce sens en indiquant que si cette technique « n'est pas expressément interdite par la loi », elle « n'est pas autorisée en France »903. Elle ne figure effectivement pas dans la liste des procédés biologiques utilisés en AMP dans la mesure où elle ne respecte pas les « principes fondamentaux de la bioéthique prévus en particulier aux articles 16 à 16-8 du Code civil »904. Toutefois, rien n'interdit aux couples de femmes de recourir à cette technique à l'étranger où celle-ci est autorisée905. De même, est interdite la FIV dite à trois parents qui consiste à concevoir in vitro un embryon à partir de trois donneurs différents : le génome du père, le génome de la mère et un génome mitochondrial provenant d'une donneuse afin d'éviter la transmission d'une maladie génétique portée par la mère906.
– AMP endogène ou AMP exogène. – Une AMP peut être réalisée avec ou sans l'assistance de tiers donneur. Le législateur en a tiré les conséquences en 1994. Il a fixé des règles particulières en matière de filiation pour l'enfant conçu par AMP en distinguant selon que celle-ci est endogène ou exogène. L'AMP endogène se définit comme celle réalisée à l'intérieur du couple. L'embryon est constitué des gamètes du couple sans intervention d'un tiers donneur. L'établissement de la filiation d'un enfant issu d'une AMP sans assistance d'un tiers donneur comme sa contestation relève des règles du droit commun, car il est relié biologiquement à ses deux parents907. Quant à l'AMP exogène, elle suppose un apport génétique de personnes extérieures, c'est-à-dire un don de gamètes masculins (spermatozoïdes) et/ou féminins (ovocytes) ou un don d'embryon. Si l'établissement de la filiation de l'enfant obéit aux règles du droit commun, des règles spécifiques ont été créées par le législateur pour éviter toute contestation de la filiation en raison de l'intervention d'un ou de deux tiers donneurs.
– Rôle du notaire dans le cadre d'une AMP exogène. – Si le notaire n'intervient pas dans le cadre d'une AMP endogène, il est en revanche un interlocuteur privilégié avant toute mise en œuvre d'une AMP exogène. Son rôle a d'ailleurs été accru par la dernière loi bioéthique908.
– Le recours à une mère porteuse. – Le recours à une mère porteuse, ou dite de substitution, est une autre forme de procréation permettant de réaliser son désir d'enfant. Pratique ancestrale, elle consiste pour une femme, pour des raisons personnelles ou pécuniaires, à porter un enfant pour le compte d'autrui – des parents d'intention – afin de le remettre à la naissance. Si celle-ci se réalise généralement de manière occulte, « dans la sphère familiale et sans intervention de la médecine jusqu'au début des années 70 »909, elle devient, grâce aux progrès de la médecine, une technique de procréation médicalement assistée. Apparue en France dans les années 1980, le législateur est rapidement intervenu pour la prohiber910. Les couples français se sont alors rendus à l'étranger pour réaliser des gestations pour autrui911. La France devait-elle alors accepter qu'une convention de GPA réalisée à l'étranger puisse produire ses effets sur le territoire national alors qu'elle y est prohibée ? Ne pouvant plus ignorer l'existence de ces enfants nés d'une GPA, il était nécessaire de se prononcer sur la reconnaissance, en France, de la filiation de ces enfants dénommés « les petits fantômes de la République »912.
– Plan. – Seront tout d'abord étudiées les règles relatives à l'AMP avec tiers donneur dans la mesure où le notaire a une compétence exclusive en la matière (Sous-titre I). Puis il sera fait état des conséquences d'une GPA réalisée à l'étranger sur l'établissement de la filiation à l'égard de l'enfant issu d'une telle technique médicale (Sous-titre II).
L'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur
– Plan. – Il sera tout d'abord abordé les conditions pour recourir à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur (Chapitre I) avant de traiter des conséquences d'une telle technique sur l'établissement de la filiation (Chapitre II). Enfin, il sera question du tiers donneur et de l'accès aux origines pour les enfants issus d'une AMP exogène (Chapitre III).
La gestation pour autrui
– La conclusion d'une convention de GPA conformément au droit local. – En raison de la prohibition de la GPA en France, des Français – couples ou personnes seules – se rendent à l'étranger pour la réaliser. Une convention de GPA est alors conclue à l'étranger, conformément au droit local, entre des parents commanditaires, appelés également parents d'intention, et une femme, appelée la « mère porteuse », qui accepte de mener une grossesse pour leur compte et de leur remettre l'enfant à la naissance