Choisir les siens

Choisir les siens

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– La famille endeuillée. – L'ouverture de la succession commence nécessairement par un décès001. Cette tragédie naturelle introduit le règlement successoral, moment intime souvent ressenti de manière douloureuse. Intestat (choisis par testament) ou ab intestat (désignés par la loi), les ayants droit se retrouvent continuateurs du défunt. Le départ d'un ancêtre reconfigure la famille en provoquant la « confusion de sa personne juridique avec celle des héritiers »002 ; sa place et ses biens deviennent instantanément ceux de ses successeurs. Perdre ses parents, un enfant, un proche est une épreuve qui nous projette subitement dans une autre réalité. Selon le contexte de la disparition, le degré de proximité avec la personne décédée, les liens d'affection ou de tension, le deuil est vécu différemment par chacun. Il est de la responsabilité du législateur de simplifier cette démarche difficile et du devoir du notaire de pacifier cette étape de vie.
– Un droit évolutif. – Le droit successoral est évolutif. La société du XIX e marquée par l'importance du statut social avait le mérite d'imposer un cadre, mais un cadre pesant, étriqué, parfois cruel. Dans le Dictionnaire des idées reçues (ou Catalogue des opinions chic) de Flaubert, on découvre au mot « Parents » : « Toujours désagréables ; cacher ceux qui ne sont pas riches ». Ces lieux communs surannés, tout en prêtant à rire, révèlent une société de l'apparence qui a volé en éclats après les deux guerres mondiales. En moins de cent ans, la société contemporaine s'est mise à fuir les rapports fondés sur les conventions sociales. Progressivement, au nom de la liberté, de la promotion de l'individualisme, puis de la proclamation de l'individualisation003, le cadre s'est effacé et des contradictions sont nées : le couple sans statut juridique, tout en reconnaissant avoir fait le choix de ne pas profiter de la loi, regrette de ne pas trouver de protection légale, au moment du décès. Le droit successoral doit-il se désintéresser de ceux qui ont fait le choix de lui échapper004 ?
– Du droit et des mœurs. – Quelle doit être l'attitude du législateur ? La question prise in abstracto est aussi ancienne que l'idée même de droit : le droit doit-il suivre les mœurs005 ? Chaque génération s'interroge de manière renouvelée006. En synthèse, les termes classiques du débat se résument ainsi : l'interpénétration réciproque des influences du droit et des mœurs laisse une part de responsabilité au législateur dans l'évolution des modes de vie sociétaux ; néanmoins, il ne peut pas ignorer les mutations, au risque d'avoir un droit décalé par rapport aux réalités contemporaines.
– Inventaire à la Prévert de questions sans réponses. – In concreto, la problématique se pose ainsi : quelle place donner au pouvoir de la volonté en droit successoral ? De multiples interrogations, plus ou moins légitimes, surgissent. Présentées sous la forme d'un inventaire à la Prévert, c'est-à-dire sans ordre apparent, elles sont symptomatiques des aspirations contemporaines. Le survivant du couple doit-il recueillir la même vocation successorale, quel que soit son statut, selon qu'il est marié, non marié, remarié, ou pacsé ? Le de cujus et ses héritiers présomptifs peuvent-ils contractualiser la transmission des biens ? La nouvelle égalité de la famille « démocratique » entre parent et enfant ne suffit-elle pas à garantir l'équilibre d'un pacte familial ? Les nouvelles recompositions doivent-elles conduire à une modification de la réserve héréditaire ? L'intérêt d'un enfant fragile ou handicapé à protéger justifie-t-il toutes les dispositions testamentaires ? Le nouveau-né d'une assistance médicale à la procréation post mortem, à l'étranger, peut-il hériter ? La personne fortunée n'est-elle pas libre de disposer sans limites de son patrimoine au profit d'organismes caritatifs ? L'internationalisation des successions ne rend-elle pas obsolète la réserve héréditaire ? Le succès de l'assurance-vie ne révèle-t-il pas l'échec de l'ordre public successoral ?
– Angle de réflexion. – Ces questions ont guidé le groupe de travail vers la notion de « choix » respectant une éthique de responsabilité éclairée par les trois valeurs d'égalité, de liberté et de solidarité007. Ainsi, sans enregistrer passivement les évolutions sociétales, afin de tenir compte des nouvelles configurations familiales et pour pérenniser l'attractivité du droit français, il sera proposé avec prudence des adaptations notariales en droit des successions pour permettre à chacun de faire un « choix responsable »008. Le professeur Bernard Beignier écrivait en juillet 2024 : « Nous autres, juristes, devons, dans les diverses fonctions qui sont les nôtres, saisir la société comme elle est. Nous n'avons pas à dire comment elle doit être. Mais il ne nous est pas interdit de dire comment elle ne devrait pas être. Il importe d'être lucides et de ne pas poser en dogme infondé que le droit règle tout, parce qu'il est une règle. Le droit a les défauts de la société qu'il essaie d'encadrer »009.
Dans cette optique, nous étudierons, dans un premier temps, la vocation des héritiers à la lumière des évolutions sociétales en présentant des pistes d'orientation (Titre I). L'étude du statut du bel-enfant, du survivant du couple et de l'enfant né d'une AMP post mortem, ainsi que l'analyse des privilèges de sexe ou de religion seront assorties de pistes d'orientation législative et de pratique professionnelle. Il s'agira, dans un second temps, de s'intéresser aux héritiers eux-mêmes au travers des sujets de saisine et d'acceptation (Titre II). Au cœur de la créativité notariale, nous tenterons de proposer des voies de simplification, d'amélioration et de pacification de l'existant en offrant des outils adaptés, autour de la vocation successorale de souche et du cantonnement.
Choisir d'hériter
– Un nouveau paradigme. – Après le titre « Choisir ses héritiers », ce nouveau titre « Choisir d'hériter » nous fait changer de paradigme. Nous quittons le point de vue du défunt pour aborder celui de ses héritiers. Dès le décès, la transmission ne nécessite aucune manifestation de volonté de la part des ayants droit continuateurs de la personnalité du défunt. Le patrimoine du de cujus se confond immédiatement avec celui de ses héritiers. Dès lors, le terme « choisir » pourrait sembler impropre.