La famille brisée

La famille brisée

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
« La rupture est faite, l'amour s'est envolé : bon voyage ! »554.
– La rupture du couple : une épreuve dans la vie des tribus familiales. – La vie d'une tribu familiale n'est pas un long fleuve tranquille. Au temps de l'anticipation et de la solidarité, succède parfois, souvent, trop souvent, celui des tensions, de la séparation et parfois de la rupture irrémédiable. Force est de constater qu'aujourd'hui, la faculté d'avoir plusieurs vies conjugales est admise et que les séparations sont légitimées au sein de l'opinion publique. La rupture du couple marque alors la fin d'un cycle conjugal, et potentiellement le début d'un nouveau cycle à court, moyen ou long terme. L'essor des familles recomposées en témoigne. Il en découle que la séparation d'un couple s'intègre naturellement dans la vie des tribus familiales. Mais avant de se lancer dans une nouvelle aventure conjugale et familiale, il est essentiel de clôturer l'ancienne.
– Focus sur les conséquences patrimoniales de la rupture. – Il n'est pas question ici d'envisager tous les aspects d'une séparation, déjà traités par des congrès précédents, mais de concentrer notre analyse sur le cœur de l'expertise du notaire lors des séparations, à savoir les opérations de liquidation-partage, et de nous cantonner à cette matière délicate et technique. Seront ainsi laissés en dehors de notre champ de rédaction les cas et la procédure de divorce et de séparation de corps, les causes de dissolution et les formalités de rupture d'un Pacs, mais aussi, s'agissant des conséquences de la désunion, les effets personnels qui peuvent en résulter en ce qui concerne, pour les époux, le maintien éventuel de l'usage du nom, et, pour tous les couples ayant des enfants communs, les modalités d'exercice de l'autorité parentale. La question des éventuelles indemnisations qui peuvent être dues au moment de la rupture, dont certaines sont similaires à tous les modes de conjugalité555 et d'autres propres à chacun d'eux, ne sera pas davantage abordée, s'agissant de domaines relevant de la compétence des avocats. Seul le sujet de la prestation compensatoire sera parfois envisagé au détour de nos développements, compte tenu de ses accointances avec la question liquidative.
– Le rôle du notaire dans les ruptures conjugales. – Confronté à la rupture, le notaire, en sa qualité d'homme de l'art, impartial, rompu à la fois aux techniques liquidatives et aux joutes conjugales concernant le partage des biens, est destiné à mettre au service de ses clients ses compétences techniques. Mais, dans ce type de dossiers, il doit aussi tenir compte des aspects psychologiques de la rupture, laquelle, sans parler des incidences sur les enfants, est souvent mal vécue par l'un des deux membres du couple, quand ce n'est pas les deux, ce qui va entraîner des positions parfois irréalistes, souvent objectivement incompréhensibles. Il s'agit alors tout à la fois de faire preuve de compréhension et de bienveillance, mais aussi de fermeté et de rigueur pour ne pas prêter son concours à des manœuvres purement dilatoires, qui n'ont d'autre objet que d'embourber, si ce n'est de geler l'avancée et l'issue des opérations, au préjudice de l'autre membre du couple.
Parce que la fin d'un couple est susceptible de générer un état de précarité ou de fragiliser l'entreprise de l'un d'entre eux, les aspects économiques de la rupture ne doivent évidemment pas davantage être occultés.
Enfin, en raison de la mondialisation, les notaires sont de plus en plus souvent confrontés à des « ruptures internationales ». Les cas sont multiples. Que l'on songe notamment au couple qui vit et se sépare en France alors que l'un de ses membres est de nationalité étrangère ou au couple dont les deux membres, français, sont ou ont été expatriés, propriétaires ou non de biens à l'étranger, et qui entendent consacrer leur séparation en France. L'existence d'un élément d'extranéité, quel qu'il soit, doit susciter la curiosité du notaire. Au-delà, il va lui falloir manier, ce qui peut s'avérer délicat, les multiples règles de conflit de lois qui coexistent en la matière556. Quant aux règles de conflit de juridictions susceptibles de naître de tels dossiers, elles obligent le notaire à certains conseils en interaction avec les avocats pour éviter les cas de litispendance. En raison de la fréquence de ces situations internationales, les notaires doivent nécessairement acquérir des réflexes afin de traiter au mieux ces dossiers techniques, y compris celui de travailler en partenariat avec des confrères ou avocats spécialisés.
– Plan. – Le couple déchiré doit faire les comptes et partager les biens que ses membres ont acquis ensemble, ce qui postule, dans un premier temps, de définir le moment où ces questions souvent épineuses et source de tensions devront être envisagées, le plus souvent, avec l'aide d'un notaire (Titre I). Il s'agira, dans un second temps, d'étudier certaines difficultés techniques auxquelles le notaire peut être confronté lors de son intervention au service du couple (Titre II).
Les opérations liquidatives
– Plan. – Entre époux, le règlement des intérêts patrimoniaux peut intervenir en amont du divorce, ce qui est du reste une obligation s'ils empruntent la voie d'un divorce par consentement mutuel, ou seulement après le prononcé de celui-ci. Sauf pour eux, ce qui est rare, à vouloir s'entendre en cours d'union pour établir des comptes à la suite de la vente d'un bien indivis, ou à organiser le rachat par l'un d'eux de la quote-part indivise de l'autre, les concubins et les partenaires n'envisagent les questions liquidatives qu'une fois la rupture consommée.
Les techniques liquidatives
– L'heure des comptes a sonné. – On définit généralement la liquidation comme « l'opération par laquelle on apure, règle et solde des comptes après en avoir déterminé le montant de manière définitive »677. Opération de répartition des richesses et des dettes conjugales, elle sonne également le glas des pouvoirs de chacun des membres du couple et du droit de poursuite des créanciers.