– Cas d'un jugement étranger établissant la filiation. – Lorsqu'une convention de GPA est conclue à l'étranger entre la femme porteuse et les parents d'intention, il est rendu, dans certains pays, une décision de justice, identique aux mentions portées sur l'acte de naissance, qui confirme la filiation de l'enfant à l'égard de ses deux parents d'intention, que le couple soit de sexe différent ou de même sexe. Ce jugement étranger peut parfois même être rendu avant la naissance de l'enfant. En raison de l'impossibilité de transcrire, sur les registres de l'état civil français, l'acte de naissance étranger de l'enfant mentionnant ses deux parents d'intention, ces derniers ont alors demandé au juge de l'exequatur dépendant du tribunal judiciaire, en l'absence de convention internationale, de rendre exécutoire en France le jugement prononcé à l'étranger1194.
L'exequatur du jugement étranger
L'exequatur du jugement étranger
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Le jugement étranger exclu du champ d'application de l'article 47 du Code civil. – Un jugement étranger n'entre pas dans le champ d'application de l'article 47 du Code civil. En effet, celui-ci vise « tout acte de l'état civil » de sorte que le jugement étranger établissant la filiation n'est pas concerné par la nouvelle réglementation de cet article. Il obéit en revanche aux dispositions de l'article 509 du Code de procédure civile qui prévoit que « les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi ». S'agissant des décisions étrangères relatives à l'état des personnes, elles produisent de plein droit leurs effets en France et peuvent même être mentionnées sur les registres français de l'état civil, et ce indépendamment de toute procédure d'exequatur
1195. Toutefois, pour prévenir toute contestation ultérieure sur celle-ci, il peut être demandé au juge français l'exequatur du jugement étranger. Cette procédure permet de « contrôler la régularité d'une décision étrangère établissant un lien de filiation de l'enfant issu d'une GPA à l'égard de ses parents d'intention » dans le but de « de lui faire produire ses effets dans [l']ordre juridique [français] et de pouvoir la faire transcrire sur les registres de l'état civil [français] »1196.
– Les conditions d'
exequatur
d'un jugement étranger en DIP. – Pour qu'une décision judiciaire prononcée par les juridictions d'un État, qui n'est lié par aucune convention internationale avec la France, puisse être reconnue sur le territoire national, rappelons succinctement que le juge de l'exequatur doit classiquement s'assurer que les conditions ci-après sont réunies1197 :
- la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi. Le litige se rattache-t-il au pays étranger de sorte que le juge étranger est compétent pour le trancher ? En matière de GPA, le jugement étranger est prononcé par une juridiction de l'État où la convention de GPA a été conclue. En outre, la femme porteuse réside généralement dans cet État où la GPA a d'ailleurs été réalisée, de sorte qu'il existe bel et bien un lien caractérisé avec le juge étranger ayant rendu la décision ;
- l'absence de fraude à la loi sur le plan international, c'est-à-dire que les parties ne doivent pas, pour obtenir une décision étrangère qui leur est favorable, avoir modifié la règle de conflit de lois qui désigne la loi d'un autre État que la France pour trancher le litige1198 ;
- la conformité de la décision étrangère à l'ordre public international de fond et de procédure. Concernant l'ordre public international français de procédure, il suffit que la juridiction étrangère ait respecté les garanties procédurales applicables en France1199. Pour l'appréciation de l'ordre public international de fond, il ne peut pas être soulevé que la GPA est illicite en France pour refuser l'exequatur d'une décision étrangère dès lors que celle-ci est légale ou tolérée dans le pays étranger. En effet, la conception française de l'ordre public international ne doit pas se confondre avec celle de l'ordre public interne.
Enfin, le juge français de l'exequatur ne doit pas rejuger l'affaire, ni même modifier la teneur du jugement étranger1200. Dès lors que les conditions mentionnées ci-dessus sont réunies, l'exequatur du jugement étranger doit être prononcé. Cette décision judiciaire étrangère pourra alors être transcrite sur les registres de l'état civil. Un acte de naissance français pourra être délivré pour l'enfant.
– Les conditions d'
exequatur
d'un jugement étranger en matière de GPA. – Par un arrêt du 2 octobre 20241201, la Cour de cassation s'est prononcée sur la nécessité de motivation du jugement étranger rendu en matière de GPA. Ainsi, les hauts magistrats ont refusé de prononcer l'exequatur du jugement étranger qui précisait que les deux hommes étaient légalement les pères des deux enfants au motif qu'est « contraire à la conception française de l'ordre public international de procédure la reconnaissance d'une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d'équivalent à la motivation défaillante ». Ils s'attachent désormais aux conditions dans lesquelles le jugement étranger a été rendu et fixent un certain nombre de garanties nécessaires pour que l'exequatur soit prononcé. La décision étrangère doit permettre de déterminer qu'une convention de GPA a bien été conclue entre les parties – ce qui ne ressortait pas du jugement étranger même s'il était fait état d'une mère porteuse1202 – et « d'identifier la qualité des personnes mentionnées qui ont participé au projet parental d'autrui et de s'assurer qu'il a été constaté que les parties à la convention de gestation pour autrui, en premier lieu la mère porteuse, ont consenti à cette convention, dans ses modalités comme dans ses effets sur leurs droits parentaux »1203. En souhaitant identifier la qualité des personnes ayant participé au projet parental d'autrui, la Haute juridiction ne cherche pas à savoir lequel des deux hommes est le père biologique de l'enfant. Elle n'entend pas remettre « en cause le projet parental du couple qui prime, indépendamment de la contribution biologique du parent à la conception de l'enfant »1204. Elle souhaite simplement s'assurer que le juge étranger a bien vérifié le consentement de toutes les parties – celui de la femme porteuse, de son conjoint, de la donneuse de gamètes – à la convention. Ce consentement libre et éclairé doit porter tant sur l'opération de GPA que sur les conséquences de celle-ci – notamment la renonciation expresse de la mère porteuse à ses droits parentaux au profit des parents d'intention – eu égard, d'une part, aux « risques de vulnérabilité des parties [à ladite convention] et des dangers inhérents à ces pratiques, et, d'autre part, [au] droit de l'enfant et de l'ensemble des personnes impliquées au respect de leur vie privée »1205.
En cas de refus, par le juge français, de prononcer l'exequatur du jugement étranger, la filiation établie entre les parents d'intention et l'enfant à l'étranger ne produit pas d'effets en France. Il reste alors aux parents d'intention la possibilité de demander :
- la transcription partielle de l'acte de naissance étranger sur les registres de l'état civil français pour que la filiation soit reconnue à l'égard de l'un des parents, puis l'adoption de l'enfant par le conjoint, partenaire ou concubin du parent dont la filiation est légalement établie ;
- à défaut de pouvoir obtenir la transcription partielle de l'acte de naissance étranger, la filiation sera établie à l'étranger mais ne sera pas reconnue en France.
– Les effets de l'
exequatur
d'un jugement étranger en matière de GPA. – La Cour de cassation a également rendu un second arrêt en date du 2 octobre 2024 concernant les effets de l'exequatur prononcé en France1206. Dans cette affaire, l'exequatur du jugement étranger avait été prononcé en première et deuxième instance. Néanmoins, l'arrêt rendu par la cour d'appel précisait que le jugement étranger produisait, sur le territoire national, les effets d'une adoption plénière, ce que le procureur général près la Cour d'appel contestait en rappelant que « s'agissant des effets de l'exequatur d'un jugement étranger, le juge peut procéder à la traduction d'une institution étrangère dans les catégories du for afin d'assurer son intégration dans cet ordre juridique, pourvu qu'il ne procède pas à une révision de la décision transposée dans l'ordre interne »1207. La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel en précisant que « lorsque, sans prononcer d'adoption, un jugement étranger établissant la filiation d'un enfant né d'une gestation pour autrui est revêtu de l'exequatur, cette filiation est reconnue en tant que telle en France et produit les effets qui lui sont attachés conformément à la loi applicable à chacun de ces effets »1208.
La loi applicable à chaque effet de la filiation
Dès lors qu'« un jugement étranger établissant la filiation d'un enfant né d'une gestation pour autrui est revêtu de l'exequatur, cette filiation (…) produit les effets qui lui sont attachés conformément à la loi applicable à chacun de ces effets ». Par cette formule, la Cour de cassation invite à rechercher la loi qui sera applicable à chaque effet produit par la filiation, qu'il s'agisse du nom, de la nationalité, de l'exercice de l'autorité parentale, des obligations alimentaires, de la transmission, etc. Pour l'exercice de l'autorité parentale par exemple, il convient de rechercher la loi applicable à la situation. La convention de La Haye du 19 octobre 1996, entrée en vigueur en France le 1er février 2011, a pour objet de déterminer la loi applicable à la responsabilité parentale, laquelle comprend « l'autorité parentale ou tout autre rapport d'autorité analogue déterminant les droits, les pouvoirs et les obligations des parents, d'un tuteur ou autre représentant légal à l'égard de la personne ou des biens de l'enfant »1209. En vertu des articles 16 et 17 de ladite convention, la loi applicable est celle de l'État de la résidence habituelle de l'enfant. En conséquence, lorsque l'enfant réside en France, c'est la loi française qui est applicable. Selon la loi française, les père et mère exercent en commun l'autorité parentale. Néanmoins, « lorsque la filiation est établie à l'égard de l'un d'entre eux plus d'un an après la naissance d'un enfant dont la filiation est déjà établie à l'égard de l'autre, celui-ci reste seul investi de l'exercice de l'autorité parentale. (…) L'autorité parentale pourra néanmoins être exercée en commun en cas de déclaration conjointe des père et mère adressée au directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire ou sur décision du juge aux affaires familiales »1210. Lorsque le jugement d'exequatur est rendu après les douze mois de l'enfant, les deux parents exercent-ils en commun l'autorité parentale ? La procédure d'exequatur n'a pas pour effet de conférer un « nouveau » droit aux parents de l'enfant, mais simplement d'affirmer la régularité internationale de la décision. Si la décision étrangère établit la filiation à l'égard des deux parents d'intention, ils seront considérés comme titulaires de l'autorité parentale et pourront l'exercer en commun depuis le prononcé du jugement étranger, même si l'exequatur intervient plusieurs années après la naissance de l'enfant.