– Double difficulté. – Si la phase de partage amiable débouche souvent sur un accord, il n'empêche que le notaire qui intervient à ce stade peut être confronté à une double difficulté, bien connue de la pratique : l'une résulte du désaccord entre les deux indivisaires (Sous-section I) et l'autre de la carence de l'un d'entre eux (Sous-section II).
Un règlement contrarié
Un règlement contrarié
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
Le désaccord entre indivisaires
– Échec de la phase amiable. – La phase de partage amiable peut ne pas déboucher sur un accord, parce qu'il existe de réels motifs de discorde liés à l'estimation d'un bien, à son attribution, ou à l'existence et à la valorisation de flux financiers intervenus entre les parties, ou bien pour des raisons d'ordre psychologique, moins rationnelles, l'un des indivisaires prenant un malin plaisir à poursuivre les hostilités, soit pour contraindre l'autre soit, de manière plus prosaïque, pour rester à son contact. Le notaire qui intervient à ce stade, à la demande de l'un d'entre eux ou sur la base d'un commun accord, doit alors s'évertuer à trouver le bon dosage entre la nécessité de laisser parfois du temps au temps pour trouver un accord, sans pour autant laisser s'enliser les opérations, au risque de faire le jeu de l'une des parties, dans une optique dilatoire à peine dissimulée.
En pareille occurrence, le risque pour le notaire est également de voir sa responsabilité engagée si, le temps faisant son œuvre, le jeu feutré mais impitoyable des prescriptions s'abat sur l'une des parties. L'on songe aux demandes de créances liquidatives, lesquelles, à l'exception des récompenses629, se prescrivent dans les cinq ans qui suivent la rupture (pour les ex-époux et les ex-partenaires) ou le transfert de valeurs qui en sont la cause (pour les ex-concubins), mais aussi à la liquidation de la créance de participation entre deux époux autrefois mariés sous le régime de la participation aux acquêts, laquelle se caractérise par une prescription abrégée de « trois ans à compter de la dissolution du régime matrimonial » (C. civ., art. 1578, al. 4). Ces délais peuvent passer très rapidement, notamment, mais pas seulement, lorsque les époux demeurent en contentieux parce que l'un d'entre eux a interjeté appel sur la prestation compensatoire. Sans que personne n'y prenne vraiment garde, le divorce est alors devenu définitif lors du dépôt des conclusions de l'intimé et la prescription a commencé discrètement à courir. Dans ce cas, concentrés sur l'appel en cours, les ex-époux ne se préoccupent généralement pas du règlement de leur régime matrimonial dans la foulée du divorce, au risque de perdre un temps précieux pour l'un d'entre eux. C'est dire que le notaire qui intervient dans la phase de partage amiable doit s'inquiéter très rapidement, lorsqu'il ouvre le dossier, de la date à laquelle le divorce est devenu définitif630. S'il constate qu'une demande liquidative est plus ou moins sur le point d'être prescrite, il doit alors conseiller à la partie concernée de faire le nécessaire pour interrompre cette prescription, ce qui passe le plus souvent par une assignation en partage judiciaire631.
– L'assignation en partage judiciaire. – Confrontée à l'échec de la phase de partage amiable, et pour avancer dans les opérations liquidatives, la partie la plus diligente doit alors assigner son coïndivisaire en partage judiciaire. À peine d'irrecevabilité, cette assignation doit contenir « un descriptif sommaire du patrimoine à partager et précise[r] les intentions du demandeur quant à la répartition des biens ainsi que les diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable » (CPC, art. 1360).
La nature des diligences effectuées en vain pour parvenir à un accord amiable n'est pas encadrée par les textes. La preuve de leur existence peut donc être apportée par tous moyens. Sans totalement être permissifs632, les magistrats semblent assez souples en la matière, dans le but louable d'éviter de bloquer davantage encore une situation conflictuelle. Pour éviter le risque d'une éventuelle irrecevabilité, l'indivisaire qui assigne peut demander à son avocat d'annexer à ses conclusions l'éventuel projet d'état liquidatif établi par son notaire, dès lors qu'il aura été transmis officiellement à l'autre partie et refusé par cette dernière633. Il peut également solliciter du notaire en question la rédaction d'une attestation circonstanciée, détaillant le déroulement des opérations et constatant objectivement l'échec d'un accord amiable.
Lorsque le notaire a été mandaté par les deux parties, il lui est possible de rédiger un véritable projet d'état liquidatif constatant les désaccords subsistant, l'équivalent de ce que l'on appelait autrefois, en cas de partage judiciaire, un « procès-verbal de difficultés ». Certains notaires se refusent du reste à régulariser un tel acte à l'issue de la phase amiable « comme étant un acte réservé au notaire commis »634. Cette position nous paraît contestable. À vrai dire, rien n'empêche le notaire, dans la phase amiable, de rédiger un projet d'état liquidatif constatant les désaccords subsistant à la requête des parties. Bien évidemment, cet état liquidatif ne doit pas être confondu avec celui que peut dresser le notaire commis dans la phase de partage judiciaire (CPC, art. 1373). Les deux actes ont le même objet, en ce qu'ils consistent à mettre en lumière les points de désaccord liquidatif entre les parties, mais ils n'ont pas le même régime, l'acte dressé dans la phase amiable ne pouvant ni interrompre les prescriptions, ni figer les prétentions des parties. En réalité, il s'agit de dresser une photographie liquidative à l'issue de la phase amiable, de sérier ainsi le futur débat judiciaire et de permettre aux indivisaires de solliciter, le cas échéant, du juge du partage qu'il tranche ab initio lesdits désaccords, ce qui évitera l'intervention d'un nouveau notaire (C. civ., art. 1364) et la mise en œuvre d'opérations de commise longues et inutiles. En ce sens, l'intérêt de dresser un « procès-verbal de difficultés » à ce stade nous semble évident. Si un tel acte paraît opportun, et mériterait peut-être d'être généralisé, il n'en demeure pas moins qu'il est rarement dressé en pratique pour une raison à vrai dire évidente : il suppose, en effet, que les parties qui se chicanent sur les questions liquidatives s'accordent cependant pour dresser sereinement un acte qui relatera objectivement leurs points de crispation. Or, il est exceptionnel d'obtenir « un accord dans le désaccord » entre les parties, chacune d'entre elles préférant fourbir ses armes dans le cadre de ses conclusions.
Intérêt de l'expertise in futurum
Il peut être utilement souligné qu'en cas de désaccord sur la valeur d'un bien, l'une des parties, avant toute procédure au fond, dispose de la faculté de saisir le juge aux affaires familiales, en qualité de juge des référés, afin de voir ordonner une expertise sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile. Outre que cette expertise judiciaire pourra être utile pour parvenir à un accord, elle peut simplifier la phase judiciaire du partage en cas d'échec de la phase amiable.
– Rémunération du notaire. – Les règles classiques de rémunération des notaires s'appliquent, même en cas d'échec de la phase amiable. À défaut de régularisation d'un acte de partage ou de licitation, le notaire ne peut pas prétendre aux émoluments tarifés applicables à ces actes. En revanche, il peut bien évidemment percevoir des honoraires libres, destinés à rémunérer ses diligences : tenue de rendez-vous de travail, étude des pièces communiquées, établissement d'un ou de plusieurs projets d'état liquidatif, etc. Il lui appartient alors de faire signer une lettre de mission au début de son mandat prévoyant des éventuels honoraires en cas d'évolution du dossier vers un partage judiciaire635. Comment déterminer cette rémunération, qui nécessite de recueillir l'accord préalable et écrit des parties ? Un taux horaire ou un forfait de base ou un forfait par projet ? Chaque notaire est libre de développer sa propre pratique. Se pose également la question de la déductibilité de ces honoraires des émoluments qui pourraient être perçus en cas de régularisation ultérieure d'un acte de partage. En dehors des cas expressément prévus par le Code de commerce, il est interdit de déduire ces honoraires, laquelle déduction reviendrait à une remise partielle636.
Par ailleurs, lorsque le notaire régularise un projet d'état liquidatif constatant les désaccords subsistant entre les parties, il peut prétendre dès la fin de la phase amiable aux émoluments de l'article A. 444-123 du Code de commerce, destinés à rémunérer une liquidation sans partage. Ces émoluments peuvent se cumuler avec les émoluments de l'acte de partage si le même notaire est retenu pour finaliser le règlement des intérêts patrimoniaux637.
La défaillance de l'un des indivisaires
– La défaillance justifiée. – Dans les faits, les notaires sont parfois confrontés à un indivisaire défaillant, du fait d'une altération des facultés mentales et de la mise en œuvre d'un régime de protection, ou encore d'une absence. Dans ce cas, le premier réflexe est d'inviter le coïndivisaire diligent à s'orienter vers la voie judiciaire avec tous les effets financiers et psychologiques d'une telle procédure, qui peut s'annoncer éprouvante. En effet, l'article 835 du Code civil dispose que : « Si tous les indivisaires sont présents et capables, le partage peut intervenir dans la forme et selon les modalités choisies par les parties ». Au-delà du principe du consensualisme, cet article rappelle la nécessité du consentement libre et éclairé des parties, ce qui ne peut être le cas face à un indivisaire absent ou protégé. Le législateur a cependant prévu, sous certaines conditions, que : « Si un indivisaire est présumé absent ou, par suite d'éloignement, se trouve hors d'état de manifester sa volonté, un partage amiable peut intervenir dans les conditions prévues à l'article 116 » du Code civil (C. civ., art. 836).
– La défaillance injustifiée : la rédaction d'un procès-verbal de carence. – Tout autre est la situation, plus fréquemment rencontrée, où le notaire se trouve confronté à un indivisaire volontairement défaillant, dont le silence génère un blocage des opérations liquidatives alors qu'aucune difficulté juridique ne semblait susceptible de venir gangrener le dossier. Concrètement, l'indivisaire « défaillant » dont il est question est donc celui qui pourrait signer le partage mais le bloque en ne répondant pas aux propositions formulées par son coïndivisaire « soit sciemment et dans un but d'obstruction, soit par simple désintérêt ou négligence »638.
En pareille occurrence, son notaire – ou son avocat – ayant tenté sans succès de nouer un dialogue avec son ex-époux, son ex-partenaire ou son ex-concubin, l'indivisaire diligent va alors convoquer ce dernier par acte extrajudiciaire à un rendez-vous chez le notaire, moyennant un délai de prévenance raisonnable et en précisant qu'à défaut de se présenter, il se verra contraint d'assigner en partage judiciaire. Partant, de deux choses l'une : soit la partie qui était récalcitrante est présente au rendez-vous, et les opérations de règlement amiable des intérêts patrimoniaux peuvent démarrer ou se poursuivre. Soit cette partie continue de jouer la politique de la chaise vide et le notaire peut alors dresser un procès-verbal de carence, auquel il va annexer un projet d'état liquidatif témoignant de la position liquidative de son client et précisant, le cas échéant, ses intentions quant à la répartition des biens. Ce procès-verbal de carence et les annexes témoignent à la fois du refus de l'indivisaire défaillant de s'accorder sur un partage amiable, et des diligences entreprises par son coïndivisaire pour tenter de le mettre en œuvre, ce qui permet à ce dernier d'assigner en partage judiciaire, conformément aux dispositions de l'article 1360 du Code de procédure civile, et sans craindre une quelconque irrecevabilité639.
– La défaillance injustifiée : la désignation d'une personne qualifiée. – Au lieu d'assigner en partage judiciaire, la partie diligente peut choisir une autre option dans le but de régulariser un partage amiable malgré l'inertie d'une des parties et d'éviter ainsi le partage judiciaire. Il s'agit de faire représenter le défaillant par une personne qualifiée (C. civ., art. 837)640. Cette option, encore peu usitée, présente pourtant un intérêt majeur, au moins dans deux situations : d'une part, lorsque le règlement des intérêts patrimoniaux au sein de l'ancien couple se limite à des demandes de créances, auquel cas il peut être intéressant pour le créancier d'obtenir un titre exécutoire pour en poursuivre, le cas échéant, le règlement forcé et, d'autre part et surtout, lorsqu'il s'agit pour l'un des deux de sortir de l'indivision et de se voir titrer sur un bien indivis, qu'il occupe ou qu'il gère seul, parfois depuis des années641.
Concrètement, dûment informée de cette faculté par son notaire, la partie diligente qui fait ce choix doit alors convoquer son coïndivisaire par acte extrajudiciaire à un rendez-vous chez le notaire. Cette convocation devra préciser qu'à défaut de se présenter ou d'avoir constitué mandataire dans les trois mois, l'époux diligent se réserve la possibilité soit de demander au juge de désigner une personne qualifiée pour le représenter, soit d'assigner en partage judiciaire.
Si, sur la sommation d'avoir à comparaître dans le délai de trois mois, la partie qui était récalcitrante est présente, les opérations de partage amiable peuvent débuter ou se poursuivre. Si la partie qui a été sommée est défaillante, l'indivisaire diligent demande au notaire d'établir un procès-verbal de carence témoignant du fait que le défaillant a été mis en demeure de se faire représenter depuis au moins trois mois. Le second original de la mise en demeure est annexé au procès-verbal du notaire. Avec le procès-verbal et son annexe, cet indivisaire déposera une requête auprès du président du tribunal judiciaire afin qu'il désigne une personne qualifiée pour représenter le récalcitrant au partage amiable (C. civ., art. 837, al. 2 et CPC, art. 1379). Dans les faits, cette personne qualifiée est généralement un avocat ayant suivi une formation labellisante et diplômante642. Il s'agit parfois d'un mandataire judiciaire à la protection des majeurs ou d'un administrateur judiciaire. Rien n'empêche qu'il s'agisse d'un notaire.
Une fois la personne qualifiée désignée, elle représente l'indivisaire dans les opérations « jusqu'à la réalisation complète du partage ». Elle est désormais « l'interface »643 entre le notaire et l'indivisaire défaillant. Dans le cadre de sa mission, et sans défendre aveuglément les intérêts de l'indivisaire représenté, la personne qualifiée doit cependant à tout le moins vérifier que l'état liquidatif établi par le notaire est conforme aux règles légales. Dans cette optique, elle doit solliciter la communication de toute pièce utile, témoignant de la valeur d'un bien à partager ou d'une demande de créance sollicitée par l'indivisaire diligent, et faire part au notaire de ses observations éventuelles, le tout – faut-il le rappeler – sans détenir par définition ni instructions, ni informations de l'indivisaire qu'il représente, dans la mesure où ce dernier est par définition taisant. C'est là du reste toute la difficulté de sa tâche.
Une fois que le projet d'état liquidatif établi par le notaire recueille l'adhésion tant du copartageant présent que de la personne qualifiée, celle-ci devra le transmettre au juge qui l'a désignée pour approbation. Conformément à la lettre de l'article 1358 du Code de procédure civile, cette autorisation est rendue en dernier ressort. Aussi, le partage amiable pourra être régularisé dès l'obtention de cette décision.
La rémunération de la personne qualifiée
Le juge prévoit généralement, à l'instar d'une expertise, une provision à valoir sur les frais et honoraires du mandataire, à la charge des deux parties, chacun pour moitié, en précisant, d'une part, qu'à défaut pour l'une d'entre elles (l'indivisaire défaillant) de consigner sa quote-part, ce qui est très généralement le cas, l'autre (l'indivisaire diligent) pourra y procéder et, d'autre part, que les frais de représentation seront prélevés en frais privilégiés de partage et s'imputeront prioritairement sur l'indivisaire défaillant. Dans les faits, il est évident que le coût de cette désignation est souvent supporté par l'indivisaire diligent. C'est le prix à payer pour qu'il puisse sortir de l'impasse procédurale dans laquelle il se trouve en raison de la passivité son copartageant.
du défaillant qui ne l'est plus ?
Eu égard à son attitude, et afin de débloquer les opérations de partage, le défaillant se voit ainsi imposer un mandataire. Il est en quelque sorte dessaisi de ses droits. Désormais, s'il réapparaît et désire à nouveau participer aux opérations, dans un but amiable ou avec la volonté d'en découdre, ce sera sous l'égide de la personne qualifiée, sauf à solliciter du juge la révocation de cette dernière. S'il veut éviter de se voir opposer une fin de non-recevoir, il doit alors témoigner auprès du juge de sa volonté réelle de reprendre en main son destin patrimonial car il ne saurait être question de lui permettre d'enliser à nouveau des opérations qui avaient difficilement retrouvé de la fluidité avec la désignation de son représentant.