Un statut successoral pour le bel-enfant ?

Un statut successoral pour le bel-enfant ?

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – La multiplication des familles recomposées fait naître la question légitime du statut successoral du bel-enfant. Nous aborderons la problématique de lege lata (§ I) et de lege ferenda (§ II), avant de proposer des solutions de stratégie patrimoniale (§ III).

Le droit positif

– Le principe actuel : la reconnaissance de la place du bel-enfant passe par l'adoption. – Des dizaines de milliers de personnes vivent avec les enfants de la précédente union de leur conjoint ou compagnon175. L'accroissement de ces nouvelles tribus recomposées suscite une réflexion sur le statut du beau-parent. Au sein du foyer, les enfants non communs du couple sans lien avec le nouveau conjoint de leur père ou mère n'héritent pas de lui. Si, depuis la loi du 4 mars 2002, un beau-parent peut se voir confier l'exercice de l'autorité parentale et demander la délégation volontaire ou la délégation-partage176, il demeure au moment du décès un simple étranger pour l'enfant tant d'un point de vue civil que fiscal.
Pour remplacer le lien de fait par un rapport de droit, il est nécessaire de passer par l'établissement d'une filiation adoptive, le plus souvent sous la forme simple. En l'absence de celle-ci, le bel-enfant n'est pas héritier et encore moins héritier réservataire. Il peut bien sûr être gratifié par testament, mais à des conditions confiscatoires puisqu'il est taxé à 60 % comme un non-parent.
– Un lien fondamentalement électif. – Les configurations sont diverses tant au regard de la nature des liens conjugaux qu'au regard de la qualité des rapports affectifs. Il y a des beaux-enfants qui auront vécu toute leur vie avec leur beau-père ou belle-mère, lorsque la recomposition s'est faite très tôt et qu'ils ont été élevés dès leur plus jeune âge avec l'ensemble de la fratrie sous le même toit. Il y a en revanche de nouvelles unions qui se font tardivement, en présence d'enfants déjà adultes qui n'auront jamais partagé le foyer du nouveau conjoint de leur père ou mère. Il y a enfin des liens passagers qui se font et se défont au gré des unions et des désunions auxquelles les enfants se sentent parfaitement étrangers. Le couple peut être officialisé sous la forme d'un mariage, d'un Pacs ou d'un concubinage plus ou moins notoire. Les liens affectifs dans la relation beau-parentale ont cette caractéristique d'être « fondamentalement électifs », selon les termes d'Irène Théry. Ils peuvent donc être riches, éducatifs, alimentaires, mais aussi désintéressés, conflictuels, toxiques ou inexistants177. L'artiste Vianney l'exprime de manière très poétique : « Y'a pas que les gènes qui font les familles / des humains qui s'aiment suffisent »178.
– Les attentes des beaux-parents, beaux-enfants. – Est-il souhaitable de reconnaître la qualité d'héritier légal, voire réservataire du bel-enfant, sans passer par l'établissement d'un lien de filiation adoptive ? La question est complexe et les attentes ne sont pas unifiées. Certains éléments concordants peuvent néanmoins être remarqués :
  • la majorité des familles recomposées ne revendique pas de droit à réserve, ni même de droit à héritage pour le bel-enfant ;
  • la situation actuelle n'est néanmoins pas satisfaisante, car elle n'accorde pas au beau-parent de conséquences juridiques aux liens d'affection qui ont pu être créés, et oblige à l'établissement d'une filiation inadaptée qui ne respecte pas la famille biologique. Même lorsque les relations entre beau-parent et enfant de la première union sont très fortes, l'adoption simple peut heurter la filiation biologique179 ;
  • l'adoption rend l'enfant réservataire à l'égard de son beau-parent, ce que ce dernier ne souhaite pas forcément ;
  • la séparation du couple et le décès du conjoint ne devraient pas avoir d'impact sur la permanence de la relation beau-parent/ bel-enfant180 ;
  • si l'alignement des droits du bel-enfant sur les descendants biologiques n'est pas attendu, l'ouverture de la possibilité pour le beau-parent de pouvoir gratifier sur la quotité disponible à un barème en ligne directe est une revendication des familles interrogées.
– Les familles pluricomposées 181 . – Aux côtés des familles recomposées, peuvent naître de nouvelles formes de pluricomposition ab initio. Plusieurs situations peuvent exister. L'une d'entre elles concerne deux couples homosexuels qui s'entendent pour procréer. L'enfant conçu naturellement aura un père et une mère biologiques et deux beaux-parents avec lesquels il pourra tisser des liens affectifs. En l'état actuel du droit positif, il n'est pas possible que l'enfant soit adopté par les deux182. Selon Irène Théry : « Cette situation se révèle discriminatoire, puisqu'entre les deux beaux-parents, cela revient à favoriser « le prix de la course » »183. L'incidence affective de cette discrimination se répercute en matière successorale, dans la mesure où seul l'un d'entre eux pourra profiter de la fiscalité en ligne directe.
La deuxième situation ne devrait bientôt plus être une hypothèse d'école. La loi no 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a ouvert aux femmes seules l'accès à l'assistance médicale à la procréation (AMP) avec intervention de tiers donneur, et permet à l'enfant né d'une AMP de demander, dès sa majorité, la levée de l'anonymat du donneur184. Il est possible d'imaginer désormais que la mère se marie ou se pacse après l'AMP et que le beau-père ou la belle-mère noue une relation affective avec l'enfant. On peut aussi concevoir que le jeune obtienne, après sa majorité, l'identité du donneur. Ils peuvent souhaiter concrétiser leur relation par l'établissement d'un lien de filiation (adoption simple)185.
Une autre hypothèse est celle d'un couple d'hommes ayant recours à une gestation pour autrui (GPA) à l'étranger en dépit de l'interdiction française. L'enfant né de mère porteuse (mère biologique ou non) aura un père biologique et un père d'intention, ou deux pères d'intention (suivant que les gamètes sont issus de l'un des pères ou non)186.
En cette matière, plus qu'en toute autre, il nous semble que c'est la réalité qui doit guider le législateur et non la volonté de l'homme187. L'essentiel est d'établir une filiation claire fondée sur la réalité du lien biologique ou du lien affectif. Il ne faut pas créer de confusion dans l'esprit de l'enfant (ni des coparents), dont l'état civil doit refléter la vérité d'une filiation biologique, adoptive ou d'intention.
La parenté d'intention ne saurait cacher la parenté biologique. Conformément à la Convention internationale des droits de l'enfant, « l'intérêt supérieur de l'enfant » est une « considération primordiale » qui commande que chacun puisse avoir connaissance de ses antécédents familiaux, conformes à la vérité sur sa filiation, de sa génétique et son histoire188. Pour reprendre la formule d'Irène Théry à propos de la levée de l'anonymat du tiers donneur en 2014 : « Nous proposons ici que la France rejoigne le vaste cercle des pays qui ont su abandonner la logique du secret et du mensonge au profit d'un nouveau modèle de « Responsabilité » »189. L'enfant, appelé à devenir adulte et héritier, se construira plus clairement.

Les voies de prospectives

– Une première voie écartée : l'élection d'héritier. – Le rapport Pérès-Potentier précité a émis l'idée, sans la retenir, de restaurer l'élection d'héritier190. Le conjoint en secondes noces, ou le beau-parent de la famille pluricomposée, désignerait les enfants au rang de ses propres héritiers réservataires aux termes d'un pacte de famille notarié ou d'un testament authentique. L'avantage serait d'éviter l'établissement d'un lien de filiation artificiel niant la réalité d'une relation purement affective reposant sur l'alliance de l'auteur. Le bel-enfant deviendrait un héritier de premier ordre, « élu ».
Une telle évolution rendrait la réserve héréditaire librement disponible, ce qui n'est pas concevable. Après l'avoir étudiée de manière approfondie, les auteurs du rapport Pérès-Potentier soulignent le danger de cette proposition : « Cela reviendrait en effet à permettre à un homme ou une femme, par sa propre volonté, de puiser dans le droit de la filiation certains de ses effets pour les attribuer à une personne qui n'est pas son enfant et d'engendrer ainsi une grande confusion identitaire »191.
– Une seconde voie écartée : le droit alimentaire. – Si placer les beaux-enfants au rang des héritiers réservataires n'est pas opportun, la question se pose de savoir s'ils pourraient être reconnus héritiers légaux même non réservataires, notamment lorsque le défunt aura été délégataire de l'autorité parentale pendant leur minorité. L'idée serait de prolonger le devoir alimentaire et la responsabilité parentale déléguée au-delà de la mort. C'est la voie qui a été retenue en Angleterre, où notamment the child of the family, qu'il soit ou non issu de la personne décédée, bénéficie de la possibilité de demander au juge la reconnaissance d'une family provision dans la succession192. Cette proposition, séduisante à première vue, présente cependant plusieurs inconvénients. Le premier est de retenir un fondement alimentaire très restrictif au droit à héritage, qui n'est pas propre au droit latin. Le deuxième, si l'on se positionne du côté de l'auteur, est de rendre impératif un droit qui n'aura pas été forcément anticipé parce qu'il est étranger à notre culture. Et le troisième, si l'on se place du côté de l'enfant cette fois, est de l'obliger moralement, sinon juridiquement, à un devoir de secours et d'assistance réciproque, juste contrepartie du droit à héritage.
– La voie privilégiée : promouvoir le bel-enfant comme héritier – intestat . – La diversité des situations, conséquence du caractère « fondamentalement électif »193 de la relation, rend malaisée la reconnaissance d'un statut impératif du bel-enfant en qualité d'héritier légal. La voie envisageable serait de faciliter sa vocation intestat. Aux Pays-Bas, une proposition de loi suggère de permettre de désigner par testament son bel-enfant au même titre que ses propres enfants. Il n'y a, en droit civil français, aucun frein à de telles dispositions194, ni aucune intervention législative nécessaire. Le testateur est donc libre en présence d'un enfant de gratifier un bel-enfant de moitié, en présence de deux enfants d'un tiers, de trois enfants ou plus d'un quart, tout en laissant l'usufruit à son conjoint. La quotité disponible ordinaire telle qu'elle est conçue permet d'aligner, ou presque, si le testateur le souhaite, les droits d'un bel-enfant sur les droits de ses propres enfants et de rapprocher, en présence de plusieurs beaux enfants, leurs droits sur ceux des descendants biologiques tout en laissant l'usufruit au survivant.
En revanche, les freins fiscaux demeurent. La majorité des adoptions sont motivées non par le caractère réservataire ou légal du statut d'héritier, mais par le souhait de profiter du barème à titre gratuit en ligne directe. Il n'est pas rare que le testateur veuille gratifier le fils ou la fille de son conjoint sans pour autant souhaiter le traiter à égalité avec ses propres descendants biologiques. Il utilise des voies détournées, comme celles offertes par l'assurance-vie ou les régimes matrimoniaux, pour éviter la taxation à hauteur de 60 % sans progressivité prescrite par l'article 777 du Code général des impôts. Le rapport Pérès-Potentier précité le souligne : « C'est donc vers la mise en place d'un régime fiscal adapté aux recompositions familiales que l'effort du législateur doit s'orienter ». Ce n'est pas la création d'un régime civil artificiel en matière successorale qui est attendue par nos concitoyens, mais un statut fiscal destiné à éviter la création de filiations adoptives inadaptées conformément aux préconisations du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de la Cour des comptes. Celui-ci prescrivait en 2018 une évolution pour appliquer aux transmissions aux beaux-enfants soit le tarif en ligne directe, soit un barème sui generis plus attractif que celui de l'article 777 susvisé195. Les recommandations sont renouvelées dans le rapport public de juin 2024196. Par souci d'harmonisation fiscale, il conviendrait de retenir la qualité de « bel-enfant » quelle que soit la nature du lien conjugal ou contractuel (marié, ou pacsé) du survivant du couple.
– Autre voie envisagée : faciliter les adoptions simples. – L'adoption ne saurait être choisie pour des raisons fiscales, mais pour contribuer « au parachèvement d'une recomposition familiale harmonieuse » 197. Ainsi, lorsque l'adoption est adaptée, demandée par les parents adoptifs, comprise et consentie par les familles du sang, il faut assouplir la procédure. Le Conseil supérieur du notariat, dans un Livre blanc paru en juillet 2022 à destination des pouvoirs publics, avait proposé que l'adoption simple de l'enfant majeur du conjoint, du partenaire de Pacs et du concubin puisse être effectuée par acte notarié. La procédure judiciaire actuelle est relativement longue et complexe et nécessite l'intervention d'un avocat, d'un notaire et d'un juge. La procédure judiciaire serait maintenue pour l'adopté mineur ou en présence d'enfant mineur de l'adoptant ou en cas d'opposition. Cette proposition n'a pas trouvé sa place dans le cadre de la loi no 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption198.

Stratégies de transmission

– Familles sans enfant commun. – Dans l'attente de l'instauration d'un statut fiscal du bel-enfant, le notaire peut accompagner dès à présent les familles recomposées en conseillant des dispositions particulières autres que l'adoption, quand celle-ci paraît inadaptée.
Dans les familles sans enfant commun, la première d'entre elles consiste à établir un testament au profit de son conjoint ou partenaire pacsé pour transmettre une partie de ses biens en propriété. Au second décès, les biens seront dévolus aux enfants nés de la première union et de la seconde union de manière égalitaire.
La seconde stratégie est de désigner les beaux-enfants comme bénéficiaires de contrats d'assurance-vie dans la limite des primes manifestement excessives.

Testament et famille recomposée sans enfant commun

Casimir et Michèle ont chacun deux enfants nés d'une union précédente, Éric, Étienne, Simon et Hippolyte. Les quatre enfants ont été élevés ensemble. Les époux ont des biens propres et des biens communs et souhaitent que leur patrimoine soit dévolu par parts égales à leurs descendants, sans distinction selon l'origine des biens.

Le patrimoine commun est évalué à 60 000 €, les biens propres de monsieur à 120 000 € et ceux de madame à 90 000 €. (Le patrimoine total s'élève à 270 000 € que les époux choisissent de répartir en quatre, soit 67 500 €.)

Monsieur, qui a davantage de biens, établit chez son notaire un testament et laisse :

Madame, qui a moins de biens, lègue tout simplement l'usufruit de ses biens à son conjoint.

Les hypothèses de dénouement sont les suivantes :

(E1 : Éric, E2 : Étienne sont les enfants de monsieur, et E3 : Simon, E4 : Hippolyte ceux de madame).

Les enfants reçoivent la même chose en valeur quel que soit l'ordre des décès.

Ce modèle est toujours opérationnel si le patrimoine propre d'un des époux n'est pas trop important. Dans l'hypothèse étudiée, la part reçue par les enfants de monsieur (67 500 €) est supérieure au montant de leur réserve (50 000 €).

– Famille avec enfant commun. – La situation est bien connue des praticiens : un couple, formant une famille recomposée unie, avec des enfants communs et non communs, souhaite anticiper sa succession afin d'instaurer une égalité au sein de la fratrie. Il peut s'agir, pour prendre l'exemple le plus courant, d'un couple marié sous le régime de communauté légale, ayant un enfant commun, outre les deux enfants nés d'une première union du mari. Les époux souhaitent que leurs biens communs, issus majoritairement de l'industrie de monsieur en sus de ses propres, soient divisés entre les trois enfants par parts égales. Dans cette hypothèse, plusieurs stratégies peuvent être envisagées :
  • Solution fondée sur le régime matrimonial : le choix d'un régime séparatiste ab initio aurait pu résoudre la question, mais les époux ont volontairement choisi le régime de communauté « pour se protéger » l'un l'autre. Et ils n'envisagent pas de changer aujourd'hui de régime.
  • Solution fondée sur l'adoption : l'épouse adopte les deux enfants de la première union de son mari afin de transmettre par succession sa part dans les biens communs par parts égales aux trois enfants, en léguant ses biens propres à l'enfant commun. Si ses biens propres excèdent le quart de son patrimoine, le legs est réductible, puisque ses deux beaux-enfants sont devenus réservataires.
  • Solution fondée sur le testament : en supposant mis en place le statut fiscal du bel-enfant, l'épouse pourrait léguer deux tiers de sa part dans les biens communs à ses beaux-enfants. La quotité disponible en présence d'un enfant étant de moitié, il faut s'assurer que les deux tiers transmis n'excèdent pas le disponible.
  • Solution fondée sur la RAAR : l'enfant commun intervient pour consentir, aux termes d'une RAAR, à renoncer à agir en réduction du legs. Outre la solennité de la RAAR, son caractère abdicatif stigmatisant n'est pas de nature à assurer une transmission sereine.
Aucune de ces stratégies n'est pourtant satisfaisante. Chacune heurte d'une manière différente l'harmonie familiale. C'est un plaidoyer pour la création du « pacte de famille avec contrepartie »199. L'acte serait fondé sur une équité naturelle familiale. Il comprendrait un exposé des objectifs poursuivis, de l'équilibre recherché, prenant la forme d'une renonciation non plus seulement abdicative mais transactionnelle. À l'opposé de l'actuelle RAAR, le pacte exposerait les contreparties directes et indirectes, tout en conservant une forme très encadrée.