Les questions particulières

Les questions particulières

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Parmi les questions particulières, nous avons choisi d'évoquer deux sujets de prospectives juridiques avec, d'une part, la question des successions dites « anomales » (Sous-section I) et, d'autre part, la problématique du statut successoral du bel-enfant (Sous-section II).

Successions anomales

– Typologie des droits de retour. – En marge de cette dévolution légale, le Code civil a consacré des anomalies successorales. Une succession peut être qualifiée d'anomale lorsqu'elle tient compte de la nature ou de l'origine du bien. Elle échappe au principe d'unité successorale et aux règles de l'ordre et du degré. Le Code civil reconnaît ainsi le droit de retour de l'adopté simple, qui pose peu de difficulté (§ I), celui des père et mère, plus controversé (§ II), et enfin celui des collatéraux privilégiés, complexe à mettre en œuvre (§ III).

Le droit de retour de l'adopté simple

– Un droit ancien. – Institué par la loi no 66-500 du 11 juillet 1966, le droit de retour de l'adopté simple (inscrit à l'article 368-1 du Code civil) assure la transmission des biens reçus à titre gratuit dans la famille d'origine d'où proviennent ces biens (adoptive ou par le sang). Le droit s'applique en présence d'une adoption simple, sur les actifs reçus à titre gratuit (donation, succession légale ou testamentaire) par ses parents (père et mère adoptants ou biologiques). Il suppose la réunion de trois conditions :
  • le bien se retrouve en nature dans le patrimoine (pas de subrogation) ;
  • l'adopté décède sans descendance ni conjoint survivant ;
  • l'adopté laisse ses père ou mère adoptants ou biologiques, ou leurs descendants (frères et sœurs, neveux et nièces biologiques ou de la famille adoptive).
Ce droit de retour classique ne pose pas de difficulté. Il est néanmoins intéressant de constater que la loi du 23 juin 2006 a supprimé ce dispositif en présence d'un conjoint, pour éviter une combinaison complexe avec le droit au logement et les autres droits de retour. Fiscalement, il est soumis aux droits de mutation à titre gratuit.

Le droit de retour des parents

– Le fruit d'un compromis parlementaire. – Le droit de retour légal des père et mère qui existait en 1804 a été rétabli sous une forme édulcorée en 2006. Consacré par compensation avec la suppression de la réserve légale des ascendants et concédé par les députés en contrepartie de la réserve du conjoint, il est le fruit d'un compromis maladroit.
– Les caractéristiques. – La loi no 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a prévu que les père et mère, ou l'un d'eux en cas de prédécès de leur enfant, sans postérité, bénéficient d'un droit de retour légal sur les biens que le défunt avait reçus d'eux par donation (et non par succession). Selon l'article 738-2 du Code civil, ce droit est limité au quart et s'exerce par les donateurs vivants, en nature, ou en valeur en cas d'aliénation des biens donnés. Le testateur ne peut en priver ses père et mère et les parents ne peuvent y renoncer par avance, la renonciation anticipée étant assimilée à un pacte sur succession future prohibé en vertu de l'article 722 du Code civil. Après le décès, le droit s'impute sur les droits successoraux des donateurs qui disposent alors d'une double option. Ils peuvent accepter le droit de retour légal et renoncer à la succession ou inversement. Étant ici fait observer que la renonciation ante mortem à leur droit de retour conventionnel laisse subsister le droit légal. D'un point de vue fiscal, contrairement aux autres successions anomales, la transmission ne donne pas lieu à la perception de droits de mutation à titre gratuit.

L'illusion de la renonciation au droit de retour conventionnel

Le droit de retour conventionnel inséré quasi systématiquement dans les actes de donation peut s'exercer en nature sur les biens donnés, ou sur ceux qui viennent en représentation.
Si le donataire vend le bien transmis, il est usuel de faire renoncer les donateurs au droit de retour conventionnel. Cette renonciation ne doit pas faire oublier le droit de retour légal subsidiaire.
La renonciation au droit de retour conventionnel n'a pas d'effet sur le droit de retour légal qui continue de subsister. Il s'exercera en valeur malgré la vente et la renonciation. Il peut être aisément oublié dans ce cas pourtant très fréquent.
– Les difficultés d'assiette. – La première incertitude frappant le droit de retour légal des parents est liée à la maladresse de la rédaction de l'article 738-2 précité. Elle laisse entendre que ce droit de retour porte sur un quart des actifs donnés, alors qu'il paraît plus probable que le législateur ait envisagé de l'appliquer à la totalité de la donation dans la limite d'un quart de l'ensemble de la succession. Deux thèses s'affrontent en doctrine depuis bientôt vingt ans, qu'il ne nous appartient pas de reprendre. Les cinq CRIDONs et le notariat ont opté pour l'interprétation littérale du texte (un quart des biens) tandis que la doctrine majoritaire penche en faveur de la seconde interprétation (le bien dans la limite du quart de la succession).
– Une indivision complexe en famille recomposée. – Alors que l'esprit du donateur est de récupérer le bien donné dans l'hypothèse tragique du prédécès de son enfant, le droit de retour légal, notamment en famille recomposée, générera souvent au contraire une indivision doublement complexe, par les quotités recueillies, d'une part, et l'identité des coïndivisaires, d'autre part. La situation est encore plus incertaine en présence d'une donation-partage avec soulte ou avec charge. Pour l'éviter, la pratique notariale a systématisé l'insertion d'une clause de droit de retour conventionnel dans les formules de donation. Optionnel, combiné avec une clause résiduelle, avec ou sans subrogation, ce droit de retour conventionnel, beaucoup plus attractif, est révélateur d'une insuffisance légale. La créativité notariale n'est jamais aussi ingénieuse que lorsqu'elle pallie l'imperfection de la loi.
– Le droit de retour et le droit viager au logement. – Le second écueil du droit de retour légal des parents, et non des moindres, est sa combinaison avec le droit viager au logement. Si le bien donné constitue le domicile des époux, le droit de retour pourrait faire échec au droit viager. Un auteur propose, dans ce cas, que le retour s'exerce en valeur. Cette solution permettrait de concilier les droits du conjoint au maintien de son cadre de vie et la vocation successorale des ascendants privilégiés. Mais l'esprit n'est pas du tout conforme à l'essence de la succession anomale qui se justifie par la conservation des biens dans la famille. Il est en tout état de cause incertain, de manière plus générale, que le droit de retour puisse s'exercer en valeur (lorsque les biens subsistent en nature) et joue en présence du conjoint. Le positionnement de l'article 738-2 dans le Code civil pourrait l'exclure, mais la doctrine majoritaire considère qu'il s'applique « dans tous les cas ».
– Quel avenir pour l'article 738-2 ? – Le droit de retour légal manque à tous les objectifs qui ont inspiré sa création. Ces faiblesses sont connues et reconnues. Depuis plusieurs décennies, les praticiens soulèvent la question. En 2010, le Congrès des notaires de Bordeaux suggérait de le remplacer par une créance alimentaire. Il y a dix ans, le Conseil supérieur du notariat (CSN), dans un Livre blanc du 28 juillet 2014, avait suggéré, parmi quarante propositions, la suppression pure et simple du droit de retour des ascendants privilégiés. Une question ministérielle du 12 août 2014 reprenant l'argumentaire du CSN avait sollicité le gouvernement pour savoir si une suppression était envisageable.
En dépit du constat de ses faiblesses, la suppression du droit de retour aurait pour effet d'écarter les parents de la succession en dévolution testamentaire. Philippe Malaurie écrivait : « Désormais la loi n'a plus à l'égard des parents de sens familial : malheur aux vieux ! S'ils sont dans le besoin et que leurs enfants sont prédécédés, même si la succession est opulente, leur seule ressource est la solidarité nationale » . On pourrait imaginer de mettre en place un recours alimentaire pour les ascendants exclus de la succession, s'ils sont dans le besoin, à l'image de ce qui existe pour les ascendants ordinaires à l'article 758 du Code civil. La suppression de l'article 738-2 du Code civil nécessiterait une modification de l'article 758 du Code civil.

Le droit de retour des frères et sœurs

– Caractéristiques. – L'hypothèse est celle d'un de cujus qui ne laisse ni descendants ni père et mère, mais des frères et sœurs et un conjoint. La loi du 3 décembre 2001 précitée a institué, à l'article 757-3 du Code civil, le droit de retour légal des collatéraux privilégiés. Celui-ci s'applique lorsque :
  • le défunt laisse son conjoint et des frères et sœurs, en l'absence de descendant et d'ascendants privilégiés ;
  • il avait reçu de ses ascendants par succession ou donation ;
  • un bien qui se retrouve en nature (pas de subrogation) ;
  • et les collatéraux ont un lien de parenté avec l'ascendant. Le retour porte sur la moitié des biens générant nécessairement une indivision.
– Le droit de retour des frères et sœurs est grevé du droit au logement. – Le sujet a été débattu mais ne semble plus poser question. La quote-part transmise aux collatéraux privilégiés au titre du droit de retour est grevée de ce droit au logement.
– Conseil de pratique notariale. – Lorsqu'il existe des biens susceptibles de faire l'objet du droit de retour légal de l'article 757-3 du Code civil, il est conseillé dans tous les cas d'écarter l'application de ce droit, qui n'est pas d'ordre public, par des dispositions de dernières volontés. Le testament permettra efficacement d'éviter une indivision, souvent complexe, entre le conjoint survivant et les collatéraux privilégiés et assurera, plus sûrement et plus sereinement, la conservation des biens dans la famille. Le testateur pourra soit transmettre ses biens aux collatéraux privilégiés ou à certains d'entre eux, soit en disposer au profit du conjoint survivant, voire d'un tiers, ou même laisser l'option ouverte au conjoint, qui pourra cantonner ses droits afin que les biens reviennent à la parenté du défunt.

Droit de retour et logement

Si, parmi les biens de famille, se trouve le logement, habitation principale du conjoint survivant, le legs que pourrait consentir le testateur à ses frères et sœurs sera grevé du droit viager. Si le testateur souhaite malgré tout que le bien revienne en pleine propriété à sa parenté, il devra priver son conjoint du droit viager par testament authentique.
– Supprimer le droit de retour des frères et sœurs. – Moins problématique que le droit des père et mère de l'article 738-2 du Code civil, celui des frères et sœurs reste néanmoins source de difficultés. En famille recomposée, il est compliqué à appliquer et traite de manière différenciée les frères et sœurs utérins, germains et consanguins. Seuls les enfants issus de l'auteur de la libéralité ou de la succession profiteront du droit de retour. Des indivisions complexes naissent inutilement. La suppression de l'article 757-3 du Code civil paraît de bon sens.

Un statut successoral pour le bel-enfant ?

– Plan. – La multiplication des familles recomposées fait naître la question légitime du statut successoral du bel-enfant. Nous aborderons la problématique de lege lata (§ I) et de lege ferenda (§ II), avant de proposer des solutions de stratégie patrimoniale (§ III).

Le droit positif

– Le principe actuel : la reconnaissance de la place du bel-enfant passe par l'adoption. – Des dizaines de milliers de personnes vivent avec les enfants de la précédente union de leur conjoint ou compagnon. L'accroissement de ces nouvelles tribus recomposées suscite une réflexion sur le statut du beau-parent. Au sein du foyer, les enfants non communs du couple sans lien avec le nouveau conjoint de leur père ou mère n'héritent pas de lui. Si, depuis la loi du 4 mars 2002, un beau-parent peut se voir confier l'exercice de l'autorité parentale et demander la délégation volontaire ou la délégation-partage, il demeure au moment du décès un simple étranger pour l'enfant tant d'un point de vue civil que fiscal.
Pour remplacer le lien de fait par un rapport de droit, il est nécessaire de passer par l'établissement d'une filiation adoptive, le plus souvent sous la forme simple. En l'absence de celle-ci, le bel-enfant n'est pas héritier et encore moins héritier réservataire. Il peut bien sûr être gratifié par testament, mais à des conditions confiscatoires puisqu'il est taxé à 60 % comme un non-parent.
– Un lien fondamentalement électif. – Les configurations sont diverses tant au regard de la nature des liens conjugaux qu'au regard de la qualité des rapports affectifs. Il y a des beaux-enfants qui auront vécu toute leur vie avec leur beau-père ou belle-mère, lorsque la recomposition s'est faite très tôt et qu'ils ont été élevés dès leur plus jeune âge avec l'ensemble de la fratrie sous le même toit. Il y a en revanche de nouvelles unions qui se font tardivement, en présence d'enfants déjà adultes qui n'auront jamais partagé le foyer du nouveau conjoint de leur père ou mère. Il y a enfin des liens passagers qui se font et se défont au gré des unions et des désunions auxquelles les enfants se sentent parfaitement étrangers. Le couple peut être officialisé sous la forme d'un mariage, d'un Pacs ou d'un concubinage plus ou moins notoire. Les liens affectifs dans la relation beau-parentale ont cette caractéristique d'être « fondamentalement électifs », selon les termes d'Irène Théry. Ils peuvent donc être riches, éducatifs, alimentaires, mais aussi désintéressés, conflictuels, toxiques ou inexistants. L'artiste Vianney l'exprime de manière très poétique : « Y'a pas que les gènes qui font les familles / des humains qui s'aiment suffisent ».
– Les attentes des beaux-parents, beaux-enfants. – Est-il souhaitable de reconnaître la qualité d'héritier légal, voire réservataire du bel-enfant, sans passer par l'établissement d'un lien de filiation adoptive ? La question est complexe et les attentes ne sont pas unifiées. Certains éléments concordants peuvent néanmoins être remarqués :
  • la majorité des familles recomposées ne revendique pas de droit à réserve, ni même de droit à héritage pour le bel-enfant ;
  • la situation actuelle n'est néanmoins pas satisfaisante, car elle n'accorde pas au beau-parent de conséquences juridiques aux liens d'affection qui ont pu être créés, et oblige à l'établissement d'une filiation inadaptée qui ne respecte pas la famille biologique. Même lorsque les relations entre beau-parent et enfant de la première union sont très fortes, l'adoption simple peut heurter la filiation biologique ;
  • l'adoption rend l'enfant réservataire à l'égard de son beau-parent, ce que ce dernier ne souhaite pas forcément ;
  • la séparation du couple et le décès du conjoint ne devraient pas avoir d'impact sur la permanence de la relation beau-parent/ bel-enfant ;
  • si l'alignement des droits du bel-enfant sur les descendants biologiques n'est pas attendu, l'ouverture de la possibilité pour le beau-parent de pouvoir gratifier sur la quotité disponible à un barème en ligne directe est une revendication des familles interrogées.
– Les familles pluricomposées . – Aux côtés des familles recomposées, peuvent naître de nouvelles formes de pluricomposition ab initio. Plusieurs situations peuvent exister. L'une d'entre elles concerne deux couples homosexuels qui s'entendent pour procréer. L'enfant conçu naturellement aura un père et une mère biologiques et deux beaux-parents avec lesquels il pourra tisser des liens affectifs. En l'état actuel du droit positif, il n'est pas possible que l'enfant soit adopté par les deux. Selon Irène Théry : « Cette situation se révèle discriminatoire, puisqu'entre les deux beaux-parents, cela revient à favoriser « le prix de la course » ». L'incidence affective de cette discrimination se répercute en matière successorale, dans la mesure où seul l'un d'entre eux pourra profiter de la fiscalité en ligne directe.
La deuxième situation ne devrait bientôt plus être une hypothèse d'école. La loi no 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a ouvert aux femmes seules l'accès à l'assistance médicale à la procréation (AMP) avec intervention de tiers donneur, et permet à l'enfant né d'une AMP de demander, dès sa majorité, la levée de l'anonymat du donneur. Il est possible d'imaginer désormais que la mère se marie ou se pacse après l'AMP et que le beau-père ou la belle-mère noue une relation affective avec l'enfant. On peut aussi concevoir que le jeune obtienne, après sa majorité, l'identité du donneur. Ils peuvent souhaiter concrétiser leur relation par l'établissement d'un lien de filiation (adoption simple).
Une autre hypothèse est celle d'un couple d'hommes ayant recours à une gestation pour autrui (GPA) à l'étranger en dépit de l'interdiction française. L'enfant né de mère porteuse (mère biologique ou non) aura un père biologique et un père d'intention, ou deux pères d'intention (suivant que les gamètes sont issus de l'un des pères ou non).
En cette matière, plus qu'en toute autre, il nous semble que c'est la réalité qui doit guider le législateur et non la volonté de l'homme. L'essentiel est d'établir une filiation claire fondée sur la réalité du lien biologique ou du lien affectif. Il ne faut pas créer de confusion dans l'esprit de l'enfant (ni des coparents), dont l'état civil doit refléter la vérité d'une filiation biologique, adoptive ou d'intention.
La parenté d'intention ne saurait cacher la parenté biologique. Conformément à la Convention internationale des droits de l'enfant, « l'intérêt supérieur de l'enfant » est une « considération primordiale » qui commande que chacun puisse avoir connaissance de ses antécédents familiaux, conformes à la vérité sur sa filiation, de sa génétique et son histoire. Pour reprendre la formule d'Irène Théry à propos de la levée de l'anonymat du tiers donneur en 2014 : « Nous proposons ici que la France rejoigne le vaste cercle des pays qui ont su abandonner la logique du secret et du mensonge au profit d'un nouveau modèle de « Responsabilité » ». L'enfant, appelé à devenir adulte et héritier, se construira plus clairement.

Les voies de prospectives

– Une première voie écartée : l'élection d'héritier. – Le rapport Pérès-Potentier précité a émis l'idée, sans la retenir, de restaurer l'élection d'héritier. Le conjoint en secondes noces, ou le beau-parent de la famille pluricomposée, désignerait les enfants au rang de ses propres héritiers réservataires aux termes d'un pacte de famille notarié ou d'un testament authentique. L'avantage serait d'éviter l'établissement d'un lien de filiation artificiel niant la réalité d'une relation purement affective reposant sur l'alliance de l'auteur. Le bel-enfant deviendrait un héritier de premier ordre, « élu ».
Une telle évolution rendrait la réserve héréditaire librement disponible, ce qui n'est pas concevable. Après l'avoir étudiée de manière approfondie, les auteurs du rapport Pérès-Potentier soulignent le danger de cette proposition : « Cela reviendrait en effet à permettre à un homme ou une femme, par sa propre volonté, de puiser dans le droit de la filiation certains de ses effets pour les attribuer à une personne qui n'est pas son enfant et d'engendrer ainsi une grande confusion identitaire ».
– Une seconde voie écartée : le droit alimentaire. – Si placer les beaux-enfants au rang des héritiers réservataires n'est pas opportun, la question se pose de savoir s'ils pourraient être reconnus héritiers légaux même non réservataires, notamment lorsque le défunt aura été délégataire de l'autorité parentale pendant leur minorité. L'idée serait de prolonger le devoir alimentaire et la responsabilité parentale déléguée au-delà de la mort. C'est la voie qui a été retenue en Angleterre, où notamment the child of the family, qu'il soit ou non issu de la personne décédée, bénéficie de la possibilité de demander au juge la reconnaissance d'une family provision dans la succession. Cette proposition, séduisante à première vue, présente cependant plusieurs inconvénients. Le premier est de retenir un fondement alimentaire très restrictif au droit à héritage, qui n'est pas propre au droit latin. Le deuxième, si l'on se positionne du côté de l'auteur, est de rendre impératif un droit qui n'aura pas été forcément anticipé parce qu'il est étranger à notre culture. Et le troisième, si l'on se place du côté de l'enfant cette fois, est de l'obliger moralement, sinon juridiquement, à un devoir de secours et d'assistance réciproque, juste contrepartie du droit à héritage.
– La voie privilégiée : promouvoir le bel-enfant comme héritier – intestat . – La diversité des situations, conséquence du caractère « fondamentalement électif » de la relation, rend malaisée la reconnaissance d'un statut impératif du bel-enfant en qualité d'héritier légal. La voie envisageable serait de faciliter sa vocation intestat. Aux Pays-Bas, une proposition de loi suggère de permettre de désigner par testament son bel-enfant au même titre que ses propres enfants. Il n'y a, en droit civil français, aucun frein à de telles dispositions, ni aucune intervention législative nécessaire. Le testateur est donc libre en présence d'un enfant de gratifier un bel-enfant de moitié, en présence de deux enfants d'un tiers, de trois enfants ou plus d'un quart, tout en laissant l'usufruit à son conjoint. La quotité disponible ordinaire telle qu'elle est conçue permet d'aligner, ou presque, si le testateur le souhaite, les droits d'un bel-enfant sur les droits de ses propres enfants et de rapprocher, en présence de plusieurs beaux enfants, leurs droits sur ceux des descendants biologiques tout en laissant l'usufruit au survivant.
En revanche, les freins fiscaux demeurent. La majorité des adoptions sont motivées non par le caractère réservataire ou légal du statut d'héritier, mais par le souhait de profiter du barème à titre gratuit en ligne directe. Il n'est pas rare que le testateur veuille gratifier le fils ou la fille de son conjoint sans pour autant souhaiter le traiter à égalité avec ses propres descendants biologiques. Il utilise des voies détournées, comme celles offertes par l'assurance-vie ou les régimes matrimoniaux, pour éviter la taxation à hauteur de 60 % sans progressivité prescrite par l'article 777 du Code général des impôts. Le rapport Pérès-Potentier précité le souligne : « C'est donc vers la mise en place d'un régime fiscal adapté aux recompositions familiales que l'effort du législateur doit s'orienter ». Ce n'est pas la création d'un régime civil artificiel en matière successorale qui est attendue par nos concitoyens, mais un statut fiscal destiné à éviter la création de filiations adoptives inadaptées conformément aux préconisations du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de la Cour des comptes. Celui-ci prescrivait en 2018 une évolution pour appliquer aux transmissions aux beaux-enfants soit le tarif en ligne directe, soit un barème sui generis plus attractif que celui de l'article 777 susvisé. Les recommandations sont renouvelées dans le rapport public de juin 2024. Par souci d'harmonisation fiscale, il conviendrait de retenir la qualité de « bel-enfant » quelle que soit la nature du lien conjugal ou contractuel (marié, ou pacsé) du survivant du couple.
– Autre voie envisagée : faciliter les adoptions simples. – L'adoption ne saurait être choisie pour des raisons fiscales, mais pour contribuer « au parachèvement d'une recomposition familiale harmonieuse » . Ainsi, lorsque l'adoption est adaptée, demandée par les parents adoptifs, comprise et consentie par les familles du sang, il faut assouplir la procédure. Le Conseil supérieur du notariat, dans un Livre blanc paru en juillet 2022 à destination des pouvoirs publics, avait proposé que l'adoption simple de l'enfant majeur du conjoint, du partenaire de Pacs et du concubin puisse être effectuée par acte notarié. La procédure judiciaire actuelle est relativement longue et complexe et nécessite l'intervention d'un avocat, d'un notaire et d'un juge. La procédure judiciaire serait maintenue pour l'adopté mineur ou en présence d'enfant mineur de l'adoptant ou en cas d'opposition. Cette proposition n'a pas trouvé sa place dans le cadre de la loi no 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption.

Stratégies de transmission

– Familles sans enfant commun. – Dans l'attente de l'instauration d'un statut fiscal du bel-enfant, le notaire peut accompagner dès à présent les familles recomposées en conseillant des dispositions particulières autres que l'adoption, quand celle-ci paraît inadaptée.
Dans les familles sans enfant commun, la première d'entre elles consiste à établir un testament au profit de son conjoint ou partenaire pacsé pour transmettre une partie de ses biens en propriété. Au second décès, les biens seront dévolus aux enfants nés de la première union et de la seconde union de manière égalitaire.
La seconde stratégie est de désigner les beaux-enfants comme bénéficiaires de contrats d'assurance-vie dans la limite des primes manifestement excessives.

Testament et famille recomposée sans enfant commun

Casimir et Michèle ont chacun deux enfants nés d'une union précédente, Éric, Étienne, Simon et Hippolyte. Les quatre enfants ont été élevés ensemble. Les époux ont des biens propres et des biens communs et souhaitent que leur patrimoine soit dévolu par parts égales à leurs descendants, sans distinction selon l'origine des biens.

Le patrimoine commun est évalué à 60 000 €, les biens propres de monsieur à 120 000 € et ceux de madame à 90 000 €. (Le patrimoine total s'élève à 270 000 € que les époux choisissent de répartir en quatre, soit 67 500 €.)

Monsieur, qui a davantage de biens, établit chez son notaire un testament et laisse :

Madame, qui a moins de biens, lègue tout simplement l'usufruit de ses biens à son conjoint.

Les hypothèses de dénouement sont les suivantes :

(E1 : Éric, E2 : Étienne sont les enfants de monsieur, et E3 : Simon, E4 : Hippolyte ceux de madame).

Les enfants reçoivent la même chose en valeur quel que soit l'ordre des décès.

Ce modèle est toujours opérationnel si le patrimoine propre d'un des époux n'est pas trop important. Dans l'hypothèse étudiée, la part reçue par les enfants de monsieur (67 500 €) est supérieure au montant de leur réserve (50 000 €).

– Famille avec enfant commun. – La situation est bien connue des praticiens : un couple, formant une famille recomposée unie, avec des enfants communs et non communs, souhaite anticiper sa succession afin d'instaurer une égalité au sein de la fratrie. Il peut s'agir, pour prendre l'exemple le plus courant, d'un couple marié sous le régime de communauté légale, ayant un enfant commun, outre les deux enfants nés d'une première union du mari. Les époux souhaitent que leurs biens communs, issus majoritairement de l'industrie de monsieur en sus de ses propres, soient divisés entre les trois enfants par parts égales. Dans cette hypothèse, plusieurs stratégies peuvent être envisagées :
  • Solution fondée sur le régime matrimonial : le choix d'un régime séparatiste ab initio aurait pu résoudre la question, mais les époux ont volontairement choisi le régime de communauté « pour se protéger » l'un l'autre. Et ils n'envisagent pas de changer aujourd'hui de régime.
  • Solution fondée sur l'adoption : l'épouse adopte les deux enfants de la première union de son mari afin de transmettre par succession sa part dans les biens communs par parts égales aux trois enfants, en léguant ses biens propres à l'enfant commun. Si ses biens propres excèdent le quart de son patrimoine, le legs est réductible, puisque ses deux beaux-enfants sont devenus réservataires.
  • Solution fondée sur le testament : en supposant mis en place le statut fiscal du bel-enfant, l'épouse pourrait léguer deux tiers de sa part dans les biens communs à ses beaux-enfants. La quotité disponible en présence d'un enfant étant de moitié, il faut s'assurer que les deux tiers transmis n'excèdent pas le disponible.
  • Solution fondée sur la RAAR : l'enfant commun intervient pour consentir, aux termes d'une RAAR, à renoncer à agir en réduction du legs. Outre la solennité de la RAAR, son caractère abdicatif stigmatisant n'est pas de nature à assurer une transmission sereine.
Aucune de ces stratégies n'est pourtant satisfaisante. Chacune heurte d'une manière différente l'harmonie familiale. C'est un plaidoyer pour la création du « pacte de famille avec contrepartie ». L'acte serait fondé sur une équité naturelle familiale. Il comprendrait un exposé des objectifs poursuivis, de l'équilibre recherché, prenant la forme d'une renonciation non plus seulement abdicative mais transactionnelle. À l'opposé de l'actuelle RAAR, le pacte exposerait les contreparties directes et indirectes, tout en conservant une forme très encadrée.