Un bail n'exprimant pas la valeur locative réelle du bien

Un bail n'exprimant pas la valeur locative réelle du bien

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Le risque mesuré de requalification en prêt à usage. – De façon classique, un parent sera enclin à ajuster le prix du bail aux ressources de son enfant, de sorte que le loyer correspondra davantage aux capacités financières du locataire qu'à la valeur qui aurait pu être obtenue sur le marché locatif. Cette situation, qui trouve son explication dans les liens d'affection mais également dans l'obligation alimentaire, constitue d'ailleurs un argument relayé par les pouvoirs publics pour refuser le bénéfice des aides personnalisées au logement dans le cadre d'un bail familial152. La modicité du loyer expose-t-elle le contrat de bail à une requalification en prêt à usage ?
Pour se représenter les enjeux, il suffit d'imaginer la conclusion d'un bail verbal entre membres de la famille moyennant un loyer modique. Imaginons qu'une mésentente familiale se fasse jour entre le preneur et le bailleur au point que ce dernier veuille résilier le contrat. Si le contrat est un bail, le bailleur devra délivrer un congé pour la date d'échéance du contrat avec les difficultés que cela suppose en présence d'un bail verbal. À l'inverse, si le contrat est requalifié en prêt à usage, le prêteur pourra exiger la restitution de son bien à tout moment en respectant un préavis raisonnable153.
Le risque de requalification paraît faible. La jurisprudence retient en effet qu'un bail peut être conclu pour un prix modique. Il suffit ainsi que le bailleur reçoive une contrepartie quelconque pour que le contrat puisse être qualifié de bail154. Seul un bail conclu pour un prix dérisoire pourrait être requalifié en prêt à usage155. Dans le même ordre d'idées, l'existence d'un loyer inférieur à la valeur de marché ne permet pas à elle seule de caractériser une intention libérale156.
– La pratique du faible loyer au regard de l'encadrement des loyers. – La véritable difficulté posée par la modicité du loyer dans les baux familiaux résulte du mécanisme d'encadrement des loyers. Une présentation à grands traits de ce dispositif conduit à rappeler que la législation relative aux baux d'habitation encadre les loyers des logements situés dans les zones d'urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d'accès au logement sur l'ensemble du parc résidentiel157. Lorsqu'un logement est situé dans une commune concernée, le loyer ne peut pas être fixé librement158. Sa détermination est régie par le décret no 2017-1198 du 27 juillet 2017159. L'un des principes contenus dans ce décret est que le loyer d'un nouveau contrat de location « ne peut excéder le dernier loyer appliqué au précédent propriétaire » 160. Afin d'assurer le respect de cette réglementation, l'article 3, 8o de la loi du 6 juillet 1989 impose que le contrat de bail mentionne « le montant et la date de versement du dernier loyer acquitté par le précédent locataire, dès lors que ce dernier a quitté le logement moins de dix-huit mois avant la signature du bail »161. Cette réglementation peut se retourner contre le bailleur qui avait initialement loué à des conditions avantageuses un bien immobilier à un membre de sa famille, comme l'illustre le cas pratique suivant.

Le piège du bail familial au regard de la législation relative à l'encadrement des loyers

M<sup>me</sup> Véronique Lastar a consenti à sa fille un bail d'habitation sur un logement situé dans une zone d'encadrement des loyers moyennant un loyer de 300 € alors que les loyers habituellement constatés dans le voisinage pour des logements comparables sont de 600 €.

Finalement, sa fille quitte la région pour des raisons professionnelles et met fin au bail.

M<sup>me</sup> Lastar trouve un nouveau locataire et demande à son notaire de rédiger le nouveau bail. Elle souhaite en effet bénéficier des avantages de l'acte notarié (la copie exécutoire notamment) maintenant que le locataire est une personne étrangère à la famille.

Elle souhaite que le nouveau loyer mensuel soit de 600 €.

Le notaire qui est en charge de la rédaction du bail demande à M<sup>me</sup> Lastar de lui communiquer le montant du dernier loyer en application de l'article 3-8<sup>o</sup> de la loi du 6 juillet 1989.

M<sup>me</sup> Lastar informe alors son notaire que le loyer était de 300 € par mois.

Comment cette situation sera-t-elle réglée ?

– Solution de lege lata . – En principe, le loyer ne peut excéder le dernier loyer appliqué au précédent locataire162. Cependant, l'article 4, 2o du décret du 27 juillet 2017 permet de réévaluer le loyer lorsque le dernier loyer appliqué au précédent locataire est manifestement sous-évalué. Mais, dans ce cas, la hausse du nouveau loyer ne peut excéder la moitié de la différence entre le montant d'un loyer déterminé par référence aux loyers habituellement constatés dans le voisinage pour des logements comparables et le dernier loyer appliqué au précédent locataire163. Si l'on reprend les données du cas pratique précédent, le nouveau loyer ne pourrait pas excéder 450 € alors que la bailleresse escomptait un loyer de 600 €.
– Solution de lege ferenda . – Il serait souhaitable que le décret du 27 juillet 2017 soit modifié de manière à prendre en compte la situation des baux familiaux. Le loyer familial ne doit en effet pas servir de référentiel à la détermination ultérieure d'un loyer consenti à un tiers. Cette idée élémentaire, qui repose sur les liens de famille, est d'ailleurs admise depuis longtemps en matière de baux commerciaux : la jurisprudence a en effet posé le principe selon lequel le déplafonnement d'un bail commercial peut intervenir lorsque le prix du bail avait été originairement fixé à un montant anormalement bas eu égard à des relations de famille existant alors164. Si la relation de famille permet de s'extraire de la réglementation instituant un plafonnement des loyers commerciaux, elle doit également le permettre pour les baux d'habitation. On serait même tenté d'affirmer que la solution s'impose encore plus nettement s'agissant d'un bail d'habitation : loger un membre de la famille correspond le plus souvent à une logique d'obligation alimentaire.
– Solution pratique fondée sur la notion d'obligation alimentaire. – L'imprégnation de l'obligation alimentaire est telle que le notaire requis d'établir un bail familial pourrait songer résoudre la difficulté de la manière suivante : le contrat de bail stipulerait un montant de loyer conforme à la valeur vénale, de manière à fixer un référentiel pertinent dans l'éventualité d'une relocation à un tiers. Puis il prendrait le soin de détailler les modalités de paiement du loyer de façon à faire clairement apparaître la partie que le locataire doit payer au comptant, et celle dont il est dispensé d'assurer le paiement en raison de la compensation qui se produit entre sa dette de loyer et sa créance d'obligation alimentaire. Cette suggestion peut se recommander des dispositions de l'article 1347-2 du Code civil qui ont libéralisé la compensation des obligations alimentaires165.
Ainsi, les baux familiaux conclus entre personnes entrant dans le cercle de l'obligation alimentaire, à savoir les ascendants et descendants166, les gendres et belles-filles, les beaux-pères et belles-mères, tant que dure le mariage d'où est née l'alliance ou que vivent des enfants nés de ce mariage si celui-ci a été dissous par le décès d'un conjoint167, pourraient prévoir un mode de paiement du loyer en lien avec la relation alimentaire qui lie le bailleur au preneur. Cette solution nous paraît également transposable aux liens de parenté non concernés par l'obligation alimentaire, tels que ceux existants entre collatéraux privilégiés (frères et sœurs) ou ordinaires (oncles et tantes). En effet, la jurisprudence consacre depuis longtemps l'existence d'une obligation naturelle d'assistance dans de telles hypothèses168. Rien n'interdirait aux parties de caractériser ce devoir de conscience au sein du bail familial afin de nover l'obligation naturelle en obligation civile et d'organiser le paiement volontaire de cette obligation par compensation avec une partie de la dette de loyer169.