Les aspects civils du bail familial

Les aspects civils du bail familial

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Le bail familial est soumis aux mêmes règles que celles applicables à un bail consenti à une personne étrangère à la famille (Sous-section I). Pour autant, le lien de famille qui unit le bailleur au locataire n'est pas sans incidence sur le contrat. Les deux manifestations particulières que le lien familial imprime au contrat de bail sont les suivantes : le bail familial ne bénéficie pas en principe des aides personnelles au logement (Sous-section II) et il se caractérise le plus souvent par un loyer inférieur à la valeur locative (Sous-section III).

Un bail soumis au droit commun

– L'absence de dispositions spécifiques. – Ni le Code civil ni la loi du 6 juillet 1989 ne contiennent de dispositions spécifiques sur les baux conclus entre membres d'une même famille. Il en résulte que le bail familial est soumis aux règles de droit commun, ce qui emporte deux conséquences principales : d'une part, le bail doit être écrit139, d'autre part, le locataire doit être assuré pour le risque locatif140. Force est de constater que ces principes sont malmenés en pratique, surtout lorsque le bail est conclu par des parents au profit de leur enfant. La pratique du bail verbal, notamment, est particulièrement vivace. À ce sujet, la jurisprudence décide qu'un bail verbal n'est pas nul141, le bailleur ou le preneur ayant la possibilité d'exiger l'établissement d'un écrit conforme à la loi142. Autant dire que les usages constatés en la matière sont confortés. Malgré tout, il est fortement recommandé aux parties d'établir un écrit juridique : les liens de famille peuvent en effet parfois se distendre au point de rendre nécessaire la résiliation du contrat. Or, si cette résiliation ne peut intervenir de manière amiable, et qu'il faut alors pour le bailleur envisager une résiliation unilatérale, l'absence d'écrit compliquera singulièrement la délivrance d'un congé.

Un bail inéligible aux aides personnelles au logement

– Panorama des aides personnelles au logement. – Une présentation à grands traits de la politique redistributive de l'État en matière de logement conduit à rappeler qu'il existe deux types d'aides personnelles au logement : l'aide personnalisée au logement (APL), d'une part, et les allocations de logement (AL), d'autre part, lesquelles se décomposent en allocation de logement familiale (ALF) et allocation de logement sociale (ALS). L'ALF a été créée en 1948 pour soutenir les ménages avec des personnes à charge ayant des difficultés à faire face à leurs dépenses de logement dans le parc privé. L'ALS, quant à elle, a été créée en 1975 pour soutenir les ménages du parc privé n'entrant pas dans le champ de l'ALF. Enfin, l'APL a été créée en 1977 pour apporter une aide financière aux locataires ou aux propriétaires d'un logement acquis ou amélioré à l'aide d'un prêt aidé ou conventionné par l'État.
Auparavant régies par des dispositions éparses, les aides personnelles au logement sont désormais toutes régies par le Code de la construction et de l'habitation143. En septembre 2022, ces aides ont bénéficié à 5,8 millions de ménages pour un montant total de 15,4 milliards d'euros, se répartissant comme suit : APL : 6,8 milliards d'euros ; ALS : 5,2 milliards d'euros ; ALF : 3,4 milliards d'euros144.
– Une évolution en défaveur des familles. – La politique redistributive de l'État a évolué au début des années 1990 pour restreindre l'accès des aides personnelles au logement lorsque le bail était caractérisé par un lien de famille (§ I). Les sociétés civiles ont été préservées, pour un temps seulement, de cette politique d'exclusion (§ II).

Une politique législative de plus en plus restrictive à l'égard des baux familiaux

– Le tournant des années 1990. – À l'origine, les textes de 1948, 1975 et 1977 ne contenaient aucune restriction sur les liens de famille, si bien qu'il était parfaitement possible de bénéficier des aides au logement dans un contexte de bail familial. Puis le gouvernement s'est saisi de la question en 1992, en adoptant deux décrets, l'un en matière d'allocation de logement, l'autre en matière d'APL, dont l'objet fut d'interdire le versement de toute aide personnelle dans l'hypothèse d'un logement mis à la disposition d'un descendant ou d'un ascendant145. Le contentieux ne tarda pas à émerger sur la question de savoir si le gouvernement disposait de la compétence pour adopter une telle règle : le Conseil d'État, saisi par une locataire dont la résidence principale était constituée par un logement que son père lui donnait en location, censura le texte réglementaire pour défaut de base légale146.
Le message fut parfaitement entendu par le législateur qui profita du cavalier budgétaire dont la discussion allait débuter, pour faire inscrire dans la loi le principe de l'interdiction du versement des aides sociales dans un contexte de bail familial. C'est ainsi que la loi de finances rectificative pour 1999 adopta le principe selon lequel les aides au logement ne peuvent être attribuées « aux personnes qui sont locataires d'un logement appartenant à l'un de leurs ascendants ou descendants, ou ceux de leur conjoint ou concubin ou de toute personne liée à elles par un contrat conclu en application de l'article 515-1 du code civil »147. Le principe figure désormais à l'article L. 822-3 du Code de la construction et de l'habitation. La location d'un bien à son frère ou à son neveu est éligible à l'aide personnalisée tandis que la location d'un bien à son fils ou son beau-fils ne l'est pas.
– But poursuivi par loi. – Les pouvoirs publics défendent cette règle en invoquant trois arguments principaux : premièrement, la solidarité entre ascendants et descendants, laquelle trouve son fondement dans le Code civil, notamment dans le principe d'obligation alimentaire, doit conduire à écarter le bénéfice de l'allocation de logement148. Deuxièmement, la solidarité nationale n'a pas à se substituer à la solidarité familiale pour prendre en charge le paiement d'un loyer « dont la réalité n'est pas toujours avérée »149. Enfin, le dispositif qui restreint les aides aux personnes bénéficiant de baux familiaux repose sur la primauté légitime de la solidarité familiale qui « peut conduire les bailleurs à consentir des loyers compatibles avec les ressources du locataire »150.

Les sociétés civiles un temps épargnées

– Les SCI oubliées. – Les textes adoptés en 1992 et 1999 avaient oublié de régir la situation pourtant fréquente des sociétés civiles familiales louant un bien à un membre de la famille. Se fondant sur l'autonomie de la personnalité juridique de la SCI, la jurisprudence et l'administration sociale ont admis que le locataire puisse bénéficier des aides malgré le lien de famille l'unissant aux associés de la société civile151. L'écran de la personnalité morale permettait donc aux baux familiaux de bénéficier des aides personnalisées au logement.
– Les SCI rattrapées. – La loi no 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014 a mis un terme à cette situation. Depuis le 1er janvier 2014, le recours à une société civile ne permet plus de bénéficier des aides personnalisées au logement. La règle, qui figure actuellement à l'article L. 822-3 du Code de la construction et de l'habitation, prévoit que les aides personnelles au logement ne sont pas dues aux personnes locataires d'un logement dont elles-mêmes, leur conjoint ou l'un de leurs ascendants ou descendants jouissent d'une part de la propriété ou de l'usufruit, personnellement ou par l'intermédiaire de parts sociales de sociétés, quels que soient leur forme et leur objet. Par dérogation, il est admis qu'une des personnes visées par ce texte puisse détenir 10 % pour les parts de propriété et 10 % pour les parts d'usufruit, sans que l'ensemble de ces parts puisse égaler ou dépasser 10 % de la propriété ou de l'usufruit du logement (CCH, art. R. 822-3).

Un bail n'exprimant pas la valeur locative réelle du bien

– Le risque mesuré de requalification en prêt à usage. – De façon classique, un parent sera enclin à ajuster le prix du bail aux ressources de son enfant, de sorte que le loyer correspondra davantage aux capacités financières du locataire qu'à la valeur qui aurait pu être obtenue sur le marché locatif. Cette situation, qui trouve son explication dans les liens d'affection mais également dans l'obligation alimentaire, constitue d'ailleurs un argument relayé par les pouvoirs publics pour refuser le bénéfice des aides personnalisées au logement dans le cadre d'un bail familial152. La modicité du loyer expose-t-elle le contrat de bail à une requalification en prêt à usage ?
Pour se représenter les enjeux, il suffit d'imaginer la conclusion d'un bail verbal entre membres de la famille moyennant un loyer modique. Imaginons qu'une mésentente familiale se fasse jour entre le preneur et le bailleur au point que ce dernier veuille résilier le contrat. Si le contrat est un bail, le bailleur devra délivrer un congé pour la date d'échéance du contrat avec les difficultés que cela suppose en présence d'un bail verbal. À l'inverse, si le contrat est requalifié en prêt à usage, le prêteur pourra exiger la restitution de son bien à tout moment en respectant un préavis raisonnable153.
Le risque de requalification paraît faible. La jurisprudence retient en effet qu'un bail peut être conclu pour un prix modique. Il suffit ainsi que le bailleur reçoive une contrepartie quelconque pour que le contrat puisse être qualifié de bail154. Seul un bail conclu pour un prix dérisoire pourrait être requalifié en prêt à usage155. Dans le même ordre d'idées, l'existence d'un loyer inférieur à la valeur de marché ne permet pas à elle seule de caractériser une intention libérale156.
– La pratique du faible loyer au regard de l'encadrement des loyers. – La véritable difficulté posée par la modicité du loyer dans les baux familiaux résulte du mécanisme d'encadrement des loyers. Une présentation à grands traits de ce dispositif conduit à rappeler que la législation relative aux baux d'habitation encadre les loyers des logements situés dans les zones d'urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d'accès au logement sur l'ensemble du parc résidentiel157. Lorsqu'un logement est situé dans une commune concernée, le loyer ne peut pas être fixé librement158. Sa détermination est régie par le décret no 2017-1198 du 27 juillet 2017159. L'un des principes contenus dans ce décret est que le loyer d'un nouveau contrat de location « ne peut excéder le dernier loyer appliqué au précédent propriétaire » 160. Afin d'assurer le respect de cette réglementation, l'article 3, 8o de la loi du 6 juillet 1989 impose que le contrat de bail mentionne « le montant et la date de versement du dernier loyer acquitté par le précédent locataire, dès lors que ce dernier a quitté le logement moins de dix-huit mois avant la signature du bail »161. Cette réglementation peut se retourner contre le bailleur qui avait initialement loué à des conditions avantageuses un bien immobilier à un membre de sa famille, comme l'illustre le cas pratique suivant.

Le piège du bail familial au regard de la législation relative à l'encadrement des loyers

M<sup>me</sup> Véronique Lastar a consenti à sa fille un bail d'habitation sur un logement situé dans une zone d'encadrement des loyers moyennant un loyer de 300 € alors que les loyers habituellement constatés dans le voisinage pour des logements comparables sont de 600 €.

Finalement, sa fille quitte la région pour des raisons professionnelles et met fin au bail.

M<sup>me</sup> Lastar trouve un nouveau locataire et demande à son notaire de rédiger le nouveau bail. Elle souhaite en effet bénéficier des avantages de l'acte notarié (la copie exécutoire notamment) maintenant que le locataire est une personne étrangère à la famille.

Elle souhaite que le nouveau loyer mensuel soit de 600 €.

Le notaire qui est en charge de la rédaction du bail demande à M<sup>me</sup> Lastar de lui communiquer le montant du dernier loyer en application de l'article 3-8<sup>o</sup> de la loi du 6 juillet 1989.

M<sup>me</sup> Lastar informe alors son notaire que le loyer était de 300 € par mois.

Comment cette situation sera-t-elle réglée ?

– Solution de lege lata . – En principe, le loyer ne peut excéder le dernier loyer appliqué au précédent locataire162. Cependant, l'article 4, 2o du décret du 27 juillet 2017 permet de réévaluer le loyer lorsque le dernier loyer appliqué au précédent locataire est manifestement sous-évalué. Mais, dans ce cas, la hausse du nouveau loyer ne peut excéder la moitié de la différence entre le montant d'un loyer déterminé par référence aux loyers habituellement constatés dans le voisinage pour des logements comparables et le dernier loyer appliqué au précédent locataire163. Si l'on reprend les données du cas pratique précédent, le nouveau loyer ne pourrait pas excéder 450 € alors que la bailleresse escomptait un loyer de 600 €.
– Solution de lege ferenda . – Il serait souhaitable que le décret du 27 juillet 2017 soit modifié de manière à prendre en compte la situation des baux familiaux. Le loyer familial ne doit en effet pas servir de référentiel à la détermination ultérieure d'un loyer consenti à un tiers. Cette idée élémentaire, qui repose sur les liens de famille, est d'ailleurs admise depuis longtemps en matière de baux commerciaux : la jurisprudence a en effet posé le principe selon lequel le déplafonnement d'un bail commercial peut intervenir lorsque le prix du bail avait été originairement fixé à un montant anormalement bas eu égard à des relations de famille existant alors164. Si la relation de famille permet de s'extraire de la réglementation instituant un plafonnement des loyers commerciaux, elle doit également le permettre pour les baux d'habitation. On serait même tenté d'affirmer que la solution s'impose encore plus nettement s'agissant d'un bail d'habitation : loger un membre de la famille correspond le plus souvent à une logique d'obligation alimentaire.
– Solution pratique fondée sur la notion d'obligation alimentaire. – L'imprégnation de l'obligation alimentaire est telle que le notaire requis d'établir un bail familial pourrait songer résoudre la difficulté de la manière suivante : le contrat de bail stipulerait un montant de loyer conforme à la valeur vénale, de manière à fixer un référentiel pertinent dans l'éventualité d'une relocation à un tiers. Puis il prendrait le soin de détailler les modalités de paiement du loyer de façon à faire clairement apparaître la partie que le locataire doit payer au comptant, et celle dont il est dispensé d'assurer le paiement en raison de la compensation qui se produit entre sa dette de loyer et sa créance d'obligation alimentaire. Cette suggestion peut se recommander des dispositions de l'article 1347-2 du Code civil qui ont libéralisé la compensation des obligations alimentaires165.
Ainsi, les baux familiaux conclus entre personnes entrant dans le cercle de l'obligation alimentaire, à savoir les ascendants et descendants166, les gendres et belles-filles, les beaux-pères et belles-mères, tant que dure le mariage d'où est née l'alliance ou que vivent des enfants nés de ce mariage si celui-ci a été dissous par le décès d'un conjoint167, pourraient prévoir un mode de paiement du loyer en lien avec la relation alimentaire qui lie le bailleur au preneur. Cette solution nous paraît également transposable aux liens de parenté non concernés par l'obligation alimentaire, tels que ceux existants entre collatéraux privilégiés (frères et sœurs) ou ordinaires (oncles et tantes). En effet, la jurisprudence consacre depuis longtemps l'existence d'une obligation naturelle d'assistance dans de telles hypothèses168. Rien n'interdirait aux parties de caractériser ce devoir de conscience au sein du bail familial afin de nover l'obligation naturelle en obligation civile et d'organiser le paiement volontaire de cette obligation par compensation avec une partie de la dette de loyer169.