Un bail inéligible aux aides personnelles au logement

Un bail inéligible aux aides personnelles au logement

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Panorama des aides personnelles au logement. – Une présentation à grands traits de la politique redistributive de l'État en matière de logement conduit à rappeler qu'il existe deux types d'aides personnelles au logement : l'aide personnalisée au logement (APL), d'une part, et les allocations de logement (AL), d'autre part, lesquelles se décomposent en allocation de logement familiale (ALF) et allocation de logement sociale (ALS). L'ALF a été créée en 1948 pour soutenir les ménages avec des personnes à charge ayant des difficultés à faire face à leurs dépenses de logement dans le parc privé. L'ALS, quant à elle, a été créée en 1975 pour soutenir les ménages du parc privé n'entrant pas dans le champ de l'ALF. Enfin, l'APL a été créée en 1977 pour apporter une aide financière aux locataires ou aux propriétaires d'un logement acquis ou amélioré à l'aide d'un prêt aidé ou conventionné par l'État.
Auparavant régies par des dispositions éparses, les aides personnelles au logement sont désormais toutes régies par le Code de la construction et de l'habitation143. En septembre 2022, ces aides ont bénéficié à 5,8 millions de ménages pour un montant total de 15,4 milliards d'euros, se répartissant comme suit : APL : 6,8 milliards d'euros ; ALS : 5,2 milliards d'euros ; ALF : 3,4 milliards d'euros144.
– Une évolution en défaveur des familles. – La politique redistributive de l'État a évolué au début des années 1990 pour restreindre l'accès des aides personnelles au logement lorsque le bail était caractérisé par un lien de famille (§ I). Les sociétés civiles ont été préservées, pour un temps seulement, de cette politique d'exclusion (§ II).

Une politique législative de plus en plus restrictive à l'égard des baux familiaux

– Le tournant des années 1990. – À l'origine, les textes de 1948, 1975 et 1977 ne contenaient aucune restriction sur les liens de famille, si bien qu'il était parfaitement possible de bénéficier des aides au logement dans un contexte de bail familial. Puis le gouvernement s'est saisi de la question en 1992, en adoptant deux décrets, l'un en matière d'allocation de logement, l'autre en matière d'APL, dont l'objet fut d'interdire le versement de toute aide personnelle dans l'hypothèse d'un logement mis à la disposition d'un descendant ou d'un ascendant145. Le contentieux ne tarda pas à émerger sur la question de savoir si le gouvernement disposait de la compétence pour adopter une telle règle : le Conseil d'État, saisi par une locataire dont la résidence principale était constituée par un logement que son père lui donnait en location, censura le texte réglementaire pour défaut de base légale146.
Le message fut parfaitement entendu par le législateur qui profita du cavalier budgétaire dont la discussion allait débuter, pour faire inscrire dans la loi le principe de l'interdiction du versement des aides sociales dans un contexte de bail familial. C'est ainsi que la loi de finances rectificative pour 1999 adopta le principe selon lequel les aides au logement ne peuvent être attribuées « aux personnes qui sont locataires d'un logement appartenant à l'un de leurs ascendants ou descendants, ou ceux de leur conjoint ou concubin ou de toute personne liée à elles par un contrat conclu en application de l'article 515-1 du code civil »147. Le principe figure désormais à l'article L. 822-3 du Code de la construction et de l'habitation. La location d'un bien à son frère ou à son neveu est éligible à l'aide personnalisée tandis que la location d'un bien à son fils ou son beau-fils ne l'est pas.
– But poursuivi par loi. – Les pouvoirs publics défendent cette règle en invoquant trois arguments principaux : premièrement, la solidarité entre ascendants et descendants, laquelle trouve son fondement dans le Code civil, notamment dans le principe d'obligation alimentaire, doit conduire à écarter le bénéfice de l'allocation de logement148. Deuxièmement, la solidarité nationale n'a pas à se substituer à la solidarité familiale pour prendre en charge le paiement d'un loyer « dont la réalité n'est pas toujours avérée »149. Enfin, le dispositif qui restreint les aides aux personnes bénéficiant de baux familiaux repose sur la primauté légitime de la solidarité familiale qui « peut conduire les bailleurs à consentir des loyers compatibles avec les ressources du locataire »150.

Les sociétés civiles un temps épargnées

– Les SCI oubliées. – Les textes adoptés en 1992 et 1999 avaient oublié de régir la situation pourtant fréquente des sociétés civiles familiales louant un bien à un membre de la famille. Se fondant sur l'autonomie de la personnalité juridique de la SCI, la jurisprudence et l'administration sociale ont admis que le locataire puisse bénéficier des aides malgré le lien de famille l'unissant aux associés de la société civile151. L'écran de la personnalité morale permettait donc aux baux familiaux de bénéficier des aides personnalisées au logement.
– Les SCI rattrapées. – La loi no 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014 a mis un terme à cette situation. Depuis le 1er janvier 2014, le recours à une société civile ne permet plus de bénéficier des aides personnalisées au logement. La règle, qui figure actuellement à l'article L. 822-3 du Code de la construction et de l'habitation, prévoit que les aides personnelles au logement ne sont pas dues aux personnes locataires d'un logement dont elles-mêmes, leur conjoint ou l'un de leurs ascendants ou descendants jouissent d'une part de la propriété ou de l'usufruit, personnellement ou par l'intermédiaire de parts sociales de sociétés, quels que soient leur forme et leur objet. Par dérogation, il est admis qu'une des personnes visées par ce texte puisse détenir 10 % pour les parts de propriété et 10 % pour les parts d'usufruit, sans que l'ensemble de ces parts puisse égaler ou dépasser 10 % de la propriété ou de l'usufruit du logement (CCH, art. R. 822-3).