Successions anomales

Successions anomales

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Typologie des droits de retour. – En marge de cette dévolution légale, le Code civil a consacré des anomalies successorales. Une succession peut être qualifiée d'anomale lorsqu'elle tient compte de la nature ou de l'origine du bien. Elle échappe au principe d'unité successorale et aux règles de l'ordre et du degré. Le Code civil reconnaît ainsi le droit de retour de l'adopté simple, qui pose peu de difficulté (§ I), celui des père et mère, plus controversé (§ II), et enfin celui des collatéraux privilégiés, complexe à mettre en œuvre (§ III).

Le droit de retour de l'adopté simple

– Un droit ancien. – Institué par la loi no 66-500 du 11 juillet 1966, le droit de retour de l'adopté simple (inscrit à l'article 368-1 du Code civil) assure la transmission des biens reçus à titre gratuit dans la famille d'origine d'où proviennent ces biens (adoptive ou par le sang). Le droit s'applique en présence d'une adoption simple, sur les actifs reçus à titre gratuit (donation, succession légale ou testamentaire) par ses parents (père et mère adoptants ou biologiques). Il suppose la réunion de trois conditions :
  • le bien se retrouve en nature dans le patrimoine (pas de subrogation) ;
  • l'adopté décède sans descendance ni conjoint survivant ;
  • l'adopté laisse ses père ou mère adoptants ou biologiques, ou leurs descendants (frères et sœurs, neveux et nièces biologiques ou de la famille adoptive).
Ce droit de retour classique ne pose pas de difficulté. Il est néanmoins intéressant de constater que la loi du 23 juin 2006 a supprimé ce dispositif en présence d'un conjoint, pour éviter une combinaison complexe avec le droit au logement et les autres droits de retour. Fiscalement, il est soumis aux droits de mutation à titre gratuit160.

Le droit de retour des parents

– Le fruit d'un compromis parlementaire. – Le droit de retour légal des père et mère qui existait en 1804 a été rétabli sous une forme édulcorée en 2006. Consacré par compensation avec la suppression de la réserve légale des ascendants et concédé par les députés en contrepartie de la réserve du conjoint, il est le fruit d'un compromis maladroit.
– Les caractéristiques. – La loi no 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a prévu que les père et mère, ou l'un d'eux en cas de prédécès de leur enfant, sans postérité, bénéficient d'un droit de retour légal sur les biens que le défunt avait reçus d'eux par donation (et non par succession). Selon l'article 738-2 du Code civil, ce droit est limité au quart et s'exerce par les donateurs vivants, en nature, ou en valeur en cas d'aliénation des biens donnés. Le testateur ne peut en priver ses père et mère161 et les parents ne peuvent y renoncer par avance, la renonciation anticipée étant assimilée à un pacte sur succession future prohibé en vertu de l'article 722 du Code civil. Après le décès, le droit s'impute sur les droits successoraux des donateurs qui disposent alors d'une double option. Ils peuvent accepter le droit de retour légal et renoncer à la succession ou inversement. Étant ici fait observer que la renonciation ante mortem à leur droit de retour conventionnel laisse subsister le droit légal. D'un point de vue fiscal, contrairement aux autres successions anomales, la transmission ne donne pas lieu à la perception de droits de mutation à titre gratuit162.

L'illusion de la renonciation au droit de retour conventionnel

Le droit de retour conventionnel inséré quasi systématiquement dans les actes de donation peut s'exercer en nature sur les biens donnés, ou sur ceux qui viennent en représentation.
Si le donataire vend le bien transmis, il est usuel de faire renoncer les donateurs au droit de retour conventionnel. Cette renonciation ne doit pas faire oublier le droit de retour légal subsidiaire.
La renonciation au droit de retour conventionnel n'a pas d'effet sur le droit de retour légal qui continue de subsister. Il s'exercera en valeur malgré la vente et la renonciation. Il peut être aisément oublié dans ce cas pourtant très fréquent.
– Les difficultés d'assiette. – La première incertitude frappant le droit de retour légal des parents est liée à la maladresse de la rédaction de l'article 738-2 précité. Elle laisse entendre que ce droit de retour porte sur un quart des actifs donnés, alors qu'il paraît plus probable que le législateur ait envisagé de l'appliquer à la totalité de la donation dans la limite d'un quart de l'ensemble de la succession. Deux thèses s'affrontent en doctrine depuis bientôt vingt ans163, qu'il ne nous appartient pas de reprendre. Les cinq CRIDONs et le notariat ont opté pour l'interprétation littérale du texte (un quart des biens) tandis que la doctrine majoritaire penche en faveur de la seconde interprétation (le bien dans la limite du quart de la succession)164.
– Une indivision complexe en famille recomposée. – Alors que l'esprit du donateur est de récupérer le bien donné dans l'hypothèse tragique du prédécès de son enfant, le droit de retour légal, notamment en famille recomposée, générera souvent au contraire une indivision doublement complexe, par les quotités recueillies, d'une part, et l'identité des coïndivisaires, d'autre part. La situation est encore plus incertaine en présence d'une donation-partage avec soulte ou avec charge165. Pour l'éviter, la pratique notariale a systématisé l'insertion d'une clause de droit de retour conventionnel dans les formules de donation. Optionnel166, combiné avec une clause résiduelle, avec ou sans subrogation, ce droit de retour conventionnel, beaucoup plus attractif, est révélateur d'une insuffisance légale. La créativité notariale n'est jamais aussi ingénieuse que lorsqu'elle pallie l'imperfection de la loi.
– Le droit de retour et le droit viager au logement. – Le second écueil du droit de retour légal des parents, et non des moindres, est sa combinaison avec le droit viager au logement. Si le bien donné constitue le domicile des époux, le droit de retour pourrait faire échec au droit viager. Un auteur167 propose, dans ce cas, que le retour s'exerce en valeur. Cette solution permettrait de concilier les droits du conjoint au maintien de son cadre de vie et la vocation successorale des ascendants privilégiés. Mais l'esprit n'est pas du tout conforme à l'essence de la succession anomale qui se justifie par la conservation des biens dans la famille. Il est en tout état de cause incertain, de manière plus générale, que le droit de retour puisse s'exercer en valeur (lorsque les biens subsistent en nature) et joue en présence du conjoint. Le positionnement de l'article 738-2 dans le Code civil pourrait l'exclure, mais la doctrine majoritaire considère qu'il s'applique « dans tous les cas ».
– Quel avenir pour l'article 738-2 ? – Le droit de retour légal manque à tous les objectifs qui ont inspiré sa création. Ces faiblesses sont connues et reconnues. Depuis plusieurs décennies, les praticiens soulèvent la question. En 2010, le Congrès des notaires de Bordeaux168 suggérait de le remplacer par une créance alimentaire. Il y a dix ans, le Conseil supérieur du notariat (CSN), dans un Livre blanc du 28 juillet 2014, avait suggéré, parmi quarante propositions, la suppression pure et simple du droit de retour des ascendants privilégiés. Une question ministérielle du 12 août 2014 reprenant l'argumentaire du CSN avait sollicité le gouvernement pour savoir si une suppression était envisageable169.
En dépit du constat de ses faiblesses, la suppression du droit de retour aurait pour effet d'écarter les parents de la succession en dévolution testamentaire. Philippe Malaurie écrivait : « Désormais la loi n'a plus à l'égard des parents de sens familial : malheur aux vieux ! S'ils sont dans le besoin et que leurs enfants sont prédécédés, même si la succession est opulente, leur seule ressource est la solidarité nationale » 170. On pourrait imaginer de mettre en place un recours alimentaire pour les ascendants exclus de la succession, s'ils sont dans le besoin, à l'image de ce qui existe pour les ascendants ordinaires à l'article 758 du Code civil. La suppression de l'article 738-2 du Code civil nécessiterait une modification de l'article 758 du Code civil171.

Le droit de retour des frères et sœurs

– Caractéristiques. – L'hypothèse est celle d'un de cujus qui ne laisse ni descendants ni père et mère, mais des frères et sœurs et un conjoint. La loi du 3 décembre 2001 précitée a institué, à l'article 757-3 du Code civil, le droit de retour légal des collatéraux privilégiés. Celui-ci s'applique lorsque :
  • le défunt laisse son conjoint et des frères et sœurs, en l'absence de descendant et d'ascendants privilégiés ;
  • il avait reçu de ses ascendants par succession ou donation ;
  • un bien qui se retrouve en nature (pas de subrogation) ;
  • et les collatéraux ont un lien de parenté avec l'ascendant. Le retour porte sur la moitié des biens générant nécessairement une indivision172.
– Le droit de retour des frères et sœurs est grevé du droit au logement. – Le sujet a été débattu mais ne semble plus poser question. La quote-part transmise aux collatéraux privilégiés au titre du droit de retour est grevée de ce droit au logement173.
– Conseil de pratique notariale. – Lorsqu'il existe des biens susceptibles de faire l'objet du droit de retour légal de l'article 757-3 du Code civil, il est conseillé dans tous les cas d'écarter l'application de ce droit, qui n'est pas d'ordre public, par des dispositions de dernières volontés174. Le testament permettra efficacement d'éviter une indivision, souvent complexe, entre le conjoint survivant et les collatéraux privilégiés et assurera, plus sûrement et plus sereinement, la conservation des biens dans la famille. Le testateur pourra soit transmettre ses biens aux collatéraux privilégiés ou à certains d'entre eux, soit en disposer au profit du conjoint survivant, voire d'un tiers, ou même laisser l'option ouverte au conjoint, qui pourra cantonner ses droits afin que les biens reviennent à la parenté du défunt.

Droit de retour et logement

Si, parmi les biens de famille, se trouve le logement, habitation principale du conjoint survivant, le legs que pourrait consentir le testateur à ses frères et sœurs sera grevé du droit viager. Si le testateur souhaite malgré tout que le bien revienne en pleine propriété à sa parenté, il devra priver son conjoint du droit viager par testament authentique.
– Supprimer le droit de retour des frères et sœurs. – Moins problématique que le droit des père et mère de l'article 738-2 du Code civil, celui des frères et sœurs reste néanmoins source de difficultés. En famille recomposée, il est compliqué à appliquer et traite de manière différenciée les frères et sœurs utérins, germains et consanguins. Seuls les enfants issus de l'auteur de la libéralité ou de la succession profiteront du droit de retour. Des indivisions complexes naissent inutilement. La suppression de l'article 757-3 du Code civil paraît de bon sens.