Risques et prévention des risques

Risques et prévention des risques

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Quasi-usufruit et famille recomposée. – En réservant l'usufruit légal aux seules familles avec enfant commun (C. civ., art. 757), le législateur a manifesté une méfiance à l'égard du démembrement de propriété appliqué aux recompositions familiales. La pratique notariale, il faut en témoigner, est tout autre : elle s'empresse de conseiller une libéralité à cause de mort à titre universel en usufruit pour éviter la fuite du quart des biens (parfois beaucoup plus en présence de donations antérieures) au profit d'une parenté non issue du défunt. Elle transige ainsi entre les espérances du futur veuf majoritairement âgé qui attend un maintien de l'existant et celles des descendants qui craignent d'être lésés. Ce n'est que lorsqu'il y a une forte différente d'âge entre les époux qu'une répartition des actifs en propriété s'avérera plus appropriée pour éviter non seulement le démembrement mais également l'indivision.
Pourtant l'usufruit comporte un piège, et lorsqu'il s'exerce sous la forme d'un quasi-usufruit naturel ou conventionnel, le péril est important. S'il est possible de considérer en présence d'enfants issus du couple, que « l'intérêt de la famille » justifie cette prise de risque, la solution est difficile à défendre lorsque les enfants sont nés d'une union antérieure. Comment protéger les nus-propriétaires contre la prodigalité de l'usufruitier ? Les trois outils du droit civil (caution bancaire, obligation d'inventaire, obligation d'emploi) ne sauraient être écartés en aval par une simple clause de style dans la déclaration d'option, comme on le lit souvent. Et en amont, au sein de la donation entre époux (ou institution contractuelle), le notaire rédacteur prendra l'habitude de les maintenir en présence d'union précédentes. Outre ces deux précautions de pratique notariale, le professionnel conseillera systématiquement aux héritiers d'établir une convention.
– Quasi-usufruit et réserve héréditaire. – Deux remarques méritent d'être présentées sur le quasi-usufruit et sa compatibilité avec la réserve héréditaire. La doctrine s'est posé la question de savoir si la part réservataire pouvait être grevée d'un quasi-usufruit naturel. La réponse, selon certains auteurs, serait négative, tirant argument de l'obligation d'emploi de l'article 1094-1, alinéa 3 du Code civil. Seule la renonciation post mortem des héritiers à réserve permettrait de transformer l'usufruit en quasi-usufruit.
La seconde remarque concerne la portée et le domaine de l'article 1094-3 du Code civil en présence de descendants. Le texte qui figure dans le chapitre IX du Code civil doit-il se limiter aux usufruits conventionnels (donations entre époux notamment) ou comprend-il aussi l'usufruit légal ? Le sujet a été évoqué par le 100e Congrès des notaires de France qui a proposé de ne pas distinguer selon l'origine du démembrement. En revanche, ne sont visées dans l'article que les « sommes » (espèces, comptes, etc.) et non les autres biens consomptibles tels que les denrées et marchandises (C. civ., art. 587).
– Stratégie notariale. – Les deux observations précédentes, à notre sens obligent le notaire à la stratégie suivante :
  • si les héritiers réservataires conjointement envisagent de laisser à la disposition du conjoint la totalité des actifs, sans contrôle de leur part, un acte d'option sera établi comprenant une dispense d'emploi, suivi d'une convention de quasi-usufruit pour définir les modalités de calcul de la dette de restitution et élargir le périmètre du quasi-usufruit aux actifs fongibles ;
  • si les héritiers réservataires préfèrent conserver la traçabilité des fonds, l'acte d'option ne comprendra pas de dispense d'emploi et sera suivi d'une convention d'usufruit successoral définissant les pouvoirs de gestion, le périmètre de quasi-usufruit (sur les liquidités des comptes de pur dépôt) et le périmètre de l'usufruit (sur les valeurs mobilières) avec obligation d'emploi.

Prudence pour le quasi-usufruit à l'international

En contexte international, trois questions se posent. La première concerne la loi applicable au quasi-usufruit, la deuxième porte sur son opposabilité à l'étranger et la troisième sur la déductibilité fiscale de la dette.
Pour connaître la loi applicable, il est nécessaire de s'interroger sur la catégorie de rattachement du droit réel en distinguant suivant l'origine du démembrement de propriété. Selon que l'usufruit naît de la loi, d'un acte testamentaire ou d'un contrat, la règle de conflit française désignera la loi successorale ou bien la loi d'autonomie. L'usufruit légal du conjoint survivant de l'article 757 du Code civil, celui créé par testament ou institution contractuelle de l'article 1094-1 du même code, celui constitué par donation-partage seront régis par la loi successorale. Tandis que l'usufruit constitué par contrat de mariage et celui résultant d'une donation ou issu d'une clause bénéficiaire d'assurance-vie seront soumis à la loi choisie par les parties (loi du contrat de mariage, loi de l'acte de donation, ou loi du contrat d'assurance-vie). Bien évidemment, il sera illusoire de prévoir un quasi-usufruit incompatible avec la loi du for.
Au regard de l'opposabilité de ces droits à l'étranger, il convient d'être prudent. L'application d'un quasi-usufruit sur des actifs financiers situés hors du territoire français ou exportés à l'étranger peut rendre complexe la récupération par le nu-propriétaire. Au décès de l'usufruitier, la loi applicable à sa propre succession pourrait ne pas reconnaître le démembrement de propriété et le droit à restitution. Seule la convention de quasi-usufruit permettra au nu-propriétaire d'avoir un titre de créance.
En ce qui concerne le droit à déduction fiscale, la question est encore plus hasardeuse. À l'égard du droit français, si la dette n'est pas affectée à un bien situé sur le territoire français, en étant garantie par hypothèque ou nantissement, elle n'est pas déductible dans la déclaration de succession en France lors du décès du quasi-usufruitier non-résident, sous réserve de l'application d'une convention fiscale internationale. À l'égard du droit étranger, la déduction n'est pas assurée dans la mesure où certains pays taxent la réunion des droits démembrés.