Régime juridique du quasi-usufruit

Régime juridique du quasi-usufruit

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025

Nature juridique

– Une discussion théorique aux conséquences multiples. – L'article 587 du Code civil définit le quasi-usufruit comme un droit s'exerçant sur une chose dont on ne peut faire usage sans la consommer, à charge de restitution. Cette définition appelle ainsi deux conditions :
  • l'usufruit doit porter sur un bien consomptible, c'est-à-dire qui se consomme par le premier usage, ou que l'on ne peut consommer sans détruire ;
  • il impose à l'usufruitier une charge de « rendre » à la fin de l'usufruit un bien de même qualité et de même quantité.
La nature du droit de l'usufruitier est complexe à appréhender et il ne nous appartient pas de reprendre les termes du débat. Certains auteurs le voient plutôt comme un usufruitier aux pouvoirs étendus, tandis que la doctrine dominante tire conséquence du fait que le quasi-usufruitier puisse disposer du bien pour conclure qu'il est propriétaire. Quoi qu'il en soit, son droit de jouissance et son droit de disposition sont confondus et assortis d'une dette de restitution par équivalent en nature ou en deniers exigible à son décès.

Étendue

– Le quasi-usufruit naturel. – Qu'il ait été constitué par effet de la loi (usufruit légal du conjoint survivant : C. civ., art. 575) ou par la volonté de l'homme (cas le plus courant de l'option en usufruit : C. civ., art. 1094), le quasi-usufruit s'exerçant par nature s'applique dès lors qu'il porte sur un bien consomptible. S'il concernait originairement des biens matériels tels que les grains et les liqueurs, le quasi-usufruit s'applique aujourd'hui en pratique, compte tenu de la financiarisation des patrimoines, aux biens consomptibles juridiquement, tels que la monnaie et les actifs financiers.
– Le quasi-usufruit conventionnel. – Le droit peut s'étendre volontairement à des biens non consomptibles par nature, mais à condition d'être fongibles. Son domaine n'est donc pas illimité. Pour que le nu-propriétaire à terme puisse reconstituer l'état du patrimoine en nature, il est indispensable que les actifs soient fongibles. On écartera bien entendu le quasi-usufruit conventionnel à l'égard des biens immobiliers et l'on hésitera à l'appliquer aux titres sociaux, notamment aux parts de société de personnes qui ne nous paraissent ni consomptibles, ni fongibles.
– Une application particulière : l'assurance-vie et la clause bénéficiaire démembrée. – L'une des applications courantes du quasi-usufruit conventionnel s'exerce en matière d'assurance-vie. Nous ne reviendrons pas de manière détaillée sur la clause bénéficiaire démembrée qui a déjà été étudiée par plusieurs congrès, notamment dans sa version classique (désignation du conjoint en usufruit et des enfants en nue-propriété). Ses intérêts civils et fiscaux assurent au veuf un confort, garantissant à terme une transmission verticale au sein de la lignée du défunt, sans alourdissement de la fiscalité successorale. L'idée est de permettre au conjoint survivant de conserver les actifs du couple pour un maintien de son cadre de vie, sans léser les enfants ni civilement, ni fiscalement. Ceux-ci peuvent donc légitimement profiter des deniers au second décès, sans perdre le bénéfice de la fiscalité de l'assurance-vie et l'ancienneté du contrat.
Nous nous arrêterons sur la question du placement des actifs démembrés (après le dénouement du contrat du défunt) dans la souscription d'un nouveau contrat d'assurance. L'hypothèse est la suivante : le bénéficiaire quasi-usufruitier d'un contrat d'assurance-vie dénoué investit les sommes reçues dans un nouveau contrat d'assurance dont il est le souscripteur. À son propre décès, son patrimoine ne comprend plus les actifs financiers (placés dans une enveloppe hors succession) et comporte au passif la dette de quasi-usufruit. Cette technique est fort risquée. Elle est constitutive d'un abus de droit fiscal et d'une fraude aux droits des réservataires qui ne seront pas en mesure d'obtenir le paiement de leur créance. Le conseil traditionnel était de privilégier un emploi des fonds dans la souscription d'un bon ou contrat de capitalisation dont la structure pouvait être identique à celle de l'assurance-vie. Elle doit désormais (depuis l'adoption du nouvel article 774 bis du Code général des impôts) être pratiquée avec précaution en évitant un quasi-usufruit et en préférant une souscription démembrée avec un rachat programmé limité à l'accroissement.

Interdire au bénéficiaire quasi-usufruitier de placer les fonds dans un nouveau contrat d'assurance-vie

La clause bénéficiaire peut résulter d'une mention dans le contrat lui-même, d'un avenant au contrat, dactylographié ou manuscrit, notifié à la compagnie d'assurance, ou d'un testament. Le cas échéant, le notaire conseillera au disposant lors de la rédaction de la clause bénéficiaire testamentaire d'interdire au bénéficiaire quasi-usufruitier de placer les sommes sur un support assurance-vie.

Risques et prévention des risques

– Quasi-usufruit et famille recomposée. – En réservant l'usufruit légal aux seules familles avec enfant commun (C. civ., art. 757), le législateur a manifesté une méfiance à l'égard du démembrement de propriété appliqué aux recompositions familiales. La pratique notariale, il faut en témoigner, est tout autre : elle s'empresse de conseiller une libéralité à cause de mort à titre universel en usufruit pour éviter la fuite du quart des biens (parfois beaucoup plus en présence de donations antérieures) au profit d'une parenté non issue du défunt. Elle transige ainsi entre les espérances du futur veuf majoritairement âgé qui attend un maintien de l'existant et celles des descendants qui craignent d'être lésés. Ce n'est que lorsqu'il y a une forte différente d'âge entre les époux qu'une répartition des actifs en propriété s'avérera plus appropriée pour éviter non seulement le démembrement mais également l'indivision.
Pourtant l'usufruit comporte un piège, et lorsqu'il s'exerce sous la forme d'un quasi-usufruit naturel ou conventionnel, le péril est important. S'il est possible de considérer en présence d'enfants issus du couple, que « l'intérêt de la famille » justifie cette prise de risque, la solution est difficile à défendre lorsque les enfants sont nés d'une union antérieure. Comment protéger les nus-propriétaires contre la prodigalité de l'usufruitier ? Les trois outils du droit civil (caution bancaire, obligation d'inventaire, obligation d'emploi) ne sauraient être écartés en aval par une simple clause de style dans la déclaration d'option, comme on le lit souvent. Et en amont, au sein de la donation entre époux (ou institution contractuelle), le notaire rédacteur prendra l'habitude de les maintenir en présence d'union précédentes. Outre ces deux précautions de pratique notariale, le professionnel conseillera systématiquement aux héritiers d'établir une convention.
– Quasi-usufruit et réserve héréditaire. – Deux remarques méritent d'être présentées sur le quasi-usufruit et sa compatibilité avec la réserve héréditaire. La doctrine s'est posé la question de savoir si la part réservataire pouvait être grevée d'un quasi-usufruit naturel. La réponse, selon certains auteurs, serait négative, tirant argument de l'obligation d'emploi de l'article 1094-1, alinéa 3 du Code civil. Seule la renonciation post mortem des héritiers à réserve permettrait de transformer l'usufruit en quasi-usufruit.
La seconde remarque concerne la portée et le domaine de l'article 1094-3 du Code civil en présence de descendants. Le texte qui figure dans le chapitre IX du Code civil doit-il se limiter aux usufruits conventionnels (donations entre époux notamment) ou comprend-il aussi l'usufruit légal ? Le sujet a été évoqué par le 100e Congrès des notaires de France qui a proposé de ne pas distinguer selon l'origine du démembrement. En revanche, ne sont visées dans l'article que les « sommes » (espèces, comptes, etc.) et non les autres biens consomptibles tels que les denrées et marchandises (C. civ., art. 587).
– Stratégie notariale. – Les deux observations précédentes, à notre sens obligent le notaire à la stratégie suivante :
  • si les héritiers réservataires conjointement envisagent de laisser à la disposition du conjoint la totalité des actifs, sans contrôle de leur part, un acte d'option sera établi comprenant une dispense d'emploi, suivi d'une convention de quasi-usufruit pour définir les modalités de calcul de la dette de restitution et élargir le périmètre du quasi-usufruit aux actifs fongibles ;
  • si les héritiers réservataires préfèrent conserver la traçabilité des fonds, l'acte d'option ne comprendra pas de dispense d'emploi et sera suivi d'une convention d'usufruit successoral définissant les pouvoirs de gestion, le périmètre de quasi-usufruit (sur les liquidités des comptes de pur dépôt) et le périmètre de l'usufruit (sur les valeurs mobilières) avec obligation d'emploi.

Prudence pour le quasi-usufruit à l'international

En contexte international, trois questions se posent. La première concerne la loi applicable au quasi-usufruit, la deuxième porte sur son opposabilité à l'étranger et la troisième sur la déductibilité fiscale de la dette.
Pour connaître la loi applicable, il est nécessaire de s'interroger sur la catégorie de rattachement du droit réel en distinguant suivant l'origine du démembrement de propriété. Selon que l'usufruit naît de la loi, d'un acte testamentaire ou d'un contrat, la règle de conflit française désignera la loi successorale ou bien la loi d'autonomie. L'usufruit légal du conjoint survivant de l'article 757 du Code civil, celui créé par testament ou institution contractuelle de l'article 1094-1 du même code, celui constitué par donation-partage seront régis par la loi successorale. Tandis que l'usufruit constitué par contrat de mariage et celui résultant d'une donation ou issu d'une clause bénéficiaire d'assurance-vie seront soumis à la loi choisie par les parties (loi du contrat de mariage, loi de l'acte de donation, ou loi du contrat d'assurance-vie). Bien évidemment, il sera illusoire de prévoir un quasi-usufruit incompatible avec la loi du for.
Au regard de l'opposabilité de ces droits à l'étranger, il convient d'être prudent. L'application d'un quasi-usufruit sur des actifs financiers situés hors du territoire français ou exportés à l'étranger peut rendre complexe la récupération par le nu-propriétaire. Au décès de l'usufruitier, la loi applicable à sa propre succession pourrait ne pas reconnaître le démembrement de propriété et le droit à restitution. Seule la convention de quasi-usufruit permettra au nu-propriétaire d'avoir un titre de créance.
En ce qui concerne le droit à déduction fiscale, la question est encore plus hasardeuse. À l'égard du droit français, si la dette n'est pas affectée à un bien situé sur le territoire français, en étant garantie par hypothèque ou nantissement, elle n'est pas déductible dans la déclaration de succession en France lors du décès du quasi-usufruitier non-résident, sous réserve de l'application d'une convention fiscale internationale. À l'égard du droit étranger, la déduction n'est pas assurée dans la mesure où certains pays taxent la réunion des droits démembrés.