– Une « société fantôme ». – La déchéance de la personnalité morale crée une situation très particulière, dans laquelle les associés d'une société civile initialement dotée de la personnalité juridique se retrouvent – rétroactivement et à leur insu – réunis au sein d'une société en participation reposant sur une indivision. Et lorsqu'ils en prennent conscience, cette « société fantôme » fonctionne généralement depuis plusieurs années. Cette situation soulève deux principales questions que sont le sort du pacte statutaire (A) et l'incidence des cessions de parts sociales intervenues depuis le 1er novembre 2002 (B).
Régime de la société civile déchue de la personnalité juridique
Régime de la société civile déchue de la personnalité juridique
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
Sort du pacte statutaire
– Position du problème. – Dans la mesure où les associés de la société civile non immatriculée se retrouvent a posteriori et involontairement réunis au sein d'une forme sociale qui n'est pas conforme au pacte statutaire originel, on pouvait se demander si « les stipulations du contrat de société demeurent, quasiment à l'identique ou si, à l'inverse, la perte de personnalité morale entraîne effacement des statuts »878. L'enjeu est d'importance : il s'agit de savoir quelle est la règle du jeu en vigueur au sein de la collectivité des associés depuis le 1er novembre 2002.
En faveur de la seconde opinion, la doctrine observe qu'aux termes de l'arrêt du 4 mai 2016879, la Haute juridiction avait estimé que « n'ayant pas été organisée par un pacte conforme à celui d'une société en participation à durée déterminée, la société en cause était nécessairement à durée indéterminée »880. Est-ce à dire, pour autant, que la perte de la personnalité juridique vient, en quelque sorte, « écraser » le pacte statuaire d'origine, qui n'était (forcément) pas celui d'une société en participation ? Un auteur n'hésite pas à se prononcer par l'affirmative et en déduit que les associés doivent adopter de nouveaux statuts881. La majorité de la doctrine paraît cependant favorable au maintien du pacte statutaire.
– Survie du pacte statutaire. – Nous avons vu que la disparition de la personnalité morale n'entraînait pas celle de la société elle-même, qui survit à l'état contractuel. Dans ces conditions, il n'y a pas de raison de penser que l'absence d'immatriculation avant le 1er novembre 2002 entraîne la caducité des statuts d'origine. Certes, ceux-ci ne correspondent pas aux statuts d'une société en participation, mais comment pourrait-il en être autrement ? Il s'agit, au fond, d'un cas particulier de requalification. Or la requalification d'un contrat n'a jamais eu pour effet d'entraîner sa nullité. S'il ne fait aucun doute que les règles applicables à la société en participation doivent prévaloir, rien n'empêche d'admettre que les statuts d'origine continuent à s'appliquer « en tant » qu'ils ne sont pas incompatibles avec celles-ci882.
Incidences des cessions de parts sociales intervenues depuis le 1er novembre 2002
– Validité de principe des cessions de parts sociales. – En pratique, la question de l'incidence des cessions de parts sociales intervenues depuis le 1er novembre 2002 se pose généralement lorsqu'il s'agit de déterminer qui sont les associés actuels de la société non immatriculée. Il n'est pas rare, en effet, que plusieurs mouvements d'associés aient eu lieu depuis cette date883. La particularité tient ici au fait que ces opérations doivent a posteriori être traitées comme des cessions de droits dans une société en participation.
Cela étant, la Cour de cassation a expressément consacré la validité des cessions de droits dans une société en participation884. Comme l'expliquent des auteurs : « L'associé participant est titulaire de droits sociaux qui ne peuvent être analysés comme de véritables parts sociales puisqu'il ne s'agit pas d'un droit contre la société mais de droits à l'égard des autres associés. Comme tous les droits tenus d'un contrat, les droits sociaux de l'associé en participation sont cessibles par principe selon les modalités d'une cession de créance »885. La Haute juridiction a même écarté toute ambiguïté pour le cas particulier des sociétés civiles non immatriculées, en admettant la validité d'une cession intervenue après la perte de la personnalité juridique dont l'objet avait été improprement qualifié de cession de « parts de société civile immobilière »886.
Pour identifier les associés actuels de la société déchue de la personnalité juridique il faut donc, le cas échéant, tenir compte des cessions intervenues depuis le 1er novembre 2002.
Quid des transmissions de parts sociales par décès intervenues depuis le 1 novembre 2002 ?
L'identification des associés actuels de la société déchue de la personnalité juridique pose également la question de l'incidence des mutations de parts sociales par décès intervenues depuis le 1er novembre 2002. De la même manière que les cessions de parts sociales entre vifs, ces mutations sont en principe valables887 et doivent donc être prises en compte. Plus délicate est la question de savoir au profit de qui s'est opérée la transmission. Si l'on s'en tient aux dispositions régissant les sociétés en participation, la dévolution des droits suit en principe les règles applicables aux sociétés civiles888. Reste à savoir s'il faut, le cas échéant, tenir compte des clauses statutaires applicables aux transmissions par décès. À notre avis, la réponse devrait être positive, dans la mesure où la déchéance de la personnalité juridique n'entraîne pas la caducité du pacte statutaire889. Quoi qu'il en soit, ces mutations par décès sont normalement restées sans incidence sur la propriété des actifs sociaux, à moins d'avoir été accompagnées d'une mutation des droits indivis de l'associé décédé dans ces mêmes actifs, ce qui est rarement le cas en pratique.