– Origine de la difficulté. – Une seconde hypothèse dans laquelle les parties se retrouveront involontairement réunies au sein d'une société en participation suscite davantage l'intérêt de la doctrine et de la jurisprudence : il s'agit des sociétés civiles anciennes non immatriculées. Cette situation concerne potentiellement toutes les personnes qui avaient, avant le 1er juillet 1978, fait le choix d'organiser la détention en commun d'un patrimoine par la création d'une société civile initialement dotée de la personnalité juridique, mais ont omis de procéder à son immatriculation avant le 1er novembre 2002.
Les sociétés civiles anciennes non immatriculées
Les sociétés civiles anciennes non immatriculées
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Actualité de la difficulté. – La perte de la personnalité morale des sociétés civiles anciennes non immatriculées fait l'objet d'une abondante littérature865. L'intérêt pour ce sujet s'explique sans doute par le nombre de sociétés concernées – la société civile est la forme sociale la plus répandue – et par le caractère totalement inédit de cette situation. De fait, il n'existe, en droit positif, aucune autre hypothèse dans laquelle une société dotée de la personnalité juridique viendrait à perdre accidentellement cet attribut866.
Notre propos n'est pas de revenir en détail sur les conditions de la déchéance de la personnalité morale, qui ne font plus guère difficulté, mais de nous pencher sur certaines de ses conséquences, qui mettent encore de nombreuses personnes dans l'embarras. Après avoir rappelé la situation des sociétés civiles anciennes non immatriculées avant le 1er novembre 2002 (§ I), nous évoquerons le régime de la société civile déchue de la personnalité juridique (§ II) et la possibilité de solliciter son immatriculation (§ III).
Rappel : situation des sociétés civiles anciennes non immatriculées avant le 1er novembre 2002
– Une triple sanction. – Curieusement, la loi no 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, dite « NRE »867, venue obliger les sociétés civiles constituées avant le 1er juillet 1978 à s'immatriculer au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002, ne précisait pas la sanction encourue en cas de dépassement de ce délai.
On sait à présent, grâce à l'œuvre prétorienne, que cette sanction est triple : l'absence d'immatriculation avant le 1er novembre 2002 entraîne la déchéance de la personnalité juridique (A), la dégénérescence en société en participation (B) et le transfert de la propriété du patrimoine social en indivision au profit des associés (C).
Déchéance de la personnalité juridique
– Débat doctrinal. – Au lendemain de la réforme, la doctrine a pu hésiter à propos de la sanction applicable au défaut d'immatriculation dans le délai légal. Sans entrer dans le détail de cette discussion, on peut néanmoins relever l'opinion du professeur Lucas868, pour qui la seule sanction encourue était la possibilité pour tout intéressé ou pour le ministère public d'exiger la réalisation de la formalité sous astreinte869. On peut regretter que cette voie, pourtant respectueuse de l'objectif poursuivi par la loi, n'ait pas été suivie ; elle aurait sans doute permis d'éviter bon nombre des difficultés actuelles.
– Clarification jurisprudentielle. – Après plusieurs années d'incertitude, la Cour de cassation a jugé, au triple visa des articles 1846 du Code civil, 4 de la loi no 78-9 du 4 janvier 1978, et 44 de la loi no 2001-420 du 15 mai 2001, qu'« il résulte de la combinaison [de ces] textes que les sociétés civiles n'ayant pas procédé à leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002, ont, à cette date, perdu la personnalité juridique »870.
La sanction est donc claire et, si l'on peut dire, sans appel : faute d'avoir accompli la formalité à temps, les sociétés civiles anciennes ont irrémédiablement perdu leur personnalité juridique. Restait à savoir ce qu'il advenait de toutes ces sociétés réduites à l'état contractuel.
Dégénérescence en société en participation
– Nouvelle clarification jurisprudentielle. – La jurisprudence a progressivement tiré toutes les conséquences de la sanction attachée au défaut d'immatriculation, en précisant que la société civile déchue de sa personnalité juridique relève du régime des sociétés en participation871, dont nous avons parlé plus haut.
Cette nouvelle clarification appelle deux observations. La première est que l'hésitation était permise sur ce point, dans la mesure où la société en participation se définit en principe comme une société que les associés ont entendu, dès l'origine, soustraire à l'immatriculation872. Or ici, la volonté des associés fait défaut873. On aurait donc pu conclure à l'existence d'une société (devenue) de fait874, sans toutefois que cette qualification soit davantage satisfaisante875. La seconde observation est que cette précision jurisprudentielle ne répond que partiellement, nous le verrons, à la question du régime applicable à la société non immatriculée. Cela étant, la perte de la personnalité juridique entraîne une autre conséquence, bien plus redoutable en pratique : le transfert de la propriété des actifs sociaux au profit des associés.
Transfert de la propriété des actifs sociaux au profit des associés existant au 1er novembre 2002
– Une situation inédite. – Faute, pour une société sans personnalité morale, de pouvoir être titulaire d'un patrimoine, la perte de la personnalité juridique devait nécessairement entraîner le transfert de la propriété des actifs sociaux au profit des associés876. L'administration a précisé que ce transfert s'opérait au 1er novembre 2002 et au profit des associés existant à cette même date877.
Même si l'on voit mal comment une autre date aurait pu être retenue, ce transfert de propriété, qui s'est opéré sans aucune manifestation de volonté de la part des associés, ne va pas sans créer d'importantes difficultés pratiques. La situation qui en résulte pour les associés aujourd'hui confrontés à cette réalité est, en effet, inédite : ils avaient fait le choix de préférer la propriété unique de l'être moral à la propriété collective, et on leur annonce qu'ils se trouvent depuis plus de vingt ans réunis au sein d'une société en participation reposant sur une indivision !
Ce délai, parfois très long, qui s'est écoulé depuis le transfert de la propriété des actifs sociaux au profit des associés, ne va pas sans susciter de nombreuses interrogations quant au régime applicable à cette structure étrange, née personne morale, morte en tant que telle, mais survivant à l'état contractuel.
Régime de la société civile déchue de la personnalité juridique
– Une « société fantôme ». – La déchéance de la personnalité morale crée une situation très particulière, dans laquelle les associés d'une société civile initialement dotée de la personnalité juridique se retrouvent – rétroactivement et à leur insu – réunis au sein d'une société en participation reposant sur une indivision. Et lorsqu'ils en prennent conscience, cette « société fantôme » fonctionne généralement depuis plusieurs années. Cette situation soulève deux principales questions que sont le sort du pacte statutaire (A) et l'incidence des cessions de parts sociales intervenues depuis le 1er novembre 2002 (B).
Sort du pacte statutaire
– Position du problème. – Dans la mesure où les associés de la société civile non immatriculée se retrouvent a posteriori et involontairement réunis au sein d'une forme sociale qui n'est pas conforme au pacte statutaire originel, on pouvait se demander si « les stipulations du contrat de société demeurent, quasiment à l'identique ou si, à l'inverse, la perte de personnalité morale entraîne effacement des statuts »878. L'enjeu est d'importance : il s'agit de savoir quelle est la règle du jeu en vigueur au sein de la collectivité des associés depuis le 1er novembre 2002.
En faveur de la seconde opinion, la doctrine observe qu'aux termes de l'arrêt du 4 mai 2016879, la Haute juridiction avait estimé que « n'ayant pas été organisée par un pacte conforme à celui d'une société en participation à durée déterminée, la société en cause était nécessairement à durée indéterminée »880. Est-ce à dire, pour autant, que la perte de la personnalité juridique vient, en quelque sorte, « écraser » le pacte statuaire d'origine, qui n'était (forcément) pas celui d'une société en participation ? Un auteur n'hésite pas à se prononcer par l'affirmative et en déduit que les associés doivent adopter de nouveaux statuts881. La majorité de la doctrine paraît cependant favorable au maintien du pacte statutaire.
– Survie du pacte statutaire. – Nous avons vu que la disparition de la personnalité morale n'entraînait pas celle de la société elle-même, qui survit à l'état contractuel. Dans ces conditions, il n'y a pas de raison de penser que l'absence d'immatriculation avant le 1er novembre 2002 entraîne la caducité des statuts d'origine. Certes, ceux-ci ne correspondent pas aux statuts d'une société en participation, mais comment pourrait-il en être autrement ? Il s'agit, au fond, d'un cas particulier de requalification. Or la requalification d'un contrat n'a jamais eu pour effet d'entraîner sa nullité. S'il ne fait aucun doute que les règles applicables à la société en participation doivent prévaloir, rien n'empêche d'admettre que les statuts d'origine continuent à s'appliquer « en tant » qu'ils ne sont pas incompatibles avec celles-ci882.
Incidences des cessions de parts sociales intervenues depuis le 1er novembre 2002
– Validité de principe des cessions de parts sociales. – En pratique, la question de l'incidence des cessions de parts sociales intervenues depuis le 1er novembre 2002 se pose généralement lorsqu'il s'agit de déterminer qui sont les associés actuels de la société non immatriculée. Il n'est pas rare, en effet, que plusieurs mouvements d'associés aient eu lieu depuis cette date883. La particularité tient ici au fait que ces opérations doivent a posteriori être traitées comme des cessions de droits dans une société en participation.
Cela étant, la Cour de cassation a expressément consacré la validité des cessions de droits dans une société en participation884. Comme l'expliquent des auteurs : « L'associé participant est titulaire de droits sociaux qui ne peuvent être analysés comme de véritables parts sociales puisqu'il ne s'agit pas d'un droit contre la société mais de droits à l'égard des autres associés. Comme tous les droits tenus d'un contrat, les droits sociaux de l'associé en participation sont cessibles par principe selon les modalités d'une cession de créance »885. La Haute juridiction a même écarté toute ambiguïté pour le cas particulier des sociétés civiles non immatriculées, en admettant la validité d'une cession intervenue après la perte de la personnalité juridique dont l'objet avait été improprement qualifié de cession de « parts de société civile immobilière »886.
Pour identifier les associés actuels de la société déchue de la personnalité juridique il faut donc, le cas échéant, tenir compte des cessions intervenues depuis le 1er novembre 2002.
Quid des transmissions de parts sociales par décès intervenues depuis le 1 novembre 2002 ?
L'identification des associés actuels de la société déchue de la personnalité juridique pose également la question de l'incidence des mutations de parts sociales par décès intervenues depuis le 1er novembre 2002. De la même manière que les cessions de parts sociales entre vifs, ces mutations sont en principe valables887 et doivent donc être prises en compte. Plus délicate est la question de savoir au profit de qui s'est opérée la transmission. Si l'on s'en tient aux dispositions régissant les sociétés en participation, la dévolution des droits suit en principe les règles applicables aux sociétés civiles888. Reste à savoir s'il faut, le cas échéant, tenir compte des clauses statutaires applicables aux transmissions par décès. À notre avis, la réponse devrait être positive, dans la mesure où la déchéance de la personnalité juridique n'entraîne pas la caducité du pacte statutaire889. Quoi qu'il en soit, ces mutations par décès sont normalement restées sans incidence sur la propriété des actifs sociaux, à moins d'avoir été accompagnées d'une mutation des droits indivis de l'associé décédé dans ces mêmes actifs, ce qui est rarement le cas en pratique.
Possibilité de solliciter l'immatriculation de la société
– Une faculté admise dès l'origine. – Nous avons vu que la loi no 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, dite « NRE », avait obligé les sociétés civiles créées avant le 1er juillet 1978 à s'immatriculer au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002. Pour autant, elle n'a jamais interdit à ces mêmes sociétés de s'immatriculer après cette date ; cette possibilité ne soulève, en elle-même, aucune difficulté. Encore ne faut-il pas se méprendre sur sa portée. Il ne peut en effet s'agir que d'une immatriculation nouvelle (A), comme telle dépourvue d'incidence sur la propriété des actifs sociaux (B).
Une immatriculation nouvelle
– Une formalité sans effet rétroactif. – Il ne fait aucun doute que les sociétés civiles constituées avant le 1er juillet 1978 qui n'auraient pas été immatriculées avant la date fatidique peuvent toujours accomplir cette formalité890, sans d'ailleurs que celle-ci soit enfermée dans un quelconque délai. Toujours est-il qu'il ne s'agit pas, comme on l'entend quelques fois, d'une « réimmatriculation », mais bien d'une immatriculation nouvelle, dans la mesure où les sociétés en cause n'ont jamais été identifiées au registre du commerce et des sociétés891. L'immatriculation tardive n'a donc pas d'effet rétroactif : elle fait apparaître une nouvelle société dotée de la personnalité juridique, mais n'efface en rien la période pendant laquelle la société ancienne en était dépourvue. D'ailleurs, les associés ne peuvent se prévaloir des dispositions de l'article 1844-3 du Code civil selon lesquelles : « La transformation régulière d'une société en une société d'une autre forme n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle »892. Ils n'ont donc d'autre choix que de suivre la procédure applicable à la création d'une société nouvelle893 ; il n'existe, sur ce point, aucun tempérament légal, jurisprudentiel ou même administratif.
– Nécessité d'une décision unanime des associés. – L'immatriculation, après le 1er novembre 2002, d'une société civile constituée avant le 1er juillet 1978 doit être autorisée par une décision de la collectivité des associés894, le gérant n'ayant plus qualité pour agir. Plus précisément, les associés doivent, à l'unanimité895, autoriser une nouvelle immatriculation et donner mandat au gérant à l'effet d'accomplir les formalités nécessaires. Une formalité sans incidence sur la propriété des actifs sociaux.
Absence d'incidence sur la propriété des actifs sociaux
– Portée de l'immatriculation tardive. – À partir du moment où l'immatriculation tardive permet à la société d'acquérir de nouveau la personnalité juridique, il était tentant d'en déduire que l'accomplissement de cette formalité entraînait ipso facto le retour dans le patrimoine social des actifs qui s'y trouvaient au 1er novembre 2002. Cette conception de la portée de l'immatriculation nouvelle recueillait notamment la faveur des greffiers des tribunaux de commerce896. Au demeurant, elle présentait l'avantage de résoudre l'essentiel des difficultés posées par la vente d'un ancien immeuble social.
En dépit de sa commodité pour la pratique, cette opinion se heurtait toutefois à un obstacle de taille. Comme l'a fait remarquer un éminent auteur, « elle avait (…) peu de chances de prospérer devant la Cour de cassation, laquelle a déjà pu juger que la société en participation n'a « pas de patrimoine propre » »897 On ajoutera que, sur le plan de la publicité foncière, le retour au statu quo ante butait sur l'obligation de publier un transfert de propriété « intercalaire » au profit des associés existant à la date de la perte de la personnalité juridique.
Cet aspect a finalement été clarifié par la Cour de cassation, aux termes d'un arrêt rendu au visa des articles 1842 du Code civil, 32 du Code de procédure civile, 4 de la loi no 78-9 du 4 janvier 1978 et 44 de la loi no 2001-420 du 15 mai 2001. Pour la Haute juridiction, « l'immatriculation de la société postérieure au 1er novembre 2002, qui ne fait pas disparaître rétroactivement la période pendant laquelle la société a été dépourvue de la personnalité morale, implique un nouveau transfert des biens sociaux des associés vers la société, laquelle constitue une nouvelle personne morale »898. Le débat est donc clos : l'immatriculation après le 1er novembre 2002 est une nouvelle immatriculation qui suppose un nouveau transfert de propriété au profit de la société. En elle-même, l'immatriculation tardive ne suffit donc pas à mettre fin à l'indivision apparue sur les actifs sociaux à la date de la perte de la personnalité juridique.
– Nécessité d'un double transfert de propriété. – La principale difficulté posée par la perte de la personnalité juridique tient à l'apparition d'une indivision sur les actifs sociaux, à la date du 1er novembre 2002. Cette situation s'oppose en effet à la volonté qu'avaient eue les associés, lors de la constitution de la société, d'échapper à l'indivision en créant une personne morale.
Les associés ne peuvent revenir à cette situation initiale, mais peuvent néanmoins retrouver une organisation comparable, en apportant leurs droits indivis au profit d'une société nouvellement immatriculée, ce qui suppose un double transfert de propriété des actifs sociaux. Le simple dépôt d'un extrait Kbis auprès du service de la publicité foncière ne saurait donc permettre à l'ancienne société d'être de nouveau identifiée comme propriétaire des biens et droits immobiliers qui figuraient dans son patrimoine avant qu'elle soit déchue de la personnalité morale.
– Autres conséquences de l'immatriculation après le 1er novembre 2002. – Si la jurisprudence a permis de préciser la portée de l'immatriculation tardive en ce qui concerne la propriété des actifs sociaux, elle n'a cependant pas résolu toutes les difficultés que soulève l'accomplissement de cette formalité. Pour un auteur, à partir du moment où il s'agit bien d'une société nouvelle – ce qui ne fait à présent aucun doute –, il faut en tirer toutes les conséquences. La formalité supposera donc tout d'abord l'accord unanime des associés actuels899, statuant sur la base des statuts mis à jour900. Ensuite, il conviendra de procéder à la dissolution de la société en participation. Enfin, dans la mesure où la création d'une société nouvelle ne peut se901 concevoir sans la réalisation d'apports, il sera nécessaire, si telle est la volonté des associés, d'apporter les anciens actifs sociaux à la nouvelle structure ou, à défaut, d'effectuer de nouveaux apports avec toutes les conséquences que cela implique, notamment au regard du droit de préemption urbain902.