– Une consécration jurisprudentielle actée. – La jurisprudence a reconnu le principe de la liberté de création d'un droit réel conventionnel de jouissance. Jusqu'à l'arrêt du 31 octobre 2012044 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, la question de la possibilité de création d'un droit réel conventionnel se posait.
La source de cette incertitude résidait dans l'interprétation qu'il fallait donner des dispositions de l'article 543 du Code civil. Pour mémoire, cet article énonce que l'on « peut avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou un simple droit de jouissance, ou seulement des services fonciers à prétendre ». Une interprétation stricte de ces dispositions pouvait conduire à soutenir l'idée du caractère limitatif des droits que l'on peut posséder sur une chose. En conséquence, aucun démembrement autre que celui défini par la loi ne serait possible. Au contraire, les défenseurs d'une interprétation extensive de l'article 543 du Code civil soutiennent la possibilité de créer conventionnellement des droits réels au nom de la liberté contractuelle et du principe du consensualisme. Dans un arrêt du 31 octobre 2012 précédé d'un arrêt du 23 mai 2012, la troisième chambre civile prend expressément position sur la question du numerus clausus des droits réels. La question de la nature de ce droit de jouissance se posait. La troisième chambre civile de la Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 février 2011 aux visas des anciens articles 544 et 1134 du Code civil, dans l'attendu de principe suivant : « Les parties étaient convenues de conférer à La Maison de Poésie, pendant toute la durée de son existence, la jouissance ou l'occupation des locaux où elle était installée ou de locaux de remplacement, la cour d'appel, qui a méconnu leur volonté de constituer un droit réel au profit de la fondation, a violé les textes susvisés ».
La Cour de cassation écarte la théorie du numerus clausus des droits réels. La cour d'appel a donc méconnu la volonté des parties en requalifiant en droit d'usage et d'habitation le droit réel de jouissance d'une durée égale à celle de la fondation. Il est désormais possible de créer des droits réels autres que ceux énoncés par la loi. Le triptyque énoncé par l'article 543 du Code civil ne présente pas un caractère limitatif. La Cour de cassation accorde une place importante à la liberté contractuelle, au pouvoir de la volonté individuelle.
En présence d'un droit réel innommé, la problématique du rattachement du droit à une catégorie existante au sens de l'article 543 du Code civil se pose. Les prérogatives du bénéficiaire étant limitées à la jouissance du bien, la qualification de droit de propriété ne saurait être retenue. En ce qui concerne le droit de jouissance, aurait-il pu être qualifié de droit d'usufruit ou de droit d'usage et d'habitation ? L'usufruit défini à l'article 578 du Code civil « (…) est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance ». Le droit conféré à la fondation Maison de Poésie se limitait à la jouissance ou à l'occupation. Les prérogatives conservées par cette dernière étaient donc plus réduites que celles offertes par l'usufruit.
La qualification de droit d'usage et d'habitation devait être écartée en raison de sa durée légale ne pouvant excéder trente ans pour les personnes morales. Le droit d'habitation est par ailleurs écarté, se restreignant à « ce qui est nécessaire pour l'habitation de celui à qui ce droit est concédé et de sa famille »045.
La cour d'appel de Paris avait d'ailleurs retenu cette qualification de droit d'usage et d'habitation, abandonnée par la Cour de cassation. Pouvait-il être qualifié de droit de superficie ? Le droit de superficie consiste dans le droit réel qu'un propriétaire exerce sur la surface du fonds dont le sol ou le dessous appartient à un autre propriétaire. C'est un droit perpétuel, sauf convention contraire. Le droit de superficie contient tous les attributs de la propriété (droit d'usage, droit de percevoir les fruits, droit de disposer) et il est sujet à publicité foncière.
La qualification de droit de superficie supposerait l'existence d'un droit de propriété du vendeur. C'est donc la qualification de « droit de jouissance spéciale d'un bien » et la constitution d'un droit réel sui generis que la Cour de cassation a retenues.
Cette solution doit être saluée dans la mesure où elle ouvre désormais aux parties le champ de la liberté contractuelle.