– Plan. – L'examen du titre testamentaire génère parfois des questions. Deux d'entre elles méritent une attention particulière : celle du testament international (§ I) et celle des legs à titre universel conjoints (§ II).
Questions particulières
Questions particulières
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
Le testament international
– Une nature hybride. – Le testament international introduit par la convention de Washington du 26 octobre 1973453 est une forme hybride, une sorte de testament olographe ou mystique ouvert, présenté devant témoins au notaire454. Très utile en contexte international455, il mériterait d'être plus usité tant il simplifie le règlement successoral à l'étranger. Bien plus facile à exporter qu'un fragile titre olographe, il répond à l'attente des familles sans frontières, en se rapprochant du will anglo-saxon tout en conservant une spécificité notariale française.
Le testament international peut être dactylographié ou manuscrit par le testateur ou par un tiers. Il peut être rédigé en français ou dans une autre langue. Ses termes ne sont pas obligatoirement portés à la connaissance des témoins, ni même à celle du notaire, l'article 4 de la loi uniforme prévoyant seulement que le testateur déclare en séance que le document est son testament et qu'il en connaît le contenu. Une attestation constatant la reconnaissance d'écriture et de signature est jointe aux dispositions de dernières volontés selon le modèle de l'article 10 de la loi uniforme.
Cette disparité de formes possibles n'est pas sans créer de doutes. Dans la mesure où la loi successorale serait la loi française, le contrôle de la qualité du légataire de l'article 1007 du Code civil en présence d'un testament international est-il nécessaire ?
La question demeure ouverte456, et l'on comprend aisément pourquoi, tant sa forme peut revêtir de réalités différentes. À notre sens, deux situations sont à distinguer :
- le testateur n'a fait que présenter au notaire un testament préétabli, sans que son contenu ait été porté à sa connaissance. Celui-ci dresse l'attestation de reconnaissance d'écriture et de signature, dont il remet un exemplaire au testateur. Il est difficile dans ces conditions de reconnaître une forme compatible avec l'authenticité justifiant une dispense ultérieure de contrôle de la qualité du légataire ;
- à l'inverse, si le testateur a établi le testament avec le concours du notaire, qu'il en confirme les termes, le signe et le lui remet, le tout en présence des témoins, le notaire dresse l'attestation prévue par la loi, avec reconnaissance d'écriture et de signature et conserve l'ensemble dans son coffre-fort. Le titre du légataire universel revêt alors une authenticité qui justifie une dispense de vérification lors de l'ouverture de la succession. La preuve sera d'autant plus renforcée si l'acte a été reçu en minute sous la forme d'un « dépôt authentifiant », selon les termes du professeur Dagot457. L'effet de ce dépôt authentifiant entraîne la transformation de la nature de l'acte déposé, qui devient authentique. Il permet d'assurer le contrôle du consentement des parties, la date certaine, la reconnaissance d'écriture et de signature des parties.
Un testament protéiforme
La convention de Washington n'impose pas de conditions de réception et de conservation du testament. Il est raisonnable de penser qu'il puisse être établi en minute, sous la forme d'un brevet, ou par acte sous seing privé. Il est envisageable que le notaire se limite à l'établissement de l'attestation de l'article 10 précité et que le document soit conservé par le testateur. Ainsi, au regard du droit français, le testament est protéiforme.
– Conseil pratique. – L'internationalisation des successions va nécessairement rendre plus attractive cette forme testamentaire. Le conseil pratique pour en assurer la pleine efficacité est de procéder à un dépôt ante mortem lui conférant un caractère authentique, d'une part, et rendant superflu son dépôt post mortem, d'autre part.
Trois conditions doivent être réunies :
- le testament a été établi et préparé sous le contrôle du testateur avec le notaire. L'esprit de « la dictée » de l'article 972 du Code civil est de bonne pratique ;
- le testament est daté et signé devant le notaire et la date est la même que celle de l'acte authentique auquel il est annexé ;
- le notaire dresse l'acte de dépôt en minute, détaille la comparution du testateur et des témoins et précise les conditions de sa réception en la forme authentique. À la requête de tous, il dépose le testament et l'attestation à la minute mentionnant la reconnaissance d'écriture et de signature et la réquisition de conservation du testateur.
Le dépôt
En l'absence de précisions dans la convention de Washington sur les conditions de réception et de conservation, il demeure incertain de conclure que le testament international est systématiquement dispensé du contrôle notarial de la qualité du légataire. Seul le dépôt « ante mortem authentifiant » respectant les trois conditions énoncées le garantira.
Le legs universel conjoint ou multiple
– Pluralité de legs universels. – La question particulière de la pluralité de legs universels revêt une grande incidence pratique. Il est fréquent que le testateur établisse son testament sans l'aide d'un notaire et institue pour légataires des bénéficiaires ayant conjointement vocation au tout avec ou sans assignation de parts458. Deux illustrations guideront le raisonnement.
À titre liminaire, il est précisé que la question d'un double legs de l'universalité de l'usufruit et de la nue-propriété à deux personnes différentes est analysée par la jurisprudence comme un legs universel de la nue-propriété et un legs à titre universel de l'usufruit459. Elle n'est pas concernée par les développements qui suivent.
Deux illustrations d'un legs conjoint
J'institue pour légataires universels une association pour un tiers (1/3), deux cousins chacun pour un sixième (1/6<sup>e</sup>) et mon ami pour un tiers (1/3).
Je lègue à mon amie tous mes biens meubles et je lègue à telle association tous mes biens immeubles. Chacune supportera le passif à due concurrence.
– Quelle qualification ? – Ces dispositions doivent-elles s'analyser comme des dispositions universelles ou à titre universel ?
La question a un intérêt pratique important dans la mesure où les légataires universels sont saisis sous le contrôle du notaire de l'article 1007 du Code civil, alors que les légataires à titre universel ne sont pas saisis et dépendent de la délivrance des héritiers du sang, quand bien même ces derniers n'auraient aucun intérêt à intervenir.
– Une réponse incertaine. – Les deux types de legs sont définis dans le Code civil, sous l'article 1003 : « Le legs universel est la disposition testamentaire par laquelle le testateur donne à une ou plusieurs personnes l'universalité des biens qu'il laissera à son décès » et sous l'article 1010 : « Le legs à titre universel est celui par lequel le testateur lègue une quote-part des biens dont la loi lui permet de disposer, telle qu'une moitié, un tiers, ou tous ses immeubles, ou tout son mobilier, ou une quotité fixe de tous ses immeubles ou de tout son mobilier. Tout autre legs ne forme qu'une disposition à titre particulier ». Mais ces éléments de définition sont insuffisants, tant la frontière est étroite.
En l'état actuel du droit positif, la réponse est incertaine. La jurisprudence s'attache à la lettre du testament et à la recherche de l'intention du testateur. La doctrine recommande la prudence en distinguant selon que le legs a été fait avec ou sans assignation de parts460.
Si le legs a été consenti sans assignation de parts, l'article 1044, alinéa 2 du Code civil pose une présomption d'universalité : « Le legs sera réputé fait conjointement lorsqu'il le sera par une seule et même disposition et que le testateur n'aura pas assigné la part de chacun des colégataires dans la choseléguée »
461. La jurisprudence reconnaît cette universalité même si les dispositions résultent de deux testaments distincts mais compatibles462.
En revanche, si le legs a été fait avec assignation de parts, la réponse dépend des éléments propres à chaque espèce et, en cas de litige, relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Pour certains auteurs, il convient de s'assurer que « l'intention a été de transmettre son patrimoine à l'ensemble des légataires, à charge pour eux de se le partager »
463.
– Une problématique conduisant à une impasse. – Le notaire en charge de la liquidation est en première ligne pour apprécier le caractère universel de la pluralité de legs. La dénomination retenue par le testateur est un indice, mais un indice insuffisant464.
Les éléments de discernement objectifs semblent plaider en faveur de la qualification de legs à titre universel. Tout d'abord, l'article 1010 précité édicte une liste limitative et impérative de cinq types de legs à titre universel465. La doctrine estime ensuite que ce n'est pas parce que le testateur lègue l'intégralité de ses biens qu'il confère nécessairement une vocation au tout, à chacun des légataires, ni même au résiduel subsidiaire en cas de caducité des autres dispositions466. Enfin la jurisprudence retient qu'il ne convient donc pas de raisonner au regard de l'émolument à recueillir, certains legs universels se révélant sans émolument et certains legs à titre universel concentrant un émolument total467.
D'un point de vue plus subjectif, la recherche de l'intention du testateur semble en revanche mener à la qualification de legs universel. « Pour l'institution d'un héritier universel, la loi n'a pas prescrit de termes sacramentels : il suffit qu'il y ait, dans le testament, claire manifestation de la volonté du testateur de transmettre au légataire l'universalité des biens qu'il laissera à son décès »468. Du point de vue du notaire en charge du règlement, les legs à titre universel conjoints sont le plus souvent le résultat de l'ignorance et de la maladresse du testateur et non l'émanation d'une intention de faire appel aux héritiers du sang déshérités pour délivrer les legs. Il lui paraît hasardeux et inadapté de soumettre les légataires, ayant ensemble vocation à l'universalité, à la volonté des successeurs évincés, pauvres détenteurs illégitimes de la police de l'hérédité.
En outre, la solution de prudence qui conduirait le notaire à qualifier les legs de libéralités à titre universel mène à un parcours complexe, presque une impasse. Trois voies s'imposent alors pour le règlement successoral :
- l'ouverture d'une vacance successorale (C. civ., art. 809), avec nomination d'un curateur469 ;
- la désignation d'un mandataire successoral avec mission de délivrer les legs (C. civ., art. 813-1) ;
- ou la recherche des héritiers ab intestat habiles à délivrer des legs, mais ayant une vocation successorale vide. Il pourrait être envisagé, dans ce cas, que les légataires à titre universel cantonnent leur legs pour motiver le consentement des héritiers du sang à la délivrance, appelés alors à recueillir une partie de l'héritage.
Aucune de ces voies n'est simple ni rapide. Ce qui est d'autant plus regrettable en présence d'une fiscalité très lourde entre non-parents.
– La réponse –
in concreto
. – Au regard des deux illustrations qui ont guidé notre réflexion, il pourrait être reconnu un caractère universel au premier testament (comprenant des assignations de parts différentes) s'il résulte des éléments extrinsèques du dossier que l'intention du testateur était de procéder entre eux à un partage de l'universalité470. Tandis que le second testament (legs conjoints des meubles et des immeubles) semble exclure cette qualification, dans la mesure où il paraît compliqué de prétendre que l'un des légataires a une vocation subsidiaire. Il s'agit bien a priori de deux legs à titre universel.
– Précautions rédactionnelles. – En pratique, pour éviter cette situation inconfortable, il faut conseiller en amont la désignation d'un légataire universel avec pour mission de délivrer les legs à titre universel. Il convient d'éviter l'expression « à charge de délivrer le legs particulier », qui pose difficulté en cas de caducité du legs universel. Il est utile également de prévoir un légataire universel subsidiaire et une clause d'accroissement.
Appliquées aux deux exemples précédents, les rédactions à privilégier pourraient être les suivantes :
– Proposition de prospective législative. – Il est tentant pour le notaire de proposer aux clients une interprétation des dispositions testamentaires, conduisant à rechercher la volonté réelle du testateur pour parvenir à une qualification du legs en libéralité universelle. Mais l'interprétation, pour être valable, doit faire intervenir tous ceux qui y ont intérêt et, ainsi, ne saurait être opposable aux héritiers évincés non signataires. Dès lors, elle nécessite le concours des héritiers du sang, que l'on imagine mal se plier à l'exercice. Elle serait de surcroît officieuse, dans la mesure où elle dépend exclusivement de la compétence judiciaire471.
Pour réduire ces cas d'incertitude, de blocage, de risque de mise en jeu de la responsabilité notariale, seule une intervention du législateur résoudrait la question. Le projet serait de soumettre au contrôle notarial de l'examen du titre, au lieu d'une délivrance de legs, les légataires à titre universel, en l'absence de réservataires, qui conjointement recueilleraient l'universalité de la succession. Par voie de conséquence la mission de vérification du notaire sur l'examen de la saisine de l'article 1007 du Code civil serait élargie aux legs à titre universel dès lors qu'ils porteraient sur l'universalité des biens du défunt472.
La proposition n'est pas exempte de critiques, dans la mesure où l'hérédité du tout ne se confond pas avec la vocation universelle. Le meilleur moyen de comprendre cette acception, un peu obscure à première vue, est de se pencher sur l'absence de vocation héréditaire subsidiaire des légataires. Si l'un des gratifiés renonçait à la libéralité, ce sont bien les héritiers légaux qui en bénéficieraient. Elle marquerait en outre le recul de l'hérédité légale non réservataire, en remettant la saisine entre les mains des successeurs choisis par le défunt qui assureraient la continuité de sa personne. Elle imposerait de surcroît au notaire une attention particulière pour s'assurer que le testament couvre tous les actifs, tout le passif, tous les droits et toutes les obligations, y compris les fruits. Bien encadrée, la proposition aurait le mérite de l'efficacité.
Modification du mécanisme de délivrance
Pour éviter les cas de blocage en présence d'un legs à titre universel, le mécanisme de la délivrance prévu à l'article 1011 du Code civil pourrait être modifié avec l'ajout d'un alinéa : « Lorsque l'ensemble des legs à titre universel donne vocation à la totalité des biens (actif comme passif), la vérification du titre se fera sous la forme de l'article 1007 du Code civil ».