– Les règles impératives de l'article 922 du Code civil. – La première opération consiste à établir la masse de calcul de la réserve héréditaire et de la quotité disponible. L'article 922 du Code civil réglemente la composition de la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible (§ I) ainsi que son évaluation (§ II), ces règles étant impératives.
Masse de calcul de la quotité disponible et de la réserve
Masse de calcul de la quotité disponible et de la réserve
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
Composition de la masse de calcul
– Trois phases. – L'établissement de la masse de calcul comporte trois phases : d'une part, l'addition de tous les biens existants au jour du décès, ensuite, la déduction des dettes et charges successorales, et enfin la réunion fictive des biens donnés entre vifs.
Addition de tous les biens existants
– Biens existants. – Par biens existants, il faut comprendre tous les biens dont le défunt est resté propriétaire jusqu'à son décès, peu important leur nature et donc qu'ils soient corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, droits réels ou personnels. On y inclut les créances. Si le défunt était marié sous un régime d'une communauté liquidée mais non encore partagée, il y a lieu d'ajouter aux biens propres du défunt sa part dans le boni de communauté et éventuellement le solde positif de son compte de récompense. Sont compris dans les biens existants ceux dont il a disposé à cause de mort, c'est-à-dire les biens légués ou inclus dans une institution contractuelle.
Déduction des dettes et charges successorales
– Dettes successorales. – Sont déductibles toutes les dettes dont le défunt était tenu au jour de son décès, quelles que soient leur nature et origine (contractuelle, délictuelle, légale), y compris le solde débiteur de son compte de récompense.
– Charges successorales. – Sont également déductibles les dettes nées à raison de l'ouverture de la succession : frais funéraires, frais de liquidation et de partage et frais engagés dans l'intérêt commun de tous les successeurs (notoriété, inventaire, dépôt de testament). En revanche, ne sont pas déductibles les frais d'acte d'attestation de propriété immobilière, les frais de la déclaration de succession, les droits de mutation à titre gratuit, qui sont des dettes personnelles des héritiers et/ou des légataires.
– Balance. – Il est fait ensuite la balance entre la valeur des biens existants et le montant des dettes et charges successorales, et deux cas peuvent alors se présenter : soit le résultat est positif et l'on retient l'actif net existant, soit le résultat obtenu est négatif et l'on retient un solde nul (0).
Réunion fictive des biens donnés
– Tous les biens donnés. – Au solde obtenu, il convient d'ajouter fictivement tous les biens qui ont été donnés entre vifs par le de cujus. Toutes les donations entre vifs sont concernées, quels que soient leur forme, leur nature ou leur bénéficiaire.
– Cas de la réversion d'usufruit. – Si le de cujus a donné un bien en s'en réservant l'usufruit avec stipulation d'une réversion d'usufruit à son décès sur la tête d'un tiers, il y a coexistence de deux libéralités puisque la réversion constitue elle-même une donation de bien présent à terme. Il y a donc une double donation, de la nue-propriété et de l'usufruit, et par conséquent, une double réunion fictive. En principe, seuls les biens donnés doivent être réunis fictivement à la masse de calcul. Néanmoins, certaines dispositions particulières sont regardées par la loi comme des libéralités et sont donc soumises au principe de la réunion fictive et de l'imputation.
– Opérations assimilées à des libéralités. – Un certain nombre d'opérations sont assimilées par la loi à des libéralités, sujettes dès lors à réduction.
Vente à un présomptif héritier visée par l'article 918 du Code civil
– Présomption de gratuité. – Dans le but de prévenir des fraudes à la réserve, l'article 918 du Code civil présume que la vente consentie à un successible en ligne directe à charge de rente viagère, à fonds perdu ou avec réserve d'usufruit déguise en réalité une donation à son profit de la pleine propriété et que cette donation a été faite hors part. Pour le législateur, le caractère onéreux des opérations visées est particulièrement suspect.
Cette règle d'exception est d'interprétation stricte. Elle ne s'applique pas en cas de réserve du droit d'usage et d'habitation. Elle est exclue également si l'acquéreur n'a pas la qualité d'héritier présomptif à la date de l'acte. Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu'une vente avec constitution de rente viagère faite par un grand-père à sa petite-fille du vivant de son fils échappe à l'article 918.
– Effets de la présomption. – L'article 918 du Code civil pose une double présomption. D'une part, une présomption de gratuité totale des biens dont il a été disposé, de sorte qu'il convient de réintégrer l'intégralité de la valeur de ces biens dans la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible. Aussi, l'acquéreur successible ne pourra prétendre défalquer ou récupérer les sommes dont il prouverait qu'elles ont été réellement versées. D'autre part, une présomption de donation faite hors part successorale, de sorte qu'elle doit être imputée entièrement et exclusivement sur la quotité disponible, tout excédent étant sujet à réduction.
L'article 918 indique que la double présomption qu'il établit n'est pas automatique mais doit être invoquée, après le décès, par les réservataires qui n'ont pas donné leur consentement à l'aliénation litigieuse.
– Présomption irréfragable. – Le législateur n'a pas précisé le caractère de cette présomption de gratuité. Mais, afin d'éviter toutes les ruses et malices de successibles prêts à se ménager les preuves nécessaires, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 26 juillet 1899, cette présomption irréfragable et n'a depuis jamais modifié sa position. La doctrine a toujours été divisée sur ce point. En l'état de la jurisprudence, l'acquéreur n'a pas la possibilité de combattre cette présomption en établissant la réalité du paiement du prix de vente de son acquisition ni, comme on l'a vu, la possibilité d'obtenir de la succession le remboursement des sommes effectivement versées.
– Possibilité d'écarter la présomption par un pacte de famille. – L'article 918 du Code civil offre un moyen d'écarter cette présomption de déguisement et toutes ses conséquences lorsque l'ensemble des réservataires présomptifs donnent leur consentement à la vente. À cet égard, la jurisprudence fait preuve de souplesse en admettant que ce consentement puisse être donné dans l'acte d'aliénation ou postérieurement par acte séparé. Si un seul réservataire présomptif refuse de donner son consentement, une double liquidation de la succession sera alors nécessaire.
Avantages matrimoniaux
– En présence d'enfants non communs. – Si les avantages matrimoniaux « ne sont point regardés comme des donations » (C. civ., art. 1527, al. 1er) par principe, ils doivent être traités, en présence d'enfants qui ne sont pas issus des deux époux, comme des libéralités au regard de la réduction (C. civ., art. 1527, al. 2). Ils sont par conséquent réunis fictivement à la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible.
Assurance-vie : requalification en donation indirecte
– Des cas rares d'assurances-vie réductibles. – Lorsque l'imminence du décès du souscripteur-assuré rend son dessaisissement irrévocable, le contrat est susceptible d'être requalifié en donation. Ce risque de requalification se retrouvera plus particulièrement dans deux hypothèses : lorsque le contrat a été souscrit à l'article de la mort ou lorsque le bénéficiaire a été désigné à l'article de la mort.
Pour requalifier en donation un contrat d'assurance-vie, la Cour de cassation a précisé que les conditions définies à l'article 894 du Code civil devaient être réunies, ce qui suppose que soient établis : l'intention libérale du disposant, l'acceptation du bénéficiaire et le dépouillement actuel et irrévocable du donateur au profit du bénéficiaire. Les juges requalifient en donation indirecte lorsque les circonstances particulières dans lesquelles le bénéficiaire a été désigné ou le contrat souscrit démontraient l'absence d'aléa, le caractère illusoire de faculté de rachat du souscripteur et sa volonté actuelle et irrévocable de se dépouiller.
Évaluation
Évaluation des biens existants
– Évaluation au jour de l'ouverture de la succession. – Les biens existants doivent être évalués au jour du décès dans l'état où ils se trouvent à ce moment-là.
– Cas particulier du bien antérieurement loué au légataire. – Dans le cas particulier de l'immeuble légué par le de cujus à celui qui l'occupait antérieurement en qualité de locataire, la Cour de cassation a jugé que, pour la formation de la masse de calcul de la réserve, l'immeuble devait être considéré comme libre. En effet, en acceptant le legs, le légataire devient propriétaire du bien à compter du décès du testateur. Il s'ensuit que de ce jour, le bail a pris fin par la réunion sur la même tête des qualités de propriétaire et de locataire.
Évaluation des biens soumis à réunion fictive
– Principe : réévaluation des biens donnés au jour du décès. – L'article 922, alinéa 2 du Code civil prévoit pour la réunion fictive des biens donnés, comme pour le rapport, de rechercher ce que sont devenus les biens donnés : conservés ou aliénés avec ou sans subrogation. Ce sont en effet les mêmes règles légales que pour le rapport qui s'appliquent (V. supra, no ), à la différence qu'elles sont ici impératives et que l'évaluation se fait à la date du décès (et non au partage). Ainsi, l'article 922, alinéa 2 dispose que les biens donnés sont fictivement réunis à la masse de calcul, d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l'époque de l'aliénation. S'il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l'ouverture de la succession, d'après leur état à l'époque de l'acquisition. Cependant, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n'est pas tenu compte de la subrogation. Une hypothèse toutefois, prévue pour le rapport, n'est pas reprise dans cet article 922, alinéa 2 : il s'agit du cas de la donation de somme d'argent envisagé à l'article 860-1 du Code civil. Malgré le silence sur ce point de l'article 922, la doctrine s'accorde à considérer que cette omission doit être corrigée dans le sens d'une extension analogique du système de la dette de valeur comme pour le rapport, ce que la Cour de cassation a affirmé à plusieurs reprises.
– Exception : évaluation au jour de l'acte des biens compris dans une donation-partage. – Une exception existe pour les biens compris dans une donation-partage. Au lieu d'être fictivement réunis aux biens existants puis imputés pour leur valeur au jour du décès, comme le prescrit la règle de principe de l'article 922, ils le sont pour leur valeur au jour du partage anticipé. La donation-partage, instrument privilégié de simplification et pacification du règlement des successions, est ainsi protégée des opérations comptables qu'entraîne la liquidation de la succession tant par son caractère non rapportable que par cette évaluation dérogatoire pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible. En conséquence, les plus ou moins-values advenues aux biens après leur distribution ne seront pas prises en compte dans la masse de calcul. Pour bénéficier toutefois de ce gel des valeurs, la donation-partage est soumise aux trois conditions prévues à l'article 1078 du Code civil : la première, que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès du disposant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l'aient expressément accepté ; la deuxième, qu'il n'ait pas été prévu de réserve d'usufruit portant sur une somme d'argent et, enfin, qu'il n'ait pas été prévu une convention contraire, c'est-à-dire une date d'évaluation autre que celle de la date de l'acte. Si tel est le cas, la date retenue s'impose alors pour tous les biens compris dans la donation-partage, l'unicité de la date d'évaluation étant d'ordre public.
Problématique des fausses donations-partages égalitaires
L'article 1078 du Code civil commande de retenir la valeur des biens à l'époque de la donation-partage, mais n'impose pas de retenir celle figurant dans l'acte. La Cour de cassation a rappelé ce principe en jugeant que, pour le calcul de la réserve, les biens donnés doivent être estimés à leur valeur réelle au jour de la donation-partage, quelles qu'aient pu être celles énoncées à l'acte. Ainsi lorsque l'égalité des lots n'est pas possible, il vaudra mieux assumer une franche inégalité que de retenir une fausse égalité de façade qui pourra laisser des germes de discorde et être contestée lors du règlement de la succession.