La détection des libéralités réductibles

La détection des libéralités réductibles

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Trois opérations. – Pour identifier les libéralités éventuellement réductibles, il convient de procéder en trois temps. En premier lieu, il y a lieu de reconstituer le patrimoine que le défunt aurait laissé à son décès s'il n'avait consenti aucune libéralité, en établissant une masse dite « de calcul » (Sous-section I). Dans un deuxième temps, il faut chiffrer le montant de la réserve et de la quotité disponible en appliquant à cette masse de calcul le taux de la réserve et celui de la quotité disponible (Sous-section II). Puis, dans un troisième temps, il y a lieu d'imputer les libéralités, c'est-à-dire de retrancher les libéralités faites par le de cujus de l'un ou l'autre des deux secteurs que constituent la réserve et la quotité disponible suivant un ordre et des modalités établis par la loi, afin de vérifier si elles dépassent les limites de la quotité disponible et donc sont sujettes à réduction (Sous-section III). Si cette matière relative à la détection des libéralités réductibles est largement dominée par l'ordre public, on s'attachera à montrer qu'une petite place est tout de même laissée à la volonté du de cujus.

Masse de calcul de la quotité disponible et de la réserve

– Les règles impératives de l'article 922 du Code civil. – La première opération consiste à établir la masse de calcul de la réserve héréditaire et de la quotité disponible. L'article 922 du Code civil réglemente la composition de la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible (§ I) ainsi que son évaluation (§ II), ces règles étant impératives.

Composition de la masse de calcul

– Trois phases. – L'établissement de la masse de calcul comporte trois phases : d'une part, l'addition de tous les biens existants au jour du décès, ensuite, la déduction des dettes et charges successorales, et enfin la réunion fictive des biens donnés entre vifs.

Addition de tous les biens existants

– Biens existants. – Par biens existants, il faut comprendre tous les biens dont le défunt est resté propriétaire jusqu'à son décès, peu important leur nature et donc qu'ils soient corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, droits réels ou personnels. On y inclut les créances. Si le défunt était marié sous un régime d'une communauté liquidée mais non encore partagée, il y a lieu d'ajouter aux biens propres du défunt sa part dans le boni de communauté et éventuellement le solde positif de son compte de récompense. Sont compris dans les biens existants ceux dont il a disposé à cause de mort, c'est-à-dire les biens légués ou inclus dans une institution contractuelle.

Déduction des dettes et charges successorales

– Dettes successorales. – Sont déductibles toutes les dettes dont le défunt était tenu au jour de son décès, quelles que soient leur nature et origine (contractuelle, délictuelle, légale), y compris le solde débiteur de son compte de récompense.
– Charges successorales. – Sont également déductibles les dettes nées à raison de l'ouverture de la succession : frais funéraires, frais de liquidation et de partage et frais engagés dans l'intérêt commun de tous les successeurs (notoriété, inventaire, dépôt de testament). En revanche, ne sont pas déductibles les frais d'acte d'attestation de propriété immobilière, les frais de la déclaration de succession, les droits de mutation à titre gratuit, qui sont des dettes personnelles des héritiers et/ou des légataires.
– Balance. – Il est fait ensuite la balance entre la valeur des biens existants et le montant des dettes et charges successorales, et deux cas peuvent alors se présenter : soit le résultat est positif et l'on retient l'actif net existant, soit le résultat obtenu est négatif et l'on retient un solde nul (0).

Réunion fictive des biens donnés

– Tous les biens donnés. – Au solde obtenu, il convient d'ajouter fictivement tous les biens qui ont été donnés entre vifs par le de cujus. Toutes les donations entre vifs sont concernées, quels que soient leur forme, leur nature ou leur bénéficiaire.
– Cas de la réversion d'usufruit. – Si le de cujus a donné un bien en s'en réservant l'usufruit avec stipulation d'une réversion d'usufruit à son décès sur la tête d'un tiers, il y a coexistence de deux libéralités puisque la réversion constitue elle-même une donation de bien présent à terme. Il y a donc une double donation, de la nue-propriété et de l'usufruit, et par conséquent, une double réunion fictive. En principe, seuls les biens donnés doivent être réunis fictivement à la masse de calcul. Néanmoins, certaines dispositions particulières sont regardées par la loi comme des libéralités et sont donc soumises au principe de la réunion fictive et de l'imputation.
– Opérations assimilées à des libéralités. – Un certain nombre d'opérations sont assimilées par la loi à des libéralités, sujettes dès lors à réduction.
Vente à un présomptif héritier visée par l'article 918 du Code civil
– Présomption de gratuité. – Dans le but de prévenir des fraudes à la réserve, l'article 918 du Code civil présume que la vente consentie à un successible en ligne directe à charge de rente viagère, à fonds perdu ou avec réserve d'usufruit déguise en réalité une donation à son profit de la pleine propriété et que cette donation a été faite hors part. Pour le législateur, le caractère onéreux des opérations visées est particulièrement suspect.
Cette règle d'exception est d'interprétation stricte. Elle ne s'applique pas en cas de réserve du droit d'usage et d'habitation645. Elle est exclue également si l'acquéreur n'a pas la qualité d'héritier présomptif à la date de l'acte. Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu'une vente avec constitution de rente viagère faite par un grand-père à sa petite-fille du vivant de son fils échappe à l'article 918646.
– Effets de la présomption. – L'article 918 du Code civil pose une double présomption. D'une part, une présomption de gratuité totale des biens dont il a été disposé, de sorte qu'il convient de réintégrer l'intégralité de la valeur de ces biens dans la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible. Aussi, l'acquéreur successible ne pourra prétendre défalquer ou récupérer les sommes dont il prouverait qu'elles ont été réellement versées. D'autre part, une présomption de donation faite hors part successorale, de sorte qu'elle doit être imputée entièrement et exclusivement sur la quotité disponible, tout excédent étant sujet à réduction.
L'article 918 indique que la double présomption qu'il établit n'est pas automatique mais doit être invoquée, après le décès, par les réservataires qui n'ont pas donné leur consentement à l'aliénation litigieuse.
– Présomption irréfragable. – Le législateur n'a pas précisé le caractère de cette présomption de gratuité. Mais, afin d'éviter toutes les ruses et malices de successibles prêts à se ménager les preuves nécessaires, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 26 juillet 1899, cette présomption irréfragable647 et n'a depuis jamais modifié sa position. La doctrine a toujours été divisée sur ce point648. En l'état de la jurisprudence, l'acquéreur n'a pas la possibilité de combattre cette présomption en établissant la réalité du paiement du prix de vente de son acquisition ni, comme on l'a vu, la possibilité d'obtenir de la succession le remboursement des sommes effectivement versées.
– Possibilité d'écarter la présomption par un pacte de famille. – L'article 918 du Code civil offre un moyen d'écarter cette présomption de déguisement et toutes ses conséquences lorsque l'ensemble des réservataires présomptifs donnent leur consentement à la vente. À cet égard, la jurisprudence fait preuve de souplesse en admettant que ce consentement puisse être donné dans l'acte d'aliénation ou postérieurement par acte séparé649. Si un seul réservataire présomptif refuse de donner son consentement, une double liquidation de la succession sera alors nécessaire.
Avantages matrimoniaux
– En présence d'enfants non communs. – Si les avantages matrimoniaux « ne sont point regardés comme des donations » (C. civ., art. 1527, al. 1er) par principe, ils doivent être traités, en présence d'enfants qui ne sont pas issus des deux époux, comme des libéralités au regard de la réduction (C. civ., art. 1527, al. 2). Ils sont par conséquent réunis fictivement à la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible.
Assurance-vie : requalification en donation indirecte
– Des cas rares d'assurances-vie réductibles. – Lorsque l'imminence du décès du souscripteur-assuré rend son dessaisissement irrévocable, le contrat est susceptible d'être requalifié en donation. Ce risque de requalification se retrouvera plus particulièrement dans deux hypothèses : lorsque le contrat a été souscrit à l'article de la mort ou lorsque le bénéficiaire a été désigné à l'article de la mort.
Pour requalifier en donation un contrat d'assurance-vie, la Cour de cassation a précisé que les conditions définies à l'article 894 du Code civil devaient être réunies650, ce qui suppose que soient établis : l'intention libérale du disposant, l'acceptation du bénéficiaire et le dépouillement actuel et irrévocable du donateur au profit du bénéficiaire. Les juges requalifient en donation indirecte lorsque les circonstances particulières dans lesquelles le bénéficiaire a été désigné ou le contrat souscrit démontraient l'absence d'aléa, le caractère illusoire de faculté de rachat du souscripteur et sa volonté actuelle et irrévocable de se dépouiller651.

Évaluation

Évaluation des biens existants

– Évaluation au jour de l'ouverture de la succession. – Les biens existants doivent être évalués au jour du décès dans l'état où ils se trouvent à ce moment-là.
– Cas particulier du bien antérieurement loué au légataire. – Dans le cas particulier de l'immeuble légué par le de cujus à celui qui l'occupait antérieurement en qualité de locataire, la Cour de cassation a jugé que, pour la formation de la masse de calcul de la réserve, l'immeuble devait être considéré comme libre. En effet, en acceptant le legs, le légataire devient propriétaire du bien à compter du décès du testateur. Il s'ensuit que de ce jour, le bail a pris fin par la réunion sur la même tête des qualités de propriétaire et de locataire652.

Évaluation des biens soumis à réunion fictive

– Principe : réévaluation des biens donnés au jour du décès. – L'article 922, alinéa 2 du Code civil prévoit pour la réunion fictive des biens donnés, comme pour le rapport, de rechercher ce que sont devenus les biens donnés : conservés ou aliénés avec ou sans subrogation. Ce sont en effet les mêmes règles légales que pour le rapport qui s'appliquent (V. supra, no ), à la différence qu'elles sont ici impératives et que l'évaluation se fait à la date du décès (et non au partage). Ainsi, l'article 922, alinéa 2 dispose que les biens donnés sont fictivement réunis à la masse de calcul, d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l'époque de l'aliénation. S'il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l'ouverture de la succession, d'après leur état à l'époque de l'acquisition. Cependant, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n'est pas tenu compte de la subrogation. Une hypothèse toutefois, prévue pour le rapport, n'est pas reprise dans cet article 922, alinéa 2 : il s'agit du cas de la donation de somme d'argent envisagé à l'article 860-1 du Code civil. Malgré le silence sur ce point de l'article 922, la doctrine s'accorde à considérer que cette omission doit être corrigée dans le sens d'une extension analogique du système de la dette de valeur comme pour le rapport, ce que la Cour de cassation a affirmé à plusieurs reprises653.
– Exception : évaluation au jour de l'acte des biens compris dans une donation-partage. – Une exception existe pour les biens compris dans une donation-partage. Au lieu d'être fictivement réunis aux biens existants puis imputés pour leur valeur au jour du décès, comme le prescrit la règle de principe de l'article 922, ils le sont pour leur valeur au jour du partage anticipé. La donation-partage, instrument privilégié de simplification et pacification du règlement des successions, est ainsi protégée des opérations comptables qu'entraîne la liquidation de la succession tant par son caractère non rapportable que par cette évaluation dérogatoire pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible. En conséquence, les plus ou moins-values advenues aux biens après leur distribution ne seront pas prises en compte dans la masse de calcul. Pour bénéficier toutefois de ce gel des valeurs, la donation-partage est soumise aux trois conditions prévues à l'article 1078 du Code civil : la première, que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès du disposant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l'aient expressément accepté ; la deuxième, qu'il n'ait pas été prévu de réserve d'usufruit portant sur une somme d'argent et, enfin, qu'il n'ait pas été prévu une convention contraire, c'est-à-dire une date d'évaluation autre que celle de la date de l'acte. Si tel est le cas, la date retenue s'impose alors pour tous les biens compris dans la donation-partage, l'unicité de la date d'évaluation étant d'ordre public.

Problématique des fausses donations-partages égalitaires

L'article 1078 du Code civil commande de retenir la valeur des biens à l'époque de la donation-partage, mais n'impose pas de retenir celle figurant dans l'acte. La Cour de cassation a rappelé ce principe en jugeant que, pour le calcul de la réserve, les biens donnés doivent être estimés à leur valeur réelle au jour de la donation-partage, quelles qu'aient pu être celles énoncées à l'acte654. Ainsi lorsque l'égalité des lots n'est pas possible, il vaudra mieux assumer une franche inégalité que de retenir une fausse égalité de façade qui pourra laisser des germes de discorde et être contestée lors du règlement de la succession.

Quantum et chiffrage de la réserve et de la quotité disponible

– La deuxième opération. – La deuxième opération consiste à déterminer le taux de la réserve et à appliquer ce taux à la masse de calcul préalablement liquidée afin de chiffrer la réserve et corrélativement la quotité disponible. Depuis la loi du 23 juin 2006, qui a supprimé la réserve des ascendants, désormais seuls les descendants (§ I), et à défaut de ceux-ci le conjoint survivant (§ II), ont la qualité d'héritiers réservataires.

Réserve des descendants

– Quotité disponible ordinaire ou spéciale. – Le taux de la quotité disponible en présence de descendants est variable selon qu'il s'agit d'apprécier la réductibilité de libéralités adressées au conjoint survivant ou à d'autres que lui. Dans le premier cas, on parle de quotité disponible ordinaire (A), dans le second cas, de quotité disponible spéciale (B).

Taux de la quotité disponible ordinaire (QDO)

– Taux variable selon le nombre d'enfants. – Le taux de la quotité disponible ordinaire est variable selon le nombre d'enfants laissés par le défunt venant à la succession soit personnellement soit en y étant représentés. L'article 913 du Code civil fixe ces taux à 1/2 si le défunt laisse un enfant, 1/3 si le défunt laisse deux enfants, 1/4 si le défunt laisse trois enfants ou plus. Corrélativement, le taux de la réserve globale est de 1/2, 2/3 ou 3/4 selon que le défunt laisse un, deux ou au moins trois enfants. La réserve globale se calcule donc en fonction du nombre de souches lorsque la succession est dévolue, en tout ou partie, au-delà du premier degré (C. civ., art. 913-1) et se répartit ensuite entre les membres de chaque souche, selon les règles de la dévolution légale.
– Cas de l'enfant renonçant. – Alors qu'avant la loi du 23 juin 2006 la jurisprudence décidait que l'enfant renonçant devait être pris en compte pour le calcul de la quotité disponible, l'article 913, alinéa 2 du Code civil issu de cette loi revient sur cette règle jurisprudentielle, édictant que : « L'enfant qui renonce à la succession n'est compris dans le nombre d'enfants laissés par le défunt que s'il est représenté ou s'il est tenu au rapport d'une libéralité en application des dispositions de l'article 845 ». Donc, pour les successions ouvertes après le 1er janvier 2007, en principe l'enfant renonçant n'est pas pris en compte sauf dans deux cas : lorsqu'il est représenté ou lorsqu'il a bénéficié d'une libéralité qui l'astreint au rapport en cas de renonciation en application de l'article 845 du Code civil.
– Cas de l'enfant unique prédécédé ou renonçant laissant plusieurs descendants. – En application de l'article 913-1 du Code civil, qui précise que : « Sont compris dans l'article 913, sous le nom d'enfants, les descendants en quelque degré que ce soit, encore qu'ils ne doivent être comptés que pour l'enfant dont ils tiennent la place dans la succession du disposant », il y a lieu de considérer que le principe du calcul de la réserve par souche n'est pas modifié même lorsque la succession est dévolue uniquement à des successibles de degrés supérieurs venant de leur propre chef655. Autrement dit, la réserve globale reste inchangée à la moitié de la succession en cas d'enfant unique prédécédé ou renonçant, et ce même si les petits-enfants viennent à la succession de leurs grands-parents de leur propre chef et non par représentation.
– Cas de l'enfant présumé ou déclaré absent. – Si un enfant a cessé de paraître sans que l'on ait de nouvelles, toute personne intéressée ou le ministère public peut demander au juge la mise en place d'une première phase dite « de présomption » durant laquelle l'absent est présumé en vie. L'article 725, alinéa 2 du Code civil dispose que : « Peut succéder celui dont l'absence est présumée selon l'article 112 ». Durant cette phase, la quotité disponible et la réserve doivent être calculées en tenant compte de l'absent. Si ce dernier ne reparaît pas dans le délai de dix ans à compter du jugement de présomption d'absence, le juge peut, à la requête également de toute partie intéressée ou du ministère public, rendre un jugement de déclaration d'absence. En vertu de l'article 128, alinéa 1er du Code civil, le jugement déclaratif d'absence emporte, à partir de sa transcription à l'état civil, tous les effets du décès. À partir de ce moment, l'absent, alors présumé mort, ne doit donc plus être pris en compte pour le calcul de la réserve. Néanmoins, si la survie de l'enfant déclaré absent au jour de l'ouverture de la succession pouvait être prouvée ultérieurement, il conviendrait de procéder à une nouvelle dévolution de la succession. En vertu de l'article 130 du Code civil : « L'absent dont l'existence est judiciairement constatée recouvre ses biens et ceux qu'il aurait dû recueillir pendant son absence dans l'état où ils se trouvent (…) ».

Taux de la quotité disponible spéciale (QDS)

– Branches de l'option. – Le conjoint survivant bénéficie d'une quotité disponible élargie dite « spéciale », fixée par l'article 1094-1 du Code civil. Par conséquent, les libéralités qui lui sont consenties par le de cujus sont moins exposées que les autres à la réduction. Ce texte prévoit une option à trois branches : soit la pleine propriété de la QDO, donc variable comme on l'a vu en fonction du nombre d'enfants, soit 1/4 en pleine propriété et 3/4 en usufruit, soit la totalité en usufruit.
– Titulaire de l'option. – En principe, le titulaire de cette option est le défunt. Toutefois, en pratique et généralement, il la délègue dans la libéralité à son conjoint survivant. Mais c'est bien du de cujus, et non de la loi, que le conjoint survivant tient cette option à trois branches656. Aussi le défunt peut-il l'encadrer ou la limiter comme il l'entend dans les limites posées par l'article 1094-1 du Code civil. Si le conjoint survivant décède avant d'avoir opté, à défaut de clause particulière, l'option est alors transmise à ses héritiers.

Réserve du conjoint survivant

– Taux fixe. – Ce n'est qu'à défaut de descendant que le conjoint bénéficie de la qualité d'héritier réservataire. Sa réserve est fixée invariablement à un quart des biens et donc corrélativement la quotité disponible est fixée aux trois quarts.
– Divorce. – Depuis la loi du 23 juin 2006 entrée en vigueur le 1er janvier 2007, seul le divorce prive le conjoint de sa qualité de successible et d'héritier réservataire. Par conséquent, le de cujus ne pourra pas exhéréder son conjoint réservataire et le priver de sa réserve tant que le divorce ne sera pas prononcé.

L'imputation des libéralités

– Chiffrage de l'assiette de la réserve héréditaire et de la quotité disponible. – Une fois liquidée la masse de calcul, par addition des biens existants, déduction des dettes et charges et réunion fictive des donations, il suffit d'appliquer le taux de réserve applicable à la succession tel qu'exposé ci-dessus pour chiffrer le montant de chacune des deux parts qui composent la succession en présence d'héritiers réservataires, à savoir la réserve héréditaire et la quotité disponible.
– Un retranchement. – La succession étant divisée en deux masses, la réserve et la quotité disponible, l'opération suivante consiste à imputer, c'est-à-dire soustraire les libéralités consenties par le de cujus sur l'assiette de l'une ou l'autre de ces deux masses, afin de vérifier si elles sont excessives et donc réductibles. Cette opération comptable de retranchement de la valeur des libéralités sur l'assiette des deux parts qui composent la succession prend le nom d'imputation des libéralités. Cette imputation s'effectue selon des règles précises à respecter concernant tant l'ordre (§ I) que le secteur d'imputation (§ II), et dans certaines hypothèses des méthodes d'imputation spéciales s'appliquent (§ III). Si la composition de la masse de calcul et le quantum de la réserve précédemment exposés relèvent de l'ordre public successoral, on verra que cette troisième opération, bien que largement impérative, laisse une petite place au pouvoir de la volonté individuelle du de cujus.

L'ordre des imputations

– Préalable d'une pluralité de libéralités. – La question de l'ordre d'imputation ne se pose évidemment que lorsque le de cujus a consenti plusieurs libéralités, mais cet ordre est crucial dans la mesure où il dicte l'ordre de réduction à opérer, s'il y a lieu. Il repose sur la combinaison de trois règles définies aux articles 923, 926 et 927 du Code civil (A). Il sera également exposé les cas particuliers des donations entre époux et des avantages matrimoniaux (B).

Les trois règles légales

– Première règle : les donations s'imputent avant les legs. – Cette règle d'imputation des donations avant les legs d'ordre public se justifie par le principe de l'irrévocabilité des donations. Il en résulte que les donations sont ainsi moins exposées au risque de réduction que les legs.
– Deuxième règle : les donations s'imputent dans l'ordre chronologique, de la plus ancienne à la plus récente. – Cette deuxième règle est également impérative. Les donations les plus anciennes sont donc moins exposées au risque de réduction que les donations les plus récentes. Les donations sans date certaine, par exemple un don manuel non enregistré ou une donation déguisée s'imputent concurremment à la date du décès après toutes les autres donations, mais avant les legs. Si plusieurs donations ont la même date, elles s'imputeront concurremment en vue de leur réduction au marc le franc sauf s'il est possible d'établir un ordre dans lequel elles ont été faites, c'est-à-dire un ordre de signature le même jour ou l'indication de l'heure de signature. Dans le cas de donations faites simultanément, il est admis, par analogie avec les legs, que le défunt puisse définir un ordre de priorité dans leur imputation.
– Troisième règle : l'imputation concurrente des legs. – Les legs s'imputent concurremment entre eux. Leur excès éventuel entraînera leur réduction « au marc le franc, sans aucune distinction entre les legs universels et les legs particuliers » (C. civ., art. 926) (V. no ).
– Institution contractuelle consentie en cours de mariage. – La donation entre époux portant sur des biens à venir, désignée en pratique par l'expression « donation au dernier vivant », ne prenant effet qu'au décès du donateur et étant révocable ad nutum, s'apparente aux dispositions testamentaires dans ses effets. Par conséquent, elle s'impute comme les legs658, après les donations et concurremment avec eux. Mais cette règle est seulement supplétive de volonté. Le défunt peut prévoir que la disposition de biens à venir qu'il consent à son conjoint s'imputera prioritairement et ne sera donc éventuellement réduite qu'après les legs.
– Donation de biens présents entre époux. – Jusqu'à la loi du 26 mai 2004, les donations de biens présents entre époux étaient librement révocables. La raison de cette solution était de protéger le disposant (et sa famille) contre un abus d'influence de son conjoint. Du fait de ses caractéristiques particulières, à la fois donation de biens présents mais révocable ad nutum, elle bénéficiait d'un traitement particulier sur le plan de l'imputation et de la réduction. Elle devait être imputée à sa date et réduite comme une donation ordinaire c'est-à-dire après les legs. Mais, compte tenu de son caractère librement révocable, l'impérativité des règles d'imputation prioritaire et successive des donations ne s'imposait pas au disposant. Il lui était possible de prévoir, dans l'acte de donation ou par un acte ultérieur, l'imputation prioritaire ou concurrente des dispositions entre vifs postérieures ou à cause de mort. Ce régime continue de s'appliquer aux donations de biens présents conclues avant le 1er janvier 2005, date d'entrée en vigueur de la loi du 26 mai 2004. Cette loi a posé au contraire le principe de l'irrévocabilité des donations de biens présents postérieures au 1er janvier 2005. L'article 1096, alinéa 2 du Code civil, issu de cette loi, énonce sans distinction que : « La donation de biens présents qui prend effet au cours du mariage faite entre époux n'est révocable que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958 ». Par conséquent ces donations s'imputent comme des donations ordinaires : à leur date et avant les legs.
– Donation de bien présent à terme (réversion d'usufruit). – L'irrévocabilité posée par la loi du 26 mai 2004 était gênante pour les donations de biens présents entre époux qui ne prennent effet qu'au décès du disposant, telle la réversibilité d'usufruit à titre gratuit, que la jurisprudence qualifie de donation de biens présents à terme659. Aussi la loi du 23 juin 2006 a-t-elle retouché l'article 1096 du Code civil en y introduisant la notion de donation prenant effet au cours du mariage660. Désormais les donations de biens présents postérieures au 1er janvier 2005 et prenant effet au cours du mariage sont soumises au droit commun de l'irrévocabilité spéciale propre aux donations entre vifs. La révocation ne pourra être que judiciaire. En revanche, les donations de biens présents qui ne prennent pas effet au cours du mariage, principalement les réversions d'usufruit, restent sous le régime de la libre révocabilité. Elles peuvent donc être révoquées, notamment par testament. Sur le plan de l'imputation et de la réduction, c'est le même régime que les donations de biens présents entre époux antérieures au 1er janvier 2005 qui continue de s'appliquer à ces donations révocables ad nutum.

Le secteur d'imputation

– Plan. – Après un bref rappel des principes d'imputation (A), seront exposés les cas particuliers du rapport forfaitaire (B) et de la clause d'imputation sur la réserve globale (C).

Principes d'imputation

– Plan. – Il y a lieu de distinguer les libéralités consenties à des non-réservataires (I) et celles adressées à un héritier réservataire (II).
Les libéralités consenties à des non-réservataires
– Imputation sur la quotité disponible exclusivement et réduction en cas de dépassement. – Les libéralités adressées à des non-réservataires qui, par hypothèse, n'ont aucun droit à réserve, ne peuvent s'imputer que sur la quotité disponible et l'excédent est sujet à réduction.
– Le survivant non marié. – Depuis le Code civil de 1804, le lien héréditaire repose exclusivement sur la filiation et sur le mariage. Aussi, le survivant non marié, partenaire ou concubin, est considéré comme un tiers à la succession. À la différence du conjoint survivant, il ne bénéficie que de la quotité disponible ordinaire au titre du secteur d'imputation. Comme pour un étranger gratifié, les libéralités faites au partenaire ou au concubin sont donc réductibles au-delà de la quotité disponible ordinaire.
Les libéralités consenties à un héritier réservataire
– Plan. – Lorsqu'une libéralité a été adressée à un héritier réservataire, le secteur d'imputation va différer selon que l'on est en présence d'une libéralité faite hors part successorale ( a ) ou en avancement de part successorale ( b ).
Les libéralités hors part successorale
– Imputation exclusive sur la quotité disponible. – Selon le principe énoncé à l'article 919-2 du Code civil, la libéralité faite hors part successorale s'impute exclusivement sur la quotité disponible et l'excédent est sujet à réduction. Aussi, la libéralité faite hors part à un héritier réservataire demeure dans les limites de la quotité disponible à l'exclusion de toute imputation subsidiaire sur sa part de réserve. Cette règle impérative ne permet aucune dérogation conventionnelle, sauf le cas particulier de la renonciation anticipée à agir en réduction (RAAR) par les cohéritiers réservataires pour garantir la pleine exécution de la disposition faite hors part à l'un d'eux. Rappelons que les legs relèvent de cette catégorie de libéralités hors part successorale, à moins que le testateur n'ait exprimé la volonté contraire de les soumettre au rapport ; on parle alors de legs d'attribution (C. civ., art. 843, al. 2). Sont également visées par cette règle les donations consenties à un héritier si une clause expresse prévoit la dispense de rapport (C. civ., art. 843, al. 1).
Les libéralités en avancement de part successorale
– Imputation principale sur la réserve et subsidiaire sur la quotité disponible. – L'article 919-1, alinéa 1er du Code civil énonce que « la donation faite en avancement de part successorale à un héritier réservataire qui accepte la succession s'impute sur sa part de réserve et, subsidiairement, sur la quotité disponible, s'il n'en a pas été autrement convenu dans l'acte de donation. L'excédent est sujet à réduction ». L'imputation à titre principal sur la réserve s'explique par le fait qu'une donation rapportable n'est qu'une avance sur succession qui ne doit pas rompre l'égalité entre les héritiers. L'imputation subsidiaire de ces libéralités rapportables sur la quotité disponible va avoir pour effet de restreindre d'autant la faculté du disposant de consentir des libéralités ultérieures. Du côté du donataire, la libéralité étant entièrement rapportable, elle sera comprise pour toute sa valeur dans l'actif partagé afin d'assurer l'égalité entre les héritiers. Autrement dit, si la donation qui lui a été faite en avancement de part est également réductible, cela ne change rien pour lui puisqu'il est déjà tenu de rapporter dans la masse à partager l'intégralité de sa valeur. Aussi, la loi prévoit que cette règle d'imputation subsidiaire sur la quotité disponible n'est que supplétive de volonté. Il est possible d'y déroger conventionnellement dans l'acte de donation en prévoyant une clause d'imputation sur la réserve globale (V. no ?

Cas particuliers : la clause d'imputation sur la réserve globale

– Exclusion de l'imputation subsidiaire sur la quotité disponible. – Afin de préserver la liberté de disposition du de cujus, la loi lui permet d'exclure, dans l'acte d'une donation en avancement de part successorale, l'imputation subsidiaire sur la quotité disponible, limitant ainsi les droits héréditaires de son héritier présomptif gratifié à sa part de réserve. L'avance sur succession sera alors limitée à la part de réserve du gratifié. Cette clause a un intérêt évident pour le disposant s'il veut épargner sa quotité disponible lorsqu'il consent une donation en avancement de part successorale, et conserver le libre usage de sa liberté de disposition en faveur de tiers, son conjoint ou partenaire. En effet, l'étendue exacte de la réserve et de la quotité disponible n'est fixée et connue qu'au décès du de cujus. Lorsqu'il consent une donation en avancement de part, il ne peut pas mesurer précisément l'impact de celle-ci sur sa quotité disponible si l'on s'en tient au dispositif légal d'imputation. C'est pourquoi il peut avoir intérêt à stipuler l'imputation intégrale de sa donation rapportable sur la réserve globale sans imputation sur la quotité disponible. On notera l'ambiguïté qui tient à la dénomination de la clause. Certains auteurs relèvent qu'il serait préférable de la rebaptiser « clause de cantonnement de l'imputation sur la réserve personnelle du gratifié »662. En effet, dès lors que la libéralité excédera la part de réserve du gratifié et empiétera sur celle de ses cohéritiers, elle sera réductible à hauteur de cet empiétement.

Méthodes d'imputation spéciales

Combinaison des quotités disponibles et imputation des libéralités consenties au conjoint

– Méthode dégagée par la jurisprudence. – Lorsque le défunt gratifie à la fois son conjoint survivant et d'autres personnes, héritiers ou tiers, on se trouve alors en présence de deux quotités disponibles, l'une spéciale au profit du conjoint, l'autre ordinaire au profit de toute autre personne, tiers ou héritier. On devine que ces deux quotités disponibles ne peuvent se cumuler puisqu'elles se chevauchent pour partie. Elles doivent donc se combiner. Le Code civil reste muet sur la combinaison de ces quotités disponibles ainsi que sur la méthode d'imputation des libéralités consenties au conjoint survivant sur la quotité disponible spéciale. C'est donc la jurisprudence qui a permis de définir la méthode à suivre en pareil cas, dans un arrêt de principe du 26 avril 1984663.
Combinaison des quotités disponibles
– Trois règles. – Du célèbre arrêt Dreuil du 26 avril 1984, le professeur Grimaldi a dégagé trois règles pour combiner les quotités disponibles664, approuvées par l'ensemble de la doctrine : la première fixe le maximum que chaque libéralité ne saurait excéder, la deuxième, le maximum que l'ensemble des libéralités ne saurait dépasser, la troisième, la méthode d'imputation.
– Première règle : Chaque gratifié est enfermé dans les limites de la quotité disponible que la loi lui assigne (maximum de chaque libéralité). – Cette première règle limite chaque gratifié à la quotité disponible que lui accorde la loi. Ainsi les libéralités consenties au conjoint survivant sont réductibles si elles dépassent la quotité disponible spéciale. Et les libéralités consenties aux autres personnes, tiers ou héritiers, sont sujettes à réduction si elles dépassent la quotité disponible ordinaire.
– Deuxième règle : Toutes les libéralités confondues ne peuvent en aucun cas excéder le disponible ordinaire majoré de ce que lui ajoute le disponible spécial (maximum de l'ensemble des libéralités). – Le maximum des libéralités que puisse consentir le de cujus s'établit donc au disponible ordinaire majoré de l'usufruit de la réserve, soit : en présence d'un enfant, moitié en pleine propriété (QDO) et moitié en usufruit (réserve) ; en présence de deux enfants, un tiers en pleine propriété et deux tiers en usufruit ; et en présence de trois enfants ou plus, un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit.
– Troisième règle : Les libéralités consenties au conjoint s'imputent selon leur nature (propriété ou usufruit). – Si la libéralité n'est qu'en usufruit, elle s'impute principalement sur l'usufruit de la réserve et subsidiairement sur l'usufruit du disponible ordinaire. Si la libéralité est en pleine propriété, elle s'impute principalement sur le disponible ordinaire et subsidiairement sur l'usufruit de la réserve. Toutefois, ces règles d'imputation ne sont valables que lorsque le conjoint survivant opte pour la quotité mixte d'un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit. Il n'en sera pas de même s'il opte pour les deux autres branches de la quotité disponible spéciale.
Imputation des libéralités consenties au conjoint selon l'option choisie de la quotité disponible spéciale
– Choix du secteur d'imputation. – Une quotité disponible se définit à la fois par sa quotité (1/2, 1/3, 1/4) et par sa nature (pleine propriété, usufruit, nue-propriété). Pour imputer les libéralités reçues par le conjoint, il y a lieu de déterminer au préalable le secteur d'imputation choisi par ce dernier (lorsque le disposant lui a laissé ce choix) parmi la triple option proposée à l'article 1094-1, alinéa 1 du Code civil.
– Si la quotité disponible mixte est choisie (1/4 en pleine propriété et 3/4 en usufruit). – Dans son célèbre arrêt Dreuil du 26 avril 1984, la Cour de cassation a dégagé les règles d'imputation des libéralités consenties au conjoint survivant en distinguant les libéralités en pleine propriété et celles en usufruit :
  • lorsque la libéralité est en pleine propriété, elle s'impute principalement sur la quotité disponible en propriété et subsidiairement sur l'usufruit de la réserve, devenant alors réductible pour la nue-propriété ;
  • lorsque la libéralité est en usufruit, à l'inverse, elle s'impute principalement sur l'usufruit de la réserve et subsidiairement sur l'usufruit de la quotité disponible.
– Si la quotité disponible en usufruit est choisie (universalité en usufruit de la succession). – Les libéralités que le conjoint a reçues en pleine propriété ou en nue-propriété sont alors réductibles pour la nue-propriété ; celles qu'il a reçues en usufruit ne sont pas réductibles.
– Si la quotité disponible en propriété est choisie (quotité disponible ordinaire). – Les libéralités que le conjoint a reçues, quelle que soit leur nature (usufruit, nue-propriété ou pleine propriété), s'imputent sur la seule quotité ordinaire et seront réductibles si elles l'excèdent.

Imputation des libéralités démembrées

La problématique de la détection des libéralités démembrées réductibles
– Silence de la loi. – Lorsque le défunt a consenti des libéralités démembrées, entre vifs ou à cause de mort, comment procéder à leur imputation sur les deux masses d'imputation, réserve et quotité disponible, prévues quant à elles par la loi en pleine propriété, et ce afin de vérifier l'atteinte éventuelle à l'intégrité de la réserve ? La loi est silencieuse sur ce point.
– Portée pratique importante. – La portée pratique de cette question est pourtant considérable. D'une part, très souvent des partenaires ou des concubins prévoient un legs en usufruit, généralement sur la résidence du couple qui représente l'élément principal de leur patrimoine, ce qui de facto expose ce legs à un risque accru de réductibilité. D'autre part, cette question qui se pose pour les libéralités en usufruit s'étend aussi aux libéralités en nue-propriété ou portant sur un droit d'usage et d'habitation ou encore avec rente viagère. Rappelons que le conjoint survivant n'est pas concerné par cette problématique, puisqu'en vertu de sa quotité disponible spéciale il peut toujours recevoir l'usufruit de la réserve héréditaire (C. civ., art. 1094-1).
– Deux méthodes envisageables. – Dans le silence de la loi, la doctrine a dégagé deux méthodes envisageables d'imputation des libéralités démembrées :
  • la première est la méthode dite de « l'imputation en valeur », laquelle consiste à convertir le droit démembré donné ou légué en pleine propriété, en vue de l'imputer sur le secteur d'imputation, réserve ou quotité disponible, également en pleine propriété ;
  • la seconde est la méthode dite de « l'imputation en assiette ». Selon cette méthode, pour imputer en assiette la libéralité démembrée, il convient d'abord de démembrer le secteur d'imputation puis d'imputer les droits de même nature (technique dite parfois de la « double colonne »)665. Ainsi, un legs en usufruit va s'imputer sur l'usufruit de la quotité disponible et s'il l'excède sera réductible. Et, de la même façon, un legs en nue-propriété va s'imputer sur la nue-propriété de la quotité disponible et s'il l'excède sera réductible.
– Des résultats différents. – Ces deux techniques n'aboutissent pas au même résultat. La première méthode, de conversion en capital avant imputation, a pour effet de diminuer les risques de réductibilité des libéralités démembrées. Particulièrement lorsque l'usufruitier a un âge avancé, la valorisation de son usufruit pourra souvent s'imputer sur la quotité disponible sans l'excéder.
Aussi l'imputation en assiette est-elle plus respectueuse que l'imputation en valeur de l'intégrité de la réserve héréditaire. Comme le prévoit l'article 912 du Code civil, la réserve doit être servie libre de charges, elle ne peut être mutilée par le droit de jouissance d'un tiers autre que le conjoint survivant, qui est le seul à pouvoir bénéficier d'un usufruit sur la réserve (C. civ., art. 1094-1). Comme l'a souligné Michel Grimaldi666, la réserve ne se caractérise pas seulement quantitativement par une fraction de la masse successorale, mais aussi qualitativement par sa nature juridique, un droit de propriété plénier. Aussi, et dès avant sa consécration jurisprudentielle, la grande majorité de la doctrine et de la pratique notariale se ralliait à cette interprétation.
La consécration de l'imputation en assiette
– Consécration jurisprudentielle. – Une jurisprudence séculaire667 avait rejeté la méthode de la conversion en pleine propriété lorsque la libéralité avait pour objet la nue-propriété. Mais aucun arrêt ne s'était prononcé clairement sur la méthode à retenir lorsque la libéralité portait sur un usufruit. Dans un arrêt de 1991668, la Haute juridiction semblait suggérer la même méthode pour les libéralités en usufruit en rappelant « qu'aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi », ajoutant que « le legs susvisé avait pour effet de priver l'héritier réservataire du droit de jouir et de disposer des biens compris dans sa réserve ». Ce n'est qu'en 2022 que la Haute juridiction a mis fin au débat en consacrant la méthode de l'imputation en assiette. Dans un arrêt de principe du 22 juin 2022669, la Cour suprême proclame que « l'atteinte à la réserve devait s'apprécier en imputant le legs en usufruit sur la quotité disponible, non après conversion en valeur pleine propriété, mais en assiette ».

Exemple

Un défunt, laissant un seul enfant, a consenti à sa compagne un legs de l'usufruit de sa maison d'habitation, laquelle était estimée à 300 000 € en pleine propriété.

La masse de calcul de la quotité disponible et de la réserve (C. civ., art. 922) s'élevait à 400 000 €. En présence d'un enfant, une réserve étant de moitié, soit 200 000 € et la quotité disponible également de 200 000 €.

<strong>1) Selon la méthode proscrite de l'imputation en valeur</strong>

À supposer que les parties conviennent d'évaluer l'usufruit selon le barème fiscal de l'article 669 du Code général des impôts, le legs en usufruit était évalué à 300 000 € × 40 % = 120 000 €.

Selon cette méthode de conversion avant imputation, le legs en usufruit s'impute sur la quotité disponible de 200 000 € sans la dépasser et n'est donc pas réductible.

<strong>2) Selon la méthode consacrée de l'imputation en assiette</strong>

Le legs en usufruit s'impute sur l'usufruit de la quotité disponible (technique de la double colonne) : 300 000 € sur 200 000 €. Le legs est réductible à hauteur de 100 000 € en usufruit.

Sanctions des libéralités démembrées réductibles
– Deux modes de réduction possibles. – Une fois l'atteinte à la réserve détectée, la libéralité est alors dite « réductible ». La réduction n'étant pas de droit comme le rapport successoral, les héritiers doivent la demander. Si tel est le cas, il convient alors de s'interroger sur les modalités d'exécution de cette réduction. Il existe alors deux hypothèses :
  • soit toutes les conditions de l'article 917 du Code civil sont réunies670, la réduction doit avoir alors lieu selon ces dispositions, c'est-à-dire au choix de l'héritier réservataire soit en consentant à l'exécution pure et simple de la libéralité en usufruit grevant sa réserve, sans aucune indemnité, mais en conservant la nue-propriété de la quotité disponible, soit en écartant l'usufruit donné ou légué de sa réserve pour la recouvrir en pleine propriété mais en abandonnant alors la pleine propriété de la quotité disponible ;
  • si toutes les conditions de l'article 917 du Code civil ne sont pas réunies ou bien si le disposant en a écarté expressément les dispositions, la réduction aura lieu d'après le droit commun, en valeur, moyennant une indemnité de réduction. Ce n'est alors qu'à ce stade qu'il y a lieu de convertir l'usufruit en capital afin de calculer cette indemnité de réduction.

Exemple

Reprenons l'exemple précédent et supposons que le défunt a écarté les dispositions de l'article 917 du Code civil.

Une fois déterminée la portion réductible du legs, 100 000 €, il convient de procéder au calcul du montant de l'indemnité de réduction en tenant compte de la valeur de l'usufruit compte tenu de l'âge de l'usufruitier. Si la valeur de l'usufruit est retenue pour 40 %, la compagne sera débitrice d'une indemnité de réduction de 100 000 € × 40 % = 40 000 €.

Liquidation dérogatoire en présence d'une donation-partage (recherche d'un complément de réserve)

Liquidation en présence d'une donation-partage où tous les enfants ont concouru
– Les particularités liquidatives de la donation-partage. – Dès lors qu'une donation-partage a été consentie par le défunt, la succession doit être liquidée selon des modalités spécifiques prévues à l'article 1077-1 du Code civil. Rappelons qu'outre le gel des valeurs au jour de l'acte, la donation-partage présente la double particularité liquidative de ne pas être rapportable aux fins d'égalité à la masse à partager, tout en constituant, sauf volonté contraire du disposant, un avancement de part successorale, c'est-à-dire une avance sur réserve en présence de descendants. Rappelons également que depuis la loi du 3 juillet 1971, la donation-partage n'a plus à être forcément égalitaire. L'article 1075-3 du Code civil671 soustrait même la donation-partage aux sanctions de la lésion. Elle échappe ainsi à toute action en complément de part pour cause de lésion de plus d'un quart du partage. Désormais, la seule limite au déséquilibre d'une donation-partage reste le respect de la réserve héréditaire. L'unique sanction encourue par une donation-partage inégalitaire est donc l'action en réduction.
– Critère de réduction différent. – Du fait de ces particularités, l'article 1077-1 du Code civil prévoit une méthode liquidative dérogatoire en présence d'une donation-partage. Ce texte dispose que : « L'héritier réservataire, qui n'a pas concouru à la donation-partage, ou qui a reçu un lot inférieur à sa part de réserve, peut exercer l'action en réduction, s'il n'existe pas à l'ouverture de la succession des biens non compris dans le partage et suffisants pour composer ou compléter sa réserve, compte tenu des libéralités dont il a pu bénéficier ». Ainsi, alors qu'en principe le critère de la réduction repose sur le dépassement de la quotité disponible, l'article 1077-1 modifie ce critère de la réduction en présence d'une donation-partage : lorsque le lot des réservataires ainsi que les avances de part qu'ils ont reçus sont insuffisants à leur offrir leur réserve, et que les biens existants ne suffisent pas à la compléter, ils peuvent demander la réduction des libéralités. Autrement dit, au lieu de vérifier le dépassement de la quotité disponible, il faut vérifier en l'espèce que chacun a reçu sa réserve.
– Méthode liquidative. – Pour vérifier l'atteinte éventuelle à la réserve en présence d'une donation-partage, le raisonnement est inversé par rapport aux règles de droit commun. Au lieu d'imputer les libéralités sur la réserve, c'est-à-dire de soustraire672, il faut ici additionner pour composer ou compléter la réserve. La méthode liquidative se décline en trois étapes en partant de la donation-partage : après avoir calculé la réserve individuelle de chaque héritier réservataire selon le droit commun, on compose d'abord la réserve individuelle au moyen des lots de la donation-partage puis, si c'est insuffisant, au moyen des donations rapportables reçues du défunt ( a ). Si la part de réserve n'est toujours pas remplie, l'héritier sous-alloti dispose alors d'une action en complément de réserve sur les biens existants ( b ). S'il n'est toujours pas rempli de sa réserve, il dispose enfin de l'action en réduction selon les règles de droit commun ( c ).
Composition de la part de réserve au moyen des avances de part
– Réserve individuelle fournie par le lot de la donation-partage. – Si la réserve individuelle est fournie par le lot de la donation-partage, il en résulte qu'aucune libéralité n'est réductible. Les dispositions à cause de mort peuvent s'exécuter et la masse à partager, comprenant les biens existants non légués augmentés le cas échéant des indemnités de rapport, se répartit entre les héritiers réservataires.
– Réserve individuelle complétée par les donations rapportables. – Si la réserve individuelle n'est pas fournie par le lot de la donation-partage, on la complète avec les avances de part reçues par le donataire copartagé. Si la réserve individuelle est fournie par les avances de part, toute réduction est alors exclue. Les libéralités rapportables reçues par l'héritier cessent de l'être à concurrence du montant permettant de compléter sa réserve, et le demeurent pour le surplus. Comme précédemment, les dispositions à cause de mort peuvent s'exécuter et la masse à partager, comprenant les biens existants non légués augmentés le cas échéant des indemnités de rapport, se répartit entre les héritiers réservataires. Si la réserve individuelle n'est pas fournie par les avances de part, on vérifie alors si les biens existants non légués permettent ce complément de réserve.
L'action en complément de réserve
– Dualité des méthodes. – Pour compléter la part de réserve de l'héritier sous-alloti au moyen des biens existants non légués, se pose alors une question : l'enfant sous-alloti peut-il prélever, avant partage, ce qu'il faut pour compléter sa réserve ou ne le peut-il que dans la mesure où la dévolution légale ne lui fournirait pas son complément de réserve ? La loi est muette sur ce point et la Cour de cassation n'a pas eu l'occasion de se prononcer. Aussi, deux méthodes ont été développées par les juges du fond : l'une par le tribunal de grande instance de Carpentras673, la seconde par le tribunal de grande instance de Paris674. Ces méthodes vont diverger plus spécifiquement en présence d'une donation-partage inégalitaire.
Selon la méthode dite « de Carpentras » (méthode du prélèvement avant partage), l'héritier qui n'a pas reçu sa pleine réserve prélève en tant que de besoin sur les biens existants non légués, et le reliquat est partagé égalitairement entre tous les héritiers réservataires.
Selon la méthode dite « de Paris » (méthode du prélèvement sur la part des cohéritiers), les biens existants non légués sont répartis entre les réservataires et, si cela ne suffit pas à parfaire la réserve, l'intéressé prélève autant que nécessaire et proportionnellement sur la part des autres, lesquels par conséquent recevront moins de biens existants. Si les biens existants non légués ne sont pas suffisants pour parfaire la part de réserve de l'intéressé, il y a lieu alors de procéder à la réduction des libéralités selon les règles de droit commun.
L'action en réduction
– Méthode. – Les libéralités qui empiètent sur la réserve seront réduites dans l'ordre de droit commun, c'est-à-dire en commençant par les libéralités à cause de mort et en poursuivant si nécessaire par les libéralités entre vifs, donations ordinaires et donation-partage, en remontant de la plus récente à la plus ancienne. Bien entendu une donation rapportable ou un lot reçu dans la donation-partage ne pourra être réduit que dans la mesure où il excède la part de réserve de l'intéressé.

Biens existants non légués

On note que les biens existants non légués, objets de l'action en complément de réserve, ne correspondent pas à la masse à partager, celle-ci étant calculée au partage et non au décès, et pouvant être augmentée des rapports et indemnités de réduction. La répartition des biens existants non légués entre les héritiers réservataires dont il est question ici n'est donc qu'une répartition théorique au décès afin de déterminer s'ils sont ou non remplis de leur réserve héréditaire.

Exemples : Comparaison des deux méthodes dites « de Carpentras » et « de Paris »

<strong>Exemple 1 (sans réduction) :</strong> Le défunt laisse deux enfants, A et B, ayant reçu par donation-partage un lot de 300 pour A et un lot valant 800 pour B, et des biens existants valant 1 000 au décès et au partage comprenant le bien légué à C d'une valeur de 100 au décès et au partage.

<strong>1) Calcul de la réserve individuelle</strong>

<strong>2) Composition de la part de réserve au moyen des avances de part</strong>

On commence par vérifier si les héritiers ont reçu leur réserve au regard de la seule donation-partage. A ne l'a pas reçue, il lui manque 700 – 300 = 400. B est pourvu de sa réserve.

A n'a pas reçu d'autres libéralités en avancement de part lui permettant de compléter sa réserve.

<strong>3) Action en complément de réserve sur les biens existants</strong>

Les biens existant non légués représentent une valeur de 1 000 – 100 = 900.

<em>Selon la méthode dite de Carpentras</em>

– Prélèvement avant partage :

A prélève sur les biens existants non légués de quoi compléter sa réserve, soit 400.

Il reste un reliquat de biens existants non légués de 900 – 400 = 500 qui sera partagé égalitairement entre A et B, soit 250 chacun. Le legs à C n'est pas réductible.

– Masse à partager :

<strong>Récapitulatif :</strong>

– A a reçu : son lot dans la donation-partage (300), un complément de réserve prélevé sur les biens existants (400) et ses droits dans la masse à partager (250), soit un total de 950.

– B a reçu : son lot dans la donation-partage (800), et ses droits dans la masse à partager (250), soit un total de 1050.

<strong>Conclusion :</strong> l'inégalité résultant de la donation-partage a été fortement atténuée, passant de 500 à 100.

<em>Selon la méthode dite de Paris</em>

On calcule les droits des réservataires, au décès, dans les biens existants non légués : 1 000 – 100 = 900, dont moitié chacun, soit 450.

– Droits théoriques de chacun des réservataires dans les biens existants non légués :

Avances de partDroits dans les biens existant non léguésTotal
A300450750
B8004501 250

La réserve individuelle étant de 700, chacun est rempli de ses droits à réserve et il n'y a pas lieu d'opérer un prélèvement sur les biens existants.

– Masse à partager

<strong>Récapitulatif :</strong>

– A a reçu : son lot dans la donation-partage (300), et ses droits dans la masse à partager (450), soit un total de 750.

– B a reçu : son lot dans la donation-partage (800), et ses droits dans la masse à partager (450), soit un total de 1250.

<strong>Conclusion :</strong> l'inégalité résultant de la donation-partage qui était de 500 entre A et B est maintenue.

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<strong>Exemple 2 (avec réduction) :</strong> Mêmes données que dans l'exemple 1 à l'exception du bien légué à C, lequel est ici d'une valeur de 800 au décès et au partage.

<strong>1) Calcul de la réserve individuelle</strong>

<strong>2) Composition de la part de réserve au moyen des avances de part</strong>

On commence par vérifier si les héritiers ont reçu leur réserve au regard de la seule donation-partage. A ne l'a pas reçue, il lui manque 700 – 300 = 400. B est pourvu de sa réserve.

A n'a pas reçu d'autres libéralités en avancement de part lui permettant de compléter sa réserve.

<strong>3) Action en complément de réserve sur les biens existants</strong>

Les biens existant non légués représentent une valeur de 1 000 – 800 = 200.

<em>Selon la méthode dite « de Carpentras »</em>

– Prélèvement avant partage :

A prélève l'intégralité des biens existants non légués pour compléter sa réserve, soit 200. Mais il lui manque encore 200 de réserve. Il demande la réduction du legs à C.

Le legs est réductible à hauteur du complément à fournir à A pour le remplir de sa réserve, soit 200, représentant 1/4 de la valeur du bien légué. Le légataire C est débiteur d'une indemnité de réduction de 200.

<strong>Récapitulatif :</strong>

– A a reçu : son lot dans la donation-partage (300), un complément de réserve prélevé sur les biens existants (200) et l'indemnité de réduction versée par C (200), soit un total de 700.

– B a reçu : son lot dans la donation-partage (800).

<strong>Conclusion : </strong>l'inégalité résultant de la donation-partage est fortement atténuée, passant de 500 à 100.

<em>Selon la méthode dite de Paris</em>

On calcule les droits des réservataires, au décès, dans les biens existants non légués : 1 000 – 800 = 200, dont moitié chacun, soit 100.

– Droits théoriques de chacun des réservataires dans les biens existants non légués

Avances de partDroits dans les biens existant non léguésTotal
A300100400
B800100900

La réserve individuelle étant de 700, A doit compléter sa part de réserve pour 400. Les biens existants non légués ne peuvent pas être partagés par moitié comme théoriquement. A va compléter sa part de réserve en prélevant tous les biens existants non légués, soit 200. Il lui manque encore 200. Il demande la réduction du legs pour parfaire sa part de réserve. Le legs est réductible à hauteur de 200, représentant 1/4 de la valeur du bien légué qui vaut 800. Le légataire C est débiteur d'une indemnité de réduction de 200.

<strong>Récapitulatif :</strong>

– A a reçu : son lot dans la donation-partage (300), un complément de réserve prélevé sur les biens existants (200) et l'indemnité de réduction versée par C (200), soit un total de 700.

– B a reçu : son lot dans la donation-partage (800).

<strong>Conclusion :</strong> Comme dans la première méthode, l'inégalité résultant de la donation-partage est fortement atténuée, passant de 500 à 100. Les deux méthodes aboutissent ainsi à des résultats identiques lorsque les biens existants non légués ne suffisent pas à compléter la part réserve et que la réduction doit être demandée.

– Choix de la méthode. – On constate que les deux méthodes dites « de Carpentras » et « de Paris » aboutissent aux mêmes résultats dans deux hypothèses : lorsque la donation-partage est égalitaire et lorsque les biens existants non légués ne suffisent pas à compléter la part réserve et que la réduction doit être demandée. Ce n'est donc que dans l'hypothèse d'une donation-partage inégalitaire et lorsque les biens existants non légués suffisent à compléter la part réserve que les résultats diffèrent. On note qu'aucun argument textuel ne permet de trancher en faveur de l'une ou l'autre des deux méthodes. La doctrine est partagée. Certains auteurs675 montrent une préférence pour la première méthode, alors que d'autres676 considèrent la seconde méthode plus respectueuse de la volonté du défunt qui avait consenti une donation-partage inégalitaire. Aussi, lors du règlement de la succession, il sera recherché la volonté du disposant afin de déterminer la méthode applicable. Le notaire liquidateur devra évoquer aux héritiers les deux méthodes liquidatives envisageables avec leurs conséquences, et ces derniers devront choisir laquelle appliquer. À défaut d'accord entre eux, le juge tranchera.
– Incidence de la RAAR. – Au cas de donations-partages inégalitaires, la renonciation anticipée à l'action en réduction (RAAR) ne se montre que partiellement efficace. Elle immunise uniquement contre l'action en réduction mais pas contre l'action en complément de réserve. L'héritier réservataire sous-alloti ne peut renoncer par anticipation à son droit à prélèvement sur les biens existants non légués, car le pacte autorisé par l'article 929 du Code civil ne le prévoit pas.
Liquidation en présence d'une donation-partage où l'un des enfants n'a pas concouru
– Droits limités à la part de réserve. – La situation de l'enfant qui n'a pas concouru à la donation-partage, soit parce qu'il a été omis par le disposant, soit parce qu'il a été récalcitrant à l'accepter, doit être distinguée de celle de l'enfant qui n'était pas conçu au jour de la donation-partage. Dans le premier cas, l'enfant ne peut prétendre qu'à sa part de réserve selon des modalités spécifiques prévues à l'article 1077-1 du Code civil précédemment envisagées. Alors que dans le second cas (V. infra, no ), l'enfant non conçu est en droit de prétendre à la totalité de sa part héréditaire.
– Maintien de la qualification de donation-partage. – Depuis la loi du 3 juillet 1971, le concours de tous les descendants n'est plus une condition de validité d'une donation-partage (C. civ., art. 1077-1). Même si un enfant n'y a pas concouru, elle conserve sa qualification de donation-partage et ne dégénère pas en donations rapportables677. Elle demeure donc dispensée de rapport aux fins d'égalité mais ne bénéficie pas du gel des valeurs au jour de l'acte.
– Absence de gel des valeurs. – À défaut d'allotissement accepté par tous les héritiers réservataires, la donation-partage ne bénéficie pas du gel des valeurs au jour de l'acte. L'évaluation dérogatoire posée à l'article 1078 du Code civil n'est pas applicable faute de conditions entièrement réunies. Tous les biens figurant dans la donation-partage doivent donc être réévalués selon les règles de droit commun résultant de l'article 922 du Code civil.
– Méthode liquidative. – L'héritier qui n'a pas concouru à la donation-partage et qui n'est pas pourvu de ses droits à réserve dispose, comme l'héritier sous-alloti, d'abord de l'action en complément de réserve sur les biens existants non légués, puis de l'action en réduction si ceux-ci ont été insuffisants à parfaire sa part de réserve. La méthode liquidative est donc la même que celle envisagée précédemment.
Liquidation en présence d'une donation-partage où l'un des enfants n'était pas conçu
– Droits étendus à la part héréditaire. – L'enfant non conçu au jour de la donation-partage bénéficie d'une action particulière prévue à l'article 1077-2, alinéa 3 du Code civil lui permettant de composer ou compléter non pas seulement sa part de réserve comme l'enfant non participant à l'acte, mais la totalité de sa part héréditaire. Cette part héréditaire inclut sa réserve individuelle ainsi que ses droits dans le disponible. Cette faveur est fondée sur l'idée que le de cujus n'a pu vouloir réduire à la réserve la part de l'enfant dont il ignorait l'existence au moment où il a procédé à la donation-partage.
– Héritier présomptif conçu mais non reconnu. – On assimile à l'enfant non conçu au moment de la donation-partage, l'enfant conçu mais dont la conception ou l'existence était inconnue du défunt au jour de la donation-partage ainsi que l'enfant conçu mais adopté après la donation-partage. Mais qu'en est-il de l'enfant naturel dont le disposant avait connaissance au moment de la donation-partage mais dont la filiation n'a été établie qu'ultérieurement ? L'opinion majoritaire considère que cet enfant ne doit pas être assimilé à l'enfant non conçu, mais plutôt à un enfant volontairement omis qui n'a pas concouru à l'acte, dès lors que son auteur avait connaissance de son existence. Il en résulte qu'il ne pourra exiger que sa part de réserve (C. civ., art. 1077-1).
– Régularisation du vivant du donateur. – De son vivant, le disposant pourrait être tenté de refaire une nouvelle donation-partage avec tous ses enfants, en réincorporant la première donation-partage dans la nouvelle, mais le coût fiscal du droit de partage pourra être dissuasif.
– Régime applicable. – La donation-partage ne doit pas préjudicier à l'héritier qui n'était pas conçu au jour où elle a été consentie. En conséquence, d'une part, l'évaluation dérogatoire de l'article 1078 du Code civil prévoyant le gel des valeurs est inapplicable, d'autre part, les lots attribués à ceux qui ont concouru à la donation-partage deviennent rapportables, sauf s'ils ont été expressément stipulés hors part. La donation-partage est alors prise en compte comme une série de donations simples vis-à-vis de l'enfant non conçu, mais uniquement à son égard. Elle reste une donation-partage classique entre les donataires ayant concouru à la donation-partage.
– Méthode liquidative. – Lors du règlement de la succession du disposant, il convient de composer ou compléter la part héréditaire de cet enfant non conçu. Pour cela, trois étapes sont nécessaires :
  • D'abord, on recherche si les libéralités consenties par le défunt, entre vifs ou à cause de mort, sont ou non réductibles. On calcule donc la quotité disponible selon les règles de droit commun prévues à l'article 922 du Code civil en évaluant les biens transmis par donation-partage au décès et l'on procède aux imputations classiquement.
  • Ensuite, on compose une masse qui comprend les biens existants au décès (à l'exclusion de ceux légués hors part successorale), les libéralités rapportables, y compris les lots reçus dans la donation-partage, et les éventuelles indemnités de réduction déterminées lors de la première étape. C'est sur cette masse qu'est déterminée la part héréditaire de l'enfant non conçu. Elle correspond à la quotité lui revenant au titre de sa vocation légale.
  • Enfin, on lui fournit ses droits au moyen, savoir :
À ce stade, deux cas de figure peuvent se présenter. Si ces biens suffisent à composer la part héréditaire de l'enfant non conçu, il s'ensuit alors deux conséquences : d'une part, la donation-partage à laquelle il ne pouvait concourir ne sera pas impactée, d'autre part, l'éventuel reliquat des biens existants se partage entre ses cohéritiers. En revanche, si ces biens ne suffisent pas à composer sa part héréditaire, il y a alors lieu de procéder à la « réduction » de la donation-partage, laquelle s'opère proportionnellement.

Méthode liquidative en cas de renonciation

– Quatre hypothèses envisageables. – Lorsqu'un héritier gratifié en avancement de part successorale renonce à la succession, les règles d'imputation de sa libéralité dépendent de deux critères : le fait, d'une part, que cet héritier renonçant soit ou non représenté dans la succession, et le fait d'autre part, que la donation contienne ou non une clause l'obligeant au rapport en cas de renonciation à la succession. Quatre hypothèses sont alors envisageables. Primo, le renonçant n'est ni représenté, ni astreint au rapport en cas de renonciation dans les conditions de l'article 845 du Code civil. Secundo, le renonçant n'est pas représenté et il est astreint au rapport en cas de renonciation. Tertio, le renonçant est représenté et il n'est pas tenu au rapport en cas de renonciation. Quarto, le renonçant est représenté et est tenu au rapport en cas de renonciation. Ces quatre hypothèses ont été précédemment développées dans le chapitre relatif au rapport, auquel il y a lieu de se reporter678.