L'information des tiers

L'information des tiers

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Information des enfants majeurs. – Suite à la régularisation de l'acte, le notaire doit informer personnellement les parties au contrat de mariage et les enfants majeurs (C. civ., art. 1397, al. 2). Concrètement, le notaire ne doit pas transmettre la copie intégrale de l'acte et se contente de transmettre une information globale avec la nature de la modification envisagée accompagnée d'un résumé des effets.
Toutefois, lorsqu'un descendant au premier degré est prédécédé, se pose la question de l'information de ses propres descendants, qui peuvent notamment venir à sa succession par représentation. À notre sens, la prudence commande d'informer les descendants majeurs dès lors qu'ils ont la qualité d'héritiers présomptifs083. Enfin, si les enfants mineurs, non placés sous le régime de l'administration légale, comme les enfants majeurs font l'objet d'une mesure de protection, le tiers à informer est leur représentant, qui agit sans autorisation préalable du conseil de famille ou du juge des tutelles (C. civ., art. 1397, al. 2).

Le recours au courrier recommandé électronique pour l'information des enfants

L'usage du courrier recommandé électronique fait partie intégrante des pratiques notariales, offrant parfois un certain confort au destinataire du courrier et une solution optimale lorsque le destinataire habite à l'étranger. Cette pratique est autorisée. Néanmoins, le notaire ne devra pas oublier de solliciter en amont l'accord des enfants pour utiliser ce moyen de communication actuelle. À défaut d'accord des enfants, le notaire devra recourir aux formes classiques de notification, c'est-à-dire soit envoyer un courrier recommandé traditionnel, soit faire notifier par exploit de commissaire de justice. Si l'un des enfants refuse de transmettre ses coordonnées, le notaire devra suspendre la régularisation de son acte le temps de trouver une solution, afin d'assurer l'efficacité de son acte. En effet, il est ici rappelé que le défaut de notification n'ouvre pas le délai d'opposition de trois mois. Quid si l'enfant n'ouvre pas la lettre recommandée électronique ? Il est ici rappelé que les textes imposent une information personnelle du contenu du changement de régime matrimonial. À défaut d'ouverture du courrier électronique, cette obligation n'est pas remplie et le délai d'opposition de trois mois ne court pas. D'où l'importance pour le notaire de s'assurer de la délivrance de cette information.
– Information des créanciers. – La seconde catégorie de tiers au changement de régime renvoie à tout tiers intéressé par le changement, et plus précisément aux créanciers des époux.
Concernant la première catégorie de tiers, la forme de la notification est libre mais elle doit naturellement assurer une preuve suffisante pour les époux de la date de prise de connaissance de l'information par le tiers. Il peut donc s'agir par exemple d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou d'une signification.
Concernant les créanciers, parce qu'ils ne peuvent être identifiés individuellement, la loi prévoit que l'information du changement leur est donnée par la publication dans un journal d'annonces légales, dans l'arrondissement ou le département du domicile des époux.
– Droit d'opposition. – Si la convention de changement de régime matrimonial est avant tout l'affaire du couple, le législateur a entendu préserver et concilier les intérêts des époux avec ceux de leurs enfants et des tiers. Pour cela, un droit d'opposition au changement de régime matrimonial a été instauré. La loi offre ainsi la faculté à toutes ces personnes intéressées par le changement de régime, notamment les enfants majeurs et les créanciers, de former une opposition au changement dans les trois mois de sa publication. Cette opposition doit être faite au notaire qui a été chargé d'instrumenter le changement et portée à la connaissance des époux par celui-ci (CPC, art. 1300-1). En cas d'opposition, l'acte notarié de changement de régime matrimonial doit être soumis à l'homologation du juge.
À l'expiration du délai de trois mois, et en l'absence d'opposition, le notaire devra recevoir un acte constatant cette absence d'opposition en prenant le soin d'y annexer la preuve des informations légales réalisées aux fins de conservation. En cas d'opposition, le notaire devra attendre l'issue de la procédure d'homologation.
– Sur l'opportunité du droit d'opposition des enfants. – Si le droit d'opposition des enfants pouvait se comprendre au lendemain de la loi de 2006 comme constituant un premier rempart à la suppression du principe d'immutabilité du régime matrimonial, celui-ci fait désormais l'objet de critiques qui conduisent à s'interroger sur son maintien. Tout d'abord, le contrat de mariage relève de la seule volonté des époux. Ils sont libres, lors de la célébration du mariage, de choisir le régime matrimonial qui sera applicable à leur union, et ce qu'ils aient ou non des enfants. Ces derniers n'ont pas à donner leur avis, ni même à s'opposer au choix des époux quant au régime matrimonial. En cas de situation conflictuelle, et pour éviter toute opposition de la part des enfants lors du changement de régime matrimonial, les époux pourraient décider de divorcer pour ensuite se remarier sous le régime matrimonial de leur choix sans que les enfants aient à se prononcer. Une telle situation serait certes extrême, mais aurait le mérite d'éviter toute opposition des enfants au changement de régime matrimonial des époux. Considérer que la convention de changement de régime matrimonial est également l'affaire des enfants n'est souvent pas bien accepté par les époux. Comment d'autant plus le leur faire comprendre lorsque, en cas de changement de régime établi judiciairement, les juges limitent très généralement l'intérêt de la famille à celui des époux ? En effet, les juges ont apporté des précisions sur cette notion de l'intérêt de la famille en considérant que « l'existence et la légitimité de l'intérêt de la famille doivent faire l'objet d'une appréciation d'ensemble, le seul fait que l'un des membres de la famille risquerait de se trouver lésé n'interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé »084. Le notaire sait en apprécier les contours. S'il estime que le changement de régime matrimonial envisagé ne répond pas à l'intérêt de la famille, il refusera tout simplement de prêter son concours à un tel acte. Par ailleurs, les décisions rendues par les juges du fond pour refuser d'homologuer un changement de régime matrimonial après opposition des enfants majeurs sont tellement rares en pratique que cela démontre que la notion de l'intérêt de la famille est plutôt bien appréhendée par les praticiens085. D'une part, dans le cadre d'un changement de régime matrimonial, la protection des enfants en cas de suppression de leur droit d'opposition pourrait être assurée par la notion de l'intérêt de la famille dont le notaire pourrait être le gardien. D'autre part, il ne faut pas oublier que la protection des enfants non issus des deux époux est également assurée par l'action en retranchement. Il résulte en effet de l'article 1527, alinéa 2 du Code civil que « toute convention qui aurait pour conséquence de donner à l'un des époux au-delà de la portion réglée par l'article 1094-1, au titre « Des donations entre vifs et des testaments », sera sans effet pour tout l'excédent (…) ».
Un autre argument qui militerait également pour la suppression du droit d'opposition des enfants réside dans la discrimination existant entre les époux selon que leur situation présente ou non un élément d'extranéité. Dans le premier cas, le règlement européen en matière de régimes matrimoniaux leur permet de désigner ou de modifier la loi applicable à leur régime matrimonial en cours d'union et, par conséquent, la nature du régime matrimonial qu'ils ont choisi sans que ni le Code civil ni le règlement ne leur imposent de formalités particulières086. Les enfants majeurs et les créanciers ne peuvent pas par conséquent s'y opposer. En revanche, dans le second cas, pour des couples franco-français, ceux-ci doivent obligatoirement respecter la procédure imposée par l'article 1397 du Code civil.
– Sur l'opportunité du droit d'opposition des créanciers. – Le droit d'opposition des créanciers est une mesure protectrice pour ces derniers, en raison du risque de fraude à leurs droits selon l'objet de la modification apportée par les époux : le passage d'un régime de communauté vers un régime séparatiste vient réduire leur gage pour l'avenir, et la mutation d'un bien consécutive à ce changement peut le faire échapper à leur droit de poursuite. En pratique, il est rare de constater des oppositions faites par les créanciers, car même si le changement de régime matrimonial peut nuire à leurs intérêts, c'est avant tout l'acte de partage des biens entre les époux qui sera réalisé ultérieurement qui peut être constitutif d'une fraude à leurs droits. En conséquence, l'exercice du droit d'opposition par les créanciers permet tout simplement au juge d'intervenir, qui disposera alors d'un pouvoir d'appréciation pour homologuer ou non la convention. Ce droit d'opposition ne garantit pas aux créanciers que le juge refusera l'homologation, ni même que le partage ultérieur des biens, suite au changement de régime matrimonial, sera opéré sans fraude à leurs droits. Enfin et surtout, l'article 1397, alinéa 9 du Code civil offre aux créanciers qui ne se sont pas opposés au changement de régime matrimonial la possibilité de solliciter judiciairement que le changement de régime matrimonial des époux leur soit inopposable par le biais de l'action paulienne (C. civ., art. 1341-2), à condition de démontrer que l'opération a été réalisée en fraude de leurs droits. À notre sens, l'existence de cette action paulienne au profit des créanciers milite pour la suppression de leur droit d'opposition.