– Assouplissement des formes. – Les réformes successives en la matière ont abouti à un assouplissement des formes. Le principe est aujourd'hui celui du changement de régime par un simple acte notarié (Sous-section I), qui nécessite une information aux tiers (Sous-section II) et qui doit être contrôlé (Sous-section III).
La procédure de mutation de régime matrimonial
La procédure de mutation de régime matrimonial
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
L'acte notarié
– Forme exigée
ad validitatem
. – La modification ou le changement de régime matrimonial doit être constaté dans une convention, qui prend nécessairement la forme d'un acte notarié (C. civ., art. 1397, al. 1er). La forme notariée est requise ad validitatem, quelle que soit la nature des biens composant le patrimoine conjugal, sous peine de nullité de l'acte. À l'instar de la signature d'un contrat de mariage, il est acquis que la présence des époux doit être simultanée, afin d'assurer leur bonne compréhension des conséquences patrimoniales. Il est également admis que l'un des époux peut être représenté par un mandataire mais, naturellement, en vertu du principe de parallélisme des formes, la procuration devra être obligatoirement notariée et reprendre littéralement toutes les clauses portant modification du régime matrimonial.
– Information des parties. – Au cours des rendez-vous préalables à la rédaction de l'acte, le notaire devra veiller à alerter les époux sur les points suivants :
- la hausse de la fiscalité globale en cas d'attribution de la communauté au survivant. Au premier décès, aucune succession n'est ouverte pour défaut de patrimoine successoral, l'attribution étant un effet de la convention matrimoniale vidant la succession de toute substance. Aussi, les enfants perdront les abattements qu'ils auraient eus de leur parent précédé et les tranches basses d'imposition ne seront pas optimisées. En pratique, le notaire doit informer le couple de l'opportunité de consentir des donations de leur vivant aux enfants pour atténuer les effets du report de la transmission du patrimoine au décès du conjoint survivant ;
- l'information préalable des enfants par les parents : bien souvent, l'information des enfants par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du notaire peut être vécue comme vexatoire. Il est recommandé au notaire d'informer les enfants de ce futur envoi, pour les préparer, ou de demander aux parents de prévenir les enfants ;
- l'anticipation d'un divorce : le notaire doit prévoir l'apport des biens propres mais également de toutes récompenses et créances entre époux et parallèlement une clause alsacienne portant sur les mêmes droits et biens, afin de sécuriser les apports en nature de chacun des époux mais également leurs apports financiers. Naturellement, cette clause n'est pas applicable en cas de décès. Ainsi les récompenses et créances entre époux seront neutralisées, facilitant les opérations liquidatives au moment de la succession.
– Plan. – Nous allons successivement envisager le contenu de l'acte (§ I) puis sa fiscalité (§ II).
Le contenu de l'acte
– Une liquidation si nécessaire. – « À peine de nullité, l'acte notarié contient la liquidation du régime matrimonial modifié si elle est nécessaire » (C. civ., art. 1397, al. 1er). Il doit être rappelé que la liquidation, qui est une opération purement comptable permettant de déterminer les droits théoriques des époux, ne se confond pas avec le partage qui est une opération attribuant des biens indivis aux époux. Tout changement de régime matrimonial n'entraîne pas nécessairement une liquidation du régime matrimonial et encore moins un partage des biens entre les époux.
– Rares sont les partages. – Même si, dans l'idéal, le partage suit la liquidation, l'on constate qu'en pratique les époux se contentent souvent de liquider le régime matrimonial. Cela est dû non seulement au coût du partage075, mais aussi et surtout, s'agissant de deux époux qui demeurent mariés, de l'absence de nécessité pratique d'un partage. Dans la plupart des cas, en effet, les époux restent propriétaires par moitié, sans modification de proportions de propriété, et donc sans que le partage soit indispensable. Dans leur esprit, il est naturel de demeurer tous deux propriétaires du bien, qui est souvent le logement familial. Il en va autrement quand le patrimoine commun concerne des parts de sociétés d'exploitation car, en pareil cas, les époux sociétaires peuvent avoir un intérêt évident au partage.
– Sur la nécessité d'une liquidation. – S'agissant de la liquidation, la question est plus sensible dans la mesure où de nombreux notaires, considérant que celle-ci n'est pas nécessaire, n'y procèdent pas. Reste donc à déterminer à quel moment la liquidation du régime matrimonial modifié est rendue « nécessaire ». Lors de l'instauration d'une obligation liquidative en cas de changement de régime matrimonial, il avait été souligné, à l'occasion des travaux préparatoires076, que la nécessité s'entendait concrètement des cas de passage du régime communautaire à un régime séparatiste, mais qu'à l'inverse le passage du régime de séparation des biens à celui de la communauté universelle n'impliquait pas la nécessité d'établir un état liquidatif. Aujourd'hui, au rebours, certains estiment que tout changement de régime matrimonial devrait nécessiter une liquidation077. À l'exception d'un aménagement marginal du régime initial ou purement technique, ce qui est le cas, par exemple, de l'ajout d'une clause de préciput, d'une clause d'attribution intégrale de la communauté, ou d'exclusion des biens professionnels en régime de participation aux acquêts, nous aurions tendance à suivre cette opinion. Que le régime initial soit une communauté, une séparation de biens, avec ou sans société d'acquêts ou une participation aux acquêts, il paraît indispensable d'identifier, de qualifier et de valoriser les mouvements de valeurs intervenus entre époux, ce qui est la définition même de la liquidation, soit qu'il s'agisse pour les époux d'en prévoir le règlement, sur-le-champ ou à terme, soit qu'il s'agisse de les effacer. Cette nécessité concerne les créances entre époux et les comptes d'indivision éventuels concernant les époux mariés sous un régime séparatiste ou participatif, mais aussi, à l'évidence, les récompenses en régime de communauté et la créance de participation dans le régime de la participation aux acquêts. S'agissant de ces deux dernières, quelques questions méritent cependant une attention toute particulière.
– De la neutralisation des récompenses en cas d'adoption d'un régime de communauté universelle. – Quel est le sort des récompenses passées, c'est-à-dire celles qui sont nées au cours du régime matrimonial de la communauté initiale ? Le passage d'une communauté légale vers une communauté universelle anéantit automatiquement les récompenses qui pouvaient découler du premier régime puisqu'il n'existe plus de masse propre.
Il n'y a pas davantage de récompense en cas d'apport d'un bien propre à une communauté, simplement élargie, sans être universelle. En pareille occurrence, en effet, « non seulement le bien propre a intégré la communauté au moment même de la naissance du régime matrimonial et non pendant son application ; mais de plus, il s'agit en réalité d'un avantage matrimonial, lequel, par définition, ne donne pas lieu à récompense »078. On pourrait ajouter qu'admettre un droit à récompense dans ce cas reviendrait à réduire à néant l'apport en nature réalisé. « La technique de la récompense est donc impuissante à rétablir le déséquilibre que peut ressentir l'époux apporteur au moment de la dissolution de la communauté, la solution d'un tel problème se trouvant dans la stipulation d'une clause de reprise des apports »079.
En pratique, la clause de reprise des apports en cas de divorce est très généralement intégrée dans les actes de changement de régime matrimonial, sauf face à des époux « âgés » qui potentiellement ne divorcent pas. C'est une tendance de la pratique qui est risquée, car l'on divorce aujourd'hui à tout âge.
Plus encore, certains actes notariés de changement de régime matrimonial avec adoption d'un régime de communauté universelle prévoient la neutralisation de toute récompense qui naîtrait en cours de régime, ce qui nous semble inutile et dangereux. Inutile dans la mesure où il subsiste peu de risque d'avoir des récompenses, puisque l'ensemble des biens des époux sont communs. Dangereux car rien n'empêche l'un des époux d'utiliser des revenus communs pour alimenter une relation adultère. Dans ce cas, il semble de bon sens de conserver la possibilité pour son conjoint de solliciter une récompense, sachant que l'article 223 du Code civil n'est ici d'aucune utilité puisque chacun est libre de disposer librement de ses gains et salaires, après avoir contribué aux charges du mariage.
– Du règlement des récompenses en cas d'adoption d'un régime séparatiste ou participatif. – À l'exception d'un changement de régime matrimonial du régime de la communauté légale vers un régime de communauté universelle, qui efface automatiquement toutes les récompenses, il nous semble opportun de chiffrer les récompenses qui peuvent être dues par la communauté ou à la communauté. Mais si le notaire se contente de liquider, il est rare de régler les récompenses entre deux époux qui demeurent mariés et qui imaginent difficilement se régler des créances à ce moment-là. Quid quand les récompenses ne sont pas réglées ?
En cas de changement de régime matrimonial des époux d'un régime de communauté vers un régime de séparation de biens ou participatif, il convient d'avoir à l'esprit que le système de compte de récompenses, qui lie étroitement liquidation de la communauté et règlement des récompenses, explique que le droit à récompense ne peut se prescrire tant que le partage de la communauté peut être demandé080.
Qu'en est-il de son montant ? Si le bien sur lequel la récompense est accolée existe toujours, et en dépit de son changement de nature, le bien commun étant devenu indivis, la récompense continue à évoluer dans son montant tant que la date de jouissance divise n'est pas fixée081. Plus encore, selon les textes, « lorsque la récompense est égale au profit subsistant, les intérêts courent du jour de la liquidation » (C. civ., art. 1473, al. 2), ce qui postule qu'elle soit non seulement réévaluée, mais qu'elle produise en outre des intérêts. C'est dire que l'absence de règlement d'une récompense liquidée peut être lourde de conséquences pour son débiteur.
En revanche, si elle a trait à un bien qui n'existe plus ou si elle est due au nominal, par exemple en cas d'encaissement par la communauté des fonds propres de l'un des époux, la récompense n'évolue plus.
– De la nécessité de liquider la créance de participation. – En cas de changement de régime matrimonial des époux de la participation aux acquêts vers la communauté, il est indispensable de liquider la créance de participation. Il nous paraît opportun, en effet, de ne pas rendre plus délicate encore, en reportant son calcul sine die, la liquidation d'une créance de participation, déjà réputée complexe. Partant, plusieurs options s'offrent aux époux.
La première consiste à liquider et à régler la créance de participation. Que celle-ci fasse l'objet d'un règlement en numéraire ou, ce qui est plus rare, en nature, elle constituera un bien propre pour l'époux créancier.
La deuxième option consiste pour les époux à vouloir neutraliser cette créance, par le biais d'un apport en communauté.
La troisième option consiste pour les époux à ne pas neutraliser la créance liquidée dans son montant. La question du paiement de la créance va alors ressurgir au divorce ou au décès, ce qui soulève plusieurs interrogations : la créance est-elle gelée dans son montant ? Des intérêts sont-ils dus ? Quelles garanties de paiement prévoir ?
Parce qu'il n'y a pas de prescription entre époux (C. civ., art. 2236), l'époux débiteur bénéficiera d'un délai de cinq ans après le divorce ou le décès pour régler la créance de participation, conformément au droit commun de la prescription. La prescription de trois ans de l'article 1578 du Code civil qui vise « l'action en liquidation », c'est-à-dire la fixation de son montant et non le règlement de la créance, sera inapplicable. Pour neutraliser le risque de prescription, le notaire peut ici utilement insérer une clause qui prévoit expressément que la créance sera réglée au moment de la dissolution du régime matrimonial dans l'hypothèse où les époux ou les héritiers ne règlent pas la créance dans les cinq ans qui suivent le divorce ou le décès, sans aller au-delà de dix ans après la cause de dissolution du régime matrimonial (C. civ., art. 2254).
Par principe, la créance est gelée dans son montant. Le notaire doit donc insérer une clause prévoyant des intérêts et une garantie de paiement. La prise d'une garantie entre deux époux encore mariés risque d'être délicate à envisager. La solution consiste à mettre en place une garantie susceptible d'être inscrite à première demande, c'est-à-dire concrètement au moment de la dissolution du régime matrimonial si la créance n'est pas réglée spontanément par son débiteur. S'agissant des intérêts, les époux ont le choix de les faire courir du jour de la liquidation ou de la dissolution, selon leur positionnement. Une solution mixte peut être envisagée : un intérêt pour lutter contre l'érosion monétaire durant le mariage et ainsi protéger le créancier (imaginons un mariage qui dure vingt ans après le changement de régime matrimonial), puis un intérêt plus important (intérêt au taux légal) après la dissolution pour inciter le débiteur à régler sa créance.
La fiscalité de l'acte
– Droits d'enregistrement. – L'exonération des droits d'enregistrement pour les actes portant changement de régime matrimonial en vue de l'adoption d'un régime communautaire, prévue par l'article 1133 bis du Code général des impôts, a été supprimée par abrogation dudit article à compter du 1er janvier 2020. Depuis cette date, l'acte portant modification du régime matrimonial est soumis au droit fixe des actes innommés de 125 € (CGI, art. 847, 1o). Par ailleurs, si la mutation du régime matrimonial aboutit à un partage des biens, l'acte entraîne un droit dû à l'État de 2,5 % calculé sur l'actif net partagé. Si le législateur a ramené ce taux à 1,10 % à compter du 1er janvier 2022 pour les partages des intérêts patrimoniaux consécutifs à une séparation de corps, à un divorce ou à une rupture d'un pacte civil de solidarité, il ne l'a pas étendu aux partages réalisés dans le cadre d'un changement de régime matrimonial. Parce que le coût d'un changement de régime matrimonial peut s'avérer exorbitant pour les époux et les dissuader de le réaliser, il pourrait être envisagé d'étendre le taux de 1,1 % aux changements de régimes matrimoniaux. À défaut, la pratique qui consistait pour des époux à divorcer, lorsque le principe d'immutabilité du régime matrimonial était absolu, pour se remarier ensuite ensemble sous un nouveau régime matrimonial plus conforme à leurs intérêts pourrait retrouver un regain d'intérêt. En effet, un divorce par consentement mutuel déjudiciarisé avec un partage des intérêts patrimoniaux au taux de 1,10 % pourrait s'avérer moins onéreux qu'un changement de régime matrimonial au taux de 2,5 %. La réduction du droit de partage pourrait être subordonnée à la réalisation d'un partage de leurs biens dans un certain délai pour inciter les époux à y procéder rapidement dès lors que leur changement de régime matrimonial est définitif.
– La taxe de publicité foncière. – Outre le droit d'enregistrement, l'acte de changement de régime matrimonial donne lieu à la perception d'une taxe de publicité foncière calculée sur la valeur des immeubles transférés sans oublier la contribution de sécurité immobilière082. Ce sera le cas si les époux partagent des biens dans le cadre de la mutation du régime matrimonial ou si l'un et/ou l'autre effectue(nt) un apport à la communauté à cette occasion. Ainsi, par exemple, si deux époux séparés de biens, propriétaires dans des proportions différentes (60 % pour l'un et 40 % pour l'autre) optent pour une communauté universelle ou apportent le bien à une communauté, alors ledit bien devient la propriété des deux époux par moitié et il faut donc publier l'acte auprès de la publicité foncière.
L'information des tiers
– Information des enfants majeurs. – Suite à la régularisation de l'acte, le notaire doit informer personnellement les parties au contrat de mariage et les enfants majeurs (C. civ., art. 1397, al. 2). Concrètement, le notaire ne doit pas transmettre la copie intégrale de l'acte et se contente de transmettre une information globale avec la nature de la modification envisagée accompagnée d'un résumé des effets.
Toutefois, lorsqu'un descendant au premier degré est prédécédé, se pose la question de l'information de ses propres descendants, qui peuvent notamment venir à sa succession par représentation. À notre sens, la prudence commande d'informer les descendants majeurs dès lors qu'ils ont la qualité d'héritiers présomptifs083. Enfin, si les enfants mineurs, non placés sous le régime de l'administration légale, comme les enfants majeurs font l'objet d'une mesure de protection, le tiers à informer est leur représentant, qui agit sans autorisation préalable du conseil de famille ou du juge des tutelles (C. civ., art. 1397, al. 2).
Le recours au courrier recommandé électronique pour l'information des enfants
L'usage du courrier recommandé électronique fait partie intégrante des pratiques notariales, offrant parfois un certain confort au destinataire du courrier et une solution optimale lorsque le destinataire habite à l'étranger. Cette pratique est autorisée. Néanmoins, le notaire ne devra pas oublier de solliciter en amont l'accord des enfants pour utiliser ce moyen de communication actuelle. À défaut d'accord des enfants, le notaire devra recourir aux formes classiques de notification, c'est-à-dire soit envoyer un courrier recommandé traditionnel, soit faire notifier par exploit de commissaire de justice. Si l'un des enfants refuse de transmettre ses coordonnées, le notaire devra suspendre la régularisation de son acte le temps de trouver une solution, afin d'assurer l'efficacité de son acte. En effet, il est ici rappelé que le défaut de notification n'ouvre pas le délai d'opposition de trois mois. Quid si l'enfant n'ouvre pas la lettre recommandée électronique ? Il est ici rappelé que les textes imposent une information personnelle du contenu du changement de régime matrimonial. À défaut d'ouverture du courrier électronique, cette obligation n'est pas remplie et le délai d'opposition de trois mois ne court pas. D'où l'importance pour le notaire de s'assurer de la délivrance de cette information.
– Information des créanciers. – La seconde catégorie de tiers au changement de régime renvoie à tout tiers intéressé par le changement, et plus précisément aux créanciers des époux.
Concernant la première catégorie de tiers, la forme de la notification est libre mais elle doit naturellement assurer une preuve suffisante pour les époux de la date de prise de connaissance de l'information par le tiers. Il peut donc s'agir par exemple d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou d'une signification.
Concernant les créanciers, parce qu'ils ne peuvent être identifiés individuellement, la loi prévoit que l'information du changement leur est donnée par la publication dans un journal d'annonces légales, dans l'arrondissement ou le département du domicile des époux.
– Droit d'opposition. – Si la convention de changement de régime matrimonial est avant tout l'affaire du couple, le législateur a entendu préserver et concilier les intérêts des époux avec ceux de leurs enfants et des tiers. Pour cela, un droit d'opposition au changement de régime matrimonial a été instauré. La loi offre ainsi la faculté à toutes ces personnes intéressées par le changement de régime, notamment les enfants majeurs et les créanciers, de former une opposition au changement dans les trois mois de sa publication. Cette opposition doit être faite au notaire qui a été chargé d'instrumenter le changement et portée à la connaissance des époux par celui-ci (CPC, art. 1300-1). En cas d'opposition, l'acte notarié de changement de régime matrimonial doit être soumis à l'homologation du juge.
À l'expiration du délai de trois mois, et en l'absence d'opposition, le notaire devra recevoir un acte constatant cette absence d'opposition en prenant le soin d'y annexer la preuve des informations légales réalisées aux fins de conservation. En cas d'opposition, le notaire devra attendre l'issue de la procédure d'homologation.
– Sur l'opportunité du droit d'opposition des enfants. – Si le droit d'opposition des enfants pouvait se comprendre au lendemain de la loi de 2006 comme constituant un premier rempart à la suppression du principe d'immutabilité du régime matrimonial, celui-ci fait désormais l'objet de critiques qui conduisent à s'interroger sur son maintien. Tout d'abord, le contrat de mariage relève de la seule volonté des époux. Ils sont libres, lors de la célébration du mariage, de choisir le régime matrimonial qui sera applicable à leur union, et ce qu'ils aient ou non des enfants. Ces derniers n'ont pas à donner leur avis, ni même à s'opposer au choix des époux quant au régime matrimonial. En cas de situation conflictuelle, et pour éviter toute opposition de la part des enfants lors du changement de régime matrimonial, les époux pourraient décider de divorcer pour ensuite se remarier sous le régime matrimonial de leur choix sans que les enfants aient à se prononcer. Une telle situation serait certes extrême, mais aurait le mérite d'éviter toute opposition des enfants au changement de régime matrimonial des époux. Considérer que la convention de changement de régime matrimonial est également l'affaire des enfants n'est souvent pas bien accepté par les époux. Comment d'autant plus le leur faire comprendre lorsque, en cas de changement de régime établi judiciairement, les juges limitent très généralement l'intérêt de la famille à celui des époux ? En effet, les juges ont apporté des précisions sur cette notion de l'intérêt de la famille en considérant que « l'existence et la légitimité de l'intérêt de la famille doivent faire l'objet d'une appréciation d'ensemble, le seul fait que l'un des membres de la famille risquerait de se trouver lésé n'interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé »084. Le notaire sait en apprécier les contours. S'il estime que le changement de régime matrimonial envisagé ne répond pas à l'intérêt de la famille, il refusera tout simplement de prêter son concours à un tel acte. Par ailleurs, les décisions rendues par les juges du fond pour refuser d'homologuer un changement de régime matrimonial après opposition des enfants majeurs sont tellement rares en pratique que cela démontre que la notion de l'intérêt de la famille est plutôt bien appréhendée par les praticiens085. D'une part, dans le cadre d'un changement de régime matrimonial, la protection des enfants en cas de suppression de leur droit d'opposition pourrait être assurée par la notion de l'intérêt de la famille dont le notaire pourrait être le gardien. D'autre part, il ne faut pas oublier que la protection des enfants non issus des deux époux est également assurée par l'action en retranchement. Il résulte en effet de l'article 1527, alinéa 2 du Code civil que « toute convention qui aurait pour conséquence de donner à l'un des époux au-delà de la portion réglée par l'article 1094-1, au titre « Des donations entre vifs et des testaments », sera sans effet pour tout l'excédent (…) ».
Un autre argument qui militerait également pour la suppression du droit d'opposition des enfants réside dans la discrimination existant entre les époux selon que leur situation présente ou non un élément d'extranéité. Dans le premier cas, le règlement européen en matière de régimes matrimoniaux leur permet de désigner ou de modifier la loi applicable à leur régime matrimonial en cours d'union et, par conséquent, la nature du régime matrimonial qu'ils ont choisi sans que ni le Code civil ni le règlement ne leur imposent de formalités particulières086. Les enfants majeurs et les créanciers ne peuvent pas par conséquent s'y opposer. En revanche, dans le second cas, pour des couples franco-français, ceux-ci doivent obligatoirement respecter la procédure imposée par l'article 1397 du Code civil.
– Sur l'opportunité du droit d'opposition des créanciers. – Le droit d'opposition des créanciers est une mesure protectrice pour ces derniers, en raison du risque de fraude à leurs droits selon l'objet de la modification apportée par les époux : le passage d'un régime de communauté vers un régime séparatiste vient réduire leur gage pour l'avenir, et la mutation d'un bien consécutive à ce changement peut le faire échapper à leur droit de poursuite. En pratique, il est rare de constater des oppositions faites par les créanciers, car même si le changement de régime matrimonial peut nuire à leurs intérêts, c'est avant tout l'acte de partage des biens entre les époux qui sera réalisé ultérieurement qui peut être constitutif d'une fraude à leurs droits. En conséquence, l'exercice du droit d'opposition par les créanciers permet tout simplement au juge d'intervenir, qui disposera alors d'un pouvoir d'appréciation pour homologuer ou non la convention. Ce droit d'opposition ne garantit pas aux créanciers que le juge refusera l'homologation, ni même que le partage ultérieur des biens, suite au changement de régime matrimonial, sera opéré sans fraude à leurs droits. Enfin et surtout, l'article 1397, alinéa 9 du Code civil offre aux créanciers qui ne se sont pas opposés au changement de régime matrimonial la possibilité de solliciter judiciairement que le changement de régime matrimonial des époux leur soit inopposable par le biais de l'action paulienne (C. civ., art. 1341-2), à condition de démontrer que l'opération a été réalisée en fraude de leurs droits. À notre sens, l'existence de cette action paulienne au profit des créanciers milite pour la suppression de leur droit d'opposition.
Le contrôle de l'acte
– Contrôle par le notaire. – La loi du 23 mars 2019 a déjudiciarisé la procédure de mutation du régime matrimonial, faisant du notaire « la tour de contrôle de cette procédure »087. « Au titre de son devoir de conseil, il doit s'enquérir des circonstances, motivant le changement, renseigner les époux sur son opportunité ou peser avec eux les avantages et inconvénients de la modification. Il doit s'assurer que le changement de régime n'est pas réalisé en fraude des droits des tiers, notamment qu'il ne tend pas à organiser frauduleusement l'insolvabilité des époux. Il doit aussi s'assurer de la conformité du changement à l'intérêt de la famille »088. Il est par ailleurs chargé des opérations liquidatives si elles sont nécessaires.
Enfin, depuis la loi du 23 mars 2019089, le notaire doit veiller à sauvegarder les droits des enfants mineurs en pareil cas. Il dispose à cet égard d'un pouvoir d'alerte. S'il estime que le projet de changement de régime matrimonial envisagé par les époux risque de compromettre « manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur » ou s'il est « de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci », il a la possibilité de saisir le juge des tutelles dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 387-3 du Code civil, lequel autorisera ou non les époux à signer la convention notariée. S'il a la conviction que les intérêts patrimoniaux de l'enfant mineur sont mis en péril par le changement de régime matrimonial, le notaire refusera tout simplement de prêter son concours à un tel acte. Il ne prendra même pas la peine de solliciter, au préalable, une autorisation du juge des tutelles090. En revanche, lorsque le doute est permis – il le sera dans tous les changements de régime matrimonial opérés par des époux dans la mesure où leurs intérêts sont nécessairement en opposition avec ceux de leurs enfants mineurs –, il devrait systématiquement solliciter l'autorisation du juge des tutelles091. La déjudiciarisation du changement de régime matrimonial en présence d'enfants mineurs pourrait finalement avoir pour conséquence de transférer le pouvoir d'appréciation sur le juge des tutelles. En pratique, il semblerait que ce juge soit rarement saisi de telles demandes.
– Contrôle par le juge. – Le juge n'est pas totalement écarté de la procédure de mutation du régime matrimonial, mais son intervention est désormais facultative. Elle suppose qu'il existe une difficulté, en l'occurrence une opposition émanant de l'une des personnes dûment informées de l'acte dressé par le notaire. Le juge doit alors apprécier, dans la mesure du possible, que toutes les conditions du changement de régime sont réunies, tant de fond que de forme, et spécialement que celui-ci est conforme à l'intérêt de la famille. Dans l'affirmative, il va homologuer l'acte notarié. Le juge compétent au sein du tribunal judiciaire est le juge aux affaires familiales de la résidence de la famille (COJ, art. L. 213-3, al. 2, 1o et CPC, art. 1300-4 et 1301), lequel intervient suivant les règles relatives à la procédure gracieuse.