L'influence déterminante du mode d'imposition de la société

L'influence déterminante du mode d'imposition de la société

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – La mise à disposition gratuite d'un bien par une société soumise à l'impôt sur les sociétés est si dissuasive (§ I) qu'elle nous conduira à limiter le reste de notre étude aux sociétés fiscalement de personnes (§ II).

La mise à disposition gratuite consentie par une société soumise à l'IS

– Le doux baiser de l'IS. – La diminution progressive du taux de l'impôt sur les sociétés a conduit de nombreux investisseurs à privilégier la constitution de sociétés soumises à l'IS pour y loger leurs investissements immobiliers239. L'application du taux réduit de 15 %, pour la part des bénéfices allant jusqu'à 42 500 €, n'est pas étrangère à ce succès240. Une stratégie astucieuse consiste d'ailleurs à constituer une société différente à l'occasion d'un nouvel investissement immobilier afin d'encapsuler le bénéfice imposable de chaque société dans la limite de 42 500 €.
Certes, en sus de l'impôt sur les sociétés que doit acquitter la société, l'associé doit lui-même supporter une imposition sur les revenus de capitaux mobiliers. Néanmoins, cette imposition, dont le mécanisme général repose sur un prélèvement forfaitaire unique au taux actuel de 12,8 % (auquel s'ajoutent les prélèvements sociaux), n'apparaît qu'en cas de décision de distribution d'un dividende241. Autrement dit, l'associé d'une société à l'IS peut être soumis à une imposition personnelle mais seulement lorsqu'il ouvre le robinet.
En comparaison, le mode d'imposition des sociétés fiscalement de personnes donne l'impression que l'eau fuit de partout, même lorsque le robinet est fermé. En effet, l'associé d'une société fiscalement de personnes est imposé à l'impôt sur le revenu à raison non seulement des bénéfices qu'il a effectivement recueillis, mais encore de sa part des bénéfices non distribués et affectés en réserve242. Ce principe d'appréhension fiscale du résultat non distribué peut entraîner des difficultés de trésorerie évidentes pour les associés, lesquels préféreront pour une large part se tourner vers les SCI soumises à l'IS243 .
– Le baiser mortel de l'IS. – Il faut prendre garde cependant à ne pas encenser trop rapidement l'impôt sur les sociétés. Cette imposition peut présenter de forts inconvénients, notamment dans le cas particulier de l'occupation gratuite d'un logement. Le premier de ces inconvénients réside dans le fait que l'exonération des loyers fictifs prévue par l'article 15, II du Code général des impôts n'est pas applicable lorsque la société est soumise à l'impôt sur les sociétés. La société doit donc intégrer dans son résultat d'ensemble le loyer fictif résultant de l'occupation gratuite afin que celui-ci soit soumis à l'IS244.
Par ailleurs, l'avantage en nature correspondant à la jouissance gratuite d'un immeuble est fiscalement assimilé à un bénéfice distribué : tout se passe comme si l'associé avait perçu un dividende, celui-ci étant constitué par la jouissance gratuite du bien245 . C'est principalement pour ces raisons qu'il est déconseillé pour une SCI d'opter à l'IS si cette société a vocation à détenir un bien qui sera occupé gratuitement par les membres de la même famille. L'occupation gratuite entraînera en effet une taxation non seulement du chef de la SCI (imposition à l'impôt sur les sociétés d'un revenu fictif), mais également du chef des associés (prélèvement forfaitaire unique de 30 % dont l'assiette est fixée par le revenu en nature réputé distribué).
Le notaire doit par ailleurs se méfier des formules automatiques de son logiciel SSII : la clause selon laquelle la société dispose de la possibilité de mettre un logement à la disposition gratuite de ses associés apparaît mécaniquement dans le paragraphe dédié à la description de l'objet social de la société, même lorsque celle-ci relève de l'IS. Il ne s'agit pas tant de bannir systématiquement cette clause mais au moins d'y réfléchir. La décision de maintien de cette activité dans l'objet social devrait conduire le notaire à informer les associés des conséquences fiscales qui pourront en résulter.
– L'acte anormal de gestion en embuscade. – Les SCI soumises à l'IS qui oublieraient de déclarer l'occupation gratuite de leurs associés se risquent à une rectification fiscale fondée sur la théorie de l'acte anormal de gestion246. Cette théorie d'origine jurisprudentielle, fondée sur les articles 38 et 39 du Code général des impôts, permet à l'administration de rectifier le résultat d'une entreprise en y incluant les renonciations à recettes contraires à son intérêt et en y excluant les charges étrangères à une gestion normale247. La théorie de l'acte anormal de gestion est indifférente à la licéité ou l'illicéité de l'opération sur le plan civil : une opération peut donc être parfaitement licite sur le plan civil, mais être qualifiée d'acte anormal de gestion si elle est réalisée à des fins étrangères aux intérêts de l'entreprise248.
S'agissant des occupations gratuites consenties par des sociétés soumises à l'IS, il a été jugé que la théorie de l'acte anormal de gestion est applicable même si l'objet social prévoit la possibilité pour la société de loger gratuitement ses associés249. La normalité de la situation au regard de l'objet social ne confère donc aucune normalité à la gestion qui a présidé à la perte de recettes fiscales. La mise en œuvre de la rectification fiscale entraîne la perception de l'intérêt de retard ainsi que la majoration de 10 %250, voire celle de 40 % si l'administration caractérise un manquement délibéré251.
Les redressements fiscaux opérant à la manière d'un antibiotique à spectre large, la procédure de rectification au titre de l'acte anormal de gestion conduit fréquemment l'administration à s'intéresser au sort des associés et à les rectifier par la même occasion au titre du dividende en nature résultant de l'occupation gratuite du logement252. L'avantage occulte ainsi caractérisé par l'administration fiscale lui permet d'appliquer une majoration de 25 %253. Le cas pratique suivant montre les circonstances qui peuvent conduire à l'application de ces sanctions.

Le traquenard de l'IS en cas d'occupation gratuite

Christophe et Valérie et leurs enfants ont constitué la SCI Lulu afin d'acquérir un appartement à Lyon.

Cet appartement ayant vocation à être donné en location, la SCI opte pour l'impôt sur les sociétés.

Christophe et Valérie souhaitent en effet que les loyers perçus n'augmentent pas leur imposition sur le revenu, ce d'autant plus que les loyers serviront principalement à rembourser l'emprunt contracté par la SCI pour réaliser l'acquisition.

Soumettre la SCI à l'IR conduirait Christophe et Valérie à déclarer au 1<sup>er</sup> janvier de chaque année un revenu réputé distribué alors même que ce revenu serait affecté en réserve.

Suite aux conseils avisés de leur notaire et de leur expert-comptable, ils ont donc opté pour l'IS.

Dix ans plus tard, le locataire quitte l'appartement.

Le logement étant dorénavant vide, Christophe et Valérie laissent leurs enfants occuper gratuitement l'appartement le temps de leurs études. Cette occupation gratuite ne pose pas de difficulté sur le plan financier car le prêt a été totalement remboursé.

L'arrangement de famille qui vient de se produire restera inconnu du notaire et de l'expert-comptable (ce dernier apprend seulement que le locataire est parti). Aucun des deux professionnels n'est en situation d'exercer son devoir de conseil.

L'administration fiscale apprend la situation d'occupation des enfants grâce à la déclaration d'usage du bien qui est effectuée sur « Gérer mes biens immobiliers ».

Elle déclenche alors une rectification fiscale :

La mise à disposition gratuite consentie par une société fiscalement de personnes

– Sociétés fiscalement de personnes et réserve de jouissance. – La mise à disposition gratuite d'un logement par une société civile au profit de ses associés s'épanouit lorsque cette société relève du régime des sociétés fiscalement de personnes. En effet, tout se passe comme si la personnalité fiscale de la société était occultée par celle de ses associés. Il en résulte notamment que la réserve de jouissance concédée par la SCI aux associés bénéficie de l'exonération prévue à l'article 15, II du Code général des impôts254. Corrélativement, la SCI ne peut pas déduire les charges afférentes à ce logement, mais cette situation est en tout point conforme à celle qui se produirait si le logement appartenait personnellement à l'associé. Il ne faut pas croire cependant que le régime des sociétés fiscalement de personnes est toujours propice à une occupation gratuite par les associés.
Une attention particulière doit être portée à la situation spécifique des SARL dites « de famille » que les notaires rencontrent fréquemment. Pour mémoire, les SARL de famille ne constituent pas une catégorie particulière de SARL sur le plan juridique. C'est sur le plan fiscal uniquement qu'elles se démarquent en raison de la qualité de leurs membres, lesquels sont liés par une relation de famille255. Ces sociétés familiales peuvent bénéficier du régime des sociétés fiscalement de personnes en optant spécifiquement pour ce régime. Cependant, cette option, qui est prévue par l'article 239 bis AA du Code général des impôts, suppose que la SARL exerce exclusivement une activité industrielle, commerciale, artisanale ou agricole. Si la société dévie de son activité économique, elle sera soumise à l'IS dans le cadre d'une rectification. C'est à ce stade qu'une problématique particulière peut apparaître pour les SARL de famille qui ont été constituées pour réaliser de la location meublée. La pratique notariale fait souvent le constat que les SARL de famille ont en réalité une activité de location en meublé intermittente : il n'est pas rare que les associés occupent gratuitement le bien immobilier sur des périodes plus ou moins longues. Les conséquences fiscales peuvent être particulièrement graves, comme l'illustre le cas pratique suivant :

L'occupation gratuite ne fait pas bon ménage avec une SARL de famille

Stéphanie et son époux Pierre ont acquis en 2015 une villa à La Baule, qu'ils ont destinée à la location en meublé non professionnelle.

Afin de réaliser cette acquisition, et suivant les conseils de leur notaire, M<sup>e</sup> Casimir, ils ont constitué une SARL de famille qui a opté pour le régime des sociétés fiscalement de personnes en application de l'article 239 bis AA du Code général des impôts.

Le schéma qui leur a été proposé par M<sup>e</sup> Casimir repose sur une idée très simple :

S'ils avaient constitué une SCI, la situation aurait été différente : la location en meublé effectuée par une SCI aurait entraîné l'assujettissement de cette SCI à l'impôt sur les sociétés. Certes, ils auraient toujours pu amortir le bien mais lors de la revente, l'amortissement pratiqué aurait diminué le prix de revient, augmentant ainsi l'impôt de plus-value. C'est sur la base de cette comparaison qu'ils ont constitué une SARL de famille plutôt qu'une SCI à l'IS.

M<sup>e</sup> Casimir avait fini de convaincre Stéphanie et Pierre en leur lisant le BOI-IS-CHAMP-20-20-10, n<sup>o</sup> 110, 4 juill. 2018 : « La location meublée est une activité commerciale par nature et entre dans le champ d'application de l'article 34 du CGI. Les SARL de famille qui exercent une telle activité sont donc éligibles au régime spécial ».

Armés de ces précieux conseils, ils ont constitué en 2015 une SARL de famille et ont réalisé leur acquisition.

Le problème apparaît quelques années plus tard : l'administration fiscale se rend compte que le bien est loué en meublé seulement de mai à septembre et que le reste de l'année, le bien est mis gratuitement à la disposition de ses associés.

L'administration en déduit alors que la SARL n'exerce pas une activité exclusivement commerciale.

Outre le fait que l'administration peut réintégrer dans le résultat la valeur de l'avantage en nature tiré de la jouissance gratuite de l'immeuble pendant les périodes où les associés en ont eu la disposition<sup class="note" data-contentnote=" V. en ce sens, &lt;em&gt;Doc. fisc. Lefebvre&lt;/em&gt;, BIC-IV, n&lt;sup&gt;os&lt;/sup&gt; 7930 et s. ; BIC-V, n&lt;sup&gt;o&lt;/sup&gt; 4510.">256</sup>, elle peut déchoir la SARL du régime des sociétés fiscalement de personnes pour la soumettre à l'IS dans le cadre d'une rectification fiscale.

Les conséquences suivantes se produisent alors :

– Détention d'une résidence principale par l'intermédiaire d'une SCI. – Le phénomène d'occultation de la personnalité fiscale d'une société civile par celle de ses associés trouve une illustration particulière lorsque la société vend l'actif social dans lequel les associés ont fixé leur résidence principale. En théorie, et si l'on s'en réfère aux règles de détermination du résultat fiscal d'une société fiscalement de personnes257, la plus-value ne devrait pas pouvoir bénéficier de l'exonération. En effet, dans une société fiscalement de personnes, la détermination du résultat fiscal s'opère au niveau de la société, celle-ci étant dotée d'une autonomie comptable et fiscale258. Seule l'imposition du résultat se fait entre les mains des associés259. Il s'agit d'une différence majeure avec les sociétés transparentes260. Or, si le résultat est déterminé au niveau de la société, l'exonération pour cession d'une résidence principale ne devrait en principe pas pouvoir s'appliquer, faute pour une personne morale de pouvoir détenir une résidence principale. La loi fiscale est d'ailleurs silencieuse à ce sujet261.
Pourtant la jurisprudence administrative262, suivie par la doctrine administrative263, admet que l'exonération pour cession de la résidence principale puisse s'appliquer lorsque l'associé a fixé sa résidence principale dans le bien vendu par la SCI « de la même manière que s'il en avait été lui-même propriétaire »264. Le phénomène sociologique qui a consisté pour les familles à s'approprier l'outil sociétaire pour détenir le logement familial a pris une ampleur telle qu'il est parvenu à imprimer des solutions qui dépassent la technique pure de raisonnement juridique.
– Comment se faire peur avec une question apparemment simple. – L'exonération de plus-value est subordonnée à la condition que la société mette gratuitement l'immeuble à disposition de l'associé. Cette condition est simple : soit l'associé occupe gratuitement le logement appartenant à la SCI, et dans ce cas il est éligible à l'exonération pour cession de la résidence principale, toutes autres conditions devant par ailleurs être satisfaites ; soit il verse un loyer à la SCI, et dans ce cas la cession est soumise à l'imposition des plus-values265. Cette apparente simplicité de raisonnement ne doit pas occulter les difficultés importantes qui peuvent se nouer au sujet de l'appréciation de la gratuité. Le focus suivant peut donner des sueurs froides.

La prise en charge de frais incombant à la SCI traduit-elle une occupation onéreuse ?

À l'occasion d'un contentieux, l'administration fiscale a remis en cause le bénéfice de l'exonération de plus-value au motif que l'associé versait à la société des sommes d'argent destinées à couvrir les mensualités du prêt contracté par la SCI lors de l'acquisition de l'immeuble.
Selon l'administration, ces versements caractérisaient l'existence d'un loyer au profit de la SCI.
L'associé de la SCI soutenait que, s'il avait versé des sommes sur le compte bancaire de la société, ces sommes ne constituaient pas des loyers mais des apports en compte courant d'associé destinés à couvrir les mensualités de l'emprunt bancaire.
La cour administrative d'appel de Marseille décide le 13 octobre 2016 que « ces apports doivent être regardés comme révélant une mise à disposition à titre onéreux pour l'appréciation de la condition de gratuité de mise à disposition d'un immeuble à titre de résidence principale ». Elle valide en conséquence l'analyse de l'administration fiscale266.
Saisi par le contribuable, le Conseil d'État rend le 28 décembre 2017 la décision suivante : « En jugeant, sans remettre en cause la qualification d'apport en compte courant d'associé donnée par M. A à ces sommes, que de tels apports devaient être regardés comme révélant une mise à disposition à titre onéreux du bien en cause la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Si le ministre demande que soit substitué au motif retenu par la cour celui tiré de ce que les versements opérés sur le compte bancaire de la SCI ne constituaient pas des apports en compte courant d'associé mais devaient être regardés comme des loyers traduisant une mise à disposition à titre onéreux, cette demande de substitution de motifs en cassation, qui implique l'appréciation d'éléments de fait, ne peut être accueillie »267.
Conseil pratique : Il est recommandé à la société familiale de tenir une comptabilité afin que les versements de somme d'argent effectués par les associés soient bien comptabilisés en compte courant. Cette inscription comptable aidera les associés à stabiliser la qualification de compte courant. En effet, dans sa décision du 28 décembre 2017, le Conseil d'État n'interdit pas à l'administration de retenir une qualification différente de celle de compte courant défendue par le contribuable. Simplement, une telle argumentation ne peut intervenir en cassation car elle implique l'appréciation d'éléments de fait. La matérialisation des comptes courants dans les écritures comptables nous semble être une précaution élémentaire pour contrer le risque de rectification fiscale. Cela suppose que la SCI familiale établisse une comptabilité, ce qui est très souvent négligé en pratique.
– Du fiscal vers le civil. – Les conséquences fiscales liées à l'occupation gratuite d'un actif sociétaire ont permis de comprendre que la question ne pouvait en réalité se concevoir que lorsque la société est soumise au régime des sociétés fiscalement de personnes, et plus précisément lorsque l'immeuble appartient à une SCI. Il est temps à présent d'examiner les aspects civils qui peuvent entourer cette occupation. Il s'agit principalement de s'interroger sur les conditions qui permettent à une société de conférer une jouissance gratuite sur un actif social, et surtout sur la manière de sécuriser cette occupation gratuite.