Les situations particulières

Les situations particulières

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025

Le conjoint vulnérable

Le conjoint sans ressources ni patrimoine

– La veuve en situation de précarité. – On constate une forte inégalité entre les hommes et les femmes face au décès de leur conjoint. Les hommes ont le plus souvent des revenus supérieurs à ceux de leur conjointe, les femmes ont donc statistiquement moins de chance de pouvoir maintenir leur niveau de vie. La figure du conjoint survivant est une figure historiquement féminine. Il n'est donc pas rare que le décès du prémourant aggrave la situation de précarité de son épouse. La situation n'est pas nouvelle. Déjà le droit romain réservait à la veuve en situation difficile la quarte du conjoint pauvre. Aujourd'hui le Code civil prévoit un certain nombre de recours alimentaires pour le conjoint « dans le besoin ».
– Les recours alimentaires contre la succession. – L'article 767 du Code civil vient prolonger au-delà de la mort le devoir de secours entre époux de l'article 212 du même code en permettant au conjoint d'obtenir une pension alimentaire. L'octroi de la pension est subordonné à « l'état de besoin » du conjoint, d'une part, et à la solvabilité de la succession, d'autre part. Il doit être sollicité dans le délai d'un an et est prélevé sur l'actif net successoral. Même exhérédé, même renonçant, le conjoint peut revendiquer cette pension alimentaire.
– Les recours alimentaires de droit commun. – Le Code civil impose une obligation alimentaire réciproque entre les personnes unies par un lien étroit de parenté ou d'alliance. La liste légale résultant des articles 205 à 211 du Code civil est limitative. L'obligation existe notamment entre descendants et ascendants à tous les degrés et à l'égard des gendre et bru. Le conjoint peut donc se tourner vers ses enfants, ses petits-enfants ou ses propres ascendants, s'ils sont en vie, et vers son gendre ou sa belle-fille.
– Les prestations sociales du décès. – Le survivant bénéficie au décès de son conjoint de différentes prestations sociales, notamment la pension de réversion de retraite, l'assurance décès du régime général, l'assurance veuvage pour le conjoint démuni.
– Une mission de service public. – Ces questions sont au cœur de la mission de service public du notaire, et relèvent de sa responsabilité sociale et environnementale. Le notaire est le premier point d'accès au droit, il permet de lutter contre les phénomènes d'auto-exclusion et peut être le relais vers d'autres acteurs. À la suite du décès d'un des membres du couple, la signature de l'acte de notoriété, qui sera souvent le seul acte de la succession, est l'occasion parfois unique pour ces familles d'une rencontre avec un notaire. Ses qualités en font un magistrat de l'amiable, un juriste de proximité. Corinne Delmas, sociologue, le décrit comme un pédagogue du droit, soulignant ses qualités humaines, d'écoute et de médiateur. Il est donc important que le notaire se forme à ces sujets essentiels pour apporter l'information à ses clients.

Le conjoint et la dépendance

– Le décès du prémourant et la dépendance du survivant. – Avec le vieillissement de la population, induit par le rallongement de l'espérance de vie, le conjoint veuf est de plus en plus âgé. Selon l'INSEE, les situations de dépendance augmenteront de 25 à 30 % d'ici 2035. En 2024, la France compte 5 000 000 veufs dont 80 % sont des femmes. Le décès de l'un des époux accélère parfois le vieillissement de l'autre. À cela s'ajoutent la solitude, l'isolement, engendrant la dépendance. Ces ayants droit ont donc des besoins particuliers.
– Le rôle du notaire. – Le notaire se doit d'accompagner ces conjoints vulnérables en engageant une réflexion avec la famille à l'issue du règlement successoral du prémourant. Les proches manifestent souvent une attente effective sur ces sujets à l'égard de la profession. L'objectif recherché est double : maintenir le cadre de vie de la personne, d'une part, et anticiper son incapacité future, d'autre part. En plus de ces voies de protection, le notaire pourra conseiller, en outre, la transmission anticipée des biens à la génération suivante pour diminuer la charge mentale et financière de celui qui reste. Celle-ci pourra s'opérer par voie d'allotissement des biens dans le partage lorsque cela est possible, par le biais du cantonnement ou en marge du règlement successoral sous la forme de donations si la personne le souhaite.
– Le maintien du lieu de vie. – Le maintien du lieu de vie est une priorité qui peut paraître à première vue ne pas ressortir de la mission notariale. Pourtant la restructuration du patrimoine du couple opérée par le décès est l'occasion d'organiser le financement de l'adaptation du logement, de l'aide à domicile lorsque nécessaire, en adéquation avec le budget en recettes et dépenses du veuf ou de la veuve. La conservation du logement aussi longtemps que possible, qu'il soit loué ou détenu en propriété, est la solution à privilégier. Pour les personnes aux revenus modestes, le gouvernement alloue une prime depuis le 1er janvier 2024, « MaPrimeAdapt' », afin de permettre à chacun de financer les travaux d'adaptation pour vivre confortablement malgré une perte d'autonomie ou la survenue d'un handicap.
– L'incapacité future. – La seconde expectative est d'anticiper l'incapacité future de la personne vieillissante. Le notaire proposera plusieurs types d'actions. La première est factuelle plus que juridique. En configuration de famille unie, la personne âgée pourra confier à ses proches ou l'un d'entre eux ses accès numériques bancaires et administratifs tout en ratifiant une procuration. La seconde précaution est de signer un mandat de protection future.

Le conjoint et l'incapacité

– Le conjoint incapable et l'option successorale. – Qu'elle soit due à une maladie neurodégénérative (de type Alzheimer) ou à un simple effet du vieillissement, l'incapacité est douloureuse à vivre tant pour le malade que pour les aidants. Elle survient fréquemment de manière insidieuse et peut relever de formes diverses, silencieuses ou bruyantes, léthargiques ou violentes, fantasques ou discrètes. Le décès du prémourant est parfois l'occasion de mettre en place un régime de protection pour le survivant du couple.
Pour les majeurs protégés, l'article 507-1 du Code civil simplifie désormais la procédure en définissant les modalités de l'acceptation successorale. Le tuteur « peut l'accepter purement et simplement si l'actif dépasse manifestement le passif, après recueil d'une attestation du notaire chargé du règlement de la succession ou, à défaut, après autorisation du conseil de famille ou du juge ». Il convient de noter, s'agissant des libéralités, que le legs à titre particulier peut être accepté purement et simplement par le tuteur, alors que le legs universel et le legs à titre universel seront acceptés dans les conditions de l'option légale. Pour ceux qui sont sans protection, tout en étant manifestement en état d'incapacité, il conviendra de solliciter une habilitation familiale.
– Le conjoint incapable et l'option de l'article 757. – S'il est en présence d'enfants communs, le conjoint non gratifié exerce l'option offerte par l'article 757 du Code civil, laquelle ne doit pas être confondue avec l'option successorale. Le choix entre usufruit de la totalité des biens existants ou propriété du quart entraîne une renonciation indirecte au droit non retenu. C'est la raison pour laquelle il doit avoir la capacité de renoncer. Sous le régime de la tutelle, l'option est exercée par le tuteur avec l'autorisation du conseil de famille ou du juge, tandis que sous curatelle elle est effectuée avec l'assistance du curateur sans intervention judiciaire. S'il n'est pas placé sous un régime de protection juridique, une habilitation familiale pourra être sollicitée pour permettre à un membre de la famille d'opter pour l'une des deux branches. Notons que l'option de l'article 1094-1 du Code civil, en présence d'une libéralité, entraîne exactement les mêmes contraintes si la question n'a pas été anticipée dans le corps de la libéralité, et précisons que le cantonnement ne saurait être exercé qu'avec l'accord du juge en présence d'un conjoint incapable sous tutelle.
– L'opposition d'intérêts. – Lorsque le tuteur ou le curateur du conjoint survivant est l'un des enfants, l'exercice de l'option fait naître une opposition d'intérêts entre les parties. Il convient de confier la mission de représentation ou d'assistance à un mandataire ad hoc. Le juge ne saurait habiliter, sauf exception, l'un des descendants à l'effet d'exercer l'option au nom du conjoint survivant.

Le conjoint polygamique

Quelques éléments de définition

– Mariage putatif, bigamie et polygamie. – Le notaire peut être confronté à trois situations distinctes de droit international privé. La première hypothèse est celle d'un défunt marié deux fois dans différents pays. Le premier mariage, n'ayant pas été dissous par divorce, n'a pas empêché la personne de se remarier dans un autre pays. Cette bigamie est une anomalie juridique et n'est pas une bigamie de fait. Elle est le résultat d'une négligence ou d'une ignorance et concerne indifféremment les deux sexes. On parle de mariage putatif lorsque les parties sont de bonne foi. La deuxième situation est celle d'un homme bigame parce que marié plusieurs fois avec des épouses ne connaissant pas toutes le statut polygamique. L'époux marié en France se remarie par exemple en Côte d'Ivoire et vit avec ses deux familles. La troisième hypothèse est celle d'un homme vivant de fait avec plusieurs épouses toutes soumises à un statut polygamique, comme il en existe dans les pays musulmans.
– Bigamie et droit à hériter. – L'hypothèse d'un mariage bigame (les épouses, ou certaines d'entre elles, n'ont pas le statut polygamique) fait émerger la question de la validité du second mariage selon les lois personnelles des époux. Le notaire ne pourra pas reconnaître la validité du mariage si la polygamie n'est pas reconnue selon les lois nationales de chacun des deux époux. En dépit de la bonne foi des parties, le mariage bigame, putatif ou non, est sans effet en matière successorale.

Le mariage putatif

Martin, marié en France, non divorcé et remarié à Las Vegas avec une Américaine, ne sera marié qu'une seule fois au regard du droit français. Seule la première épouse est successible.

La bigamie

Samba, marié en France, non divorcé et remarié en Côte d'Ivoire sous régime polygamique avec une Ivoirienne, ne sera marié qu'une seule fois au regard du droit français. Seule la première épouse est successible.

– Polygamie et droit à hériter. – La polygamie n'est pas une succession de mariages. C'est un modèle de conjugalité qui présuppose que tous les conjoints soient de statut polygamique. Pour être opposable au notaire, il faut que l'union ait été valablement formée à l'étranger. Elle pourrait avoir une incidence successorale en droit français.

La polygamie

Ali, musulman marié en France avec une Française et remarié en Algérie avec une Algérienne, ne sera marié qu'une seule fois au regard du droit français. Mais Mourad, Sénégalais marié deux fois au Sénégal sous le régime de la polygamie et venu s'installer en France, sera marié deux fois au regard du droit français.

Le droit positif

– Une interdiction de principe, pour des effets atténués. – L'union polygamique est interdite aux termes de l'article 147 du Code civil. En dépit de cette interdiction, une telle union est susceptible de produire certains effets en France. La Cour de cassation a retenu que « l'ordre public français ne fait pas obstacle à l'acquisition de droits en France sur le fondement d'une situation créée sans fraude à l'étranger en conformité avec la loi ayant compétence en vertu du droit international privé ». Ceci concerne les mariages valablement conclus à l'étranger et ceux qui ont été conclus sur le territoire français conformément au statut local des époux avant 2010.
– Solution jurisprudentielle actuelle. – La Cour de cassation, dès 1958 dans son célèbre arrêt Chemouni , avait admis qu'un israélite tunisien polygame devenu français puisse se voir réclamer une pension alimentaire par sa seconde épouse sans que l'ordre public français n'en fût troublé. La question a été tranchée en matière successorale dès 1980 par une jurisprudence claire jugeant que l'ordre public ne s'opposait plus aujourd'hui aux droits successoraux de deux épouses d'un étranger polygame dès lors que l'union polygamique avait été contractée régulièrement à l'étranger. La règle a été nuancée par un arrêt du 6 juillet 1988 rejetant cette solution si la première femme était de nationalité française.
– La loi du 24 août 2021. – La récente loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, ayant pour but l'émancipation individuelle contre le repli identitaire, a affirmé le respect des lois et les principes de la République dans tous les milieux exposés à des risques d'emprise séparatiste (services publics, associations, réseaux sociaux et également famille). La question se pose de savoir si la loi, en renforçant en ses articles 25 et suivants le rejet de tout effet juridique de mariages polygamiques des étrangers en France, ne remettra pas en cause ces solutions jurisprudentielles contraires à un ordre public préservant le caractère monogamique du mariage en France. La vocation successorale du conjoint polygamique n'y est pas abordée expressément. Seule la question de la réversion de retraite y est traitée. Bien que non notariale, la solution est éclairante sur ce qui pourrait être proposé à l'avenir en matière successorale. Le texte a précisé qu'une seule pension de réversion devait être versée et qu'en cas de pluralité de conjoints survivants, c'est celui dont l'union a été célébrée en premier qui en bénéficie. On peut s'étonner que la loi n'ait réglé que l'hypothèse du décès de l'homme et n'ait pas visé celui des épouses, profitant à l'époux qui toucherait plusieurs pensions de réversion.

Une solution notariale

– Les conjoints polygamiques survivants et la dévolution française. – Il est donc envisageable, et le cas n'est pas rare, de se retrouver en présence de plusieurs conjoints survivants de statut polygamique par l'effet de la théorie des droits acquis. Le notaire, dans l'hypothèse où la loi française serait applicable à la succession, doit-il raisonner comme la loi du 24 août 2021 en matière de réversion de retraite et ne retenir que le premier mariage ou, considérant qu'il ne s'agit pas de deniers publics mais d'une transmission privée, accorder conformément à la jurisprudence à toutes les épouses le statut de conjoints successibles qui se partageraient les droits légaux du quart en l'absence de testament ?
– Des droits légaux à partager. – Dans l'attente d'une clarification législative, la question doit à notre sens être tranchée en fonction de la jurisprudence actuelle. Deux situations sont à analyser : le décès de monsieur et celui de madame (de l'une des épouses). Nous imaginerons que le défunt laisse des descendants et que les épouses ne sont pas réservataires, ce qui semble sociologiquement le plus probable. Si monsieur décède ab intestat, laissant ses enfants nés des unions successives et plusieurs épouses, elles recueilleront chacune une quote-part du quart en propriété et se partageront le droit temporaire et le droit viager au logement. Si l'une des épouses décède ab intestat, laissant ses enfants et son époux, celui-ci recevra un quart en propriété.