Le conjoint héritier

Le conjoint héritier

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Le conjoint survivant non gratifié. – Les développements qui suivent portent sur les droits légaux successoraux du conjoint survivant marié, quel que soit son régime matrimonial.

La diversité des droits du conjoint

– Le mouvement des années 1990. – Près de deux siècles après un Code civil qui n'avait donné que des droits subsidiaires au conjoint survivant et n'avait connu à son profit que des avancées limitées, et dans la lignée d'évolutions sociologiques perceptibles partout en Europe, la France était prête à sa « révolution ». Malgré cela, la réforme du droit des successions mettant le conjoint survivant au centre des préoccupations familiales a constitué pendant près de vingt ans l'arlésienne législative. Les conclusions du groupe de travail animé par le doyen Carbonnier et le professeur Catala ont conduit au dépôt des projets de loi « Arpaillange » en 1988, « Sapin » en 1991, « Méhaignerie » en 1995, approfondis et amendés par le groupe de travail « Dekeuwer-Défossez » et « Théry » en 1998, puis en 1999, par le Congrès des notaires de Marseille « Demain la famille ». Le Congrès mené par le président Xavier Ginon et son rapporteur général Jacques Combret a su mettre en lumière « l'urgence d'une réforme successorale ». Avec une énergie et un enthousiasme sans nuls pareils, forts du sérieux des rapports successifs et accompagnés par toute l'Université, ils ont su démontrer avec succès, devant Élisabeth Guigou alors garde des Sceaux, toute la nécessité qu'il y avait de légiférer.
– Le temps des réformes, le temps des compromis. – Le temps était venu. Et les réformes sont nées de la loi du 3 décembre 2001 puis de celle du 23 juin 2006. Il n'est pas inutile de rappeler que les deux textes sont des textes de compromis entre les chambres parlementaires qui affichaient deux conceptions différentes de la famille. Le premier de ces textes, fruit de concessions réciproques, fut adopté à l'unanimité. En complément, et sur l'impulsion de Jean Carbonnier et de son groupe de travail, un projet de loi (no 2427) fut enregistré le 29 juin 2005, dont l'ambition initiale était de parachever la refonte totale du titre « Des successions » du Code civil. L'option successorale, l'indivision et le partage ont été profondément réformés, la réserve en valeur consacrée. La loi no 2007-1223 du 21 août 2007 a complété le projet du point de vue de la fiscalité en exonérant le conjoint survivant de droits de mutation par décès (CGI, art. 796-0 bis). Ces deux textes de compromis forment le droit positif du droit successoral français.
– Le « triple bloc d'impérativité » . – La réforme a reconnu au conjoint successible des droits supplétifs et impératifs, qui en font un héritier particulier de premier rang. Le triple bloc assure au survivant veuf un minimum successoral garanti, formé d'un droit à la maintenance portant sur le logement, d'un recours alimentaire et d'un droit à réserve en l'absence de descendant. À ces droits impératifs s'ajoutent des droits successoraux supplétifs de volonté.
– Les droits successoraux légaux du conjoint. – Le conjoint est désormais toujours appelé à la succession. En concours avec des descendants communs, il dispose d'une option portant soit sur l'usufruit des biens existants, soit sur la pleine propriété des biens (C. civ., art. 757). À défaut, c'est-à-dire lorsqu'au moins un des descendants n'est pas issu des deux époux, il recueille nécessairement la propriété du quart des biens. Lorsqu'il est en concours avec les père et mère, il a vocation à la moitié des biens, ou aux trois quarts s'il n'y a qu'un seul ascendant privilégié (C. civ., art. 757-1). Les parents bénéficient en outre d'un droit de retour légal impératif. Si le défunt ne laisse ni ascendant ni descendant, le conjoint est héritier du tout (C. civ., art. 757-2). Les collatéraux privilégiés sont exclus, sous réserve du droit de retour légal, supplétif de volonté.
En présence d'enfant, ces droits sont supplétifs de volonté. Le conjoint peut en être exhérédé dans les conditions de droit commun. En l'absence d'enfant, il devient réservataire au taux invariable d'un quart (C. civ., art. 914-1).
– Les droits sur le logement. – La conservation du toit a été une des priorités de la réforme. La loi a reconnu au conjoint des droits de deux types sur le logement, le droit temporaire d'un an (C. civ., art. 763) et le droit viager (C. civ., art. 764 à 766). Le droit temporaire est un effet direct du mariage et revêt un caractère d'ordre public. Le droit viager se confond le plus souvent avec le bénéfice de l'usufruit. Le conjoint peut en être privé par testament authentique. Nous reviendrons brièvement en deuxième partie, sur leur régime qui ont été étudiés de manière approfondie par plusieurs Congrès des notaires de France.
– Le droit à pension. – L'article 767 du Code civil octroie en outre au conjoint dans le besoin un droit alimentaire.

Les ajustements nécessaires

– Le conjoint, un héritier du tout. – En dépit de certaines incohérences et d'une promotion du conjoint sans doute trop appuyée, la réforme a été accueillie favorablement par les praticiens et les citoyens. Il demeure néanmoins certains points à faire évoluer. Les vingt ans de pratique notariale, éclaircis par vingt ans de jurisprudence, donnent à présent le recul nécessaire pour dépasser les passions, lister les imperfections de ces textes et pouvoir faire les ajustements utiles.
La réforme est-elle allée trop loin ? La question mérite d'être posée, car même sans tenir compte des assurances-vie et des libéralités entre époux réductibles en valeur, la combinaison de la liquidation du régime matrimonial et de la succession, à laquelle s'ajoute le droit au logement qui constitue une part importante du patrimoine, conduit le conjoint à recueillir en pratique la quasi-totalité des biens existants.
– Les pistes d'orientation pour des objectifs contradictoires. – En familles solidaires comme éclatées, les objectifs poursuivis par les ayants droit sont souvent paradoxaux : éviter les indivisions entre les fratries et le nouveau conjoint, protéger le veuf sans léser les enfants, les aider à s'établir et sécuriser le niveau de vie du survivant en lui assurant un maintien dans les lieux. Ce que perçoit le notaire au premier rendez-vous à l'énoncé de ces priorités contradictoires, c'est d'abord une inquiétude du processus de règlement successoral. Les familles unies souhaitent un maintien pour le veuf et une transmission pour les enfants. Les familles désunies craignent un abus de pouvoir du conjoint, des enfants ou de l'un des membres de la fratrie et cherchent à s'en prémunir en évitant les situations de blocage. Les pistes que nous avons choisi de retenir sont des voies de simplification et de protection dans l'intérêt de la famille, qui nous paraissent supérieures à celles considérées séparément du de cujus, du conjoint et des enfants. Des ajustements techniques et juridiques pour redonner plus de place aux descendants en l'absence de libéralité peuvent certainement être proposés.

L'avenir de l'article 758-5 du Code civil

– Exemple chiffré. – L'article 758-5 du Code civil définit la masse sur laquelle se calculent les droits en toute propriété du conjoint survivant non gratifié. Les droits légaux du conjoint sont égaux à la plus faible des deux sommes représentant ses droits théoriques et la masse d'exercice. En cette matière plus qu'en toute autre, un exemple sera préférable à un long exposé. Il servira de guide à la réflexion sur l'avenir de l'article 758-5 du Code civil.

La masse de calcul de l'article 758-5 du Code civil

Florence et Jean ont trois grands enfants : Romain, Christophe et Étienne.

Ils ont procédé à une donation-partage entre leurs enfants, portant sur des actifs financiers pour 180 000 € dont 90 000 € donnés par chaque parent. Monsieur a consenti en outre une donation rapportable à Romain d'un studio à Montpellier d'une valeur actuelle de 150 000 €.

Au décès de monsieur, le conjoint a vocation à recueillir un quart ou l'usufruit des biens existants. Le conjoint choisit un quart en propriété.

Les biens existants s'élèvent à 80 000 €.

Une question se pose s'agissant de la donation-partage. Doit-elle ou non faire partie de cette masse ? Nous l'inclurons par hypothèse dans le calcul.

<strong>1<sup>re</sup> étape :</strong> calculer les droits théoriques du conjoint (C. civ., art. 758-5, al. 1).

La masse de calcul de l'article 758-5 du Code civil s'établit ainsi :

Biens existants80 000 €
Donation rapportable150 000 €
Donation-partage90 000 €
TOTAL (assiette du quart)320 000 €
Soit un quart80 000 €

<strong>2<sup>e</sup> étape :</strong> s'assurer que les enfants sont pourvus de leur part de réserve.

La masse de calcul de l'article 922 du Code civil s'établit comme suit :

Biens existants80 000 €
Donation rapportable150 000 €
Donation-partage90 000 €

La réserve héréditaire globale est de 240 000 €.

La réserve héréditaire individuelle est de 80 000 €.

La quotité disponible est de 80 000 €.

<strong>3<sup>e</sup> étape :</strong> imputer les libéralités (étape simplifiée).

Après imputation, on constatera que les enfants sont remplis de leur part de réserve et que les libéralités ne sont pas réductibles.

<strong>4<sup>e</sup> étape</strong> : calculer la masse d'exercice des droits du conjoint (C. civ., art. 758-5, al. 2).

La masse d'exercice comprend les biens existants sans préjudice de la réserve et des droits de retour et après déduction des biens légués, soit en l'espèce 80 000 €.

<strong>Solution :</strong> Le conjoint survivant a donc vocation au titre de son quart légal à prendre la totalité des biens existants. Romain devra verser une indemnité de rapport de 150 000 € qui reviendra à ses frères Christophe et Étienne pour 1/3 chacun et Romain 1/3 en moins prenant.

– Un mécanisme savant. – Ce calcul, imposé par le législateur de 2001, simplifié ici pour les besoins de la démonstration, est dans les faits rarement appliqué, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le cas d'un conjoint héritier légal du quart, non gratifié, est assez rare. Ensuite, le mécanisme est fort peu connu, dans la mesure où la masse de l'article 758-5 du Code civil est souvent confondue dans la pratique notariale avec celle de l'article 922. Il est à notre sens source de responsabilité notariale. Enfin, le résultat imposé par l'article ne correspond pas à ce que les concitoyens ont en tête. Ils imaginent que le quart ne porte que sur les biens existants. Le conjoint non gratifié n'espère pas recueillir la totalité des actifs au décès. Il n'en a pas la légitime espérance. À cette complexité s'ajoutent deux questions complémentaires. La première est liée à l'imputation du droit viager au logement sur les droits légaux, la seconde à l'imputation des libéralités faites au conjoint sur ses droits légaux.
– Un mécanisme incertain. – Depuis plus de vingt ans s'éternise une controverse sur la nature des libéralités qui composent la masse de calcul. Nous ne reviendrons pas sur les arguments développés par la doctrine. Nous constaterons simplement que la requalification des anciennes donations-partages de quotes-parts indivises en donations simples pourrait faire naître un contentieux futur à l'initiative des conjoints qui souhaiteraient élargir l'assiette de leurs droits. Modifier l'article 758-5 du Code civil en précisant que les donations « en avancement de part successorale » font partie de la masse serait une possibilité, mais, à notre sens, insuffisante.
– Un mécanisme à supprimer. – Nous sommes donc confrontés à un article qui n'est pas appliqué par les praticiens, qui n'est pas compris par la population, qui ne correspond pas à l'attente du conjoint, qui est facteur d'insécurité juridique, qui est source de responsabilité notariale et incertain dans son application. Voilà six bonnes raisons pour réfléchir à sa neutralisation. Néanmoins, abroger l'article 758-5 du Code civil afin que le conjoint recueille non pas un quart des biens d'une masse, mais un quart des biens existants au décès, aurait un impact sur l'architecture globale. Il conviendrait de modifier en outre l'article 757 du Code civil comme suit :
« Si l'époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens existants lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ».
Il conviendrait de maintenir l'article 758-6 du Code civil, qui prescrit la règle du non-cumul des libéralités et des droits légaux, en précisant s'il est d'ordre public, en explicitant sa portée et en retirant la référence à l'article 757-1 de la manière suivante :
« Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis (aux articles) à l'article 757 (et 757-1), le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l'article 1094-1 ».
Cette référence à l'article 757-1 du Code civil est en effet difficile à comprendre, car en présence des ascendants, le conjoint est réservataire et l'article 1094-1 du Code civil n'a pas vocation à s'appliquer en pareille hypothèse. En outre, la question de savoir s'il est d'ordre public ou non et quelle est sa portée confortera la pratique notariale.

Élargir l'option légale du conjoint survivant

– L'option légale du conjoint survivant. – Selon l'article 757 du Code civil, « le conjoint survivant recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ».
L'objectif recherché par le législateur de 2001 était d'éviter d'imposer aux enfants non communs un usufruit viager les écartant du bénéfice effectif immédiat de l'héritage. Lorsque le conjoint survivant, souvent la deuxième épouse, est beaucoup plus jeune que le défunt, les enfants n'héritent qu'à l'extinction de l'usufruit de leur belle-mère, c'est-à-dire régulièrement au moment de leur propre fin de vie. Le parti pris du législateur était également de présumer que la relation entre beaux-parents et beaux-enfants était conflictuelle. L'objectif était louable, mais l'on constate en pratique que l'option du quart est généralement inadaptée. Outre ses aspects liquidatifs très complexes, elle fait sortir les biens de la famille en configuration recomposée, elle crée une indivision entre des personnes qui n'ont pas vocation à hériter l'une de l'autre, elle a un effet fiscal qui peut conduire à une double taxation et elle procède à une transmission au profit d'un veuf statistiquement âgé qui n'attendait en général qu'un maintien de l'existant.
En situation de famille avec enfants communs, l'option du quart n'est pas non plus une option courante. Elle cède systématiquement le pas devant l'usufruit de la totalité des biens existants. Une autre étrangeté du texte est de placer les époux dans des situations différentes. Car l'article 757 du Code civil ne distingue pas les familles recomposées des familles dites « traditionnelles », mais distingue selon que le de cujus a ou non des enfants uniquement communs, si bien qu'au sein de la même famille l'un des époux peut être bénéficiaire des deux branches de l'option, tandis que l'autre n'a que le quart. Les conjoints ne peuvent donc pas espérer un traitement réciproque s'ils ne prennent pas de dispositions particulières. Pour concilier la visée initiale du texte avec l'intérêt de la famille, le professeur Catala avait proposé que l'usufruit du conjoint ne s'exerce que sur la part des enfants communs. L'idée est ingénieuse et idéale, mais nous paraît un peu complexe.
– Une suggestion de prospective. – L'alignement des droits du conjoint en présence d'enfants, qu'ils soient tous issus des époux ou non, nous paraît être une voie à explorer. L'option légale entre le quart en pleine propriété et l'usufruit sur le tout pourrait être offerte à tous les conjoints quelle que soit la configuration familiale. Le futur défunt, en cas de probable conflit, conserverait la possibilité d'écarter l'option pour l'usufruit universel.

Les situations particulières

Le conjoint vulnérable

Le conjoint sans ressources ni patrimoine

– La veuve en situation de précarité. – On constate une forte inégalité entre les hommes et les femmes face au décès de leur conjoint. Les hommes ont le plus souvent des revenus supérieurs à ceux de leur conjointe, les femmes ont donc statistiquement moins de chance de pouvoir maintenir leur niveau de vie. La figure du conjoint survivant est une figure historiquement féminine. Il n'est donc pas rare que le décès du prémourant aggrave la situation de précarité de son épouse. La situation n'est pas nouvelle. Déjà le droit romain réservait à la veuve en situation difficile la quarte du conjoint pauvre. Aujourd'hui le Code civil prévoit un certain nombre de recours alimentaires pour le conjoint « dans le besoin ».
– Les recours alimentaires contre la succession. – L'article 767 du Code civil vient prolonger au-delà de la mort le devoir de secours entre époux de l'article 212 du même code en permettant au conjoint d'obtenir une pension alimentaire. L'octroi de la pension est subordonné à « l'état de besoin » du conjoint, d'une part, et à la solvabilité de la succession, d'autre part. Il doit être sollicité dans le délai d'un an et est prélevé sur l'actif net successoral. Même exhérédé, même renonçant, le conjoint peut revendiquer cette pension alimentaire.
– Les recours alimentaires de droit commun. – Le Code civil impose une obligation alimentaire réciproque entre les personnes unies par un lien étroit de parenté ou d'alliance. La liste légale résultant des articles 205 à 211 du Code civil est limitative. L'obligation existe notamment entre descendants et ascendants à tous les degrés et à l'égard des gendre et bru. Le conjoint peut donc se tourner vers ses enfants, ses petits-enfants ou ses propres ascendants, s'ils sont en vie, et vers son gendre ou sa belle-fille.
– Les prestations sociales du décès. – Le survivant bénéficie au décès de son conjoint de différentes prestations sociales, notamment la pension de réversion de retraite, l'assurance décès du régime général, l'assurance veuvage pour le conjoint démuni.
– Une mission de service public. – Ces questions sont au cœur de la mission de service public du notaire, et relèvent de sa responsabilité sociale et environnementale. Le notaire est le premier point d'accès au droit, il permet de lutter contre les phénomènes d'auto-exclusion et peut être le relais vers d'autres acteurs. À la suite du décès d'un des membres du couple, la signature de l'acte de notoriété, qui sera souvent le seul acte de la succession, est l'occasion parfois unique pour ces familles d'une rencontre avec un notaire. Ses qualités en font un magistrat de l'amiable, un juriste de proximité. Corinne Delmas, sociologue, le décrit comme un pédagogue du droit, soulignant ses qualités humaines, d'écoute et de médiateur. Il est donc important que le notaire se forme à ces sujets essentiels pour apporter l'information à ses clients.

Le conjoint et la dépendance

– Le décès du prémourant et la dépendance du survivant. – Avec le vieillissement de la population, induit par le rallongement de l'espérance de vie, le conjoint veuf est de plus en plus âgé. Selon l'INSEE, les situations de dépendance augmenteront de 25 à 30 % d'ici 2035. En 2024, la France compte 5 000 000 veufs dont 80 % sont des femmes. Le décès de l'un des époux accélère parfois le vieillissement de l'autre. À cela s'ajoutent la solitude, l'isolement, engendrant la dépendance. Ces ayants droit ont donc des besoins particuliers.
– Le rôle du notaire. – Le notaire se doit d'accompagner ces conjoints vulnérables en engageant une réflexion avec la famille à l'issue du règlement successoral du prémourant. Les proches manifestent souvent une attente effective sur ces sujets à l'égard de la profession. L'objectif recherché est double : maintenir le cadre de vie de la personne, d'une part, et anticiper son incapacité future, d'autre part. En plus de ces voies de protection, le notaire pourra conseiller, en outre, la transmission anticipée des biens à la génération suivante pour diminuer la charge mentale et financière de celui qui reste. Celle-ci pourra s'opérer par voie d'allotissement des biens dans le partage lorsque cela est possible, par le biais du cantonnement ou en marge du règlement successoral sous la forme de donations si la personne le souhaite.
– Le maintien du lieu de vie. – Le maintien du lieu de vie est une priorité qui peut paraître à première vue ne pas ressortir de la mission notariale. Pourtant la restructuration du patrimoine du couple opérée par le décès est l'occasion d'organiser le financement de l'adaptation du logement, de l'aide à domicile lorsque nécessaire, en adéquation avec le budget en recettes et dépenses du veuf ou de la veuve. La conservation du logement aussi longtemps que possible, qu'il soit loué ou détenu en propriété, est la solution à privilégier. Pour les personnes aux revenus modestes, le gouvernement alloue une prime depuis le 1er janvier 2024, « MaPrimeAdapt' », afin de permettre à chacun de financer les travaux d'adaptation pour vivre confortablement malgré une perte d'autonomie ou la survenue d'un handicap.
– L'incapacité future. – La seconde expectative est d'anticiper l'incapacité future de la personne vieillissante. Le notaire proposera plusieurs types d'actions. La première est factuelle plus que juridique. En configuration de famille unie, la personne âgée pourra confier à ses proches ou l'un d'entre eux ses accès numériques bancaires et administratifs tout en ratifiant une procuration. La seconde précaution est de signer un mandat de protection future.

Le conjoint et l'incapacité

– Le conjoint incapable et l'option successorale. – Qu'elle soit due à une maladie neurodégénérative (de type Alzheimer) ou à un simple effet du vieillissement, l'incapacité est douloureuse à vivre tant pour le malade que pour les aidants. Elle survient fréquemment de manière insidieuse et peut relever de formes diverses, silencieuses ou bruyantes, léthargiques ou violentes, fantasques ou discrètes. Le décès du prémourant est parfois l'occasion de mettre en place un régime de protection pour le survivant du couple.
Pour les majeurs protégés, l'article 507-1 du Code civil simplifie désormais la procédure en définissant les modalités de l'acceptation successorale. Le tuteur « peut l'accepter purement et simplement si l'actif dépasse manifestement le passif, après recueil d'une attestation du notaire chargé du règlement de la succession ou, à défaut, après autorisation du conseil de famille ou du juge ». Il convient de noter, s'agissant des libéralités, que le legs à titre particulier peut être accepté purement et simplement par le tuteur, alors que le legs universel et le legs à titre universel seront acceptés dans les conditions de l'option légale. Pour ceux qui sont sans protection, tout en étant manifestement en état d'incapacité, il conviendra de solliciter une habilitation familiale.
– Le conjoint incapable et l'option de l'article 757. – S'il est en présence d'enfants communs, le conjoint non gratifié exerce l'option offerte par l'article 757 du Code civil, laquelle ne doit pas être confondue avec l'option successorale. Le choix entre usufruit de la totalité des biens existants ou propriété du quart entraîne une renonciation indirecte au droit non retenu. C'est la raison pour laquelle il doit avoir la capacité de renoncer. Sous le régime de la tutelle, l'option est exercée par le tuteur avec l'autorisation du conseil de famille ou du juge, tandis que sous curatelle elle est effectuée avec l'assistance du curateur sans intervention judiciaire. S'il n'est pas placé sous un régime de protection juridique, une habilitation familiale pourra être sollicitée pour permettre à un membre de la famille d'opter pour l'une des deux branches. Notons que l'option de l'article 1094-1 du Code civil, en présence d'une libéralité, entraîne exactement les mêmes contraintes si la question n'a pas été anticipée dans le corps de la libéralité, et précisons que le cantonnement ne saurait être exercé qu'avec l'accord du juge en présence d'un conjoint incapable sous tutelle.
– L'opposition d'intérêts. – Lorsque le tuteur ou le curateur du conjoint survivant est l'un des enfants, l'exercice de l'option fait naître une opposition d'intérêts entre les parties. Il convient de confier la mission de représentation ou d'assistance à un mandataire ad hoc. Le juge ne saurait habiliter, sauf exception, l'un des descendants à l'effet d'exercer l'option au nom du conjoint survivant.

Le conjoint polygamique

Quelques éléments de définition

– Mariage putatif, bigamie et polygamie. – Le notaire peut être confronté à trois situations distinctes de droit international privé. La première hypothèse est celle d'un défunt marié deux fois dans différents pays. Le premier mariage, n'ayant pas été dissous par divorce, n'a pas empêché la personne de se remarier dans un autre pays. Cette bigamie est une anomalie juridique et n'est pas une bigamie de fait. Elle est le résultat d'une négligence ou d'une ignorance et concerne indifféremment les deux sexes. On parle de mariage putatif lorsque les parties sont de bonne foi. La deuxième situation est celle d'un homme bigame parce que marié plusieurs fois avec des épouses ne connaissant pas toutes le statut polygamique. L'époux marié en France se remarie par exemple en Côte d'Ivoire et vit avec ses deux familles. La troisième hypothèse est celle d'un homme vivant de fait avec plusieurs épouses toutes soumises à un statut polygamique, comme il en existe dans les pays musulmans.
– Bigamie et droit à hériter. – L'hypothèse d'un mariage bigame (les épouses, ou certaines d'entre elles, n'ont pas le statut polygamique) fait émerger la question de la validité du second mariage selon les lois personnelles des époux. Le notaire ne pourra pas reconnaître la validité du mariage si la polygamie n'est pas reconnue selon les lois nationales de chacun des deux époux. En dépit de la bonne foi des parties, le mariage bigame, putatif ou non, est sans effet en matière successorale.

Le mariage putatif

Martin, marié en France, non divorcé et remarié à Las Vegas avec une Américaine, ne sera marié qu'une seule fois au regard du droit français. Seule la première épouse est successible.

La bigamie

Samba, marié en France, non divorcé et remarié en Côte d'Ivoire sous régime polygamique avec une Ivoirienne, ne sera marié qu'une seule fois au regard du droit français. Seule la première épouse est successible.

– Polygamie et droit à hériter. – La polygamie n'est pas une succession de mariages. C'est un modèle de conjugalité qui présuppose que tous les conjoints soient de statut polygamique. Pour être opposable au notaire, il faut que l'union ait été valablement formée à l'étranger. Elle pourrait avoir une incidence successorale en droit français.

La polygamie

Ali, musulman marié en France avec une Française et remarié en Algérie avec une Algérienne, ne sera marié qu'une seule fois au regard du droit français. Mais Mourad, Sénégalais marié deux fois au Sénégal sous le régime de la polygamie et venu s'installer en France, sera marié deux fois au regard du droit français.

Le droit positif

– Une interdiction de principe, pour des effets atténués. – L'union polygamique est interdite aux termes de l'article 147 du Code civil. En dépit de cette interdiction, une telle union est susceptible de produire certains effets en France. La Cour de cassation a retenu que « l'ordre public français ne fait pas obstacle à l'acquisition de droits en France sur le fondement d'une situation créée sans fraude à l'étranger en conformité avec la loi ayant compétence en vertu du droit international privé ». Ceci concerne les mariages valablement conclus à l'étranger et ceux qui ont été conclus sur le territoire français conformément au statut local des époux avant 2010.
– Solution jurisprudentielle actuelle. – La Cour de cassation, dès 1958 dans son célèbre arrêt Chemouni , avait admis qu'un israélite tunisien polygame devenu français puisse se voir réclamer une pension alimentaire par sa seconde épouse sans que l'ordre public français n'en fût troublé. La question a été tranchée en matière successorale dès 1980 par une jurisprudence claire jugeant que l'ordre public ne s'opposait plus aujourd'hui aux droits successoraux de deux épouses d'un étranger polygame dès lors que l'union polygamique avait été contractée régulièrement à l'étranger. La règle a été nuancée par un arrêt du 6 juillet 1988 rejetant cette solution si la première femme était de nationalité française.
– La loi du 24 août 2021. – La récente loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, ayant pour but l'émancipation individuelle contre le repli identitaire, a affirmé le respect des lois et les principes de la République dans tous les milieux exposés à des risques d'emprise séparatiste (services publics, associations, réseaux sociaux et également famille). La question se pose de savoir si la loi, en renforçant en ses articles 25 et suivants le rejet de tout effet juridique de mariages polygamiques des étrangers en France, ne remettra pas en cause ces solutions jurisprudentielles contraires à un ordre public préservant le caractère monogamique du mariage en France. La vocation successorale du conjoint polygamique n'y est pas abordée expressément. Seule la question de la réversion de retraite y est traitée. Bien que non notariale, la solution est éclairante sur ce qui pourrait être proposé à l'avenir en matière successorale. Le texte a précisé qu'une seule pension de réversion devait être versée et qu'en cas de pluralité de conjoints survivants, c'est celui dont l'union a été célébrée en premier qui en bénéficie. On peut s'étonner que la loi n'ait réglé que l'hypothèse du décès de l'homme et n'ait pas visé celui des épouses, profitant à l'époux qui toucherait plusieurs pensions de réversion.

Une solution notariale

– Les conjoints polygamiques survivants et la dévolution française. – Il est donc envisageable, et le cas n'est pas rare, de se retrouver en présence de plusieurs conjoints survivants de statut polygamique par l'effet de la théorie des droits acquis. Le notaire, dans l'hypothèse où la loi française serait applicable à la succession, doit-il raisonner comme la loi du 24 août 2021 en matière de réversion de retraite et ne retenir que le premier mariage ou, considérant qu'il ne s'agit pas de deniers publics mais d'une transmission privée, accorder conformément à la jurisprudence à toutes les épouses le statut de conjoints successibles qui se partageraient les droits légaux du quart en l'absence de testament ?
– Des droits légaux à partager. – Dans l'attente d'une clarification législative, la question doit à notre sens être tranchée en fonction de la jurisprudence actuelle. Deux situations sont à analyser : le décès de monsieur et celui de madame (de l'une des épouses). Nous imaginerons que le défunt laisse des descendants et que les épouses ne sont pas réservataires, ce qui semble sociologiquement le plus probable. Si monsieur décède ab intestat, laissant ses enfants nés des unions successives et plusieurs épouses, elles recueilleront chacune une quote-part du quart en propriété et se partageront le droit temporaire et le droit viager au logement. Si l'une des épouses décède ab intestat, laissant ses enfants et son époux, celui-ci recevra un quart en propriété.