Les règles légales

Les règles légales

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– La recherche de l'équité. – L'objectif des règles légales en matière de rapport n'est pas de retenir une égalité arithmétique mais une équité entre les héritiers. Un héritier qui a reçu une donation en avancement de part successorale devra rapporter, donc rendre compte à ses cohéritiers lors du règlement de la succession, de la valeur du bien donné à l'époque du partage d'après son état à l'époque de la donation. Les articles 860 et 860-1 du Code civil prévoient, pour le rapport comme pour la réunion fictive, de rechercher ce que sont devenus les biens donnés : conservés, aliénés avec ou sans subrogation. Ces règles légales d'évaluation du montant du rapport ne sont pas d'ordre public, le donateur peut les aménager en fixant d'autres règles.
– Biens donnés conservés. – L'article 860, alinéa 1er du Code civil dispose que « le rapport est dû de la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation ». Ce montant est donc déterminé en fonction de deux éléments : la valeur du bien au jour du partage et l'état du bien au jour de la donation. Il y a lieu de raisonner comme si le bien n'était pas sorti du patrimoine du donateur. La difficulté va donc essentiellement consister à évaluer un bien dans l'état où il se trouvait au jour de la donation. De deux choses l'une :
  • si l'état du bien a été modifié en raison de l'activité du donataire, ses cohéritiers ne doivent pas profiter de la plus-value que ce dernier a procurée au bien ou à l'inverse pâtir de la moins-value provoquée par lui. Par exemple, lorsque le donataire a amélioré le bien par des travaux, il ne s'agit pas de déduire de la valeur du bien au partage le montant des travaux réalisés par ce dernier, mais de rechercher la valeur que le bien aurait eue dans l'état où il se trouvait au moment de la donation sans les travaux réalisés par le donataire ;
  • si le bien a été modifié en raison de circonstances extérieures à celui-ci, les cohéritiers profitent de cette plus-value naturelle, ou dans le cas contraire subissent la moins-value fortuite.
On constate donc que la détermination du montant du rapport est aussi et surtout une question de fait. Or, il est souvent quasiment impossible d'apporter la preuve des faits servant de base à l'évaluation exacte de la dette de valeur. Ces difficultés, prétextes à discussion, pourront faire le nid de conflits infinis entre les héritiers. À défaut d'entente entre les parties sur la valeur à retenir, le litige devra être tranché par le juge.

Préconstitution de la preuve de l'état du bien au jour de la donation

Lors d'une donation en avancement de part successorale à un enfant, le notaire devra informer les parties qu'elles seront confrontées au problème de la dette de valeur lors du règlement de la succession. Dette pour le moins singulière puisque son montant ne sera connu qu'au moment de son règlement. Il sera donc vivement conseillé de conserver, par précaution, une preuve de l'état du bien donné à l'époque de la donation, en vue de faciliter la recherche de la cause de la potentielle plus-value future.
– Biens donnés aliénés. – Si le bien donné a été aliéné avant le partage, l'article 860, alinéa 2 du Code civil précise que l'on tient compte de la valeur qu'il avait à l'époque de l'aliénation, toujours dans l'état au jour de la donation. L'aliénation peut être à titre onéreux, une vente par exemple, mais aussi à titre gratuit, une donation notamment. Par principe, il est retenu la valeur indiquée dans l'acte d'aliénation. Toutefois, si cette valeur est sous-estimée dans l'acte, de donation par exemple, la preuve contraire peut être apportée par les cohéritiers réservataires. La dette de valeur s'arrête à l'aliénation si aucun nouveau bien ne lui a été subrogé.
– Biens subrogés aux biens aliénés. – Dans l'hypothèse d'une subrogation, l'article 860, alinéa 2 du Code civil prévoit un principe et une exception. En principe, si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, on tient compte de la valeur de ce nouveau bien à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de l'acquisition. Toutefois, si la dépréciation du nouveau bien est inéluctable en raison de sa nature, tel par exemple un bien de consommation, alors cette subrogation n'est pas prise en compte et la dette de valeur s'arrête à l'aliénation comme dans l'hypothèse précédente.
– Donation de somme d'argent. – Dans le cas d'une donation de somme d'argent, l'article 860-1 du Code civil prévoit également un principe et une exception. Le principe est celui du nominalisme monétaire, à savoir que « le rapport d'une somme d'argent est égal à son montant ». Le texte précise cependant que dans le cas où la somme d'argent a servi à acquérir un bien, « le rapport est dû de la valeur de ce bien, dans les conditions prévues à l'article 860 ». Aussi, et comme précédemment, si l'acquisition a porté sur un bien dont la nature rendait sa dépréciation inéluctable, la subrogation sera écartée. L'exception posée de la subrogation est interprétée strictement par la jurisprudence. Ne sont revalorisées que les dépenses « d'acquisition », à l'exclusion des dépenses d'amélioration qui restent soumises au principe du nominalisme monétaire. Ainsi, le financement de constructions au moyen d'une somme d'argent donnée sur un bien appartenant au donataire ne constitue pas une acquisition. Le rapport reste alors au nominal de la somme donnée633.
– Donation de fruits et revenus. – Le législateur de 2006 a consacré à l'article 851, alinéa 2 du Code civil la jurisprudence antérieure soumettant au rapport les donations de fruits et revenus, sauf volonté contraire du disposant.
En revanche, lorsque le bien donné est frugifère, l'article 856, alinéa 1 prévoit que les fruits des choses sujettes à rapport ne sont dus qu'à compter du jour de l'ouverture de la succession. Par conséquent, le donataire ne doit pas rapporter à la fois la chose donnée et ses fruits avant le décès, mais uniquement les fruits entre le décès et le partage. En d'autres termes, les fruits échus antérieurement au décès lui sont définitivement acquis. L'alinéa 2 du même article précise que les intérêts ne sont dus qu'à compter du jour où le montant du rapport est déterminé.
– Les problématiques de la dette de valeur. – Comme on vient de le voir, la dette de valeur n'est pas qu'une question de droit, mais aussi une question de fait. Elle ne relève pas que de l'application mathématique de règles, tout à fait justifiées et séduisantes sur le fond, mais aussi d'éléments de fait, lesquels peuvent poser de grandes difficultés pratiques et probatoires. Il sera bien souvent difficile, sinon impossible, plusieurs années voire plusieurs décennies plus tard, d'apprécier et de prouver l'état d'origine du bien au moment de la donation et les améliorations faites dans l'intervalle par l'héritier. Ces difficultés sont encore amplifiées avec la subrogation, d'autant qu'elle peut jouer à l'infini. Il sera souvent compliqué de prouver la traçabilité des fonds dans le remploi d'un nouveau bien si celui-ci ne se fait pas dans la foulée de la vente du bien donné ou de la donation de la somme d'argent. De même, prenons l'exemple des parents qui donnent une somme d'argent à un enfant pour créer son entreprise. Comment dissocier les plus-values dues au travail du donataire, chef d'entreprise, de celles résultant des circonstances extérieures ? En d'autres termes, l'application parfaite de ces principes relève le plus souvent de l'utopie634. Outre ces difficultés, une autre critique s'élève concernant ces règles qui ne seraient pas aussi équitables que les bonnes intentions qui les ont motivées. On se souvient de la fable revisitée de « La Cigale et la Fourmi » du professeur Catala. Dans cette version transposée à la dette de valeur, la cigale est mieux traitée que la fourmi. Pour preuve, un enfant qui vend le bien donné pour réinvestir dans un placement très lucratif devra partager sa plus-value avec son cohéritier qui, lui, ne rapportera qu'au nominal la somme donnée de leurs parents parce qu'il a préféré voyager et faire le tour du monde. Le 116e Congrès des notaires avait déjà souligné cette iniquité, se demandant si la subrogation n'allait pas un peu trop loin dans la dette de valeur. Si, en effet, la règle se justifie parfaitement tant qu'elle procède de l'idée de reconstituer le patrimoine du défunt comme s'il n'avait rien donné, « avec la subrogation, on va beaucoup plus loin en intégrant aux masses (soit de calcul de la quotité disponible, soit à partager) la valeur de biens totalement étrangers au de cujus »635.
– Question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant la Cour de cassation. – À ce sujet, une question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée devant la Cour de cassation lors d'un pourvoi. Son auteur relève que l'article 860, alinéa 2 du Code civil peut porter une atteinte injustifiée au droit de propriété garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789, dans la mesure où cela a pour effet de priver le gratifié qui a vendu le bien donné et réalisé une plus-value en plaçant le prix de vente d'une partie de cette plus-value au profit de ses cohéritiers. La Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 14 février 2024636, que cette règle ne porte aucune atteinte disproportionnée au droit de propriété et qu'elle est justifiée par un motif d'intérêt général en ce sens qu'elle permet d'assurer le respect des vocations successorales légales de tous les héritiers. Les hauts magistrats relèvent qu'elle « permet de parer aux risques de fraude consistant, pour l'héritier donataire, à limiter artificiellement le montant du rapport, en vendant le bien donné pour procéder à un autre investissement à son seul profit ».
– Le choix belge du pragmatisme. – Dans ce domaine, comme en règle générale d'ailleurs, la simplicité n'est-elle pas la meilleure des solutions ? Rappelons que ce mécanisme de la dette de valeur a été adopté par la loi du 3 juillet 1971 pour limiter les effets de la forte inflation de l'époque, qui privait la monnaie de son rôle d'instrument de mesure à travers le temps637. Mais les temps ont changé. Le législateur belge, dans sa grande réforme du droit des successions issue de la loi du 31 juillet 2017, a fait le choix du pragmatisme en matière de rapport civil et réduction des donations en abandonnant le système de la dette de valeur au profit de l'indexation jusqu'au décès. Ne serait-il pas effectivement plus simple, plus prévisible et même plus juste d'arrêter le jeu de la dette de valeur lorsque le bien donné est aliéné et de revaloriser le prix de vente (ou la somme donnée) selon un indice638 ? Si ces règles légales de dettes de valeur ne sont que supplétives de volonté en matière de rapport, elles sont à notre regret impératives en matière de réunion fictive des libéralités pour la constitution de la masse de calcul de la quotité disponible et de la réserve.