– Principe du rapport en valeur. – En principe, le rapport se fait en valeur, c'est-à-dire que l'héritier gratifié ne va pas rapporter le bien lui-même dans la masse à partager mais uniquement sa valeur. On parle d'indemnité de rapport. Cette indemnité représentative du bien doit donc être équivalente économiquement à celui-ci. Par exception, le rapport peut se faire en nature, l'héritier choisissant alors de remettre la chose donnée dans la masse partageable.
Le montant du rapport
Le montant du rapport
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Principe de la dette de valeur. – Pour retrouver cette équivalence économique, les biens donnés sont revalorisés au jour du partage pour le rapport (C. civ., art. 860, al. 1) et, de la même manière comme on le verra plus loin, pour la réunion fictive des libéralités à la masse de calcul de la quotité disponible et de la réserve, mais à la date du décès (C. civ., art. 922, al. 1 et 2). Comme le résume parfaitement notre confrère François Letellier : « Les règles d'application de la dette de valeur pour le rapport et pour la réduction ont été unifiées. Seule subsiste la différence de la date d'appréciation : le décès pour la réduction, le partage pour le rapport »632. La revalorisation du bien donné selon la dette de valeur part du principe que le résultat doit être identique quelles que soient les modalités du rapport et de la réduction : en valeur ou en nature. Mais ce mécanisme de la dette de valeur n'est pas sans poser des difficultés dans la pratique.
Les règles légales
– La recherche de l'équité. – L'objectif des règles légales en matière de rapport n'est pas de retenir une égalité arithmétique mais une équité entre les héritiers. Un héritier qui a reçu une donation en avancement de part successorale devra rapporter, donc rendre compte à ses cohéritiers lors du règlement de la succession, de la valeur du bien donné à l'époque du partage d'après son état à l'époque de la donation. Les articles 860 et 860-1 du Code civil prévoient, pour le rapport comme pour la réunion fictive, de rechercher ce que sont devenus les biens donnés : conservés, aliénés avec ou sans subrogation. Ces règles légales d'évaluation du montant du rapport ne sont pas d'ordre public, le donateur peut les aménager en fixant d'autres règles.
– Biens donnés conservés. – L'article 860, alinéa 1er du Code civil dispose que « le rapport est dû de la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation ». Ce montant est donc déterminé en fonction de deux éléments : la valeur du bien au jour du partage et l'état du bien au jour de la donation. Il y a lieu de raisonner comme si le bien n'était pas sorti du patrimoine du donateur. La difficulté va donc essentiellement consister à évaluer un bien dans l'état où il se trouvait au jour de la donation. De deux choses l'une :
- si l'état du bien a été modifié en raison de l'activité du donataire, ses cohéritiers ne doivent pas profiter de la plus-value que ce dernier a procurée au bien ou à l'inverse pâtir de la moins-value provoquée par lui. Par exemple, lorsque le donataire a amélioré le bien par des travaux, il ne s'agit pas de déduire de la valeur du bien au partage le montant des travaux réalisés par ce dernier, mais de rechercher la valeur que le bien aurait eue dans l'état où il se trouvait au moment de la donation sans les travaux réalisés par le donataire ;
- si le bien a été modifié en raison de circonstances extérieures à celui-ci, les cohéritiers profitent de cette plus-value naturelle, ou dans le cas contraire subissent la moins-value fortuite.
On constate donc que la détermination du montant du rapport est aussi et surtout une question de fait. Or, il est souvent quasiment impossible d'apporter la preuve des faits servant de base à l'évaluation exacte de la dette de valeur. Ces difficultés, prétextes à discussion, pourront faire le nid de conflits infinis entre les héritiers. À défaut d'entente entre les parties sur la valeur à retenir, le litige devra être tranché par le juge.
Préconstitution de la preuve de l'état du bien au jour de la donation
Lors d'une donation en avancement de part successorale à un enfant, le notaire devra informer les parties qu'elles seront confrontées au problème de la dette de valeur lors du règlement de la succession. Dette pour le moins singulière puisque son montant ne sera connu qu'au moment de son règlement. Il sera donc vivement conseillé de conserver, par précaution, une preuve de l'état du bien donné à l'époque de la donation, en vue de faciliter la recherche de la cause de la potentielle plus-value future.
– Biens donnés aliénés. – Si le bien donné a été aliéné avant le partage, l'article 860, alinéa 2 du Code civil précise que l'on tient compte de la valeur qu'il avait à l'époque de l'aliénation, toujours dans l'état au jour de la donation. L'aliénation peut être à titre onéreux, une vente par exemple, mais aussi à titre gratuit, une donation notamment. Par principe, il est retenu la valeur indiquée dans l'acte d'aliénation. Toutefois, si cette valeur est sous-estimée dans l'acte, de donation par exemple, la preuve contraire peut être apportée par les cohéritiers réservataires. La dette de valeur s'arrête à l'aliénation si aucun nouveau bien ne lui a été subrogé.
– Biens subrogés aux biens aliénés. – Dans l'hypothèse d'une subrogation, l'article 860, alinéa 2 du Code civil prévoit un principe et une exception. En principe, si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, on tient compte de la valeur de ce nouveau bien à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de l'acquisition. Toutefois, si la dépréciation du nouveau bien est inéluctable en raison de sa nature, tel par exemple un bien de consommation, alors cette subrogation n'est pas prise en compte et la dette de valeur s'arrête à l'aliénation comme dans l'hypothèse précédente.
– Donation de somme d'argent. – Dans le cas d'une donation de somme d'argent, l'article 860-1 du Code civil prévoit également un principe et une exception. Le principe est celui du nominalisme monétaire, à savoir que « le rapport d'une somme d'argent est égal à son montant ». Le texte précise cependant que dans le cas où la somme d'argent a servi à acquérir un bien, « le rapport est dû de la valeur de ce bien, dans les conditions prévues à l'article 860 ». Aussi, et comme précédemment, si l'acquisition a porté sur un bien dont la nature rendait sa dépréciation inéluctable, la subrogation sera écartée. L'exception posée de la subrogation est interprétée strictement par la jurisprudence. Ne sont revalorisées que les dépenses « d'acquisition », à l'exclusion des dépenses d'amélioration qui restent soumises au principe du nominalisme monétaire. Ainsi, le financement de constructions au moyen d'une somme d'argent donnée sur un bien appartenant au donataire ne constitue pas une acquisition. Le rapport reste alors au nominal de la somme donnée633.
– Donation de fruits et revenus. – Le législateur de 2006 a consacré à l'article 851, alinéa 2 du Code civil la jurisprudence antérieure soumettant au rapport les donations de fruits et revenus, sauf volonté contraire du disposant.
En revanche, lorsque le bien donné est frugifère, l'article 856, alinéa 1 prévoit que les fruits des choses sujettes à rapport ne sont dus qu'à compter du jour de l'ouverture de la succession. Par conséquent, le donataire ne doit pas rapporter à la fois la chose donnée et ses fruits avant le décès, mais uniquement les fruits entre le décès et le partage. En d'autres termes, les fruits échus antérieurement au décès lui sont définitivement acquis. L'alinéa 2 du même article précise que les intérêts ne sont dus qu'à compter du jour où le montant du rapport est déterminé.
– Les problématiques de la dette de valeur. – Comme on vient de le voir, la dette de valeur n'est pas qu'une question de droit, mais aussi une question de fait. Elle ne relève pas que de l'application mathématique de règles, tout à fait justifiées et séduisantes sur le fond, mais aussi d'éléments de fait, lesquels peuvent poser de grandes difficultés pratiques et probatoires. Il sera bien souvent difficile, sinon impossible, plusieurs années voire plusieurs décennies plus tard, d'apprécier et de prouver l'état d'origine du bien au moment de la donation et les améliorations faites dans l'intervalle par l'héritier. Ces difficultés sont encore amplifiées avec la subrogation, d'autant qu'elle peut jouer à l'infini. Il sera souvent compliqué de prouver la traçabilité des fonds dans le remploi d'un nouveau bien si celui-ci ne se fait pas dans la foulée de la vente du bien donné ou de la donation de la somme d'argent. De même, prenons l'exemple des parents qui donnent une somme d'argent à un enfant pour créer son entreprise. Comment dissocier les plus-values dues au travail du donataire, chef d'entreprise, de celles résultant des circonstances extérieures ? En d'autres termes, l'application parfaite de ces principes relève le plus souvent de l'utopie634. Outre ces difficultés, une autre critique s'élève concernant ces règles qui ne seraient pas aussi équitables que les bonnes intentions qui les ont motivées. On se souvient de la fable revisitée de « La Cigale et la Fourmi » du professeur Catala. Dans cette version transposée à la dette de valeur, la cigale est mieux traitée que la fourmi. Pour preuve, un enfant qui vend le bien donné pour réinvestir dans un placement très lucratif devra partager sa plus-value avec son cohéritier qui, lui, ne rapportera qu'au nominal la somme donnée de leurs parents parce qu'il a préféré voyager et faire le tour du monde. Le 116e Congrès des notaires avait déjà souligné cette iniquité, se demandant si la subrogation n'allait pas un peu trop loin dans la dette de valeur. Si, en effet, la règle se justifie parfaitement tant qu'elle procède de l'idée de reconstituer le patrimoine du défunt comme s'il n'avait rien donné, « avec la subrogation, on va beaucoup plus loin en intégrant aux masses (soit de calcul de la quotité disponible, soit à partager) la valeur de biens totalement étrangers au de cujus »635.
– Question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant la Cour de cassation. – À ce sujet, une question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée devant la Cour de cassation lors d'un pourvoi. Son auteur relève que l'article 860, alinéa 2 du Code civil peut porter une atteinte injustifiée au droit de propriété garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789, dans la mesure où cela a pour effet de priver le gratifié qui a vendu le bien donné et réalisé une plus-value en plaçant le prix de vente d'une partie de cette plus-value au profit de ses cohéritiers. La Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 14 février 2024636, que cette règle ne porte aucune atteinte disproportionnée au droit de propriété et qu'elle est justifiée par un motif d'intérêt général en ce sens qu'elle permet d'assurer le respect des vocations successorales légales de tous les héritiers. Les hauts magistrats relèvent qu'elle « permet de parer aux risques de fraude consistant, pour l'héritier donataire, à limiter artificiellement le montant du rapport, en vendant le bien donné pour procéder à un autre investissement à son seul profit ».
– Le choix belge du pragmatisme. – Dans ce domaine, comme en règle générale d'ailleurs, la simplicité n'est-elle pas la meilleure des solutions ? Rappelons que ce mécanisme de la dette de valeur a été adopté par la loi du 3 juillet 1971 pour limiter les effets de la forte inflation de l'époque, qui privait la monnaie de son rôle d'instrument de mesure à travers le temps637. Mais les temps ont changé. Le législateur belge, dans sa grande réforme du droit des successions issue de la loi du 31 juillet 2017, a fait le choix du pragmatisme en matière de rapport civil et réduction des donations en abandonnant le système de la dette de valeur au profit de l'indexation jusqu'au décès. Ne serait-il pas effectivement plus simple, plus prévisible et même plus juste d'arrêter le jeu de la dette de valeur lorsque le bien donné est aliéné et de revaloriser le prix de vente (ou la somme donnée) selon un indice638 ? Si ces règles légales de dettes de valeur ne sont que supplétives de volonté en matière de rapport, elles sont à notre regret impératives en matière de réunion fictive des libéralités pour la constitution de la masse de calcul de la quotité disponible et de la réserve.
Aménagements conventionnels du rapport
– Liberté d'aménagement du rapport. – L'alinéa 3 de l'article 860 du Code civil précise que les règles légales sus-énoncées s'appliquent « sauf stipulation contraire dans l'acte de donation ». Les parties peuvent donc déroger aux règles du rapport en stipulant que le rapport sera dû d'une valeur différente de celle fixée par les règles légales. Le mécanisme de la subrogation pourra par exemple être écarté afin de figer le montant du rapport au prix de vente, ou bien de fixer le montant du rapport forfaitairement à la valeur du bien au jour de la donation ou encore à une valeur arbitrairement choisie par le donateur, ou bien de prévoir une indexation de la valeur du bien donné au jour de la donation.
– Aucune incidence sur la masse de calcul de la quotité disponible. – Les aménagements du rapport sont sans influence sur la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible dont les règles prévues à l'article 922 du Code civil sont d'ordre public. Par conséquent, pour la réunion fictive des libéralités aux biens existants déduction faite du passif, il y a lieu d'appliquer impérativement les règles légales de la dette de valeur exposées ci-dessus, mais à la date du décès (V. infra, no
, le chapitre sur la réduction).
– Incidence sur l'imputation. – Les clauses d'aménagement du rapport peuvent en revanche avoir une influence sur l'imputation de la libéralité. L'article 860, alinéa 4 du Code civil précise que : « S'il résulte d'une telle stipulation que la valeur sujette à rapport est inférieure à la valeur du bien déterminé selon les règles d'évaluation prévues par l'article 922 ci-dessous, cette différence forme un avantage indirect acquis au donataire hors part successorale ». Par conséquent, lorsque le rapport a fait l'objet d'aménagements conventionnels, la donation a un caractère mixte : elle est en avancement de part successorale à concurrence de la valeur stipulée conventionnellement rapportable, et considérée comme hors part successorale à concurrence du surplus déterminé d'après les règles légales au décès pour l'imputation. Concernant la fraction rapportable, elle s'impute principalement sur la part de réserve du gratifié et subsidiairement sur la quotité disponible (C. civ., art. 919-1, al. 1) ; concernant la partie hors part successorale, elle s'impute exclusivement sur la quotité disponible (C. civ., art. 919-2).
Une question reste non résolue par la jurisprudence et divise la doctrine : lorsque la fraction rapportable s'impute subsidiairement sur la quotité disponible, cette imputation subsidiaire doit-elle se faire avant, en même temps ou après celle de la fraction considérée comme hors part successorale639 ?
Donation et démembrement de propriété
– Plan. – Il arrive fréquemment qu'une donation ne porte pas sur la pleine et entière propriété d'un bien mais uniquement sur un droit démembré de celui-ci, nue-propriété (§ I) ou usufruit (§ II).
Donation de la nue-propriété
– Extinction ou non de l'usufruit au jour du décès. – Lorsque la donation n'a porté que sur la nue-propriété d'un bien, il y a lieu de rechercher si, au jour du décès, l'usufruit existe toujours ou s'il s'est éteint. Si l'auteur de la libéralité s'était réservé l'usufruit du bien, à son décès son usufruit s'éteint et, par conséquent, il sera retenu la valeur en pleine propriété du bien. En revanche, si l'usufruitier est une autre personne que le défunt et est toujours en vie, seule la valeur de la nue-propriété sera retenue.
Donation d'usufruit
– La délicate question du montant du rapport. – Par principe, dans la mesure où elle a été faite en avancement de part successorale, la donation d'usufruit doit être rapportée à la masse à partager.
Plus délicate est la détermination du montant à prendre en compte. On songe particulièrement aux cas de donation d'un usufruit temporaire ou d'un abandon d'usufruit au profit du nu-propriétaire postérieurement à la donation de la nue-propriété. La question se pose pour le rapport mais également et de la même façon pour la réunion fictive.
En doctrine, les solutions présentées divergent. D'un côté, certains auteurs640 considèrent que si l'usufruit est éteint à l'ouverture de la succession, la valeur à retenir est égale à zéro. En effet, l'article 860, alinéa 1 du Code civil dispose que : « Le rapport est dû de la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation ». Or, l'usufruit n'existant plus au moment du partage, puisqu'il s'éteint au décès du disposant, sa valeur est égale à zéro. Pour le professeur Michel Grimaldi, cette solution est le « corollaire de ce qu'une donation en nue-propriété est rapportable pour la valeur de la toute propriété lorsque l'usufruit, tel celui que s'était réservé le donateur, est éteint à la date de l'ouverture de la succession »641.
Cette solution peut être discutable dans le sens où elle conduit à exempter du rapport la donation d'un usufruit alors que le législateur est venu expressément consacrer le caractère rapportable des fruits et revenus (C. civ., art. 851, al. 2).
Selon une autre analyse642, il y aurait lieu de rapporter les fruits réellement perçus par le gratifié pendant la durée de la jouissance. Le mérite de cette méthode est de rendre ainsi exactement compte de l'avantage reçu. L'inconvénient soulevé par notre confrère Michel Mathieu est que l'addition des revenus sur une longue période pourrait aboutir à ce que le donataire d'usufruit doive rendre plus compte que le donataire de la pleine propriété du même bien643.
C'est la raison pour laquelle il présente une autre méthode consistant à estimer la valeur économique de l'usufruit donné : « Il est possible de procéder exclusivement à une estimation « économique » de l'usufruit prenant en compte le plus possible de critères significatifs, notamment l'âge de l'usufruitier à la date de la donation et le produit annuel estimé de l'usufruit auquel s'appliqueraient les taux de capitalisation généralement pratiqués par les compagnies d'assurances ».
En l'absence de solution clairement définie en jurisprudence comme en doctrine, les parties devront s'entendre sur la méthode à adopter.