Les difficultés relatives à la jouissance

Les difficultés relatives à la jouissance

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Les difficultés relatives à la jouissance soulevées par la saisine ont trait à l'indemnité d'occupation (§ I), à la perception des fruits (§ II) et à la question de l'éventuelle perception des dividendes dans une société (§ III).

Saisine et indemnité d'occupation

– Les débiteurs d'une indemnité d'occupation. – Le successeur qui occupe dès le décès l'appartement du défunt doit-il une indemnité d'occupation à ses cohéritiers ? La réponse à cette question, récurrente en pratique, dépend de la qualité de l'occupant, selon qu'il est héritier, légataire universel ou légataire à titre particulier.
– L'héritier occupant. – Les héritiers, qu'ils soient réservataires ou non, bénéficient chacun d'une saisine indivisible plénière. Le droit de jouissance consécutif à la saisine permet à celui qui jouit seul d'un ou plusieurs biens indivis de ne pas avoir d'indemnité d'occupation à verser à ses cohéritiers, seraient-ils eux-mêmes saisis. La solution peut surprendre. Un auteur, Alain Sériaux, précise ainsi : « De telles prérogatives contrastent avec le droit commun de l'indivision, qui prévoit que « l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité » (C. civ., art. 815-9) » 392. Ici, même si, par la suite, l'héritier saisi acceptait la succession et se retrouvait en indivision avec d'autres héritiers acceptants, il ne serait en principe redevable à ces derniers d'aucune indemnité d'occupation, ni pour le passé, ni pour l'avenir, tant que les biens successoraux n'ont pas été partagés. Ceci suscite la perplexité au regard des indivisions d'origine successorale. Cela signifie-t-il que l'héritier indélicat a tous les droits sur les actifs successoraux dans la limite du recel ? De ce principe essentiel en découlent d'autres : le droit de mettre fin à l'indivision à tout moment, d'une part, et l'effet déclaratif du partage opérant rétroactivement au décès, d'autre part. Le notaire conseillera aux héritiers non occupants de provoquer l'action en partage, sans tarder.

Une proposition pour l'héritier et l'indemnité d'occupation

Ne serait-il pas pertinent de prévoir que l'héritier, une fois passée la période troublée post-décès, se retrouve dans la situation d'un indivisaire de droit commun, l'effet de l'indivisibilité de la saisine s'effaçant devant le droit de l'indivision ? Pourquoi ne pas retenir l'intervalle d'une année, qui fait écho à celle du droit aux fruits des légataires ? Appliquée à la problématique de l'indemnité d'occupation, l'héritier occupant un bien de l'indivision lors du décès serait redevable d'une indemnité, une fois l'année écoulée, si le partage n'est pas intervenu entre-temps.
– Le légataire universel occupant. – S'agissant du légataire universel (ayant demandé la délivrance de son legs dans l'année, en présence de réservataire), il peut prétendre dès le décès à la jouissance des biens légués, laquelle est exclusive de toute indemnité au profit de l'indivision pour l'occupation393. Même en présence d'un legs réductible en valeur, l'indemnité d'occupation n'est pas due.
– Le légataire particulier occupant. – Le légataire particulier n'a en principe vocation à la jouissance qu'à compter de la demande en délivrance de legs ou au jour où elle lui a été consentie394. Avant cette date les héritiers peuvent occuper le bien. Pour permettre au légataire de prendre possession immédiatement, il serait pertinent de prévoir dans le testament que le légataire aura droit à la jouissance dès le décès. À noter cependant que la prise de possession post mortem du bien par le légataire au su et au vu des héritiers et sans opposition de leur part vaut délivrance395.

Un conseil de rédaction en présence d'un legs particulier

Il est utile de prévoir, en présence d'un legs particulier, que le légataire a droit à la jouissance du bien par dérogation à l'article 1014 du Code civil, dès le décès.

Saisine et revenus fonciers

– Perception des fruits. – À qui reviennent les revenus fonciers d'un bien immobilier du de cujus ? Cette question est connexe de la précédente, mais s'en distingue car la jouissance (usus) n'est pas exactement la perception des fruits (fructus). Le droit aux fruits et revenus varie suivant la saisine et l'étendue du legs. L'héritier saisi ainsi que le légataire universel en l'absence de réservataires perçoivent de plein droit les revenus dès le décès, tandis que le légataire universel et le légataire à titre universel en présence d'héritiers réservataires ont la jouissance des biens à compter du jour du décès uniquement si la demande en délivrance a été faite dans l'année. Le légataire particulier n'a droit aux revenus fonciers du bien légué qu'à dater de la demande en délivrance ou du jour où cette délivrance a été volontairement consentie (C. civ., art. 1014). Cependant, le testateur peut déroger à ces principes et prévoir que les revenus reviendront au bénéficiaire dès l'ouverture de la succession.
Chacun a vocation à sa quote-part de revenu. Ainsi, malgré l'indivisibilité de la saisine, on ne peut concevoir que l'un des héritiers s'arroge le droit de percevoir la totalité des loyers. Cette attitude, si l'héritier est de mauvaise foi, est susceptible d'être constitutive d'un recel.
– Perception des fruits en cas de réduction du legs. – Le légataire doit-il restituer les revenus perçus si le legs est réduit par les héritiers réservataires ?
La solution est pour une fois identique quelle que soit la qualité du gratifié, donataire, légataire universel, à titre universel et particulier. L'article 928 du Code civil, issu de la loi no 2006-728 du 23 juin 2006, ne prévoit la restitution des fruits qu'en cas de réduction en nature, contrairement à l'ancienne version de l'article. Le gratifié conserve par conséquent les fruits des biens donnés et légués en cas de réduction en valeur. À noter que le résultat est analogue pour l'usage et l'habitation. Le gratifié qui occupe le bien donné ou légué ne doit pas d'indemnité d'occupation aux héritiers réservataires lorsque sa libéralité est réduite en valeur. A contrario, si la réduction est en nature par la volonté du testateur ou du gratifié, les revenus de ce qui excède la portion disponible doivent être restitués.

Legs réductible et restitution des fruits

Un défunt a laissé trois enfants et une compagne. Il lègue à sa compagne la pleine propriété d'un studio locatif à La Grande Motte. On suppose le legs entièrement réductible, avec une quotité disponible totalement absorbée par des donations antérieures hors part.

La compagne choisit de conserver le bien et de verser une indemnité de réduction aux trois enfants correspondant à la valeur du bien. Elle n'a pas à restituer les revenus du studio perçus (ni à être remboursée des charges) à compter de sa demande en délivrance.

En revanche, si la compagne n'a pas les liquidités pour désintéresser les trois enfants et opte pour une réduction en nature, le studio, les charges et les revenus depuis le décès sont acquis aux trois enfants.

Saisine et droit aux dividendes

– Question importante dans les sociétés de personnes. – Le successeur saisi a-t-il droit aux dividendes de la société ? La question se pose surtout dans les sociétés de personnes où l'agrément est plus fréquent. Envisageons les deux hypothèses qui en résultent : l'agrément n'est pas donné où il l'est.
– L'ayant droit non agréé. – Le premier cas envisagé est celui de la transmission par décès de parts d'une société de personnes (dont les titres sont par essence non négociables) à un ayant droit saisi qui se verra refuser in fine la qualité d'associé pour défaut d'agrément. La distribution de dividendes profite-t-elle à l'ayant droit ? Il résulte d'un arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2020 que le successeur non agréé, fût-il saisi, n'a droit qu'à la valeur des parts sociales396. La solution jurisprudentielle est claire : « S'il n'est pas associé, l'héritier ne peut pas percevoir les dividendes »397, consacrant, selon la doctrine, « l'effacement de la saisine devant la logique sociétaire » 398. Comme le résume poétiquement un auteur : « Aujourd'hui encore, la mort de l'associé est nimbéed'un mystère né de la continuation de la personne du défunt, principe qui n'a pas son pendant en droit des sociétés »399.
Ainsi en est-il, a fortiori, de l'héritier saisi à charge de délivrer un legs particulier de parts sociales, avant la demande en délivrance. La situation est suffisamment exceptionnelle pour être soulignée : ni l'héritier saisi, habile à délivrer le legs, ni le légataire particulier ayant vocation aux parts sociales ne peuvent bénéficier des dividendes dans la mesure où l'un n'est pas associé et n'a pas vocation à l'être, tandis que l'autre n'a pas obtenu la délivrance de legs et n'est pas agréé400.
La seule exception concerne les sociétés civiles professionnelles (SCP), pour lesquelles la loi a prévu, sauf stipulations contraires des statuts, que les successeurs conservent « vocation à la répartition des bénéfices »401.
– L'ayant droit agréé. – La seconde hypothèse est plus complexe. La distribution de dividendes intervenant avant la procédure d'agrément profitera-t-elle à l'ayant droit, finalement agréé ?
L'héritier saisi se retrouve placé dans une période particulière, postérieure au décès, mais antérieure à son agrément. L'appréciation stricte du principe jurisprudentiel, préconisée par une partie de la doctrine, conduit à penser que l'héritier n'ayant pas obtenu son agrément au moment de la distribution, n'a pas de droits dans la société : ni droit de vote, ni droit aux dividendes402. Une conception plus libérale portée notamment par Renaud Mortier reconnaîtrait la possibilité de « réserver » les dividendes sous condition d'agrément. Il écrit à ce sujet : « Reste à trancher l'ultime question, ici non résolue, de savoir s'il y a lieu, au titre de cette période intercalaire, de priver purement et définitivement les parts sociales correspondantes de leurs droits à dividendes, ou s'il n'est pas possible de les réserver, ainsi que nous le pensons »403. A notre sens, bien que nous n'ayons pas de jurisprudence sur la question, nous pencherions en faveur de cette seconde conception.
La question paraît pouvoir être tranchée, en revanche, s'agissant du légataire particulier n'ayant pas demandé ni obtenu la délivrance de son legs404. La règle de répartition des fruits profitant à l'héritier légal non associé jusqu'à la demande en délivrance du légataire particulier ne s'applique pas en pareille matière, ainsi que nous l'avons vu. Si l'héritier légal ne peut pas percevoir les dividendes dans la période intercalaire, ceux-ci ne sauraient être « réservés » au légataire particulier non saisi et non encore agréé (n'ayant pas demandé la délivrance de son legs).
– L'anticipation de la question dans les statuts. – Il serait malvenu que les associés profitent de la période intermédiaire pour procéder, en cercle réduit, à des versements de dividendes inhabituels et conséquents. Dans l'attente d'une clarification légale ou jurisprudentielle, il paraît pertinent de prévoir une restriction statutaire. Selon certains auteurs, bien qu'une distribution avant agrément puisse être considérée en justice comme frauduleuse ou abusive, une clause statutaire permettrait d'anticiper les conflits405.
Afin d'éviter une paralysie des distributions, une précaution préliminaire importante, à notre sens, serait d'encadrer le délai pour se prémunir contre le silence des ayants droit taisants, en cohérence avec ce que le Code civil prévoit pour les fruits des légataires universels et à titre universel406.
Une voie pourrait être envisageable : les dividendes seraient réservé au profit des successeurs saisis (et des légataires ayant obtenu leur délivrance), jusqu'à leur agrément.
Nous proposons le mécanisme suivant : si, à l'issue d'une année, le successeur saisi n'a pas accepté tacitement ou expressément la succession, ou si le légataire n'a pas présenté tacitement ou formellement de demande en délivrance, c'est que, a fortiori, il n'a pas sollicité auprès de la société son agrément. Par conséquent, il ne sera pas agréé et sera déchu du droit de percevoir les dividendes de manière rétroactive, n'ayant pas qualité d'associé. Il est fait observer qu'il pourrait être mis en demeure d'opter après l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de l'ouverture de la succession, par un créancier, ou un cohéritier notamment, dans les termes de l'article 771 du Code civil.