Les difficultés relatives au règlement successoral

Les difficultés relatives au règlement successoral

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Saisine et acceptation successorale. – L'héritier non acceptant est-il vraiment saisi ? Cette question est loin d'être théorique, la saisine et l'option ne sauraient être confondues. L'une se fait de plein droit, du moins pour les héritiers légaux, l'autre nécessite une manifestation de volonté entre les trois branches de l'option, acceptation, renonciation, acceptation à concurrence de l'actif net407. La saisine investit l'ayant droit de la possession des actifs, de la gestion de l'hérédité, tout en le rendant concomitamment et immédiatement débiteur des dettes du défunt. La dimension passive de la saisine héréditaire ne doit pas être oubliée. L'obligation aux dettes de l'héritier saisi intervient indépendamment de son acceptation. L'héritier inquiet de la situation financière du défunt, qui consulte son notaire, ne saurait se croire à l'abri des poursuites des créanciers avant son acceptation. C'est ce que rappelle régulièrement la jurisprudence. En 2006, la Cour de cassation a souligné que l'héritier « saisi de plein droit des biens, droits et actions de sa mère, pouvait être poursuivi par les créanciers de la succession, sauf à lui à renoncer à celle-ci (…) »408. En 2019, la cour réitère le même attendu de principe409. L'idée répandue qu'il n'y a pas d'obligation ultra vires avant l'acceptation est dangereuse et inexacte. Les créanciers disposent bien d'un droit de poursuite indépendamment de l'option.
La solution est-elle identique pour celui qui est investi par testament ? On peut supposer que le légataire universel désigné par testament authentique saisi de plein droit est dans une situation analogue à celle de l'héritier légal, tandis que les légataires universels ou à titre universel dont la saisine dépend d'une délivrance ou d'un contrôle sont à l'abri de la poursuite des créanciers avant le contrôle ou l'acceptation de la délivrance. Depuis le célèbre arrêt Toussaint de Gérard, on a coutume d'écrire que l'obligation aux dettes est sans rapport avec la saisine410. Malgré la justesse de cette allégation, on voit néanmoins qu'en pratique, parmi les ayants droit tenus ultra vires non acceptants, ceux qui sont saisis de plein droit (héritier légal, légataire institué par testament authentique) sont placés dans une situation plus inconfortable vis-à-vis des créanciers que ceux dont le titre nécessite une vérification (par voie de contrôle, d'envoi en possession ou de délivrance).
Quant au légataire particulier, il n'est pas tenu du passif. C'est pourquoi, s'il a acquitté la dette hypothécaire dont l'immeuble reçu était grevé, il dispose d'un recours contre les héritiers légaux en étant subrogé dans les droits du créancier sur le fondement des articles 871 et 874 du Code civil411.

La pratique notariale cache une autre réalité juridique

Les notaires assurent, pour le confort de leurs clients, la gestion du passif courant sur mandat. Les dettes sont réglées en pratique sur les actifs du défunt et non sur ceux de ses successeurs. Ce n'est qu'un usage. La réalité juridique de la saisine est autre. Ce sont les héritiers qui sont redevables du passif sur leurs propres actifs en qualité de continuateurs du défunt, par confusion de leur patrimoine et de celui de la succession. En cas de contentieux, l'usage s'efface devant la force de la saisine. Les créanciers peuvent exercer leurs poursuites sur les biens des héritiers.
– Saisine et délivrance de legs. – Doit-on délivrer le legs lorsque celui est réductible ?
Un legs, bien que réductible, doit par principe être délivré au bénéficiaire. L'obligation de délivrance des héritiers et légataires universels de l'article 1017 du Code civil découle de la saisine412. Mais la délivrance présente un caractère provisoire qui n'éteint pas les actions que les héritiers peuvent exercer (action en nullité ou en réduction)413. Selon Danielle Montoux : « Il est important de préciser aux clients que la délivrance d'un legs particulier est une mesure provisoire qui n'enlève aux héritiers aucun moyen pour faire établir leurs droits dans la succession et qui préserve donc aux héritiers réservataires la faculté d'en poursuivre la réduction » 414.
La doctrine précise en outre que la délivrance ne se confond pas avec le paiement du legs415. Il faut néanmoins reconnaître qu'en pratique notariale, la distinction est rarement faite. Tacite, non équivoque, expresse, même notariée la délivrance conserve une dimension provisoire dont la quittance n'est pas un élément constitutif. Seules une confirmation expresse et une renonciation précise dans l'acte éteindront les actions et assureront la perfection de la délivrance sans réserve. Il est de bonne pratique de préciser néanmoins à l'acte, lorsque le legs est réductible, que la délivrance se fait sous réserve de l'action en réduction, pour éviter toute ambiguïté et ne pas mentionner de quittance.
Par exception, il peut paraître raisonnable de ne pas délivrer le legs. Les causes légitimes de refus (outre une nullité probable du testament ou une caducité de la libéralité) pourraient être par exemple celle d'une réductibilité intégrale en nature de la libéralité, ou celle d'une insolvabilité probable du débiteur de l'indemnité de réduction. Le refus ne saurait se faire sans justifications, le droit de rétention abusif de l'héritier étant passible de dommages et intérêts416.
– Saisine et familles désunies. – Comment concevoir l'indivisibilité de la saisine en présence d'une situation conflictuelle ?
La saisine est indivisible417. La Cour de cassation en a déduit le principe suivant : chacun des cohéritiers est saisi de l'universalité de l'hérédité 418. En présence de famille en conflit, dont le conjoint partenaire est légataire par exemple, l'indivisibilité de la saisine oblige en effet à une délivrance de legs réalisée par toutes les fratries, tout en conférant à chacun plus de droit que n'en a un coïndivisaire. Les droits du partenaire dépendent du bon vouloir de tous.

Saisine et recomposition en famille désunie

Soit une famille, dans laquelle le défunt laisse un concubin pacsé légataire de l'usufruit du logement et des enfants nés de plusieurs unions différentes. L'entente après le décès n'est pas bonne. Les enfants sont saisis, tandis que le partenaire ne l'est pas. Le legs est un legs particulier dont la délivrance est nécessaire. Une indemnité d'occupation est en principe due. Comment agir si les enfants de la première union ne sont pas d'accord pour accorder la délivrance ?

Tout d'abord, en amont, il convient de conseiller au testateur de prévoir que le legs profitera au partenaire dès le décès.

Il faut ensuite suggérer au partenaire de formuler de manière écrite une demande en délivrance dès le premier contact. La date de cette demande sera mentionnée dans l'acte de notoriété à la requête des ayants droit, ce qui lui donnera date certaine. La tension familiale ne saurait être un argument, ni pour le notaire ni pour les récalcitrants de retarder la signature de l'acte de notoriété.

Enfin, il convient de faire signer la délivrance de legs par les enfants qui y consentent et conseiller au partenaire de faire une demande de délivrance de legs judiciaire.

Peut-on éviter la délivrance de legs grâce au droit des sociétés ?

Saisine, délivrance de legs et droit des sociétés. Le droit des sociétés peut venir au secours des familles désunies. On peut imaginer que le défunt veuille dispenser son concubin pacsé d'avoir à demander la délivrance de son legs particulier aux enfants. La volonté de nuire de certains peut conduire à un blocage que le testateur veut légitimement éviter en contournant la délivrance de legs. Cette question peut être anticipée de la manière suivante : 1) l'actif à transmettre est apporté à une société civile, dont les parts sont détenues par les partenaires ; 2) les statuts de la société prévoient que la société se poursuit de plein droit entre les associés subsistant à l'exclusion de tout ayant droit ; 3) les concubins se gratifient mutuellement à cause de mort, de la pleine propriété des parts. Au décès, le survivant est l'associé unique. Sa qualité de légataire des parts sociales ne le rend pas pour autant titulaire des parts de son compagnon. Il a droit à la valeur de ses droits sociaux, droit qu'il revendiquera une fois la délivrance faite, auprès de la société, dont il est l'unique porteur de parts. Ainsi, si les héritiers refusent de délivrer le legs, la société n'est pas paralysée et le légataire n'en ressent aucune conséquence419. L'héritier pourra agir en réduction le cas échéant.
– Saisine et déblocage des fonds. – Cette question est sans doute la première posée au notaire en charge de la succession par ceux qui sont frappés par le décès d'un proche. Comment libérer les comptes du défunt ?
Cette interrogation, qui paraît prosaïque à première vue, est pourtant importante pour ceux qui sont inquiets dans la période troublée après décès. Malgré la saisine, les banques opposent en effet aux héritiers le secret bancaire, suppriment l'interface numérique et exigent l'aval du notaire pour toute opération. Les héritiers ont parfois l'impression d'être victimes d'une forme de dépossession bancaire. Ce formalisme, auquel échappent les comptes joints, est tout à fait contraire aux principes du droit français. La simple preuve de la filiation ou du mariage devrait suffire pour accorder a minima aux héritiers un accès à l'information. On comprend bien les enjeux de protection des capitaux, on conçoit moins bien l'opposition du secret bancaire. Il serait bienvenu que les héritiers connus de la banque soient destinataires des relevés de banque, et que l'époux et les mandataires ne perdent pas la visualisation numérique des comptes de la personne décédée.
Pour les successions modestes, ab intestat, la loi de 2015 a simplifié les formalités permettant aux héritiers de débloquer les fonds sur production d'une attestation signée par tous420.
Pour les successions plus importantes, ab intestat, le déblocage, le transfert des comptes, la vente des actifs financiers, la clôture du plan épargne-logement, la clôture du coffre devraient pouvoir se faire instantanément sur production de l'acte de notoriété, des instructions et des coordonnées bancaires des ayants droit. Mais les délais sont parfois longs et le notaire, fort de la confiance des institutions et des banques et mandaté par les héritiers, a souvent plus de poids que les héritiers saisis.
S'agissant des successions intestat, les légataires même universels dont le titre a été contrôlé conformément à l'article 1007 du Code civil, investis donc du droit de se mettre en possession, rencontrent de grandes difficultés à débloquer les actifs sans instructions notariées.