Les difficultés liées à la reconnaissance conjointe anticipée

Les difficultés liées à la reconnaissance conjointe anticipée

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025

Les dérives de la reconnaissance conjointe anticipée

– Assistance amicale à la procréation. – En pratique, la RCA établie par le notaire peut aboutir à des situations que le législateur n'avait pas imaginées ou n'avait pas souhaité envisager. En raison du délai relativement long pour pratiquer une AMP ou pour d'autres raisons de pure convenance personnelle, des couples de femmes recourent à une assistance amicale à la procréation (AAP). Ces femmes se rendent alors chez un notaire pour obtenir un acte de consentement à l'AMP ainsi qu'une RCA. Ensuite, l'enfant est conçu selon une « insémination artisanale ». À sa naissance, les deux femmes produisent la RCA à l'officier d'état civil qui l'inscrit en marge de l'acte de naissance de l'enfant. L'existence d'une RCA fait présumer le recours à une AMP exogène. La filiation est ainsi établie à l'égard de la mère qui a accouché en vertu de l'article 311-25 du Code civil et à l'égard de celle qui n'a pas accouché en vertu de la RCA, et ce, sans avoir eu recours à une AMP.
– Inapplicabilité des textes relatifs à l'AMP. – Les articles 342-9 et suivants du Code civil relatifs à l'AMP ne s'appliquent pas puisque l'enfant n'est pas issu d'une technique médicale, mais d'une procréation naturelle de sorte que les conséquences à l'égard de cet enfant sont les suivantes :
  • un lien de filiation peut être établi entre l'auteur du don – le géniteur – et l'enfant ;
  • la responsabilité de l'auteur du don – le géniteur – peut être engagée ;
  • toute action aux fins d'établissement ou de contestation de la filiation peut être exercée.
– Contestation du lien de filiation par le géniteur. – Le géniteur est en droit de contester la filiation établie entre la mère qui n'a pas accouché et l'enfant pour établir sa propre filiation. En principe, en vertu de l'article 320 du Code civil, il devrait, pour respecter le principe chronologique de la filiation, la contester en justice pour pouvoir établir la sienne légalement. Néanmoins, pourrait-il être envisagé de l'établir par un acte de reconnaissance volontaire, sans pour autant contester la double filiation maternelle déjà établie, en considérant tout simplement que la branche paternelle est vacante ? En d'autres termes, l'enfant pourrait-il avoir deux mères et un père biologique sans recourir à la procédure d'adoption ? La situation semble difficilement envisageable en l'état actuel du droit français1059.
– Contestation du lien de filiation par l'une des mères. – Si la mère n'ayant pas accouché peut également être tentée de contester la filiation à l'égard de l'enfant, l'action pourrait venir de celle qui lui a donné naissance en cas de séparation du couple.
– Le fondement de la contestation. – Selon l'article 332 du Code civil, « la maternité peut être contestée en rapportant la preuve que la mère n'a pas accouché de l'enfant ». La mère qui a établi sa filiation par la RCA n'a pas accouché. Dès lors que la preuve en est rapportée et dans la mesure où la filiation peut être contestée à l'égard de celle qui n'a pas accouché en l'absence d'AMP, sa filiation devrait pouvoir être anéantie.
– Une application des articles 333 et 334 du Code civil ? – Les dispositions des articles 333 et 334 du Code civil pour exercer une action en contestation de filiation sont-elles applicables à la situation susvisée ? Dans l'affirmative, les conditions pour agir vont dépendre selon que le titre – l'acte de naissance de l'enfant établi en vertu d'une RCA frauduleuse – est corroboré ou non par une possession d'état1060. Si la possession d'état a duré moins de cinq ans, la filiation peut toujours être contestée. En revanche, si elle a duré au moins cinq ans depuis la naissance de l'enfant, le lien serait alors inattaquable1061. Néanmoins, est-ce dans l'intérêt supérieur de l'enfant de le priver d'établir une filiation à l'égard de son père biologique ? Si la RCA a été établie frauduleusement, l'adage fraus omnia corrumpit ne devrait-il pas anéantir la filiation à l'égard de la mère n'ayant pas accouché ?
– L'action du ministère public. – Reste alors l'article 336 du Code civil qui permettrait au ministère public de contester toute filiation, qu'elle soit corroborée ou non par la possession d'état, en cas de fraude à la loi. On peut alors imaginer que celui-ci, informé d'une difficulté, saisirait le tribunal judiciaire pour trancher la contestation relative à la filiation. Par ailleurs, si la contestation de la filiation provient de la mère qui n'a pas accouché, pourrait-elle être condamnée à verser des dommages et intérêts à l'enfant au même titre que le parent qui a réalisé sciemment une reconnaissance mensongère et qui la conteste ultérieurement ?
– Et l'intérêt de l'enfant ? – Le droit de la filiation repose sur trois piliers que sont l'égalité, la vérité et la stabilité. Or, le détournement frauduleux de la RCA par les couples de femmes conduit à remettre en cause deux de ces grands principes que sont la vérité – l'enfant n'est pas conçu par une AMP de sorte qu'il a le droit d'établir un lien de filiation avec son géniteur – et la stabilité – celle-ci n'est pas garantie puisqu'elle peut être contestée. Si une contestation est portée devant les tribunaux, les juges devront se prononcer en fonction de l'intérêt de l'enfant. Le lien de filiation créé à l'égard de la mère qui n'a pas accouché doit-il être anéanti alors qu'elle s'est occupée de l'enfant au quotidien pour établir une filiation à l'égard du géniteur qui ne correspond pas nécessairement au vécu familial ? Ou devront-ils maintenir la filiation initialement établie qui ne correspondait pas, dans tous les cas, à la vérité biologique ? Comme le soulignent des auteurs, « « l'intérêt de l'enfant » est une construction biaisée, fût-ce en toute bonne foi : il est l'intérêt d'un adulte »1062.

Le rôle du notaire

Si le notaire est informé de la volonté du couple de femmes de recourir à une assistance amicale à la procréation, il doit bien évidemment refuser de recueillir l'acte de consentement à l'AMP ainsi que la RCA. Néanmoins, il est à craindre que ces couples de femmes se gardent de lui communiquer une telle information.

Les difficultés en présence d'un élément d'extranéité

– La présence d'éléments d'extranéité. – Dans le cadre de la mise en œuvre d'une AMP, des éléments d'extranéité peuvent exister : le couple ou la femme non mariée résident habituellement à l'étranger, le processus médical est réalisé hors de France, les deux membres du couple n'ont pas la même nationalité, l'enfant est né à l'étranger, etc.
– L'absence de règle de conflit de lois relative à l'établissement de la filiation pour les couples de femmes. – Les règles de droit international privé relatives à la filiation sont issues de la loi du 3 janvier 19721063. Pour déterminer la loi applicable à la filiation, l'article 311-14 du Code civil prévoit que celle-ci est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant. Toutefois, si cette dernière n'est pas connue, c'est alors la loi personnelle de l'enfant qui s'impose. Ce critère de rattachement pour l'établissement de la filiation s'applique que l'enfant soit issu d'une procréation charnelle ou d'une AMP, que cette dernière ait lieu avec ou sans l'intervention d'un ou de deux tiers donneurs. Il n'est ainsi fait aucune différence sur le mode de conception de l'enfant. Ce rattachement à la nationalité de la mère apparaissait en 1972 « comme le plus clair et le plus pratique », car l'identité de cette dernière est « généralement indiscutable »1064. Cependant, il fait l'objet aujourd'hui de nombreuses critiques en raison des nouveaux modèles familiaux. Si le texte de l'article 311-14 du Code civil s'applique sans difficulté aux couples de personnes de sexe différent et à la femme non mariée ayant recours à une AMP, il l'est difficilement aux couples de femmes. Le législateur a souhaité que les deux femmes soient considérées comme les mères de l'enfant ab initio 1065. Cependant, si les deux femmes n'ont pas la même nationalité, devons-nous retenir, pour l'établissement de la filiation, la loi nationale de celle qui a porté l'enfant ou la loi nationale de celle qui n'a pas accouché ? Il est regrettable que le législateur, en créant un mode d'établissement de la filiation sui generis, n'ait envisagé aucune règle de conflit de lois spécifique pour la filiation d'un enfant né d'une AMP avec tiers donneurs dans le cadre de la loi bioéthique du 2 août 2021.
– Une application de l'article 311-17 du Code civil ? – L'article 311-17 du Code civil pose une règle de conflit relative à « la reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité ». Si ce texte a été conçu à une époque où la reconnaissance conjointe n'existait pas, il est tentant d'assimiler celle-ci à la reconnaissance dite « volontaire »1066. En conséquence, la règle de conflit prévue à l'article 311-17 du Code civil pourrait s'appliquer, sauf décision contraire des tribunaux1067.

Cas pratiques

<strong>– Premier cas : Deux femmes ont la nationalité française. Elles ont fixé leur résidence habituelle commune à l'étranger. Elles réalisent une AMP à l'étranger où l'enfant y est né. Comment la filiation sera-t-elle établie ou reconnue en France à l'égard des deux mères ?</strong> Dès lors que l'enfant est né à l'étranger, il convient de distinguer deux cas :

• une déclaration de naissance est faite au consulat à l'étranger. Pour établir la filiation des deux mères à l'égard de l'enfant, il convient de déterminer la loi applicable à l'établissement de la filiation. Selon l'article 311-14 du Code civil, « la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ». Pour la mère qui a accouché, la loi française s'applique. Sa désignation dans l'acte de naissance établit sa filiation à l'égard de l'enfant. Pour celle qui n'a pas accouché et si l'on se réfère à l'article 311-17 du Code civil, « la reconnaissance (…) est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l'enfant ». C'est également la loi française qui s'applique pour celle qui n'a pas accouché<sup class="note" data-contentnote=" L&#039;enfant qui sera issu de cette AMP sera également de nationalité française en vertu de l&#039;article 18 du Code civil.">1068</sup>. Pour établir la filiation à son égard, la RCA prévue à l'article 342-11 du Code civil est obligatoire ;

• l'acte de naissance de l'enfant a été établi à l'étranger et sa filiation est établie à l'égard de ses deux mères conformément au droit local. Le couple de femmes a toujours la possibilité de demander la transcription de l'acte de naissance étranger sur les registres de l'état civil français. Néanmoins, en raison de la nouvelle rédaction de l'article 47 du Code civil qui impose que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité, laquelle est appréciée au regard de la loi française, il n'est pas certain que ce couple puisse y procéder. Il leur est donc conseillé de signer, en France, un acte de consentement à l'AMP et une RCA avant la mise en œuvre de cette technique médicale à l'étranger.

Avant toute mise en œuvre d'une AMP exogène à l'étranger, il est conseillé aux couples de femmes, toutes deux de nationalité française, de consentir à celle-ci en application de l'article 342-10 du Code civil et de signer une RCA en vertu de l'article 342-11 du Code civil pour établir la filiation entre l'enfant qui sera issu d'une telle technique et la mère qui n'aura pas accouché. Elles devront par conséquent se rendre en France pour la signature de ces deux actes<sup class="note" data-contentnote=" V. &lt;em&gt;supra&lt;/em&gt;, n&lt;sup&gt;o&lt;/sup&gt; , pour l&#039;impossibilité de signer une procuration authentique à distance pour la régularisation de ces deux actes.">1069</sup>. Ces préconisations sont identiques dans l'hypothèse où, au sein du couple, l'une des deux femmes a la nationalité française et l'autre une nationalité étrangère.

<strong>– Deuxième cas : Un couple de femmes dont l'une est de nationalité française, l'autre de nationalité étrangère, a réalisé une AMP à l'étranger avant l'entrée en vigueur de la loi bioéthique du 2 août 2021. L'enfant est né à l'étranger. La filiation établie à l'étranger à l'égard des deux mères est-elle reconnue en France alors que le dispositif transitoire prévu à l'article 6, IV de la loi du 2 août 2021 a expiré ?</strong> Un acte de naissance de l'enfant a été établi à l'étranger de sorte que c'est une question de transcription de cet acte sur les registres de l'état civil français qui se pose et non d'établissement d'un lien de filiation en France. Il n'est donc pas nécessaire de déterminer, au préalable, la loi applicable. En raison de la nouvelle rédaction de l'article 47 du Code civil, la transcription ne pourra être que partielle à l'égard de la mère, de nationalité française, qui a accouché. Pour l'autre mère, elle ne pourra recourir qu'à l'adoption de l'enfant ; étant précisé que les conditions de l'adoption sont soumises à la loi nationale de l'adoptant en application de l'article 370-3 du Code civil<sup class="note" data-contentnote=" V. &lt;em&gt;infra&lt;/em&gt;, n&lt;sup&gt;o&lt;/sup&gt; .">1070</sup>.

<strong>– Troisième cas : les deux femmes ont la nationalité française. Elles ont fixé leur résidence habituelle commune en France ou à l'étranger. Elles ont réalisé une AMP exogène à l'étranger avant l'entrée en vigueur de la loi bioéthique du 2 août 2021. </strong>Ces deux femmes avaient-elles la possibilité de signer un acte de reconnaissance conjointe <em>a posteriori</em> ? Comme indiqué ci-dessus, il semble possible de recourir à l'article 311-17 du Code civil. En conséquence, les deux femmes ayant la nationalité française, la loi française est compétente pour établir la filiation. Elles avaient donc la possibilité, jusqu'au 2 août 2024, de réaliser une reconnaissance conjointe <em>a posteriori</em>. La question aurait pu être plus délicate si l'une des deux femmes n'avait pas la nationalité française. Néanmoins, l'article 311-17 du Code civil prévoit que la reconnaissance est également valable selon la loi personnelle de l'enfant. Or, ce dernier a nécessairement la nationalité française puisqu'il est né d'un parent français<sup class="note" data-contentnote=" C. civ., art. 18.">1071</sup>. Dès lors, la loi française étant applicable, la reconnaissance conjointe <em>a posteriori</em> était possible.

<strong>– Quatrième cas : deux femmes, de nationalité étrangère, souhaitent réaliser une AMP en France ; cette technique étant interdite dans leur pays. Est-il nécessaire de signer un acte de consentement à l'AMP et une RCA ?</strong> Que l'on applique les articles 311-14 ou 311-17 du Code civil, la filiation sera établie selon le droit étranger. Si le recours à l'AMP est interdit dans le pays d'origine de ce couple, la filiation ne sera certainement pas établie entre l'enfant et la mère qui n'a pas accouché. Néanmoins, si ce couple de femmes réside habituellement en France, il lui sera conseillé de signer l'acte de consentement et la RCA. En effet, si le droit d'accès des couples de femmes à l'AMP venait à être envisagé comme une loi de police, cette dernière garantirait alors la validité de la reconnaissance établie en France. Elle suppose alors que le couple de femmes ait un lien étroit avec la France comme, par exemple, sa résidence habituelle. Enfin, la Cour de justice de l'Union européenne, dans un arrêt du 14 décembre 2021, a condamné la Bulgarie qui a refusé de reconnaître le lien de filiation de l'enfant issu d'une AMP pratiquée en Espagne par un couple de femmes en raison de l'interdiction, pour un tel couple, de fonder une famille, que ce soit par adoption ou par AMP<sup class="note" data-contentnote=" V. CJUE, 14 déc. 2021, aff. C490/2. – R. Legendre, &lt;em&gt;Filiation internationale, quelles perspectives en droit européen : AJF&lt;/em&gt; 2023, p. 73.">1072</sup>. Pour la Cour, un tel refus porte une atteinte disproportionnée à la liberté de circulation.

– Une proposition de règlement européen 1073 . – « Si vous êtes parents dans un pays, vous êtes parents dans tous les pays »1074. La Commission européenne a présenté le 7 décembre 2022 une proposition de règlement européen relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance des décisions, à l'acceptation des actes authentiques en matière de filiation et la création d'un certificat européen de filiation. Ce sujet reste très sensible en raison de la conception que chaque pays peut avoir de la famille ; certains étant très hostiles tant à la famille homoparentale qu'au recours, par exemple, à la gestation pour autrui.
– Un projet de Code français de droit international privé 1075 . – A été remis à la Chancellerie, le 31 mars 2022, un projet de Code français de droit international privé, lequel contient des dispositions relatives à la filiation. Elles s'appliqueraient aux situations présentant un élément d'extranéité et qui seraient hors du champ d'application du droit de l'Union européenne et des conventions internationales1076. Ce Code français de droit international privé est toujours à « l'état de projet » à ce jour1077.