– Un acte destiné exclusivement aux couples de femmes. – L'article 342-11 du Code civil précise que le couple de femmes reconnaît conjointement l'enfant lors du recueil du consentement prévu à l'article 342-10 du même code. Sont visés uniquement les couples de femmes. Les couples de personnes de sexe différent et la femme non mariée sont exclus de ce dispositif.
Les caractères de la reconnaissance conjointe anticipée
Les caractères de la reconnaissance conjointe anticipée
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Un acte reçu par-devant notaire. – La circulaire du 21 septembre 2021 précise que la RCA est reçue « en la forme authentique par le notaire après que celui-ci a informé le couple de ses conséquences sur le plan de la filiation »1026. Ce praticien est seul compétent pour recevoir un tel acte.
– Un acte obligatoirement établi dans le cadre d'une AMP. – Cet acte n'est établi que lorsqu'une AMP doit être réalisée. Si l'enfant est conçu dans le cadre d'une assistance amicale à la procréation (AAP)1027, il n'est pas possible d'établir une reconnaissance conjointe pour créer un lien de filiation à l'égard de la mère qui n'aura pas accouché. Le notaire sollicité pour rédiger un tel acte doit refuser de prêter son concours.
– Un acte reçu lors du recueil de consentement. – Cette reconnaissance de l'enfant par le couple de femmes a lieu lors du recueil du consentement. Il s'agit donc d'une reconnaissance anticipée car l'enfant dont il est question n'est pas encore né, ni même conçu. En effet, le recueil de consentement doit obligatoirement être reçu par-devant notaire préalablement à toute insémination ou tout transfert d'embryons. L'AMP n'est pas encore mise en œuvre lors de la signature de cet acte et, par conséquent, lors de la reconnaissance conjointe. Aux termes de cet acte, un couple de femmes reconnaît un enfant qui n'existera peut-être jamais si l'AMP se solde par un échec ou si elle n'est tout simplement pas réalisée. Mme Nathalie Baillon-Wirtz définit cet acte comme « un pacte sur naissance future »1028. Elle précise d'ailleurs que la reconnaissance conjointe se distingue ainsi de l'acte de reconnaissance volontaire prévu à l'article 316 du Code civil. En effet, si ce dernier peut être fait avant la naissance de l'enfant, celui-ci doit être conçu1029.
La RCA est reçue concomitamment à l'acte de consentement à l'AMP
Certains couples de femmes demandent à signer l'acte de consentement à l'AMP tout en souhaitant différer, à une date ultérieure, celle de l'acte de reconnaissance conjointe. Une telle demande ne peut évidemment pas aboutir. En effet, l'article 342-11 du Code civil précise que la reconnaissance est faite « lors du recueil du consentement ». Le législateur n'a donc pas envisagé que celle-ci puisse être différée. Il s'agit d'ailleurs d'une reconnaissance anticipée. En outre, les conséquences d'un tel report pourraient être dramatiques tant pour le couple de femmes que pour l'enfant à naître. En effet, la filiation ne serait pas établie avec la femme qui n'a pas accouché si celle-ci décède avant la signature de l'acte de reconnaissance. Elle ne le serait pas davantage si le couple de femmes se sépare après la naissance de l'enfant et que la mère qui a accouché refuse de signer la reconnaissance conjointe. Le notaire serait susceptible d'engager sa responsabilité.
– Un acte établi conjointement par le couple de femmes. – L'acte de reconnaissance doit être fait conjointement par les deux femmes. Il consacre la volonté d'établir une double filiation maternelle même s'il ne produit d'effets qu'à l'égard de la femme qui n'aura pas accouché. Cet acte se distingue à nouveau de la reconnaissance volontaire de l'article 316 du Code civil qui est un acte unilatéral.
– Un acte illimité dans le temps. – La RCA n'a pas de durée de validité dans le temps.
– Un acte distinct du recueil de consentement. – Dès l'entrée en vigueur de la loi, les praticiens se sont interrogés sur la possibilité d'établir un seul et même acte contenant à la fois le recueil des consentements à l'AMP et la reconnaissance conjointe. Si certains auteurs l'envisagent1030, d'autres considèrent, au contraire, que deux actes distincts doivent être rédigés et signés par les parties1031. L'article 342-11 du Code civil manque de précision à ce titre. À notre sens, deux actes doivent être établis, l'un pour le consentement à l'AMP et l'autre pour la reconnaissance conjointe de filiation, et ce, pour trois raisons. Premièrement, ces actes ont des finalités différentes : le premier permet de constater que le couple consent à ce que l'une des deux femmes soit inséminée avec les gamètes d'un tiers ou accueille un embryon tandis que le second permet d'établir la filiation entre l'enfant issu de l'AMP et la mère qui n'a pas accouché. Deuxièmement, ces actes ne sont pas destinés, en raison de leur finalité, aux mêmes personnes. Le premier acte est donné à l'équipe médicale qui le conserve avec d'autres pièces dans le respect de leur confidentialité1032. Le second est remis à l'officier d'état civil qui le conserve dans ses archives. Or, il est recommandé, notamment par la circulaire précitée de 2021, de ne délivrer qu'une seule copie authentique de ces actes. Troisièmement, lors de l'entrée en vigueur de la loi bioéthique, l'article 847 bis du Code général des impôts exonérait de droits d'enregistrement les actes prévus à l'article 342-10 du Code civil. L'acte de reconnaissance conjointe n'était pas visé par ce texte de sorte que celui-ci était soumis au droit fixe d'enregistrement de 125 €. À la suite de contestations, cet article a été modifié par le législateur qui a précisé que sont également exonérés de droits d'enregistrement les actes de reconnaissance établis conformément à l'article 342-9 dudit code. Si le législateur a prévu deux tarifs spécifiques pour ces actes et s'il est intervenu expressément pour exonérer la reconnaissance conjointe de filiation de droit d'enregistrement, sa volonté était certainement bien celle d'établir deux actes distincts. Une réponse ministérielle du 3 octobre 2023 a précisé que « le notaire doit établir deux actes distincts : l'acte de consentement, identique aux couples hétérosexuels, et un acte de reconnaissance conjointe anticipée (RCA) »1033.
– Un acte de reconnaissance conjointe par procuration ? – La loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique n'a prévu aucune règle spécifique quant à la possibilité de signer un acte de reconnaissance conjointe par procuration, laissant la question ouverte. Pour y répondre, on peut être tenté de se référer à la reconnaissance volontaire de l'article 316 du Code civil et à la possibilité de recourir ou non à une procuration authentique. En raison de la lecture qui doit être faite à l'auteur de la reconnaissance des articles 371-1 et 371-2 du Code civil relatifs à l'autorité parentale lors de son établissement1034, elle ne devrait pas pouvoir être souscrite par procuration authentique. Cette impossibilité d'agir par procuration authentique pour la reconnaissance volontaire peut-elle être étendue à la reconnaissance conjointe de l'article 342-11 du Code civil ? Si la pratique notariale a pris pour habitude, lors de la signature de cet acte, de reproduire textuellement le contenu des articles 371-1 et 371-2 du Code civil et de les porter à la connaissance des couples de femmes par leur lecture, aucun texte légal ne l'impose. Les dispositions de l'article 62 du Code civil ne sont pas applicables à la RCA1035. Néanmoins, en raison de l'importance de cet acte qui repose exclusivement sur la volonté du couple de créer un lien de filiation entre la femme n'ayant pas accouché et l'enfant issu de l'AMP et de l'obligation faite au notaire de porter à la connaissance des deux femmes les conséquences de leur acte au regard de la filiation, la lecture des articles 371-1 et 371-2 du Code civil s'impose à juste titre lors de la signature de cet acte1036.
Le ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, a été interrogé sur les difficultés rencontrées par les couples de femmes françaises vivant à l'étranger lorsqu'elles souhaitent établir une RCA. Ce mécanisme, qualifié de « discriminatoire » par l'auteur de la question, « représente déjà une contrainte additionnelle » pour les couples de femmes résidant en France1037. Or, la situation est encore plus problématique pour les couples de femmes françaises vivant à l'étranger, car elles doivent se rendre chez un notaire en France pour signer un tel acte. Aux termes d'une réponse du 21 septembre 2023, le ministre délégué rappelle que les RCA ne peuvent plus être reçues dans les postes consulaires dans la mesure où les consuls de France n'exercent plus de fonctions notariales depuis le 1er janvier 2019. En revanche, il précise que les ressortissantes françaises domiciliées hors de France ont « la faculté de les souscrire par procuration authentique auprès d'un notaire en France, sans avoir à se déplacer »1038. S'agissant d'une procuration, elle pourrait être reçue par comparution à distance conformément à l'article 20-1 du décret no 71-941 du 26 novembre 19711039. La procuration devrait alors être établie conjointement par le couple de femmes en la forme authentique. Toutefois, la RCA suppose que l'acte de consentement à l'AMP exogène ait été reçu au préalable. Si la réponse ministérielle se prononce sur la possibilité de recourir à une procuration authentique pour la RCA, elle n'aborde absolument pas la question de l'acte de consentement à l'AMP. Or, il nous semble difficile d'admettre que celui-ci puisse faire l'objet d'une procuration authentique. Cet acte peut tout d'abord être qualifié, comme la reconnaissance conjointe, d'acte strictement personnel1040. Il s'agit en effet d'un acte d'une certaine gravité, intimement lié aux personnes qui consentent à l'AMP exogène. Aucun texte spécial ne prévoit, en outre, la possibilité de recourir à une procuration authentique pour la signature d'un tel acte. Enfin et surtout, l'article 1157-2 du Code de procédure civile impose que le consentement soit recueilli par acte authentique « hors la présence de tiers ». Pour ces raisons, l'acte de consentement à l'AMP exogène apparaît comme un acte exigeant la comparution personnelle des clients devant le notaire1041. Une telle position a d'ailleurs déjà été retenue par le CRIDON Sud-Ouest, lequel a précisé que « le procédé [de la procuration authentique] n'est pas possible » pour l'acte de consentement à l'AMP1042. En conséquence, même si la reconnaissance conjointe pourrait éventuellement être reçue par procuration authentique selon la réponse ministérielle ci-dessus, qui nous semble contestable, il n'est pas possible d'y recourir pour l'acte de consentement à l'AMP exogène. Le couple de femmes françaises vivant à l'étranger devra donc se rendre chez un notaire en France pour la signature de ces deux actes avant la mise en œuvre de l'insémination ou du transfert d'embryon.
– La tarification. – La RCA prévue à l'article 342-11 du Code civil donne lieu à la perception d'un émolument fixe de 75,46 € hors taxes1043. Des émoluments de formalités devront également être prélevés – archivage de l'acte et délivrance d'une copie authentique. Aucun honoraire ne doit être réclamé pour l'établissement de cet acte. Par ailleurs, cet acte est exonéré du droit d'enregistrement de 125 €1044. Il a été affirmé que le caractère payant de la reconnaissance conjointe constituerait une discrimination par rapport aux couples de personnes de sexe différent ayant recours à une AMP exogène. Une réponse du ministre de la Santé en date du 3 octobre 2023 a précisé que « tous les actes de reconnaissance notariés (reconnaissance conjointe anticipée, reconnaissance de paternité ou de maternité faite par acte authentique) donnent lieu à la perception d'un émolument fixe de 75,46 euros »1045. Toutefois, si le ministre rappelle les conditions tarifaires de cet acte, il ne se prononce pas sur une éventuelle discrimination entre les couples ayant recours à une AMP exogène. Or, la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 mai 2024, relève une « éventuelle atteinte au principe d'égalité et au principe fondamental reconnu par les lois de la République de gratuité de l'établissement des actes de l'état civil », laquelle pourrait résulter « du caractère payant de l'acte notarié de la reconnaissance conjointe anticipée »1046.