Les ajustements nécessaires

Les ajustements nécessaires

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Le conjoint, un héritier du tout. – En dépit de certaines incohérences et d'une promotion du conjoint sans doute trop appuyée, la réforme a été accueillie favorablement par les praticiens et les citoyens250. Il demeure néanmoins certains points à faire évoluer. Les vingt ans de pratique notariale, éclaircis par vingt ans de jurisprudence, donnent à présent le recul nécessaire pour dépasser les passions, lister les imperfections de ces textes et pouvoir faire les ajustements utiles.
La réforme est-elle allée trop loin ? La question mérite d'être posée, car même sans tenir compte des assurances-vie et des libéralités entre époux réductibles en valeur, la combinaison de la liquidation du régime matrimonial et de la succession, à laquelle s'ajoute le droit au logement qui constitue une part importante du patrimoine, conduit le conjoint à recueillir en pratique la quasi-totalité des biens existants.
– Les pistes d'orientation pour des objectifs contradictoires. – En familles solidaires comme éclatées, les objectifs poursuivis par les ayants droit sont souvent paradoxaux : éviter les indivisions entre les fratries et le nouveau conjoint, protéger le veuf sans léser les enfants, les aider à s'établir et sécuriser le niveau de vie du survivant en lui assurant un maintien dans les lieux. Ce que perçoit le notaire au premier rendez-vous à l'énoncé de ces priorités contradictoires, c'est d'abord une inquiétude du processus de règlement successoral. Les familles unies souhaitent un maintien pour le veuf et une transmission pour les enfants. Les familles désunies craignent un abus de pouvoir du conjoint, des enfants ou de l'un des membres de la fratrie et cherchent à s'en prémunir en évitant les situations de blocage. Les pistes que nous avons choisi de retenir sont des voies de simplification et de protection dans l'intérêt de la famille, qui nous paraissent supérieures à celles considérées séparément du de cujus, du conjoint et des enfants. Des ajustements techniques et juridiques pour redonner plus de place aux descendants en l'absence de libéralité peuvent certainement être proposés.

L'avenir de l'article 758-5 du Code civil

– Exemple chiffré. – L'article 758-5 du Code civil définit la masse sur laquelle se calculent les droits en toute propriété du conjoint survivant non gratifié. Les droits légaux du conjoint sont égaux à la plus faible des deux sommes représentant ses droits théoriques et la masse d'exercice251. En cette matière plus qu'en toute autre, un exemple sera préférable à un long exposé. Il servira de guide à la réflexion sur l'avenir de l'article 758-5 du Code civil.

La masse de calcul de l'article 758-5 du Code civil

Florence et Jean ont trois grands enfants : Romain, Christophe et Étienne.

Ils ont procédé à une donation-partage entre leurs enfants, portant sur des actifs financiers pour 180 000 € dont 90 000 € donnés par chaque parent. Monsieur a consenti en outre une donation rapportable à Romain d'un studio à Montpellier d'une valeur actuelle de 150 000 €.

Au décès de monsieur, le conjoint a vocation à recueillir un quart ou l'usufruit des biens existants. Le conjoint choisit un quart en propriété.

Les biens existants s'élèvent à 80 000 €.

Une question se pose s'agissant de la donation-partage<sup class="note" data-contentnote=" Une controverse doctrinale existe depuis plus de vingt ans pour savoir si les donations-partages sont ou non incluses dans la masse de calcul de l&#039;article 758-5 du Code civil. V. &lt;em&gt;infra&lt;/em&gt;, n&lt;sup&gt;o&lt;/sup&gt;
, pour un exemple liquidatif et une étude détaillée.">252</sup>. Doit-elle ou non faire partie de cette masse ? Nous l'inclurons par hypothèse dans le calcul.

<strong>1<sup>re</sup> étape :</strong> calculer les droits théoriques du conjoint (C. civ., art. 758-5, al. 1).

La masse de calcul de l'article 758-5 du Code civil s'établit ainsi :

Biens existants80 000 €
Donation rapportable150 000 €
Donation-partage90 000 €
TOTAL (assiette du quart)320 000 €
Soit un quart80 000 €

<strong>2<sup>e</sup> étape :</strong> s'assurer que les enfants sont pourvus de leur part de réserve.

La masse de calcul de l'article 922 du Code civil s'établit comme suit :

Biens existants80 000 €
Donation rapportable150 000 €
Donation-partage90 000 €

La réserve héréditaire globale est de 240 000 €.

La réserve héréditaire individuelle est de 80 000 €.

La quotité disponible est de 80 000 €.

<strong>3<sup>e</sup> étape :</strong> imputer les libéralités (étape simplifiée).

Après imputation, on constatera que les enfants sont remplis de leur part de réserve et que les libéralités ne sont pas réductibles.

<strong>4<sup>e</sup> étape</strong> : calculer la masse d'exercice des droits du conjoint (C. civ., art. 758-5, al. 2).

La masse d'exercice comprend les biens existants sans préjudice de la réserve et des droits de retour et après déduction des biens légués, soit en l'espèce 80 000 €.

<strong>Solution :</strong> Le conjoint survivant a donc vocation au titre de son quart légal à prendre la totalité des biens existants. Romain devra verser une indemnité de rapport de 150 000 € qui reviendra à ses frères Christophe et Étienne pour 1/3 chacun et Romain 1/3 en moins prenant.

– Un mécanisme savant. – Ce calcul, imposé par le législateur de 2001, simplifié ici pour les besoins de la démonstration, est dans les faits rarement appliqué, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le cas d'un conjoint héritier légal du quart, non gratifié, est assez rare. Ensuite, le mécanisme est fort peu connu, dans la mesure où la masse de l'article 758-5 du Code civil est souvent confondue dans la pratique notariale avec celle de l'article 922. Il est à notre sens source de responsabilité notariale. Enfin, le résultat imposé par l'article ne correspond pas à ce que les concitoyens ont en tête. Ils imaginent que le quart ne porte que sur les biens existants. Le conjoint non gratifié n'espère pas recueillir la totalité des actifs au décès. Il n'en a pas la légitime espérance. À cette complexité s'ajoutent deux questions complémentaires. La première est liée à l'imputation du droit viager au logement sur les droits légaux, la seconde à l'imputation des libéralités faites au conjoint sur ses droits légaux253.
– Un mécanisme incertain. – Depuis plus de vingt ans s'éternise une controverse sur la nature des libéralités qui composent la masse de calcul254. Nous ne reviendrons pas sur les arguments développés par la doctrine. Nous constaterons simplement que la requalification des anciennes donations-partages de quotes-parts indivises en donations simples pourrait faire naître un contentieux futur à l'initiative des conjoints qui souhaiteraient élargir l'assiette de leurs droits. Modifier l'article 758-5 du Code civil en précisant que les donations « en avancement de part successorale » font partie de la masse serait une possibilité, mais, à notre sens, insuffisante.
– Un mécanisme à supprimer. – Nous sommes donc confrontés à un article qui n'est pas appliqué par les praticiens, qui n'est pas compris par la population, qui ne correspond pas à l'attente du conjoint, qui est facteur d'insécurité juridique, qui est source de responsabilité notariale et incertain dans son application. Voilà six bonnes raisons pour réfléchir à sa neutralisation. Néanmoins, abroger l'article 758-5 du Code civil afin que le conjoint recueille non pas un quart des biens d'une masse, mais un quart des biens existants au décès, aurait un impact sur l'architecture globale. Il conviendrait de modifier en outre l'article 757 du Code civil comme suit :
« Si l'époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens existants lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ».
Il conviendrait de maintenir l'article 758-6 du Code civil, qui prescrit la règle du non-cumul des libéralités et des droits légaux, en précisant s'il est d'ordre public, en explicitant sa portée et en retirant la référence à l'article 757-1 de la manière suivante255 :
« Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis (aux articles) à l'article 757 (et 757-1), le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l'article 1094-1 ».
Cette référence à l'article 757-1 du Code civil est en effet difficile à comprendre, car en présence des ascendants, le conjoint est réservataire et l'article 1094-1 du Code civil n'a pas vocation à s'appliquer en pareille hypothèse. En outre, la question de savoir s'il est d'ordre public ou non et quelle est sa portée confortera la pratique notariale256.

Élargir l'option légale du conjoint survivant

– L'option légale du conjoint survivant. – Selon l'article 757 du Code civil, « le conjoint survivant recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ».
L'objectif recherché par le législateur de 2001 était d'éviter d'imposer aux enfants non communs un usufruit viager les écartant du bénéfice effectif immédiat de l'héritage. Lorsque le conjoint survivant, souvent la deuxième épouse, est beaucoup plus jeune que le défunt, les enfants n'héritent qu'à l'extinction de l'usufruit de leur belle-mère, c'est-à-dire régulièrement au moment de leur propre fin de vie. Le parti pris du législateur était également de présumer que la relation entre beaux-parents et beaux-enfants était conflictuelle. L'objectif était louable, mais l'on constate en pratique que l'option du quart est généralement inadaptée. Outre ses aspects liquidatifs très complexes, elle fait sortir les biens de la famille en configuration recomposée, elle crée une indivision entre des personnes qui n'ont pas vocation à hériter l'une de l'autre, elle a un effet fiscal qui peut conduire à une double taxation et elle procède à une transmission au profit d'un veuf statistiquement âgé qui n'attendait en général qu'un maintien de l'existant.
En situation de famille avec enfants communs, l'option du quart n'est pas non plus une option courante. Elle cède systématiquement le pas devant l'usufruit de la totalité des biens existants. Une autre étrangeté du texte est de placer les époux dans des situations différentes. Car l'article 757 du Code civil ne distingue pas les familles recomposées des familles dites « traditionnelles », mais distingue selon que le de cujus a ou non des enfants uniquement communs, si bien qu'au sein de la même famille l'un des époux peut être bénéficiaire des deux branches de l'option, tandis que l'autre n'a que le quart. Les conjoints ne peuvent donc pas espérer un traitement réciproque s'ils ne prennent pas de dispositions particulières. Pour concilier la visée initiale du texte avec l'intérêt de la famille, le professeur Catala avait proposé que l'usufruit du conjoint ne s'exerce que sur la part des enfants communs257. L'idée est ingénieuse et idéale, mais nous paraît un peu complexe.
– Une suggestion de prospective. – L'alignement des droits du conjoint en présence d'enfants, qu'ils soient tous issus des époux ou non, nous paraît être une voie à explorer. L'option légale entre le quart en pleine propriété et l'usufruit sur le tout pourrait être offerte à tous les conjoints quelle que soit la configuration familiale. Le futur défunt, en cas de probable conflit, conserverait la possibilité d'écarter l'option pour l'usufruit universel.