– Constat. – La communautarisation trop affirmée du passif fait partie des reproches adressés à ce régime. Malgré le bénéfice d'émolument, la communauté présente le risque d'imposer à un époux la charge des dettes même non solidaires nées du chef de son conjoint.
Le risque de l'endettement
Le risque de l'endettement
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Principe. – Les règles de passif dans le cadre du régime légal impliquent de distinguer le passif provisoire, c'est-à-dire l'obligation à la dette, et le passif définitif, c'est-à-dire la contribution à la dette des époux. Sous le régime de la communauté, l'obligation à la dette concerne les rapports des époux avec les créanciers. Il s'agit de déterminer sur quelle masse, propre ou commune, les créanciers pourront exercer leur poursuite. La contribution à la dette concerne les rapports des époux entre eux lors de la dissolution de la communauté. Il s'agit alors de déterminer le patrimoine qui supportera définitivement la dette271.
– L'obligation à la dette. – Le principe est que chacun des époux engage les biens qu'il gère272. Les créanciers auxquels cette règle s'impose ne peuvent saisir un bien qui ne fait pas partie de leur gage, quels que soient la nature et le montant de la dette. Le critère déterminant est le fait générateur de la dette, et non son exigibilité : elle doit être née pendant le mariage. L'article 1413 du Code civil dispose en effet que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s'il y a lieu ». Ainsi, une dette née pendant le mariage, même à raison d'un bien propre (en dehors du bien grevé reçu par donation ou succession en vertu de l'article 1410) est commune sur le plan de l'obligation. Ensuite, chaque époux engage les biens qu'il a le pouvoir d'administrer, c'est-à-dire ses biens propres ainsi que les biens communs quelle que soit la dette entrée en communauté (du chef de l'un ou l'autre des époux, contractuelle ou extracontractuelle, professionnelle ou non). Seuls les biens propres du conjoint restent à l'abri du créancier, sauf si les deux époux se sont obligés envers lui. La loi prévoit des exceptions à ce principe qui limitent le droit de gage des créanciers. Il en est ainsi, par exemple, de l'article 1415 du Code civil273. S'agissant de la conclusion d'un cautionnement ou d'un emprunt, un époux ne peut en principe engager que ses biens propres et ses revenus. Si son conjoint y consent expressément, les biens communs seront alors soumis au droit de gage des créanciers. Seuls ses biens propres en seront exclus. Si, au-delà du simple consentement à l'opération, le conjoint est co-emprunteur, le gage des créanciers s'étend alors aux biens propres des deux époux et aux acquêts de communauté.
– La contribution à la dette. – La question qui se pose cette fois ne concerne que les rapports des époux entre eux au moment de la dissolution du régime matrimonial. Il s'agit de déterminer qui doit supporter, à titre définitif, le poids d'une dette. Dans les faits, obligation et contribution à la dette peuvent donc ne pas coïncider. Sur le plan de la contribution, la répartition des dettes repose sur le principe que toute dette née du chef d'un seul des époux est présumée faite dans l'intérêt de la communauté. Elle doit donc lui incomber à titre définitif conformément aux dispositions de l'article 1409 du Code civil. Par exception, et dans un objectif d'équité, certaines dettes nées pendant le mariage demeurent à la charge exclusive de l'un des époux. On distingue ainsi deux catégories de dettes : les dettes communes qui pèsent à titre définitif sur la communauté274, et les dettes propres à chacun des époux275. Dès lors, l'article 1416 du Code civil prévoit que la communauté aura droit à récompense toutes les fois que l'engagement qu'elle a acquitté avait été contracté dans l'intérêt personnel de l'un des époux. Toutefois, il est bien certain que les recours contre l'autre époux peuvent s'avérer illusoires une fois que le mal est fait.
– Le statut de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée. – Depuis le 15 mai 2022, le nouveau statut de l'entrepreneur individuel, issu de la loi du 14 février 2022276, est entré en vigueur277.
Or, en vertu de l'article L. 526-22 du Code de commerce, l'entrepreneur individuel bénéficie, de plein droit, de deux patrimoines : le premier personnel, le second professionnel. Le gage des créanciers dépend de la nature de la créance, personnelle ou professionnelle.
La scission patrimoniale résultant de cette disposition est opposable aux créanciers dont la créance est née postérieurement au 15 mai 2022.
Toutefois, l'article L. 526-22 du Code de commerce précise également que « dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis. Il en est de même en cas de décès de l'entrepreneur individuel, sous réserve des articles L. 631-3 et L. 640-3 du présent code ». Dès lors que les patrimoines personnel et professionnel sont réunis, les biens et dettes professionnels qui composaient le patrimoine professionnel de l'entrepreneur figurent alors dans le seul et unique patrimoine dont il était titulaire.
La séparation des patrimoines professionnel et personnel se superpose à la répartition des biens propres et communs que le régime légal opère. Elle protège les biens communs qui ne sont pas utiles à l'activité professionnelle. En effet, le gage des créanciers professionnels de l'époux entrepreneur ne portera que sur les seuls biens, propres ou communs, utiles à son activité professionnelle. Mais, en pratique, il est vraisemblable que les besoins de financement nécessaires à l'activité aient raison du cantonnement de ce gage. Le banquier recherchera alors une assiette plus importante sur laquelle porter son gage. Très naturellement, le cautionnement se profile. Toutefois, il ne pourra pas être celui de l'époux entrepreneur. Selon l'article L. 526-26, alinéa 4, du Code de commerce, la distinction de ses patrimoines personnel et professionnel lui interdit de consentir à un tel engagement. L'époux sera alors enclin ou contraint de renoncer, dans les conditions prévues à l'article L. 526-25 dudit code, à la séparation des patrimoines en faveur d'un ou plusieurs créanciers professionnels pour des financements spécifiques. Or cette décision, qui relève de l'autonomie professionnelle de l'époux entrepreneur, va étendre le gage des créanciers professionnels au-delà des biens affectés à l'exercice professionnel de l'époux et exposer la masse commune au règlement des dettes professionnelles. La protection du statut de l'entrepreneur individuel est illusoire. Le danger réapparaît sans même que le conjoint l'ait autorisé.