Le décès de la caution

Le décès de la caution

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Le décès de la caution emporte des conséquences civiles (§ I) et fiscales (§ II).

Les conséquences civiles du décès de la caution

– La nécessaire distinction entre les dettes déterminées et indéterminées. – En cas de décès de la caution, une distinction doit être faite entre le cautionnement d'une dette déterminée et celui d'une dette indéterminée. Dans ce dernier cas, la transmission de la caution aux héritiers ne porte que sur le solde dû au jour du décès.
En revanche, et sauf clause contraire, le cautionnement d'une dette déterminée est transmis aux héritiers pour le tout. Cette solution résulte d'une jurisprudence de principe rendue en 1982336, confirmée depuis lors par la réforme des sûretés de 2021337. Le cas pratique suivant permet de mieux mesurer les situations que les notaires peuvent être amenés à traiter.

Le décès de la caution : l'enjeu lié à la distinction des dettes déterminées et des dettes indéterminées

M. Edimbourg est le dirigeant de la SAS Idol, société qui exploite un hôtel.

Cette société a emprunté en 2023 la somme de 400 000 € auprès du Crédit Agricole pour réaliser différents travaux d'amélioration de l'hôtel.

M. Edimbourg s'était porté caution solidaire de cet emprunt.

Par ailleurs, la SAS Idol bénéficie d'une autorisation de découvert auprès du Crédit Agricole pour le fonctionnement de ses besoins en fonds de roulement (convention de compte courant entre SAS Idol-Hôtel et le Crédit Agricole permettant « d'être à découvert »).

M. Edimbourg s'est également porté caution solidaire de cette autorisation de découvert.

Par ailleurs, M. Edimbourg s'est porté caution solidaire d'un bail d'habitation qui a été conclu au profit de sa mère portant sur un appartement situé à Montpellier.

Le 15 mars 2025, M. Edimbourg décède laissant deux enfants de dix-huit et vingt ans pour lui succéder.

Au moment de son décès, la situation passive de la société Idol était la suivante :

• le prêt-travaux de 400 000 € était remboursé à hauteur de 100 000 € (il restait donc 300 000 € à rembourser) et aucun défaut de paiement n'avait été constaté (autrement dit, M. Edimbourg, en tant que caution, n'avait jamais été engagé de son vivant) ;

• le découvert en compte courant était de 10 000 € (la banque n'avait pas actionné M. Edimbourg au titre de son engagement de caution puisqu'elle « travaillait » en confiance avec lui et acceptait donc ce découvert qui restait dans une limite raisonnable) ;

• la mère de M. Edimbourg était à jour du règlement de ses loyers.

Malheureusement, compte tenu du décès de M. Edimbourg, la société Idol peine à mener à bien ses affaires au point bientôt d'être en grande difficulté pour acquitter son passif :

• suite à trois échéances de prêt non payées après le décès, le crédit-travaux de 300 000 € est devenu immédiatement exigible ;

• le découvert en compte courant s'est creusé à 70 000 € après le décès.

Par ailleurs, la mère de M<sup>me</sup> Edimbourg, déprimée par le décès de son fils, n'a pas payé trois loyers suite au décès, ce qui correspond à un montant de 2 400 €.

La banque ainsi que le bailleur envisagent de faire jouer le cautionnement.

Les héritiers, très inquiets, demandent à leur notaire s'ils pourraient être amenés à payer les dettes en vertu de l'engagement de caution qui a été souscrit par leur père.

<strong>Solution :</strong>

• le cautionnement de la dette du prêt-travaux étant un cautionnement d'une dette déterminée, la dette de cautionnement est considérée comme étant née avant le décès. La dette de cautionnement de 300 000 € de la SAS Idol se transmet donc intégralement aux héritiers de M. Edimbourg. Il importe peu que le défaut de paiement se soit produit après le décès puisque la dette est réputée être née avant le décès ;

• le cautionnement du découvert en compte courant est un cautionnement d'une dette indéterminée de telle sorte que seul le montant du découvert au jour du décès peut être transmis aux héritiers : la dette de cautionnement sera donc transmise aux héritiers de M. Edimbourg à hauteur de 10 000 € (et non à hauteur de 70 000 €) ;

• le cautionnement de la dette de loyer étant un cautionnement de dette déterminée, celle-ci est considérée comme étant née avant le décès. Elle est donc transmise aux héritiers malgré le fait que les impayés se soient manifestés après le décès.

Plusieurs solutions pourront être proposées aux héritiers :

• solliciter l'ouverture d'une procédure de sauvegarde (si Idol n'est pas en cessation des paiements) ou de redressement judiciaire (si Idol est en cessation des paiements mais que sa situation n'est pas irrémédiablement compromise), car dans ce cadre les cautions bénéficient d'une suspension des poursuites tant pendant la période d'observation qui peut durer douze mois (sauvegarde) ou dix-huit mois (redressement judiciaire) que pendant la durée du plan, lequel peut durer dix ans ;

• accepter la succession à concurrence de l'actif net ;

• renoncer à la succession.

– Le rôle du notaire dans l'information de la caution. – La distinction entre dette déterminée et indéterminée, qui doit guider le notaire dans son raisonnement, est fondamentale. Il n'en demeure pas moins que la transmission d'une dette de cautionnement peut être très sévère pour les héritiers, surtout si ceux-ci ignorent l'existence de la dette338. La transmission passive d'un cautionnement conduit à se poser une question fondamentale : une caution a-t-elle seulement idée des conséquences que son engagement pourrait produire en cas de décès ? Souscrirait-elle cet engagement si elle était informée que sa famille pourrait être exposée en cas de décès ? S'est-elle seulement posé la question ? Une réponse négative s'impose assurément si l'on songe qu'un cautionnement est parfois signé sur un coin de table, en même temps qu'une documentation bancaire touffue d'une centaine de pages. Il est d'ailleurs intéressant de constater que les mentions manuscrites qui étaient imposées par la loi jusqu'au 1er janvier 2022 n'évoquaient pas l'aspect successoral du cautionnement.
La situation globale conduit à se demander si le recours à l'acte notarié ne devrait pas être obligatoire pour les cautionnements consentis par les personnes physiques. De cette manière, le notaire pourrait expliquer à la caution que sa signature ne permet pas seulement de débloquer un crédit (il s'agit souvent de la vision à court terme qui anime les cautions et qui occulte toute autre considération) mais qu'elle engage également ses héritiers. Les notaires voient souvent le tempérament d'acier des entrepreneurs les plus aguerris se fissurer instantanément dès que sont évoquées les conséquences de leur décès sur les êtres qu'ils chérissent…
Évidemment, afin de ne pas rendre plus difficiles les conditions d'accès au crédit, le recours obligatoire à l'acte authentique n'aurait lieu que dans des circonstances très précises : le champ d'application de l'acte notarié serait circonscrit, par exemple, au cautionnement donné par une personne physique à un créancier professionnel, ce cautionnement étant l'accessoire d'une créance d'emprunt consentie à un entrepreneur ou à une société ayant une activité économique (et étant donc sujette à un risque de procédure collective). Seuls les crédits d'un certain montant (fixé par la loi) seraient concernés par cette protection.
Cette proposition paraît d'autant plus s'imposer que la loi ne fixe plus, depuis le 1er janvier 2022, le contenu de la mention manuscrite. Si la mention manuscrite avait continué à être dictée par le législateur, il aurait pu être simplement proposé de modifier le contenu de la mention afin que la caution écrive de sa main qu'elle a pris acte des conséquences de son engagement en cas de décès.

Rappel des mentions manuscrites imposées par la loi jusqu'au 1 janvier 2022

Jusqu'au 1er janvier 2022, la loi imposait à la caution d'apposer une mention manuscrite dont le contenu était imposé par la loi. Les actes notariés en étaient dispensés en application de l'article 1369 du Code civil. Il est intéressant de constater que la mention manuscrite, lorsque son contenu était imposé par la loi, n'invitait pas la caution à réfléchir sur les conséquences de son décès.
C. consom., art. L. 331-1 (abrogé à compter du 1er janvier 2022) : « Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X, dans la limite de la somme de… couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de…, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X n'y satisfait pas lui-même » ».
C. consom., art. L. 331-2 (abrogé à compter du 1er janvier 2022) : « Lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : « En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec X je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X » ».
La loi n'a jamais estimé nécessaire d'informer la caution sur les conséquences de son décès.
Depuis le 1er janvier 2022, la mention manuscrite est toujours obligatoire pour les actes sous seing privé, mais son contenu n'est plus imposé par la loi (C. civ., art. 2397 modifié à compter du 1er janv. 2022 par Ord. no 2021-1192, 15 sept. 2021). Il appartient désormais à la caution d'écrire une mention de manière libre (en pratique, elle recopiera le modèle fourni par la banque mais dont le contenu n'est plus imposé par la loi).
– Le rôle du notaire au stade de la succession de la caution. – Le notaire doit faire preuve d'une grande prudence quant à l'option successorale des héritiers, la jurisprudence s'étant montrée réticente à admettre une décharge judiciaire dans l'hypothèse d'un engagement de caution non connu des héritiers339. Le rôle du notaire pourra également consister à négocier avec le créancier une mainlevée du cautionnement.
L'obtention d'une mainlevée, ou la signature d'une transaction pour diminuer le montant mis à la charge des héritiers, est fréquente dans la pratique : la transmission passive de la dette de cautionnement n'est pas toujours facile à assumer pour les créanciers si bien que des solutions moins rigoureuses sont souvent posées sur la table, notamment lorsque le créancier entend poursuivre des relations d'affaires avec la société débitrice. Dans l'hypothèse où aucune négociation n'est possible, et si la situation de la société n'est pas irrémédiablement compromise, l'ouverture d'une procédure collective devrait permettre aux héritiers de la caution de bénéficier d'une suspension des poursuites tant pendant la durée de la période d'observation que pendant la durée du plan de sauvegarde ou de redressement340. Évidemment, si la situation est totalement obérée, une acceptation à concurrence de l'actif net, voire une renonciation à succession devront être évoquées avec les héritiers.

Les conséquences fiscales liées au décès de la caution

– Une créance peut en cacher une autre. – Le traitement fiscal de la dette de cautionnement présente l'étonnant paradoxe d'être moins bien réglé à l'heure actuelle qu'il ne l'était au début du XX e siècle. Cette situation ne manque pas de surprendre : le crédit n'avait pas au début du XX e siècle l'influence considérable qu'il exerce dorénavant sur la constitution des patrimoines et le financement des entreprises341. Le raisonnement qui prévalait au début du XX e siècle était très solide sur le plan juridique : l'engagement de la caution ne générait pas de dette déductible en raison du recours que les héritiers de la caution avaient contre le débiteur principal pour la totalité de la somme déboursée.
Concrètement, l'inscription au passif successoral de la dette de cautionnement, si une telle inscription devait être portée par le rédacteur de la déclaration de succession, devait être compensée par l'inscription à l'actif successoral de la dette de recours du même montant342. Ce raisonnement, parfaitement conforme aux principes de droit civil, était partagé par l'administration fiscale343 ainsi que par les tribunaux344. Seule l'insolvabilité avérée du débiteur principal, rendant l'action récursoire illusoire ou impossible, permettait de déduire effectivement la dette de cautionnement345.
– Cachez cette créance que je ne saurais voir. – Le droit fiscal moderne est bien plus ambigu dans sa manière d'appréhender la question. L'article 768 du Code général des impôts subordonne l'admission d'une dette au passif de succession à la condition que son existence au jour de l'ouverture de la succession soit dûment justifiée346. Ce texte pose une réelle difficulté d'interprétation pour les dettes de cautionnement puisqu'il érige l'existence de la dette comme condition alors qu'il ne s'agit sans doute pas du critère le plus pertinent sur le plan juridique.
Tout ce qui compte en réalité est de savoir si la dette est transmise ou non aux héritiers (il faut à ce sujet reprendre la distinction entre le cautionnement d'une dette déterminée et le cautionnement d'une dette indéterminée qui a été détaillée ci-avant) sans perdre de vue l'existence de la créance de recours dont ces derniers disposent. En effet, l'article 758 du Code général des impôts commande de déclarer à l'actif successoral tous les biens mobiliers, en ce inclus les créances, figurant à l'actif de la succession347. Le résultat est finalement assez simple à appréhender : l'inscription au passif d'une dette de cautionnement est contrebalancée par l'inscription à l'actif d'une créance de recours.
C'est d'ailleurs de cette manière qu'était résolue la question au début du XX e siècle. Aussi est-il surprenant de constater que la doctrine fiscale moderne ainsi que la jurisprudence actuelle se focalisent uniquement sur la question de savoir si la dette de cautionnement présente un caractère éventuel. Plus précisément, l'orientation générale actuelle consiste à considérer que la dette de cautionnement est purement éventuelle tant que la demande de paiement du créancier n'est pas intervenue348. Si la demande en paiement intervient après le dépôt de la déclaration de succession, les héritiers peuvent déposer une déclaration de succession rectificative et demander la restitution du trop versé dans le délai de répétition349. Le plus étonnant est que l'administration ne dit mot sur la créance de recours dont disposent les héritiers et qui doit être inscrite corrélativement à l'actif successoral.
Quant à la jurisprudence de la Cour de cassation, elle s'est surtout concentrée sur le montant effectivement déductible de la dette de cautionnement lorsqu'une transaction était conclue avec les héritiers postérieurement au décès. Dans un tel cadre, la dette de cautionnement ne peut être admise en déduction que sur le montant définitif ayant fait l'objet de la transaction350. L'exemple suivant, qui constitue la suite du cas précédent, permet de mieux comprendre :

Le montant déductible d'une dette de cautionnement en cas de signature d'une transaction postérieure au décès

M. Edimbourg est décédé et a laissé à sa succession les dettes de cautionnement suivantes :

• une dette de cautionnement relative à une dette de crédit bancaire d'un montant de 300 000 € ;

• une dette de cautionnement relative à une dette de compte courant d'un montant de 10 000 € ;

• une dette de cautionnement de loyers de 2 400 €.

Six mois plus tard, au jour du dépôt de la déclaration de succession, la situation est la suivante :

• la dette de compte courant de 10 000 € a été effectivement payée par les héritiers ;

• la dette de cautionnement relative au bail n'a pas été demandée par le bailleur ;

• une transaction a été signée avec les héritiers pour que la dette de cautionnement de 300 000 € soit réduite à 60 000 €.

Sur le plan fiscal :

• la dette de compte courant de 10 000 € pourra être déduite compte tenu du fait qu'elle a été effectivement payée : au sens fiscal, la dette est devenue certaine et non plus éventuelle (V., en ce sens, BOI-ENR-DMTG-10-40-20-10, n<sup>o</sup> 80) ;

• la dette liée au bail d'habitation de 2 400 € ne pourra pas être déduite. Au sens fiscal, il s'agit d'une dette éventuelle puisqu'elle n'a pas fait l'objet d'une demande en paiement de la part du créancier (V., en ce sens, BOI-ENR-DMTG-10-40-20-10, n<sup>o</sup> 80) ;

• quant à la dette ayant fait l'objet de la transaction, on peut hésiter entre deux solutions : la prise en compte de la dette pour un montant de 300 000 € puisque le passif successoral doit être apprécié en principe au jour du décès ; à l'inverse, la prise en compte de la dette pour 60 000 € car la transaction a fixé le caractère certain de la dette de cautionnement. C'est cette dernière solution qui est privilégiée par la Cour de cassation : s'agissant de dettes successorales définitivement arrêtées par voie de transaction postérieurement au décès, seule doit être déduite de l'actif imposable la somme contradictoirement et définitivement arrêtée avec le créancier par voie transactionnelle.

L'attention du lecteur est attirée sur le fait qu'il faudrait en principe inscrire à l'actif successoral la créance de recours en application de l'article 758 du Code général des impôts. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, cette considération qui était fondamentale au début du XX
<sup>e</sup> siècle est totalement occultée par le contentieux moderne…