Le cautionnement familial consenti par une personne physique

Le cautionnement familial consenti par une personne physique

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Problématique. – Le lien de famille qui unit la caution et le débiteur peut conduire dans un premier temps à s'interroger sur la nature du consentement qui est donné par la caution. Le devoir de conscience qui anime la caution vis-à-vis du débiteur ne vient-il pas modifier la nature de ce consentement ? (Sous-section I). Le cautionnement questionne également le lien de famille lorsque le décès de la caution intervient : dans quelle mesure le cautionnement se transmet-il aux héritiers ? (Sous-section II).

Réflexion sur la nature du consentement donné par la caution dans un contexte d'entraide familiale

– Communauté d'intérêt objective et subjective. – Le fait que la caution et le débiteur doivent payer la même dette crée objectivement une communauté d'intérêts314. Mais lorsque la caution et le débiteur sont unis par un lien de famille, cette communauté d'intérêt n'est plus seulement technique et objective : elle devient subjective en raison des sentiments d'affection qui peuvent animer la caution. Cette communauté d'intérêt peut entraîner deux interrogations : le consentement de la caution est-il vraiment intègre si le lien de parenté qui unit la caution au débiteur l'empêche de refuser sa signature (§ I) ? Le consentement donné par la caution ne traduit-il pas une intention libérale à l'égard du débiteur (§ II) ?

L'intégrité du consentement à l'épreuve du lien de famille

– Le cœur a ses raisons de se porter caution que la raison ne connaît point. – Le comportement rationnel de toute personne consiste à refuser de payer une dette dont elle n'est pas la débitrice. Le cautionnement s'inscrit dans une logique parfaitement inverse puisqu'elle conduit une personne à payer la dette d'un débiteur si celui-ci est défaillant315. Mais le droit du cautionnement offre à la caution un certain nombre de garanties. Au vrai, le droit contemporain fait preuve d'une grande sollicitude à l'égard de la caution316 comme en témoignent les quelques exemples suivants : l'engagement de la caution doit être exprès317 et doit, à l'exception du cautionnement notarié318, être formalisé par une mention manuscrite sous peine de nullité319. La caution personne physique bénéficie d'un devoir de mise en garde du créancier professionnel lorsque l'engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier320. Par ailleurs, son engagement peut être réduit si le cautionnement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et aux patrimoines de la caution321.
Le tout sans évoquer les obligations d'information du créancier professionnel sous peine de déchéance de la garantie des intérêts et des pénalités322. Ces quelques exemples, qui ne prétendent pas à l'exhaustivité, démontrent que la prise en charge de la dette d'autrui est accompagnée d'un certain nombre de garanties. Mais ces règles protectrices sont-elles suffisantes si l'on considère que l'amour cautionne toutes les dettes ?
– Un dispositif suffisamment protecteur. – Il serait déraisonnable de proposer un renforcement de la protection de la caution lorsque celle-ci est unie par un lien de famille avec le débiteur. Le régime actuel du cautionnement, tel que celui-ci a été modifié par les réformes du droit des sûretés et du droit des entreprises en difficulté de 2021323, est parvenu à un équilibre cohérent s'agissant d'assurer la protection de la caution tout en maintenant l'attractivité que cette sûreté doit conserver aux yeux des créanciers.
Renforcer la protection de la caution au motif que celle-ci agirait dans un cadre d'entraide familiale ne pourrait que dissuader les créanciers de consentir un crédit. Il s'agirait même sans doute de la meilleure manière de détourner les créanciers de cette garantie et de les conduire à exiger des sûretés plus radicales telles que les sûretés-propriétés324. Il faut par ailleurs faire preuve de réalisme : les circonstances qui conduisent un membre de la famille à se porter caution sont invincibles. De même que trente moines et leur abbé ne peuvent faire braire un âne contre sa volonté, nulle information dissuasive, nulle mention manuscrite ne sauraient détourner une personne de sa volonté de se porter caution en faveur d'un proche325. Jauger le droit du cautionnement sur des questions de consentement est donc vain.
Il est certainement plus intéressant d'examiner un certain nombre de situations familiales dont les solutions, apportées sous forme de cas pratique, témoignent du grand soin qui a été apporté ces dernières années par le législateur dans la protection de la caution.

Retour sur l'action du législateur dans la protection des cautions

<strong>1)</strong> L'opposabilité des exceptions : un grand pas en avant mené par la réforme de 2021

Samantha s'est portée caution de son fils Andrea.

Celui-ci ne payant pas la dette, le créancier assigne Andrea (débiteur principal) en paiement mais également Samantha (caution).

Andrea soulève une exception de nullité en invoquant le dol et parvient précisément à faire annuler la dette pour dol (le créancier lui avait dissimulé des informations déterminantes pour son consentement à l'emprunt).

Le créancier décide alors de poursuivre uniquement Samantha (il ne peut plus poursuivre Andrea puisque la dette d'emprunt a été annulée pour dol).

Samantha peut-elle se prévaloir de l'exception de dol qui avait été soulevée avec succès par Andrea pour refuser d'exécuter son engagement de caution ?

<strong>Réponse :</strong>

Avant la réforme du 15 septembre 2021, la caution ne pouvait opposer que les exceptions inhérentes à la dette et non les exceptions personnelles. À cet égard, il avait été jugé que le dol constituait une exception personnelle que la caution ne pouvait donc pas soulever (Cass. ch. mixte, 8 juin 2007, n<sup>o</sup> 03-15.602 et en dernier lieu, Cass. com., 27 janv. 2021, n<sup>o</sup> 18-22.541). Samantha ne pouvait donc pas opposer le moyen de défense soulevé par Andrea et devait donc payer la dette.

Depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n<sup>o</sup> 2021-1192 du 15 septembre 2021 fixée au 1<sup>er</sup> janvier 2022, l'article 2298 du Code civil permet à la caution de soulever toutes les exceptions que le débiteur peut soulever.

Grâce à la réforme des sûretés du 15 septembre 2021, Samantha pourra échapper au paiement en soulevant l'exception tirée du dol. Il s'agit d'une avancée indéniable dans la protection des cautions.

<strong>2)</strong> Le sort de la caution en cas d'adoption d'un plan de restructuration d'une entreprise

Andrea est entrepreneur individuel.

Il a contracté en 2024 un crédit à court terme d'une durée de deux ans pour financer le fonds de roulement de son entreprise.

La banque a demandé le cautionnement de Samantha, la mère d'Andrea.

Andrea ayant rencontré des difficultés de trésorerie l'ayant mené à une cessation des paiements, il obtient le bénéfice d'une procédure de redressement judiciaire (C. com., art. L. 631-1 et s.).

Grâce à cette procédure, Andrea obtient un plan de redressement judiciaire qui échelonne la dette bancaire sur dix ans.

La banque ne souhaitant pas attendre le remboursement de sa créance sur dix années, elle demande à Samantha (caution) de lui rembourser immédiatement la dette.

La banque peut-elle exiger le paiement de la dette par la caution alors que le débiteur bénéficie d'un plan organisant le règlement de la dette bancaire sur dix années ?

<strong>Réponse :</strong>

– <strong>sous l'empire de la loi n<sup>o</sup> 85-98 du 25 janvier 1985</strong>, les cautions ne pouvaient pas bénéficier des délais du plan. Le créancier pouvait donc directement agir contre les cautions alors même que le débiteur principal bénéficiait d'un plan. Tout au plus, les cautions pouvaient se voir accorder un délai ou un différé de paiement dans la limite de deux ans (C. com., art. L. 621-48 ancien). Mais l'idée générale était que la caution (le plus souvent un membre de la famille) finissait toujours par payer la dette.

Si le cas pratique s'était déroulé sous l'empire de la loi de 1985, Samantha aurait été obligée de payer la dette ;

– <strong>la loi n<sup>o</sup> 2005-846 du 26 juillet 2005 dite de sauvegarde</strong> (entrée en vigueur le 1<sup>er</sup> janvier 2006) a grandement amélioré le sort des cautions. Le constat qui a été fait est que les cautions d'un entrepreneur sont le plus souvent des membres de sa famille et que cette situation mortifie l'entrepreneur lorsque les difficultés économiques se profilent. Paralysé par la peur de voir ses proches être engagés à la dette, l'entrepreneur n'ose pas saisir le tribunal. Les difficultés économiques s'aggravant (puisque l'entrepreneur n'a pas saisi le tribunal à une époque où le sauvetage de son entreprise aurait pu être possible), l'entrepreneur est finalement soumis à une procédure de liquidation judiciaire.

Le législateur de 2005 a voulu offrir une prime aux entrepreneurs : plus ils agiront tôt, plus les membres de leur famille seront protégés. C'est ainsi que le législateur a distingué la protection des cautions selon que la procédure est une procédure de sauvegarde (procédure anticipée puisqu'il n'y a pas de cessation des paiements) ou une procédure de redressement judiciaire (procédure moins anticipée puisqu'il y a cessation des paiements). Pour le législateur, l'intérêt réside dans le fait que plus un entrepreneur anticipe l'ouverture d'une procédure collective, plus il y a de chances de sauver l'entreprise. D'où l'intérêt de l'inciter à agir rapidement en offrant une protection des cautions grandissante selon la rapidité de l'entrepreneur. Comme le soulignait M. Marc Guillaume, directeur des affaires civiles et du sceau, lors des auditions préalables à l'adoption de la loi de sauvegarde : « Nous voulons faire en sorte d'attirer les gens pour traiter les difficultés le plus en amont possible ; à cette fin, nous devrons innover (…) Le projet prévoit de faire bénéficier les cautions intégralement du plan élaboré dans le cadre de la procédure de sauvegarde. C'est l'une des mesures principales du texte, particulièrement destinée aux PME, dans la mesure où c'est souvent la famille proche qui est caution » (audition de M. Marc Guillaume, directeur des affaires civiles et du sceau, Procès-verbal de la séance du 15 avril 2004, Rapp. AN n<sup>o</sup> 2094, p. 29).

Ainsi, sous l'empire de la loi de sauvegarde, les cautions personnes physiques ont pu se prévaloir d'un plan de sauvegarde <strong>mais non d'un plan de redressement</strong> (C. com., art. L. 626-11 et L. 631-20 dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n<sup>o</sup> 2021-1193 du 15 septembre 2021).

Si le cas pratique s'était déroulé sous l'empire de ces dispositions, Samantha aurait pu bénéficier des délais du plan si Andrea avait sollicité une procédure de sauvegarde. Or, Andrea n'ayant pas suffisamment anticipé, et étant placé en redressement judiciaire, Samantha n'aurait pas pu bénéficier des délais du plan. Les faits du cas pratique se déroulent toutefois sous l'empire de nouvelles dispositions que nous allons détailler maintenant… ;

– <strong>depuis l'ordonnance n<sup>o</sup> 2021-1993 du 15 septembre 2021</strong>, la caution personne physique peut désormais se prévaloir des délais résultant d'un plan de sauvegarde <strong>ou</strong> d'un plan de redressement judiciaire (C. com., art. L. 626-11).

Samantha peut donc refuser de payer la dette en se prévalant des délais du plan dont Andrea bénéficie, peu importe que ce plan soit un plan de redressement judiciaire car, dorénavant, le statut des cautions personnes physique est identique que le débiteur soit en sauvegarde ou en redressement judiciaire. Concrètement, Andrea parviendra à payer la dette dans le cadre du plan (dividende annuel versé par le commissaire à l'exécution du plan au créancier) de telle sorte que l'engagement de caution ne sera jamais mis en œuvre.

Ce cas pratique montre à quel point le sort des cautions familiales a été amélioré ces vingt dernières années par le droit des procédures collectives. Cette amélioration s'est d'ailleurs faite en sacrifiant la cohérence du droit des procédures collectives. En effet, en 2005, le but était d'inciter les entrepreneurs à traiter les difficultés avant qu'elles ne soient trop graves : concrètement, il fallait inciter les entrepreneurs à solliciter l'ouverture d'une sauvegarde plutôt qu'un redressement judiciaire. C'est pour cette raison que la protection des garants personnes physiques était plus avantageuse en cas d'ouverture d'une sauvegarde. Depuis la réforme du 15 septembre 2021, les cautions personnes physiques (qui sont le plus souvent les membres de la famille) bénéficient d'une protection pendant toute la période d'observation (qui peut durer douze mois en sauvegarde et dix-huit mois en redressement judiciaire), mais également pendant toute la durée du plan (qui peut durer dix ans, voire quinze ans pour un agriculteur), peu importe que ce plan soit un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

Le législateur de 2021 n'a pas hésité à sacrifier la cohérence du droit des procédures collectives pour parvenir à une meilleure protection des membres de la famille s'étant portée caution.

<strong>3)</strong> Le sort de la caution en cas d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire

Reprenons les données du cas suivant mais imaginons que la situation d'Andrea soit irrémédiablement compromise :

Andrea est entrepreneur individuel.

Il a contracté en 2024 un crédit à court terme d'une durée de deux ans pour financer le fonds de roulement de son entreprise.

La banque a demandé le cautionnement de Samantha, la mère d'Andrea.

Andrea rencontre des difficultés de trésorerie qui l'ont mené à une cessation des paiements. Les difficultés sont telles qu'elles compromettent irrémédiablement toute chance de redressement.

Une procédure de liquidation judiciaire est alors ouverte.

La banque veut immédiatement poursuivre Samantha. Le peut-elle ?

La liquidation judiciaire entraîne l'exigibilité immédiate de toutes les dettes de l'entrepreneur (C. com., art. L. 643-1). Cette exigibilité immédiate rejaillit-elle sur le cautionnement ?

En principe, la réponse est négative car la déchéance du terme est inopposable aux cautions ou aux coobligés, même solidaires (C. civ., art. 1305-5).

Cependant, la clause contraire est possible si bien que les contrats de cautionnement prévoient fréquemment la clause selon laquelle la déchéance de la dette principale entraînera la déchéance du terme de l'engagement de la caution. C'est grâce à cette clause que les créanciers peuvent en pratique poursuivre les cautions. <strong>Les notaires doivent d'ailleurs être vigilants et bien penser à insérer une clause de ce type dans les contrats de cautionnement qu'ils reçoivent sous peine de voir leur responsabilité être engagée par le créancier.</strong>

On imagine que le contrat de cautionnement conclu par Samantha contenait bien une clause de déchéance du terme de son engagement en cas de déchéance du terme de l'obligation principale.

Dans ce cadre, le créancier pourra poursuivre Samantha en paiement de la dette. Aucune règle du droit des procédures collectives ne protège Samantha contre le droit de poursuite du créancier.

Le droit des procédures collectives protège toutefois Samantha <strong>au stade la clôture de la procédure</strong>. En effet, et en principe, la clôture de la procédure pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur (C. com., art. L. 643-11, I). Il est fait exception à cette règle pour les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie s'ils ont payé à la place du débiteur (C. com., art. L. 643-11, II). Ainsi, dans l'absolu, Samantha pourra poursuivre Andrea en remboursement de la somme qu'elle a été amenée à payer à la place de son fils.

Revenons à notre cas pratique : si Samantha est effectivement poursuivie par le créancier, elle pourra toujours :

• solliciter un délai de grâce d'une durée maximale de deux ans (C. civ., art. 1343-5) ;

• solliciter l'ouverture d'une procédure de surendettement puisque l'impossibilité de faire face à un engagement de cautionner ou d'acquitter solidairement la dette d'un entrepreneur individuel ou d'une société caractérise également une situation de surendettement (C. consom., art. L. 711-1).

<strong>Bilan global :</strong>

Ces cas pratiques montrent les efforts menés par le législateur pour protéger les cautions. Il serait déraisonnable aujourd'hui de proposer d'aller plus loin dans la protection de la famille se portant caution. De telles mesures décourageraient les créanciers de faire crédit aux familles ou les conduiraient à choisir des sûretés plus dangereuses pour les membres de la famille telles que les sûretés-propriétés.

La nature du consentement à l'épreuve du lien de famille : le cautionnement-libéralité

– La gratuité n'équivaut pas à une libéralité. – Le cautionnement donné par un membre de la famille est par essence gratuit. Cette gratuité ne signifie pas pour autant que le cautionnement doive être qualifié de libéralité. La meilleure manière de s'en convaincre est de se rappeler que la caution dispose d'un recours contre le débiteur principal afin de lui permettre d'être entièrement remboursée de ce qu'elle a payé326. L'existence d'un recours de la caution démontre l'absence de tout dessaisissement patrimonial, et c'est d'ailleurs sur ce fondement que la Cour de cassation a pu juger que le cautionnement ne tombe pas sous la prohibition de l'article 1422 du Code civil327. Malgré tout, l'idée selon laquelle un cautionnement pourrait incarner une libéralité indirecte est évoquée par la doctrine328. Cette évocation est généralement faite dans le souci de présenter de manière exhaustive le droit du cautionnement, quitte à aborder les thèmes qui revêtent le caractère le plus académique. L'opinion commune est que le cautionnement se prête assez difficilement à une requalification en libéralité.
Cependant, il existe une opinion doctrinale radicale affirmant que le cautionnement souscrit au profit d'un héritier présomptif doit être qualifié par principe de libéralité329. On ne peut souscrire à une telle pétition de principe qui nivelle l'extrême diversité des situations pouvant être rencontrées dans la pratique330. Un notaire qui serait chargé de rédiger un cautionnement authentique et qui serait inquiété par cette question de requalification, pourrait éventuellement rappeler dans un exposé préliminaire que la caution n'est aucunement mue par une intention libérale mais qu'elle contracte cet engagement par nécessité, afin de permettre au membre de sa famille de bénéficier d'un financement qu'il n'aurait pu obtenir sans l'octroi de la garantie. L'acte notarié pourrait également rappeler les recours dont la caution dispose afin d'ancrer davantage l'opération dans le giron des sûretés et préciser qu'une copie exécutoire pourra lui être délivrée pour faciliter l'exercice de son droit de recours331.
– Absence de recours et cautionnement-libéralité. – Il faudrait véritablement se trouver dans une situation où la caution refuse d'exercer son recours pour considérer que le cautionnement constitue à la rigueur une libéralité332. C'est à tout le moins la manière avec laquelle la doctrine résout la question : le cautionnement peut constituer une libéralité si la caution renonce à son droit de recours333. Mais comment savoir si la caution a renoncé à son droit de recours ? Certes, la renonciation pourrait apparaître dans l'acte de cautionnement, mais la situation semble relever du cas d'école. À notre avis, et dans la pratique, seules des circonstances ultérieures permettraient de démontrer l'absence de volonté de la caution d'exercer son recours. La preuve de telles circonstances ne sera d'ailleurs jamais chose aisée : à moins que la caution n'ait pris un engagement écrit de ne jamais exercer de recours, ce qui encore une fois sera rare, il faudra se livrer à une analyse minutieuse du comportement de la caution pour tenter d'en déduire une intention libérale. Ce comportement pourra se traduire, par exemple, dans le fait de ne pas avoir sollicité du créancier la délivrance d'une quittance subrogative, ou encore dans le fait de laisser la prescription éteindre le droit de recours de la caution.
Cependant les choses ne sont guère simples : le non-exercice du droit de recours, même lorsque celui-ci est avéré, ne manifeste pas nécessairement une intention libérale. En décidant d'abandonner ses poursuites, la caution a pu faire preuve simplement de réalisme en constatant que l'impécuniosité du débiteur rendait sa créance irrécouvrable. C'est donc le plus souvent l'impossibilité d'exécution, et non une intention libérale, qui conduit une caution à renoncer à son droit de recours334.
Il n'en demeure pas moins que la question peut laisser une place importante au pouvoir de volonté individuelle, d'autant que les configurations susceptibles de se présenter à un notaire sont multiples. Il se trouvera bien des hypothèses où la caution aura agi dans une intention libérale335. On peut ainsi imaginer, selon les circonstances, que l'avantage tiré du non-exercice du droit de recours soit incorporé dans une donation-partage consentie ultérieurement par la caution à ses enfants. De la même manière, un testament pourra utilement préciser si l'avantage tiré du non-exercice du droit de recours doit ou non être rapporté à la succession. Ce sont bien les seules hypothèses, à notre avis, qui permettront de traiter la question du cautionnement-libéralité sans s'adonner à la pratique de l'art divinatoire.

Le décès de la caution

– Plan. – Le décès de la caution emporte des conséquences civiles (§ I) et fiscales (§ II).

Les conséquences civiles du décès de la caution

– La nécessaire distinction entre les dettes déterminées et indéterminées. – En cas de décès de la caution, une distinction doit être faite entre le cautionnement d'une dette déterminée et celui d'une dette indéterminée. Dans ce dernier cas, la transmission de la caution aux héritiers ne porte que sur le solde dû au jour du décès.
En revanche, et sauf clause contraire, le cautionnement d'une dette déterminée est transmis aux héritiers pour le tout. Cette solution résulte d'une jurisprudence de principe rendue en 1982336, confirmée depuis lors par la réforme des sûretés de 2021337. Le cas pratique suivant permet de mieux mesurer les situations que les notaires peuvent être amenés à traiter.

Le décès de la caution : l'enjeu lié à la distinction des dettes déterminées et des dettes indéterminées

M. Edimbourg est le dirigeant de la SAS Idol, société qui exploite un hôtel.

Cette société a emprunté en 2023 la somme de 400 000 € auprès du Crédit Agricole pour réaliser différents travaux d'amélioration de l'hôtel.

M. Edimbourg s'était porté caution solidaire de cet emprunt.

Par ailleurs, la SAS Idol bénéficie d'une autorisation de découvert auprès du Crédit Agricole pour le fonctionnement de ses besoins en fonds de roulement (convention de compte courant entre SAS Idol-Hôtel et le Crédit Agricole permettant « d'être à découvert »).

M. Edimbourg s'est également porté caution solidaire de cette autorisation de découvert.

Par ailleurs, M. Edimbourg s'est porté caution solidaire d'un bail d'habitation qui a été conclu au profit de sa mère portant sur un appartement situé à Montpellier.

Le 15 mars 2025, M. Edimbourg décède laissant deux enfants de dix-huit et vingt ans pour lui succéder.

Au moment de son décès, la situation passive de la société Idol était la suivante :

• le prêt-travaux de 400 000 € était remboursé à hauteur de 100 000 € (il restait donc 300 000 € à rembourser) et aucun défaut de paiement n'avait été constaté (autrement dit, M. Edimbourg, en tant que caution, n'avait jamais été engagé de son vivant) ;

• le découvert en compte courant était de 10 000 € (la banque n'avait pas actionné M. Edimbourg au titre de son engagement de caution puisqu'elle « travaillait » en confiance avec lui et acceptait donc ce découvert qui restait dans une limite raisonnable) ;

• la mère de M. Edimbourg était à jour du règlement de ses loyers.

Malheureusement, compte tenu du décès de M. Edimbourg, la société Idol peine à mener à bien ses affaires au point bientôt d'être en grande difficulté pour acquitter son passif :

• suite à trois échéances de prêt non payées après le décès, le crédit-travaux de 300 000 € est devenu immédiatement exigible ;

• le découvert en compte courant s'est creusé à 70 000 € après le décès.

Par ailleurs, la mère de M<sup>me</sup> Edimbourg, déprimée par le décès de son fils, n'a pas payé trois loyers suite au décès, ce qui correspond à un montant de 2 400 €.

La banque ainsi que le bailleur envisagent de faire jouer le cautionnement.

Les héritiers, très inquiets, demandent à leur notaire s'ils pourraient être amenés à payer les dettes en vertu de l'engagement de caution qui a été souscrit par leur père.

<strong>Solution :</strong>

• le cautionnement de la dette du prêt-travaux étant un cautionnement d'une dette déterminée, la dette de cautionnement est considérée comme étant née avant le décès. La dette de cautionnement de 300 000 € de la SAS Idol se transmet donc intégralement aux héritiers de M. Edimbourg. Il importe peu que le défaut de paiement se soit produit après le décès puisque la dette est réputée être née avant le décès ;

• le cautionnement du découvert en compte courant est un cautionnement d'une dette indéterminée de telle sorte que seul le montant du découvert au jour du décès peut être transmis aux héritiers : la dette de cautionnement sera donc transmise aux héritiers de M. Edimbourg à hauteur de 10 000 € (et non à hauteur de 70 000 €) ;

• le cautionnement de la dette de loyer étant un cautionnement de dette déterminée, celle-ci est considérée comme étant née avant le décès. Elle est donc transmise aux héritiers malgré le fait que les impayés se soient manifestés après le décès.

Plusieurs solutions pourront être proposées aux héritiers :

• solliciter l'ouverture d'une procédure de sauvegarde (si Idol n'est pas en cessation des paiements) ou de redressement judiciaire (si Idol est en cessation des paiements mais que sa situation n'est pas irrémédiablement compromise), car dans ce cadre les cautions bénéficient d'une suspension des poursuites tant pendant la période d'observation qui peut durer douze mois (sauvegarde) ou dix-huit mois (redressement judiciaire) que pendant la durée du plan, lequel peut durer dix ans ;

• accepter la succession à concurrence de l'actif net ;

• renoncer à la succession.

– Le rôle du notaire dans l'information de la caution. – La distinction entre dette déterminée et indéterminée, qui doit guider le notaire dans son raisonnement, est fondamentale. Il n'en demeure pas moins que la transmission d'une dette de cautionnement peut être très sévère pour les héritiers, surtout si ceux-ci ignorent l'existence de la dette338. La transmission passive d'un cautionnement conduit à se poser une question fondamentale : une caution a-t-elle seulement idée des conséquences que son engagement pourrait produire en cas de décès ? Souscrirait-elle cet engagement si elle était informée que sa famille pourrait être exposée en cas de décès ? S'est-elle seulement posé la question ? Une réponse négative s'impose assurément si l'on songe qu'un cautionnement est parfois signé sur un coin de table, en même temps qu'une documentation bancaire touffue d'une centaine de pages. Il est d'ailleurs intéressant de constater que les mentions manuscrites qui étaient imposées par la loi jusqu'au 1er janvier 2022 n'évoquaient pas l'aspect successoral du cautionnement.
La situation globale conduit à se demander si le recours à l'acte notarié ne devrait pas être obligatoire pour les cautionnements consentis par les personnes physiques. De cette manière, le notaire pourrait expliquer à la caution que sa signature ne permet pas seulement de débloquer un crédit (il s'agit souvent de la vision à court terme qui anime les cautions et qui occulte toute autre considération) mais qu'elle engage également ses héritiers. Les notaires voient souvent le tempérament d'acier des entrepreneurs les plus aguerris se fissurer instantanément dès que sont évoquées les conséquences de leur décès sur les êtres qu'ils chérissent…
Évidemment, afin de ne pas rendre plus difficiles les conditions d'accès au crédit, le recours obligatoire à l'acte authentique n'aurait lieu que dans des circonstances très précises : le champ d'application de l'acte notarié serait circonscrit, par exemple, au cautionnement donné par une personne physique à un créancier professionnel, ce cautionnement étant l'accessoire d'une créance d'emprunt consentie à un entrepreneur ou à une société ayant une activité économique (et étant donc sujette à un risque de procédure collective). Seuls les crédits d'un certain montant (fixé par la loi) seraient concernés par cette protection.
Cette proposition paraît d'autant plus s'imposer que la loi ne fixe plus, depuis le 1er janvier 2022, le contenu de la mention manuscrite. Si la mention manuscrite avait continué à être dictée par le législateur, il aurait pu être simplement proposé de modifier le contenu de la mention afin que la caution écrive de sa main qu'elle a pris acte des conséquences de son engagement en cas de décès.

Rappel des mentions manuscrites imposées par la loi jusqu'au 1 janvier 2022

Jusqu'au 1er janvier 2022, la loi imposait à la caution d'apposer une mention manuscrite dont le contenu était imposé par la loi. Les actes notariés en étaient dispensés en application de l'article 1369 du Code civil. Il est intéressant de constater que la mention manuscrite, lorsque son contenu était imposé par la loi, n'invitait pas la caution à réfléchir sur les conséquences de son décès.
C. consom., art. L. 331-1 (abrogé à compter du 1er janvier 2022) : « Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X, dans la limite de la somme de… couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de…, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X n'y satisfait pas lui-même » ».
C. consom., art. L. 331-2 (abrogé à compter du 1er janvier 2022) : « Lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : « En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec X je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X » ».
La loi n'a jamais estimé nécessaire d'informer la caution sur les conséquences de son décès.
Depuis le 1er janvier 2022, la mention manuscrite est toujours obligatoire pour les actes sous seing privé, mais son contenu n'est plus imposé par la loi (C. civ., art. 2397 modifié à compter du 1er janv. 2022 par Ord. no 2021-1192, 15 sept. 2021). Il appartient désormais à la caution d'écrire une mention de manière libre (en pratique, elle recopiera le modèle fourni par la banque mais dont le contenu n'est plus imposé par la loi).
– Le rôle du notaire au stade de la succession de la caution. – Le notaire doit faire preuve d'une grande prudence quant à l'option successorale des héritiers, la jurisprudence s'étant montrée réticente à admettre une décharge judiciaire dans l'hypothèse d'un engagement de caution non connu des héritiers339. Le rôle du notaire pourra également consister à négocier avec le créancier une mainlevée du cautionnement.
L'obtention d'une mainlevée, ou la signature d'une transaction pour diminuer le montant mis à la charge des héritiers, est fréquente dans la pratique : la transmission passive de la dette de cautionnement n'est pas toujours facile à assumer pour les créanciers si bien que des solutions moins rigoureuses sont souvent posées sur la table, notamment lorsque le créancier entend poursuivre des relations d'affaires avec la société débitrice. Dans l'hypothèse où aucune négociation n'est possible, et si la situation de la société n'est pas irrémédiablement compromise, l'ouverture d'une procédure collective devrait permettre aux héritiers de la caution de bénéficier d'une suspension des poursuites tant pendant la durée de la période d'observation que pendant la durée du plan de sauvegarde ou de redressement340. Évidemment, si la situation est totalement obérée, une acceptation à concurrence de l'actif net, voire une renonciation à succession devront être évoquées avec les héritiers.

Les conséquences fiscales liées au décès de la caution

– Une créance peut en cacher une autre. – Le traitement fiscal de la dette de cautionnement présente l'étonnant paradoxe d'être moins bien réglé à l'heure actuelle qu'il ne l'était au début du XX e siècle. Cette situation ne manque pas de surprendre : le crédit n'avait pas au début du XX e siècle l'influence considérable qu'il exerce dorénavant sur la constitution des patrimoines et le financement des entreprises341. Le raisonnement qui prévalait au début du XX e siècle était très solide sur le plan juridique : l'engagement de la caution ne générait pas de dette déductible en raison du recours que les héritiers de la caution avaient contre le débiteur principal pour la totalité de la somme déboursée.
Concrètement, l'inscription au passif successoral de la dette de cautionnement, si une telle inscription devait être portée par le rédacteur de la déclaration de succession, devait être compensée par l'inscription à l'actif successoral de la dette de recours du même montant342. Ce raisonnement, parfaitement conforme aux principes de droit civil, était partagé par l'administration fiscale343 ainsi que par les tribunaux344. Seule l'insolvabilité avérée du débiteur principal, rendant l'action récursoire illusoire ou impossible, permettait de déduire effectivement la dette de cautionnement345.
– Cachez cette créance que je ne saurais voir. – Le droit fiscal moderne est bien plus ambigu dans sa manière d'appréhender la question. L'article 768 du Code général des impôts subordonne l'admission d'une dette au passif de succession à la condition que son existence au jour de l'ouverture de la succession soit dûment justifiée346. Ce texte pose une réelle difficulté d'interprétation pour les dettes de cautionnement puisqu'il érige l'existence de la dette comme condition alors qu'il ne s'agit sans doute pas du critère le plus pertinent sur le plan juridique.
Tout ce qui compte en réalité est de savoir si la dette est transmise ou non aux héritiers (il faut à ce sujet reprendre la distinction entre le cautionnement d'une dette déterminée et le cautionnement d'une dette indéterminée qui a été détaillée ci-avant) sans perdre de vue l'existence de la créance de recours dont ces derniers disposent. En effet, l'article 758 du Code général des impôts commande de déclarer à l'actif successoral tous les biens mobiliers, en ce inclus les créances, figurant à l'actif de la succession347. Le résultat est finalement assez simple à appréhender : l'inscription au passif d'une dette de cautionnement est contrebalancée par l'inscription à l'actif d'une créance de recours.
C'est d'ailleurs de cette manière qu'était résolue la question au début du XX e siècle. Aussi est-il surprenant de constater que la doctrine fiscale moderne ainsi que la jurisprudence actuelle se focalisent uniquement sur la question de savoir si la dette de cautionnement présente un caractère éventuel. Plus précisément, l'orientation générale actuelle consiste à considérer que la dette de cautionnement est purement éventuelle tant que la demande de paiement du créancier n'est pas intervenue348. Si la demande en paiement intervient après le dépôt de la déclaration de succession, les héritiers peuvent déposer une déclaration de succession rectificative et demander la restitution du trop versé dans le délai de répétition349. Le plus étonnant est que l'administration ne dit mot sur la créance de recours dont disposent les héritiers et qui doit être inscrite corrélativement à l'actif successoral.
Quant à la jurisprudence de la Cour de cassation, elle s'est surtout concentrée sur le montant effectivement déductible de la dette de cautionnement lorsqu'une transaction était conclue avec les héritiers postérieurement au décès. Dans un tel cadre, la dette de cautionnement ne peut être admise en déduction que sur le montant définitif ayant fait l'objet de la transaction350. L'exemple suivant, qui constitue la suite du cas précédent, permet de mieux comprendre :

Le montant déductible d'une dette de cautionnement en cas de signature d'une transaction postérieure au décès

M. Edimbourg est décédé et a laissé à sa succession les dettes de cautionnement suivantes :

• une dette de cautionnement relative à une dette de crédit bancaire d'un montant de 300 000 € ;

• une dette de cautionnement relative à une dette de compte courant d'un montant de 10 000 € ;

• une dette de cautionnement de loyers de 2 400 €.

Six mois plus tard, au jour du dépôt de la déclaration de succession, la situation est la suivante :

• la dette de compte courant de 10 000 € a été effectivement payée par les héritiers ;

• la dette de cautionnement relative au bail n'a pas été demandée par le bailleur ;

• une transaction a été signée avec les héritiers pour que la dette de cautionnement de 300 000 € soit réduite à 60 000 €.

Sur le plan fiscal :

• la dette de compte courant de 10 000 € pourra être déduite compte tenu du fait qu'elle a été effectivement payée : au sens fiscal, la dette est devenue certaine et non plus éventuelle (V., en ce sens, BOI-ENR-DMTG-10-40-20-10, n<sup>o</sup> 80) ;

• la dette liée au bail d'habitation de 2 400 € ne pourra pas être déduite. Au sens fiscal, il s'agit d'une dette éventuelle puisqu'elle n'a pas fait l'objet d'une demande en paiement de la part du créancier (V., en ce sens, BOI-ENR-DMTG-10-40-20-10, n<sup>o</sup> 80) ;

• quant à la dette ayant fait l'objet de la transaction, on peut hésiter entre deux solutions : la prise en compte de la dette pour un montant de 300 000 € puisque le passif successoral doit être apprécié en principe au jour du décès ; à l'inverse, la prise en compte de la dette pour 60 000 € car la transaction a fixé le caractère certain de la dette de cautionnement. C'est cette dernière solution qui est privilégiée par la Cour de cassation : s'agissant de dettes successorales définitivement arrêtées par voie de transaction postérieurement au décès, seule doit être déduite de l'actif imposable la somme contradictoirement et définitivement arrêtée avec le créancier par voie transactionnelle.

L'attention du lecteur est attirée sur le fait qu'il faudrait en principe inscrire à l'actif successoral la créance de recours en application de l'article 758 du Code général des impôts. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, cette considération qui était fondamentale au début du XX
<sup>e</sup> siècle est totalement occultée par le contentieux moderne…