– Principe. – Au sens large, tout ce qui n'est pas propre à l'un des époux est commun. Dans le régime légal, l'acquêt est le principe et le bien propre est l'exception. L'esprit du régime réside dans la force d'attraction de la communauté. Le patrimoine commun est à zéro au jour du mariage. Ce contenant va s'alimenter par l'ensemble des revenus (gains et salaires, revenus des biens propres) ainsi que par les acquisitions réalisées pendant le mariage par les époux, ensemble ou séparément262. Ce processus automatique s'impose aux époux, et le doute profite à la communauté. La présomption de communauté fait de tout bien un acquêt, faute de preuve contraire263. Mais ce principe d'attraction peut manquer de souplesse.
L'attraction communautaire
L'attraction communautaire
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Manque de souplesse. – Sauf à respecter le mécanisme de l'emploi ou du remploi pour permettre à un époux d'acquérir seul un bien, toute nouvelle acquisition est commune. Les époux peuvent se sentir prisonniers de cette communauté, « [qui] colle aux doigts des conjoints comme le sparadrap à celui du capitaine Haddock dans l'Affaire Tournesol »264. Quand ils décident de se séparer sans pour autant divorcer ou, plus classiquement, quand en cours de procédure de divorce l'époux qui quitte le foyer souhaite, sans attendre le jugement, acquérir son nouveau domicile, cette nouvelle acquisition deviendra commune. Certes, la pratique notariale prend soin, dans ces situations chaotiques mais fréquentes, de proposer aux époux de faire remonter les effets du divorce à une date antérieure à l'acquisition. Pour autant, cette solution est précaire. Elle suppose, d'une part, que l'autre époux accepte ce report et, d'autre part, que le jugement de divorce soit bel et bien rendu265.
En outre, la volonté d'acquérir un bien qui ne serait pas attrait par la communauté se présente également dans des opérations familiales. Il s'agit dans cette hypothèse du souhait d'un époux d'acquérir un bien, en indivision avec des frères et sœurs, ou des cousins par exemple. Sauf à réaliser l'emploi ou le remploi de sommes propres, la part acquise par l'époux tombe irrémédiablement dans la masse commune.
– Des difficultés de qualification. – Par ailleurs, le régime de communauté n'est pas exempt de difficultés de qualification. Toute acquisition réalisée par des époux communs en biens en cours d'union accroît les biens communs. Ce ne sont que dans les cas expressément prévus par le Code civil que les biens acquis en cours d'union par un époux commun en biens peuvent constituer des biens propres à ces derniers. Mais bien souvent, cette qualification propre ou commune peut interroger. Quelques exemples permettent de s'en convaincre. Le bien nouvellement acquis bénéficie-t-il de la théorie de l'accessoire de l'article 1406, alinéa 1, du Code civil ? Le rattachement d'un bien acquis par un époux à un bien qui lui est propre emporte normalement la qualification de propre pour ce bien acquis. Ce rattachement peut être physique ou juridique, le but étant d'assurer une unité juridique de l'ensemble. Mais tous les éléments que suppose ce rattachement sont-ils réunis266 ?
Par ailleurs, la financiarisation de l'économie dans laquelle le patrimoine des époux est détenu aujourd'hui tant en placements divers que dans la pierre transforme les supports de l'épargne. Peut-on manier ledit article 1406, alinéa 1, selon lequel « les valeurs nouvelles et autres accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres » forment également des propres pour tous les nouveaux supports financiers ? Les incertitudes d'interprétation conjuguées à la complexité des sujets ne favorisent pas la sécurisation des époux.
– La revendication par l'époux de la qualité d'associé de l'article 1832-2 du Code civil. – Lorsqu'un époux apporte des biens communs lors de la constitution d'une société civile, son apport sera rémunéré par des parts sociales non négociables qui vont accroître la masse commune. La distinction classique du titre et de la finance va opérer : les parts sociales entrent en communauté uniquement pour leur valeur, alors que l'époux associé est titulaire en propre desdites parts. Or, l'époux non apporteur bénéficie de la possibilité de revendiquer la qualité d'associé pour la moitié des parts souscrites, et ce jusqu'à la dissolution de la société. Cette disposition, surprotégeant le conjoint, nuit à l'indépendance de l'époux apporteur. La pratique notariale recherche, dès la constitution de la société, la renonciation de l'époux pour éviter un contentieux en cas de désunion.
– Des risques pour le patrimoine propre. – Si l'attraction communautaire est l'essence du régime légal, elle ne doit pas avoir pour vocation de vider de toute substance le patrimoine propre des époux. L'économie du régime repose sur le juste équilibre entre les biens propres et les biens communs. L'entrée en mariage ne doit pas opérer, au cours du mariage, une dilution d'un patrimoine dans l'autre, et faire craindre à un époux de ne pas pouvoir préserver son patrimoine propre acquis avant le mariage ou recueilli par succession ou donation. Il est ainsi indispensable de pouvoir sécuriser le patrimoine propre, tant en consistance qu'en valeur. Or, la solution actuelle de preuve des récompenses est un facteur d'insécurité.