– La valorisation de la créance d'indivision, dernière étape du casse-tête. – Comme nous venons de le développer, face à une créance d'indivision le notaire liquidateur va se heurter à la question de la qualification de celle-ci, à la difficulté de sa prescription, avant de se confronter à celle de sa valorisation. Notre volonté est de synthétiser les solutions légales et jurisprudentielles offrant ainsi au notaire des réflexes liquidatifs. Il y a lieu de distinguer la valorisation des créances de l'indivision, dont les règles sont communes quel que soit le lien conjugal et celle des créances entre indivisaires, dont les modalités sont variables selon la forme d'union choisie par les indivisaires.
La valorisation des comptes d'indivision
La valorisation des comptes d'indivision
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– L'importance d'une valorisation juste. – Dans le cadre d'une démarche de partage amiable, les parties peuvent s'accorder sur les valeurs à retenir dans les opérations liquidatives tant au niveau de l'estimation des éléments d'actif qu'à celui de la valorisation des mouvements de valeur étant intervenus au cours de l'union. Néanmoins, ces estimations ou valorisations doivent être complètes et réelles, faute de quoi le partage pourrait être soit requalifié en donation indirecte, soit remis en cause par le mécanisme de la lésion. La Cour de cassation a rappelé dernièrement782 les conditions de la lésion dans le cas d'un partage d'indivision et les modalités de détermination de son existence. Il est admis depuis longtemps que, pour constater l'existence de la lésion, le juge doit tenir compte de l'ensemble des intérêts patrimoniaux, en ce compris les créances et les dettes existantes entre l'indivision et les indivisaires783, et qu'il doit comparer les droits accordés à l'indivisaire aux termes du partage avec ceux qui résulteraient de la loi. L'arrêt est intéressant dans le sens où la Cour de cassation précise qu'il faut tenir la valeur de la créance au vu des règles posées par le Code civil, en l'espèce l'article 815-13 dudit code. Cet arrêt nous rappelle l'importance de procéder à une liquidation complète des intérêts patrimoniaux au vu de la loi et de transiger éventuellement en cas d'accord différent entre les parties, afin d'éviter une action en complément de parts.
– La méthodologie. – Dans un souci de clarté, il sera traité des différentes créances prévues en les rattachant aux articles concernés du Code civil. Nous débuterons par une analyse croisée des créances au titre de certaines dépenses effectuées par un indivisaire en application des articles 815-2 et 815-13 du Code civil (§ I), puis de celles à l'encontre de l'indivisaire au titre de son occupation privative d'un bien indivis par application de l'article 815-9 (§ II), et enfin de la rémunération du gérant de l'indivision conformément à l'article 815-12 dudit code (§ III).
Les créances de l'article 815-13 du Code civil
– Plan. – Il s'agit d'envisager successivement la valorisation des créances d'un indivisaire (A) puis les créances de l'indivision (B).
Les créances de l'indivisaire
– Une valorisation inspirée du système des récompenses. – L'article 815-13 du Code civil prévoit, s'agissant des dépenses d'amélioration et de conservation financées par l'un des indivisaires sur un bien indivis, des règles de valorisation inspirées du mode de calcul des récompenses édicté à l'article 1469 du Code civil. Tout dépend donc de la nature de la dépense : s'agissant d'une dépense d'amélioration, la créance dont l'indivisaire est susceptible de se prévaloir est égale au profit subsistant alors que, s'agissant d'une dépense nécessaire à la conservation d'un bien indivis, elle est égale à la plus forte des deux sommes que représentent respectivement la dépense faite et le profit subsistant784.
Pour certaines dépenses, l'on songe principalement aux charges relatives au bien indivis, telles que la taxe foncière, la taxe d'habitation, l'assurance habitation ou les charges de copropriété non récupérables. La valorisation de la créance ne soulève aucune difficulté, dans la mesure où l'indivisaire solvens va simplement se voir rembourser ses débours au nominal. Pour les autres dépenses, la question est plus délicate car il s'agit alors de savoir comment calculer le profit subsistant, ce qui suppose, comme en matière de récompenses, de distinguer entre les dépenses relatives aux travaux, sans qu'importe leur nature, amélioration ou conservation, et celles qui ont trait au remboursement d'un prêt.
– Dépenses de travaux. – Lorsqu'il s'agit de calculer le profit subsistant pour des travaux, la créance dont l'époux peut se prévaloir contre l'indivision est calculée en fonction de la plus-value procurée à l'indivision. Bien que la loi soit équivoque de ce point de vue, en ce qu'elle vise la valeur dont le bien se trouve augmenté au jour du partage sans plus de distinction, il est clair que c'est la seule plus-value qui a pour cause la dépense qui doit être retenue785. Cette plus-value est classiquement déterminée par la différence entre la valeur actuelle du bien et celle qu'il aurait eue si la dépense n'avait pas été faite et, lorsque le bien indivis qui a fait l'objet de l'amélioration a été aliéné avant le partage, elle doit être calculée au jour de l'aliénation786, à l'instar du calcul des récompenses. La loi prend donc en considération la seule augmentation de la valeur du bien. Aussi, à défaut de plus-value, la dépense engagée ne peut-elle être indemnisée.
– Dépenses liées au remboursement d'un prêt. – S'agissant du calcul du profit subsistant pour le remboursement des mensualités d'un emprunt, la Cour de cassation a appelé récemment qu'il convenait, pour ce faire, d'appliquer la « règle de trois », utilisée usuellement pour calculer les récompenses relatives aux dépenses d'acquisition787. Mieux encore, elle a spécifié les modalités du calcul de cette règle de trois, en précisant qu'il convenait « d'établir la proportion dans laquelle le règlement des échéances de l'emprunt, en capital et intérêts, avait contribué au financement global de l'acquisition, incluant les frais d'acquisition et le coût du crédit, puis d'appliquer cette proportion à la valeur actuelle du bien dans son état au jour de l'acquisition »788.
Si la Haute juridiction use de la « règle de trois », ce qui ne saurait lui être reproché, le mode de calcul consacré, en ce qu'il « conduit à additionner des montants ne représentant pas les mêmes finalités juridiques »789, interpelle en revanche, tant en ce qui concerne le numérateur que le dénominateur.
S'agissant du numérateur, qui concerne la dépense réalisée par l'indivisaire solvens, les magistrats du quai de l'Horloge font prévaloir l'analyse qui consiste à revaloriser ensemble capital et intérêts, considérant qu'ils participent tous deux au coût de financement de l'achat du bien. Toute l'échéance du crédit est donc traitée d'un seul bloc sans distinction, et donc sans qu'importent leur finalité ou les sanctions de leurs non-règlements. À notre sens, cette formule est critiquable dans la mesure où les intérêts n'ont pas de fonction acquisitive et qu'ils ne constituent qu'une simple charge de la jouissance. Cette formule conduit donc à ajouter « le prix du temps au prix du temps »790. Au surplus, elle tranche avec celle habituellement retenue par les notaires qui consiste à dissocier deux créances : « l'une pour les intérêts, valorisée au nominal et l'autre pour le capital remboursé, et qui sera revalorisée, les deux étant ensuite destinées à s'additionner »791. À vrai dire, cette méthode d'évaluation de l'investissement du patrimoine créancier semble trouver sa justification par la formule employée par la Cour de cassation pour le dénominateur.
Au dénominateur, la formule retenue n'est pas celle usuellement utilisée. La Cour de cassation précise qu'il faut tenir compte du « financement global » de l'acquisition, qui comprend les frais d'acquisition et le coût du crédit. D'ordinaire, s'agissant des comptes d'indivision, on se réfère au dénominateur au prix du bien au jour de son acquisition en indivision de manière à le comparer ensuite à la valeur du bien au jour de la liquidation. Quant aux récompenses, on a l'habitude de se référer au coût global de l'acquisition, ce qui permet d'ajouter au prix les frais d'acquisition sans lesquels l'achat n'aurait pu se concrétiser. En l'espèce, l'assiette du dénominateur retenue par la Cour de cassation est encore plus large puisqu'on comptabilise, en plus des frais d'acquisition, le coût du crédit, ce qui comprend les frais de dossier, le coût de l'assurance et, à nouveau, les intérêts. Par cette formule, les intérêts sont donc comptabilisés à la fois au numérateur et au dénominateur, ce qui semble légitimer le mode de calcul retenu au numérateur.
Enfin la méthode de calcul retenue n'échappera pas à d'autres critiques, notamment lorsqu'il existe un décalage dans le temps entre l'acquisition du bien concerné et le début du remboursement du prêt, et donc la naissance de la créance. En pareil cas, elle aboutit, en effet, à revaloriser une créance rétroactivement, et donc à faire bénéficier le créancier d'une éventuelle plus-value pendant une période où sa créance n'était pas encore née. Le système de la dette de valeur est conçu pour permettre au créancier de ne pas être injustement victime de la dépréciation monétaire liée à l'écoulement du temps, non pour lui permettre de s'enrichir indûment. Aussi mieux vaudrait-il tenir compte, au numérateur, de la valeur du bien au jour où le remboursement a débuté plutôt que celle au jour de l'achat792.
– Pouvoir en équité du juge. – Une originalité de l'article 815-13 du Code civil tient dans la possibilité reconnue au juge de modifier le montant de la créance de l'indivisaire sur l'autel de l'équité. Cette référence à l'équité n'est pas une simple figure de style. Elle s'explique par la crainte qu'a éprouvée le législateur qu'en adoptant un système de revalorisation intégrale, une dette minime ne puisse, au bout d'un certain temps, constituer une dette considérable pour l'indivision793. C'est pourquoi l'équité permet au juge de modérer le montant du remboursement en fonction des circonstances ou de l'imprévision. Ainsi, le juge peut réduire le montant de l'indemnité due à raison des dépenses objectivement utiles mais exagérées par rapport aux souhaits de l'époux coïndivisaire de l'auteur de la dépense794, ou encore réduire le montant de dépenses somptuaires à proportion de ce qui était utile au bien indivis795. En revanche, l'équité n'étant pas la concurrente de la règle légale mais son correctif, il semble que le juge ne puisse pas exclure purement et simplement le droit à indemnité, dès lors que les conditions d'application de la règle sont réunies796.
Les créances de l'indivision
– S'agissant de la dette de l'indivisaire ayant détérioré le bien indivis. – Aucune règle spécifique de revalorisation de la créance n'est prévue par la loi797. En réalité cependant, deux hypothèses doivent être distinguées.
En cas de dégradation matérielle, l'idée de dette de valeur semble s'imposer comme une évidence. En effet, dans la mesure où le texte met en œuvre un système de responsabilité civile, la valeur de l'indemnisation due de ce chef, comme toute dette de responsabilité civile, sera naturellement fixée en considération de la diminution de valeur procurée au bien au jour de la liquidation ou au jour du règlement de la dette si l'indivision en exige le paiement par anticipation, mais en considération de l'état dans lequel se trouvait le bien au moment où le dommage a été causé798. Concrètement, l'un des indivisaires va réclamer que le bien indivis soit valorisé dans le partage sans tenir compte de la moins-value imputable à son coïndivisaire.
En revanche, en cas d'utilisation de deniers indivis à des fins personnelles par l'un des indivisaires, faute de précision textuelle, les sommes dues de ce chef doivent être comptées pour leur valeur nominale. On peut sans doute déplorer que le législateur n'ait pas prévu de règle de revalorisation dans cette hypothèse, notamment lorsque l'un des indivisaires a utilisé des fonds indivis aux fins d'améliorer un bien personnel. Certains auteurs vont plus loin et sont favorables à une bilatéralisation de l'article 815-13, alinéa 1er du Code civil, qui permettrait à l'indivision de bénéficier d'une créance revalorisée en cas d'amélioration ou de conservation d'un bien propre à l'aide de deniers indivis799.
Pour finir, il convient de souligner qu'aucune référence n'étant faite à l'équité dans l'article 815-13, alinéa 2 du Code civil, le juge ne saurait allouer à l'indivision une somme supérieure à celle que commande la stricte application du nominalisme monétaire. De même, il ne peut pas non plus allouer une somme inférieure à la dépense faite.
L'indemnité d'occupation de l'article 815-9 du Code civil
– La méthode de calcul. – L'indemnité d'occupation est certainement la créance la plus fréquemment rencontrée en pratique. Concernant sa valorisation, les indivisaires peuvent s'accorder pour le montant retenu, sous réserve qu'il soit rationnel au vu du marché locatif800. À défaut d'accord, c'est le juge qui fixe son montant. Si l'indivisaire occupant ne sait donc pas à l'avance ce que lui coûtera in fine sa jouissance privative, il ne faut cependant rien exagérer sur le flou qui est censé entourer le calcul de l'indemnité d'occupation. En effet, si les règles d'évaluation relèvent du pouvoir d'appréciation du juge du fond801, il n'empêche que la Cour de cassation fournit quelques indications générales.
L'on sait notamment que les magistrats se fondent, pour fixer le quantum de l'indemnité, sur la valeur locative du bien802. Le Groupement européen des associations d'experts évaluateurs, connu pour sa certification TEGoVA, en propose la définition suivante : « Le montant estimé auquel le bien serait loué à la date d'évaluation entre un bailleur et un preneur à bail consentants selon les termes du contrat de location, dans le cadre d'une transaction réalisée aux conditions normales du marché, après une commercialisation adéquate, les parties ayant agi chacune en toute connaissance de cause, prudemment et sans pression ». Autrement dit, il s'agit d'un loyer modéré au vu du marché locatif au jour le plus proche du partage.
Toutefois, la situation de l'occupant, tributaire d'une éventuelle demande en partage, étant plus précaire que celle d'un locataire, protégé par un statut légal, il est classiquement opéré une réfaction sur la valeur locative, qui peut varier de 15 à 30 % d'un loyer normal803. Cela étant, rien n'interdit au juge de prendre en considération d'autres éléments propres à l'espèce, comme, par exemple, la présence des enfants, laquelle peut, selon les circonstances, amener le juge à réduire, voire à supprimer l'indemnité pour jouissance privative due par l'époux occupant804. Au rebours, l'application d'un coefficient de précarité peut être perçue comme illégitime si l'occupant s'est vu accorder l'attribution préférentielle du bien puisqu'il a alors la certitude d'obtenir la propriété dudit bien au terme du partage et qu'il est impossible de l'en expulser805.
Une fois la base du calcul arrêtée, il doit être opéré, dans la pureté des principes, un calcul de l'indemnité pour jouissance privative pour chaque année due. Pour ce faire, il convient de disposer de la valeur locative du bien pour chaque année considérée, au besoin en faisant appel à un expert immobilier ou, à tout le moins, en calculant celle-ci sur la base de la valeur locative la plus proche du partage à l'aide de l'indice de référence des loyers.
– Absence d'influence des dépenses liées au bien. – Le règlement de dépenses relatives au bien occupé, quelle que soit leur nature, ne peut être pris en considération pour minorer le montant de l'indemnité. Si l'indivisaire occupant s'est préoccupé de la gestion du bien, ce qui est fréquent, et a amélioré ce dernier à ses frais, il a droit à une indemnité, prévue à l'article 815-12 du Code civil, laquelle pourra se compenser en tout ou partie, mais seulement au moment des comptes d'indivision, avec l'indemnité qu'il doit au titre de sa jouissance privative806. Le même raisonnement doit être tenu lorsque l'indivisaire a permis la conservation du bien en réglant une dette exécutoire sur ledit bien, notamment lorsque ce dernier a été acquis à l'aide d'un emprunt toujours en cours et que l'époux occupant a seul continué à régler les échéances du remboursement du prêt807. La bonne méthode consiste alors à établir un compte au nom de l'époux qui fera apparaître, d'une part, une créance de cet indivisaire à l'encontre de l'indivision et, d'autre part, l'indemnité d'occupation, seule la balance donnant lieu à règlement effectif. En aucun cas il ne saurait être question de moduler le montant de l'indemnité en fonction des dépenses engagées par l'indivisaire, et notamment du règlement des échéances de l'emprunt.
L'indemnité de gestion de l'article 815-12 du Code civil
– Méthodes de valorisation. – Le montant de cette créance est fixé soit amiablement entre les indivisaires, soit judiciairement par le juge aux affaires familiales. Néanmoins, un auteur a proposé une méthode permettant de déterminer le montant de cette indemnité, selon l'activité réellement effectuée par le gérant pour le compte de l'indivision808, laquelle a été reconnue par la Cour de cassation809, savoir :
- si le gérant ne réalise que des actes de gestion courante, bornant ses activités à l'accomplissement des actes de simple administration, il est dans une situation proche de celle d'un salarié. Dans ce cas de figure, l'indemnité peut être égale à la rémunération d'un salarié exerçant des fonctions similaires ;
- en revanche, lorsque l'indivisaire gère en son nom propre et à titre professionnel (notaire, commissaire de justice, dentiste, pharmacien, etc.), il encourt une responsabilité personnelle qui justifie qu'il puisse prétendre à une rémunération supérieure à celle d'un salarié exerçant les mêmes fonctions.
– La rémunération est indépendante du résultat. – La rémunération de l'indivisaire gérant étant la contrepartie objective de l'activité fournie, elle ne peut dépendre des résultats de l'exploitation et peut être due en principe même si la gestion se révèle déficitaire, « sauf à tenir compte, le cas échéant, de la responsabilité éventuelle du gérant pour ses actes de gestion »
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