– Plan. – Parce que la période de l'indivision, supposée temporaire, peut perdurer de longues années, le notaire liquidateur est très fréquemment confronté à deux questions épineuses : celle de sa prescription765 (Sous-section I) et celle de sa valorisation (Sous-section II).
Le régime des comptes d'indivision
Le régime des comptes d'indivision
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
La prescription des comptes d'indivision
– Le notaire confronté à la prescription. – Institution aux deux visages, souvent extinctive et parfois acquisitive, « la prescription est une institution juridique complexe, difficile à maîtriser, où les simplicités sont souvent trompeuses »766. Au-delà, elle devient, dans certaines situations conflictuelles, un outil redoutable utilisé par certains indivisaires malveillants, dont les postures dilatoires n'ont d'autre objectif que de laisser volontairement filer le temps afin d'éviter de devoir régler certaines dettes à l'indivision. Aussi, pour l'avocat, la prescription est-elle une question essentiellement stratégique, qu'il invoquera ou non selon l'intérêt de son client.
De la même manière, le notaire, qui intervient en qualité de conseil dans un cadre amiable ou judiciaire, doit informer ses clients des règles de la prescription. Comme il a pu être souligné à juste titre, « le sujet des prescriptions ne doit plus être le seul adage de l'avocat, et le notaire doit faire siennes les règles de procédure civile afin de délivrer un conseil de plus en plus personnalisé. Au-delà de la nécessaire plus-value que cela peut apporter, l'absence de maîtrise de ces règles pourrait, si un préjudice survient, engager la responsabilité du notaire saisi »767.
En revanche, le notaire saisi par le juge, en qualité d'expert ou en cas de commise, et à l'instar des juges, qui « ne peuvent pas suppléer d'office le moyen de la prescription » (C. civ., art. 2247), ne peut soulever la prescription si aucune des parties ne l'a invoquée.
– Plan. – Si le principe, pour les comptes d'indivision, est la prescription quinquennale (§ I), il existe de nombreuses hypothèses dans lesquelles ce délai de prescription a été soit suspendu, soit interrompu (§ II).
Ainsi, en principe, tous les éléments entrant dans les comptes d'indivision se prescrivent par cinq ans. Toutefois, dans certaines situations, la prescription quinquennale peut se trouver écartée.
La prescription quinquennale consacrée
– Prescription de l'action en demande des fruits et revenus. – S'agissant des comptes d'indivision, seul l'article 815-10, alinéa 3 du Code civil prévoit une règle de prescription. Selon le texte, et conformément au droit commun, l'action en demande des fruits et revenus des biens indivis se prescrit par cinq ans.
L'indemnité d'occupation étant traditionnellement assimilée aux fruits et revenus, une jurisprudence constante considère qu'elle est soumise aux dispositions de l'article 815-10, alinéa 2 du Code civil et donc à la prescription quinquennale768. Il en résulte très concrètement que le montant de l'indemnité doit par principe être calculé sur les cinq années précédant la date d'établissement de la liquidation769.
Demande de répartition des bénéfices annuels
Afin de protéger les indivisaires contre une éventuelle prescription, le législateur a octroyé la faculté à ces derniers de demander leur part dans les fruits. Cette demande peut être collective et faite à l'occasion d'un partage provisionnel des fruits (C. civ., art. 815-10, al. 2) ou individuelle, l'article 815-11, alinéa 1er du Code civil prévoyant que : « Tout indivisaire peut demander sa part annuelle dans les bénéfices, déduction faite des dépenses entraînées par les actes auxquels il a consenti ou qui lui sont opposables (…) ». Il ne s'agit pas, cependant, de satisfaire une demande intempestive nuisible à une bonne gestion. La demande considérée par l'alinéa 1er de l'article 815-11 ne porte que sur les bénéfices nets qui apparaissent au terme d'une année après déduction des charges d'exploitation, ce qui implique la nécessité d'un compte annuel de gestion de l'ensemble des biens indivis. Bien évidemment, la part des bénéfices nets à laquelle peut prétendre le demandeur est proportionnelle à ses droits dans l'indivision. Il s'agit principalement, dans les faits, pour l'un des indivisaires d'obtenir ainsi le règlement de sa part de loyer ou le remboursement d'une indemnité d'occupation, sans risque de se voir opposer in futurum une éventuelle prescription.
– Prescription des autres créances. – Pour les autres créances nées de l'indivision, et faute de texte relatif à la prescription, la Cour de cassation a dû en préciser le régime. Ainsi, la demande de remboursement de la créance, qu'il s'agisse d'une créance de l'indivision ou de l'indivisaire, est soumise à la prescription quinquennale de droit commun (C. civ., art. 2224).
La question essentielle est la détermination du point de départ de cette prescription. Au vu de la finalité des opérations liquidatives, qui reste le partage des intérêts patrimoniaux, ne faudrait-il pas considérer que ces créances ne deviennent exigibles qu'au moment du partage et qu'elles bénéficieraient, à l'instar des récompenses, de la règle de l'imprescriptibilité de celui-ci ? La réponse dépend de la nature juridique du compte d'indivision visé par les articles 815-11 et 867 du Code civil770. Il existe deux analyses envisageables, savoir :
- un compte autonome, dans lequel les créances et les dettes entrent sous forme d'articles pour disparaître au sein d'une universalité de droit et pour former un tout indivisible dont seul le solde sera déterminé au moment du partage, tel un compte courant bancaire ou compte de récompenses ;
- un « compte analytique »771, un simple état dans lequel figurent pour chaque indivisaire les dettes de l'indivision à son égard et ses créances sur l'indivision.
Si la première analyse est retenue, l'indivisaire ne peut pas demander le règlement de sa créance avant le partage car cette dernière est entrée en compte. En conséquence, son sort suit celui du partage et devient imprescriptible jusqu'à celui-ci. En revanche, si la seconde analyse est privilégiée, l'indivisaire peut réclamer le paiement de sa créance à tout moment, sous réserve de la prescription de celle-ci. Dans ce cas de figure, le point de départ du délai de prescription est l'exigibilité de la créance.
La Cour de cassation semble s'être prononcée sur ce sujet en rappelant que ces créances pouvant être réglées par prélèvement sur l'actif indivis conformément à l'article 815-17 du Code civil, avant tout partage, elles deviennent donc exigibles de suite, et que c'est le régime commun de la prescription extinctive qui doit s'appliquer772. Il en découle que le point de départ de la prescription est l'exigibilité de la créance, étant ici précisé qu'en cas de créances périodiques, telles que les échéances de remboursement d'un prêt immobilier, la prescription s'applique à chacune des échéances acquittées773.
Il convient cependant de conserver à l'esprit que la Haute juridiction avait jugé, en son temps, que la prescription quinquennale ne s'appliquait pas à l'indemnité de gestion dans la mesure où « conformément aux dispositions de l'article 815-12 du même code, l'indivisaire peut demander au juge de fixer la rémunération de son activité de gestion de l'indivision, cette somme n'étant pas payable par année ou par termes successifs »774. Cette solution est-elle toujours de droit positif ? L'on peut légitimement en douter car il semblerait que la Cour de cassation entende aujourd'hui soumettre l'ensemble des créances de l'indivision à la règle de principe de l'article 2224 du Code civil, et l'on perçoit difficilement en réalité ce qui justifierait que l'indemnité de gestion de l'article 815-12 du Code civil y fasse exception.
Quelle prescription pour les époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts ?
L'on sait que pour les époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts, il existe un délai de prescription spécial. Effectivement, l'article 1578 du Code civil prévoit une prescription réduite de trois ans à compter de la dissolution du mariage qui s'applique tant à la liquidation de la créance de participation qu'à celle des créances entre époux, au motif que leur règlement de ces dernières « participe de la liquidation du régime matrimonial de participation aux acquêts »775. Qu'en est-il lorsque les époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts sont propriétaires de biens indivis, qu'il convient de partager, et qui donnent lieu à des comptes d'indivision ? Doit-on considérer, à l'aune de cette jurisprudence, et parce qu'ils « participent de la liquidation du régime matrimonial participatif », que les créances nées de l'indivision sont soumises à la prescription triennale ? À notre sens, une réponse négative s'impose. Les comptes de l'indivision sont avant toute chose rattachés au partage de l'indivision et doivent suivre le régime de droit commun. Du reste, dans la pureté des principes, rien n'empêche les époux de régler leur créance de participation tout en conservant des biens en indivision, susceptibles de prêter le flanc à d'éventuels comptes d'indivision, dont on perçoit alors nettement que le régime ne saurait être calqué sur celui de la créance de participation776.
La prescription quinquennale contrariée
– Délai butoir. – La prescription des comptes d'indivision peut-être figée ou, plus radicalement encore effacée, par le biais d'une suspension ou d'une interruption. Alors que « la suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru » (C. civ., art. 2230), « l'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien » (C. civ., art. 2231). Il en découle deux régimes différents, que le notaire liquidateur doit maîtriser. Néanmoins, ces deux régimes partagent une règle commune, édictée à l'article 2232 du Code civil, lequel prévoit un délai butoir : ni la suspension, ni l'interruption ne peuvent avoir pour effet de porter le délai de la prescription au-delà de vingt ans à compter de la naissance du droit. Ceci dit, il y a donc lieu d'étudier successivement les cas de suspension (A) et ceux d'interruption (B) rencontrés dans les dossiers de liquidation-partage.
La suspension de la prescription
– Suspension de la prescription entre époux ou partenaires. – La prescription quinquennale est susceptible d'être suspendue, notamment en application de l'article 2236 du Code civil, selon lequel la prescription « ne court pas (…) entre époux, ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ». Il en résulte concrètement que la prescription quinquennale qui s'applique aux comptes de l'indivision ne peut commencer à courir qu'à compter du jour où le jugement de divorce acquiert force de chose jugée ou du jour de la dissolution du Pacs. Il va sans dire qu'une telle solution est susceptible d'aboutir à faire remonter le point de départ des comptes de nombreuses années en arrière, principalement entre époux, lorsque la procédure de divorce s'est éternisée. C'est le cas notamment, mais pas seulement, pour les époux s'agissant de l'indemnité d'occupation. En pareille occurrence, en effet, à défaut de gratuité pendant l'instance, lorsque le conjoint de l'époux occupant forme une demande d'indemnité d'occupation dans le délai de cinq ans suivant cette date, il est en droit d'obtenir paiement de celle-ci depuis l'origine, sans que la prescription quinquennale puisse lui être opposée777. Difficilement critiquable en droit, la solution peut avoir des répercussions dramatiques pour l'époux occupant, qui peut ainsi se retrouver condamné rétroactivement au paiement d'une indemnité, dont le montant est aussi lourd qu'imprévisible. Une situation analogue peut exister en matière de Pacs.
– Absence de suspension pour les concubins. – Aucun texte ne prévoit la suspension de la prescription pour le temps du concubinage. Partant, si la durée du concubinage est importante, sous peine d'être forclos, le concubin solvens est supposé agir au cours du concubinage, ce qui est de fait irréaliste. Cette différence de traitement avec le couple marié ou pacsé n'est pas de nature à sensibiliser la Cour de cassation, laquelle a récemment refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité, en considérant que ces questions, invoquant le principe d'égalité et le droit de mener une vie familiale normale, ne sont ni nouvelles ni sérieuses778.
– Expertises, MARD et suspension. – Certaines voies procédurales peuvent être cause de suspension.
C'est le cas du recours à un mode alternatif de règlement des différends (MARD), l'article 2238 du Code civil prévoyant, en effet, que la suspension commence à courir « à compter du jour où, après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation, ou à défaut d'accord écrit, à compter du jour de la première de médiation ou de conciliation. La prescription est également suspendue à compter de la conclusion d'une convention de procédure participative ou à compter de l'accord du débiteur constaté par l'huissier de justice pour participer à la procédure prévue à l'article L. 125-1 du Code des procédures civiles d'exécution ».
Selon l'article 2239 du Code civil : « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès ». La suspension suppose que la mesure d'instruction ait été ordonnée en justice. Une expertise amiable contradictoire n'a donc pas d'effet suspensif779. Par ailleurs, la mesure d'instruction doit être relative aux créances pour lesquelles est invoquée la suspension de prescription. Il en est ainsi, par exemple, d'une expertise visant à fixer la valeur locative d'un bien occupé par un indivisaire en en vue d'une demande de paiement d'une indemnité d'occupation. En revanche, une expertise visant uniquement à évaluer les biens en vue du partage ne suspend pas la prescription de l'indemnité d'occupation ou des créances de l'indivisaire qui a réglé des dépenses concernant les biens estimés.
L'interruption de la prescription
– Causes d'interruption. – La prescription peut être interrompue par une assignation en partage judiciaire ou par tout acte de procédure, tel un jeu de conclusions, dès lors que ces actes contiennent une demande, même implicite780, relative aux créances revendiquées. Postérieurement, dans le cadre des opérations de partage judiciaire, l'établissement d'un procès-verbal de dires ou d'un projet d'état liquidatif constatant les désaccords subsistant par le notaire chargé de la liquidation et du partage, aux termes d'une commise judiciaire (CPC, art. 1364, al. 1), est également interruptif, à condition là encore que la demande de créance soit formulée781. Un tel effet est également attaché à la demande qui serait formulée par l'avocat d'un indivisaire dans le cadre d'un « dire ».
– Effets de l'interruption. – L'interruption de la prescription a pour effet d'ouvrir un nouveau délai, identique au délai initial (C. civ., art. 2231). En clair, le compteur est remis à zéro à l'égard du débiteur concerné par l'acte interruptif. Cela étant, lorsque l'interruption résulte d'une demande en justice, le nouveau délai commence à courir non pas immédiatement mais seulement à l'extinction de l'instance (C. civ., art. 2242). Sur ce dernier point, soulignons que le procès-verbal de difficultés dressé par un notaire désigné par le juge doit être assimilé à une demande en justice.
Aménagements conventionnels de la prescription
Conformément aux règles de droit commun, les indivisaires peuvent abréger ou allonger la durée de la prescription, pourvu toutefois que celle-ci ne soit pas réduite à moins d'un an ni étendue à plus de dix ans, ces limites étant impératives (C. civ., art. 2254, al. 1er). Cette faculté peut être utile quand les indivisaires optent pour un maintien en indivision, dont la durée pourrait de fait excéder cinq années, afin d'éviter que l'indivisaire solvens ne se retrouve forclos.
Les indivisaires peuvent également ajouter des causes de suspension ou d'interruption dans la convention organisant leur indivision. Ces facultés peuvent être intéressantes, notamment, mais pas seulement, en présence de concubins, auxquels il pourrait être utilement conseillé de prévoir de telles clauses, en particulier à l'occasion d'un achat immobilier, pour ne pas se voir enfermés dans les délais stricts de la prescription quinquennale.
La valorisation des comptes d'indivision
– La valorisation de la créance d'indivision, dernière étape du casse-tête. – Comme nous venons de le développer, face à une créance d'indivision le notaire liquidateur va se heurter à la question de la qualification de celle-ci, à la difficulté de sa prescription, avant de se confronter à celle de sa valorisation. Notre volonté est de synthétiser les solutions légales et jurisprudentielles offrant ainsi au notaire des réflexes liquidatifs. Il y a lieu de distinguer la valorisation des créances de l'indivision, dont les règles sont communes quel que soit le lien conjugal et celle des créances entre indivisaires, dont les modalités sont variables selon la forme d'union choisie par les indivisaires.
– L'importance d'une valorisation juste. – Dans le cadre d'une démarche de partage amiable, les parties peuvent s'accorder sur les valeurs à retenir dans les opérations liquidatives tant au niveau de l'estimation des éléments d'actif qu'à celui de la valorisation des mouvements de valeur étant intervenus au cours de l'union. Néanmoins, ces estimations ou valorisations doivent être complètes et réelles, faute de quoi le partage pourrait être soit requalifié en donation indirecte, soit remis en cause par le mécanisme de la lésion. La Cour de cassation a rappelé dernièrement782 les conditions de la lésion dans le cas d'un partage d'indivision et les modalités de détermination de son existence. Il est admis depuis longtemps que, pour constater l'existence de la lésion, le juge doit tenir compte de l'ensemble des intérêts patrimoniaux, en ce compris les créances et les dettes existantes entre l'indivision et les indivisaires783, et qu'il doit comparer les droits accordés à l'indivisaire aux termes du partage avec ceux qui résulteraient de la loi. L'arrêt est intéressant dans le sens où la Cour de cassation précise qu'il faut tenir la valeur de la créance au vu des règles posées par le Code civil, en l'espèce l'article 815-13 dudit code. Cet arrêt nous rappelle l'importance de procéder à une liquidation complète des intérêts patrimoniaux au vu de la loi et de transiger éventuellement en cas d'accord différent entre les parties, afin d'éviter une action en complément de parts.
– La méthodologie. – Dans un souci de clarté, il sera traité des différentes créances prévues en les rattachant aux articles concernés du Code civil. Nous débuterons par une analyse croisée des créances au titre de certaines dépenses effectuées par un indivisaire en application des articles 815-2 et 815-13 du Code civil (§ I), puis de celles à l'encontre de l'indivisaire au titre de son occupation privative d'un bien indivis par application de l'article 815-9 (§ II), et enfin de la rémunération du gérant de l'indivision conformément à l'article 815-12 dudit code (§ III).
Les créances de l'article 815-13 du Code civil
– Plan. – Il s'agit d'envisager successivement la valorisation des créances d'un indivisaire (A) puis les créances de l'indivision (B).
Les créances de l'indivisaire
– Une valorisation inspirée du système des récompenses. – L'article 815-13 du Code civil prévoit, s'agissant des dépenses d'amélioration et de conservation financées par l'un des indivisaires sur un bien indivis, des règles de valorisation inspirées du mode de calcul des récompenses édicté à l'article 1469 du Code civil. Tout dépend donc de la nature de la dépense : s'agissant d'une dépense d'amélioration, la créance dont l'indivisaire est susceptible de se prévaloir est égale au profit subsistant alors que, s'agissant d'une dépense nécessaire à la conservation d'un bien indivis, elle est égale à la plus forte des deux sommes que représentent respectivement la dépense faite et le profit subsistant784.
Pour certaines dépenses, l'on songe principalement aux charges relatives au bien indivis, telles que la taxe foncière, la taxe d'habitation, l'assurance habitation ou les charges de copropriété non récupérables. La valorisation de la créance ne soulève aucune difficulté, dans la mesure où l'indivisaire solvens va simplement se voir rembourser ses débours au nominal. Pour les autres dépenses, la question est plus délicate car il s'agit alors de savoir comment calculer le profit subsistant, ce qui suppose, comme en matière de récompenses, de distinguer entre les dépenses relatives aux travaux, sans qu'importe leur nature, amélioration ou conservation, et celles qui ont trait au remboursement d'un prêt.
– Dépenses de travaux. – Lorsqu'il s'agit de calculer le profit subsistant pour des travaux, la créance dont l'époux peut se prévaloir contre l'indivision est calculée en fonction de la plus-value procurée à l'indivision. Bien que la loi soit équivoque de ce point de vue, en ce qu'elle vise la valeur dont le bien se trouve augmenté au jour du partage sans plus de distinction, il est clair que c'est la seule plus-value qui a pour cause la dépense qui doit être retenue785. Cette plus-value est classiquement déterminée par la différence entre la valeur actuelle du bien et celle qu'il aurait eue si la dépense n'avait pas été faite et, lorsque le bien indivis qui a fait l'objet de l'amélioration a été aliéné avant le partage, elle doit être calculée au jour de l'aliénation786, à l'instar du calcul des récompenses. La loi prend donc en considération la seule augmentation de la valeur du bien. Aussi, à défaut de plus-value, la dépense engagée ne peut-elle être indemnisée.
– Dépenses liées au remboursement d'un prêt. – S'agissant du calcul du profit subsistant pour le remboursement des mensualités d'un emprunt, la Cour de cassation a appelé récemment qu'il convenait, pour ce faire, d'appliquer la « règle de trois », utilisée usuellement pour calculer les récompenses relatives aux dépenses d'acquisition787. Mieux encore, elle a spécifié les modalités du calcul de cette règle de trois, en précisant qu'il convenait « d'établir la proportion dans laquelle le règlement des échéances de l'emprunt, en capital et intérêts, avait contribué au financement global de l'acquisition, incluant les frais d'acquisition et le coût du crédit, puis d'appliquer cette proportion à la valeur actuelle du bien dans son état au jour de l'acquisition »788.
Si la Haute juridiction use de la « règle de trois », ce qui ne saurait lui être reproché, le mode de calcul consacré, en ce qu'il « conduit à additionner des montants ne représentant pas les mêmes finalités juridiques »789, interpelle en revanche, tant en ce qui concerne le numérateur que le dénominateur.
S'agissant du numérateur, qui concerne la dépense réalisée par l'indivisaire solvens, les magistrats du quai de l'Horloge font prévaloir l'analyse qui consiste à revaloriser ensemble capital et intérêts, considérant qu'ils participent tous deux au coût de financement de l'achat du bien. Toute l'échéance du crédit est donc traitée d'un seul bloc sans distinction, et donc sans qu'importent leur finalité ou les sanctions de leurs non-règlements. À notre sens, cette formule est critiquable dans la mesure où les intérêts n'ont pas de fonction acquisitive et qu'ils ne constituent qu'une simple charge de la jouissance. Cette formule conduit donc à ajouter « le prix du temps au prix du temps »790. Au surplus, elle tranche avec celle habituellement retenue par les notaires qui consiste à dissocier deux créances : « l'une pour les intérêts, valorisée au nominal et l'autre pour le capital remboursé, et qui sera revalorisée, les deux étant ensuite destinées à s'additionner »791. À vrai dire, cette méthode d'évaluation de l'investissement du patrimoine créancier semble trouver sa justification par la formule employée par la Cour de cassation pour le dénominateur.
Au dénominateur, la formule retenue n'est pas celle usuellement utilisée. La Cour de cassation précise qu'il faut tenir compte du « financement global » de l'acquisition, qui comprend les frais d'acquisition et le coût du crédit. D'ordinaire, s'agissant des comptes d'indivision, on se réfère au dénominateur au prix du bien au jour de son acquisition en indivision de manière à le comparer ensuite à la valeur du bien au jour de la liquidation. Quant aux récompenses, on a l'habitude de se référer au coût global de l'acquisition, ce qui permet d'ajouter au prix les frais d'acquisition sans lesquels l'achat n'aurait pu se concrétiser. En l'espèce, l'assiette du dénominateur retenue par la Cour de cassation est encore plus large puisqu'on comptabilise, en plus des frais d'acquisition, le coût du crédit, ce qui comprend les frais de dossier, le coût de l'assurance et, à nouveau, les intérêts. Par cette formule, les intérêts sont donc comptabilisés à la fois au numérateur et au dénominateur, ce qui semble légitimer le mode de calcul retenu au numérateur.
Enfin la méthode de calcul retenue n'échappera pas à d'autres critiques, notamment lorsqu'il existe un décalage dans le temps entre l'acquisition du bien concerné et le début du remboursement du prêt, et donc la naissance de la créance. En pareil cas, elle aboutit, en effet, à revaloriser une créance rétroactivement, et donc à faire bénéficier le créancier d'une éventuelle plus-value pendant une période où sa créance n'était pas encore née. Le système de la dette de valeur est conçu pour permettre au créancier de ne pas être injustement victime de la dépréciation monétaire liée à l'écoulement du temps, non pour lui permettre de s'enrichir indûment. Aussi mieux vaudrait-il tenir compte, au numérateur, de la valeur du bien au jour où le remboursement a débuté plutôt que celle au jour de l'achat792.
– Pouvoir en équité du juge. – Une originalité de l'article 815-13 du Code civil tient dans la possibilité reconnue au juge de modifier le montant de la créance de l'indivisaire sur l'autel de l'équité. Cette référence à l'équité n'est pas une simple figure de style. Elle s'explique par la crainte qu'a éprouvée le législateur qu'en adoptant un système de revalorisation intégrale, une dette minime ne puisse, au bout d'un certain temps, constituer une dette considérable pour l'indivision793. C'est pourquoi l'équité permet au juge de modérer le montant du remboursement en fonction des circonstances ou de l'imprévision. Ainsi, le juge peut réduire le montant de l'indemnité due à raison des dépenses objectivement utiles mais exagérées par rapport aux souhaits de l'époux coïndivisaire de l'auteur de la dépense794, ou encore réduire le montant de dépenses somptuaires à proportion de ce qui était utile au bien indivis795. En revanche, l'équité n'étant pas la concurrente de la règle légale mais son correctif, il semble que le juge ne puisse pas exclure purement et simplement le droit à indemnité, dès lors que les conditions d'application de la règle sont réunies796.
Les créances de l'indivision
– S'agissant de la dette de l'indivisaire ayant détérioré le bien indivis. – Aucune règle spécifique de revalorisation de la créance n'est prévue par la loi797. En réalité cependant, deux hypothèses doivent être distinguées.
En cas de dégradation matérielle, l'idée de dette de valeur semble s'imposer comme une évidence. En effet, dans la mesure où le texte met en œuvre un système de responsabilité civile, la valeur de l'indemnisation due de ce chef, comme toute dette de responsabilité civile, sera naturellement fixée en considération de la diminution de valeur procurée au bien au jour de la liquidation ou au jour du règlement de la dette si l'indivision en exige le paiement par anticipation, mais en considération de l'état dans lequel se trouvait le bien au moment où le dommage a été causé798. Concrètement, l'un des indivisaires va réclamer que le bien indivis soit valorisé dans le partage sans tenir compte de la moins-value imputable à son coïndivisaire.
En revanche, en cas d'utilisation de deniers indivis à des fins personnelles par l'un des indivisaires, faute de précision textuelle, les sommes dues de ce chef doivent être comptées pour leur valeur nominale. On peut sans doute déplorer que le législateur n'ait pas prévu de règle de revalorisation dans cette hypothèse, notamment lorsque l'un des indivisaires a utilisé des fonds indivis aux fins d'améliorer un bien personnel. Certains auteurs vont plus loin et sont favorables à une bilatéralisation de l'article 815-13, alinéa 1er du Code civil, qui permettrait à l'indivision de bénéficier d'une créance revalorisée en cas d'amélioration ou de conservation d'un bien propre à l'aide de deniers indivis799.
Pour finir, il convient de souligner qu'aucune référence n'étant faite à l'équité dans l'article 815-13, alinéa 2 du Code civil, le juge ne saurait allouer à l'indivision une somme supérieure à celle que commande la stricte application du nominalisme monétaire. De même, il ne peut pas non plus allouer une somme inférieure à la dépense faite.
L'indemnité d'occupation de l'article 815-9 du Code civil
– La méthode de calcul. – L'indemnité d'occupation est certainement la créance la plus fréquemment rencontrée en pratique. Concernant sa valorisation, les indivisaires peuvent s'accorder pour le montant retenu, sous réserve qu'il soit rationnel au vu du marché locatif800. À défaut d'accord, c'est le juge qui fixe son montant. Si l'indivisaire occupant ne sait donc pas à l'avance ce que lui coûtera in fine sa jouissance privative, il ne faut cependant rien exagérer sur le flou qui est censé entourer le calcul de l'indemnité d'occupation. En effet, si les règles d'évaluation relèvent du pouvoir d'appréciation du juge du fond801, il n'empêche que la Cour de cassation fournit quelques indications générales.
L'on sait notamment que les magistrats se fondent, pour fixer le quantum de l'indemnité, sur la valeur locative du bien802. Le Groupement européen des associations d'experts évaluateurs, connu pour sa certification TEGoVA, en propose la définition suivante : « Le montant estimé auquel le bien serait loué à la date d'évaluation entre un bailleur et un preneur à bail consentants selon les termes du contrat de location, dans le cadre d'une transaction réalisée aux conditions normales du marché, après une commercialisation adéquate, les parties ayant agi chacune en toute connaissance de cause, prudemment et sans pression ». Autrement dit, il s'agit d'un loyer modéré au vu du marché locatif au jour le plus proche du partage.
Toutefois, la situation de l'occupant, tributaire d'une éventuelle demande en partage, étant plus précaire que celle d'un locataire, protégé par un statut légal, il est classiquement opéré une réfaction sur la valeur locative, qui peut varier de 15 à 30 % d'un loyer normal803. Cela étant, rien n'interdit au juge de prendre en considération d'autres éléments propres à l'espèce, comme, par exemple, la présence des enfants, laquelle peut, selon les circonstances, amener le juge à réduire, voire à supprimer l'indemnité pour jouissance privative due par l'époux occupant804. Au rebours, l'application d'un coefficient de précarité peut être perçue comme illégitime si l'occupant s'est vu accorder l'attribution préférentielle du bien puisqu'il a alors la certitude d'obtenir la propriété dudit bien au terme du partage et qu'il est impossible de l'en expulser805.
Une fois la base du calcul arrêtée, il doit être opéré, dans la pureté des principes, un calcul de l'indemnité pour jouissance privative pour chaque année due. Pour ce faire, il convient de disposer de la valeur locative du bien pour chaque année considérée, au besoin en faisant appel à un expert immobilier ou, à tout le moins, en calculant celle-ci sur la base de la valeur locative la plus proche du partage à l'aide de l'indice de référence des loyers.
– Absence d'influence des dépenses liées au bien. – Le règlement de dépenses relatives au bien occupé, quelle que soit leur nature, ne peut être pris en considération pour minorer le montant de l'indemnité. Si l'indivisaire occupant s'est préoccupé de la gestion du bien, ce qui est fréquent, et a amélioré ce dernier à ses frais, il a droit à une indemnité, prévue à l'article 815-12 du Code civil, laquelle pourra se compenser en tout ou partie, mais seulement au moment des comptes d'indivision, avec l'indemnité qu'il doit au titre de sa jouissance privative806. Le même raisonnement doit être tenu lorsque l'indivisaire a permis la conservation du bien en réglant une dette exécutoire sur ledit bien, notamment lorsque ce dernier a été acquis à l'aide d'un emprunt toujours en cours et que l'époux occupant a seul continué à régler les échéances du remboursement du prêt807. La bonne méthode consiste alors à établir un compte au nom de l'époux qui fera apparaître, d'une part, une créance de cet indivisaire à l'encontre de l'indivision et, d'autre part, l'indemnité d'occupation, seule la balance donnant lieu à règlement effectif. En aucun cas il ne saurait être question de moduler le montant de l'indemnité en fonction des dépenses engagées par l'indivisaire, et notamment du règlement des échéances de l'emprunt.
L'indemnité de gestion de l'article 815-12 du Code civil
– Méthodes de valorisation. – Le montant de cette créance est fixé soit amiablement entre les indivisaires, soit judiciairement par le juge aux affaires familiales. Néanmoins, un auteur a proposé une méthode permettant de déterminer le montant de cette indemnité, selon l'activité réellement effectuée par le gérant pour le compte de l'indivision808, laquelle a été reconnue par la Cour de cassation809, savoir :
- si le gérant ne réalise que des actes de gestion courante, bornant ses activités à l'accomplissement des actes de simple administration, il est dans une situation proche de celle d'un salarié. Dans ce cas de figure, l'indemnité peut être égale à la rémunération d'un salarié exerçant des fonctions similaires ;
- en revanche, lorsque l'indivisaire gère en son nom propre et à titre professionnel (notaire, commissaire de justice, dentiste, pharmacien, etc.), il encourt une responsabilité personnelle qui justifie qu'il puisse prétendre à une rémunération supérieure à celle d'un salarié exerçant les mêmes fonctions.
– La rémunération est indépendante du résultat. – La rémunération de l'indivisaire gérant étant la contrepartie objective de l'activité fournie, elle ne peut dépendre des résultats de l'exploitation et peut être due en principe même si la gestion se révèle déficitaire, « sauf à tenir compte, le cas échéant, de la responsabilité éventuelle du gérant pour ses actes de gestion »
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