La prescription des comptes d'indivision

La prescription des comptes d'indivision

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Le notaire confronté à la prescription. – Institution aux deux visages, souvent extinctive et parfois acquisitive, « la prescription est une institution juridique complexe, difficile à maîtriser, où les simplicités sont souvent trompeuses »766. Au-delà, elle devient, dans certaines situations conflictuelles, un outil redoutable utilisé par certains indivisaires malveillants, dont les postures dilatoires n'ont d'autre objectif que de laisser volontairement filer le temps afin d'éviter de devoir régler certaines dettes à l'indivision. Aussi, pour l'avocat, la prescription est-elle une question essentiellement stratégique, qu'il invoquera ou non selon l'intérêt de son client.
De la même manière, le notaire, qui intervient en qualité de conseil dans un cadre amiable ou judiciaire, doit informer ses clients des règles de la prescription. Comme il a pu être souligné à juste titre, « le sujet des prescriptions ne doit plus être le seul adage de l'avocat, et le notaire doit faire siennes les règles de procédure civile afin de délivrer un conseil de plus en plus personnalisé. Au-delà de la nécessaire plus-value que cela peut apporter, l'absence de maîtrise de ces règles pourrait, si un préjudice survient, engager la responsabilité du notaire saisi »767.
En revanche, le notaire saisi par le juge, en qualité d'expert ou en cas de commise, et à l'instar des juges, qui « ne peuvent pas suppléer d'office le moyen de la prescription » (C. civ., art. 2247), ne peut soulever la prescription si aucune des parties ne l'a invoquée.
– Plan. – Si le principe, pour les comptes d'indivision, est la prescription quinquennale (§ I), il existe de nombreuses hypothèses dans lesquelles ce délai de prescription a été soit suspendu, soit interrompu (§ II).
Ainsi, en principe, tous les éléments entrant dans les comptes d'indivision se prescrivent par cinq ans. Toutefois, dans certaines situations, la prescription quinquennale peut se trouver écartée.

La prescription quinquennale consacrée

– Prescription de l'action en demande des fruits et revenus. – S'agissant des comptes d'indivision, seul l'article 815-10, alinéa 3 du Code civil prévoit une règle de prescription. Selon le texte, et conformément au droit commun, l'action en demande des fruits et revenus des biens indivis se prescrit par cinq ans.
L'indemnité d'occupation étant traditionnellement assimilée aux fruits et revenus, une jurisprudence constante considère qu'elle est soumise aux dispositions de l'article 815-10, alinéa 2 du Code civil et donc à la prescription quinquennale768. Il en résulte très concrètement que le montant de l'indemnité doit par principe être calculé sur les cinq années précédant la date d'établissement de la liquidation769.

Demande de répartition des bénéfices annuels

Afin de protéger les indivisaires contre une éventuelle prescription, le législateur a octroyé la faculté à ces derniers de demander leur part dans les fruits. Cette demande peut être collective et faite à l'occasion d'un partage provisionnel des fruits (C. civ., art. 815-10, al. 2) ou individuelle, l'article 815-11, alinéa 1er du Code civil prévoyant que : « Tout indivisaire peut demander sa part annuelle dans les bénéfices, déduction faite des dépenses entraînées par les actes auxquels il a consenti ou qui lui sont opposables (…) ». Il ne s'agit pas, cependant, de satisfaire une demande intempestive nuisible à une bonne gestion. La demande considérée par l'alinéa 1er de l'article 815-11 ne porte que sur les bénéfices nets qui apparaissent au terme d'une année après déduction des charges d'exploitation, ce qui implique la nécessité d'un compte annuel de gestion de l'ensemble des biens indivis. Bien évidemment, la part des bénéfices nets à laquelle peut prétendre le demandeur est proportionnelle à ses droits dans l'indivision. Il s'agit principalement, dans les faits, pour l'un des indivisaires d'obtenir ainsi le règlement de sa part de loyer ou le remboursement d'une indemnité d'occupation, sans risque de se voir opposer in futurum une éventuelle prescription.
– Prescription des autres créances. – Pour les autres créances nées de l'indivision, et faute de texte relatif à la prescription, la Cour de cassation a dû en préciser le régime. Ainsi, la demande de remboursement de la créance, qu'il s'agisse d'une créance de l'indivision ou de l'indivisaire, est soumise à la prescription quinquennale de droit commun (C. civ., art. 2224).
La question essentielle est la détermination du point de départ de cette prescription. Au vu de la finalité des opérations liquidatives, qui reste le partage des intérêts patrimoniaux, ne faudrait-il pas considérer que ces créances ne deviennent exigibles qu'au moment du partage et qu'elles bénéficieraient, à l'instar des récompenses, de la règle de l'imprescriptibilité de celui-ci ? La réponse dépend de la nature juridique du compte d'indivision visé par les articles 815-11 et 867 du Code civil770. Il existe deux analyses envisageables, savoir :
  • un compte autonome, dans lequel les créances et les dettes entrent sous forme d'articles pour disparaître au sein d'une universalité de droit et pour former un tout indivisible dont seul le solde sera déterminé au moment du partage, tel un compte courant bancaire ou compte de récompenses ;
  • un « compte analytique »771, un simple état dans lequel figurent pour chaque indivisaire les dettes de l'indivision à son égard et ses créances sur l'indivision.
Si la première analyse est retenue, l'indivisaire ne peut pas demander le règlement de sa créance avant le partage car cette dernière est entrée en compte. En conséquence, son sort suit celui du partage et devient imprescriptible jusqu'à celui-ci. En revanche, si la seconde analyse est privilégiée, l'indivisaire peut réclamer le paiement de sa créance à tout moment, sous réserve de la prescription de celle-ci. Dans ce cas de figure, le point de départ du délai de prescription est l'exigibilité de la créance.
La Cour de cassation semble s'être prononcée sur ce sujet en rappelant que ces créances pouvant être réglées par prélèvement sur l'actif indivis conformément à l'article 815-17 du Code civil, avant tout partage, elles deviennent donc exigibles de suite, et que c'est le régime commun de la prescription extinctive qui doit s'appliquer772. Il en découle que le point de départ de la prescription est l'exigibilité de la créance, étant ici précisé qu'en cas de créances périodiques, telles que les échéances de remboursement d'un prêt immobilier, la prescription s'applique à chacune des échéances acquittées773.
Il convient cependant de conserver à l'esprit que la Haute juridiction avait jugé, en son temps, que la prescription quinquennale ne s'appliquait pas à l'indemnité de gestion dans la mesure où « conformément aux dispositions de l'article 815-12 du même code, l'indivisaire peut demander au juge de fixer la rémunération de son activité de gestion de l'indivision, cette somme n'étant pas payable par année ou par termes successifs »774. Cette solution est-elle toujours de droit positif ? L'on peut légitimement en douter car il semblerait que la Cour de cassation entende aujourd'hui soumettre l'ensemble des créances de l'indivision à la règle de principe de l'article 2224 du Code civil, et l'on perçoit difficilement en réalité ce qui justifierait que l'indemnité de gestion de l'article 815-12 du Code civil y fasse exception.

Quelle prescription pour les époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts ?

L'on sait que pour les époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts, il existe un délai de prescription spécial. Effectivement, l'article 1578 du Code civil prévoit une prescription réduite de trois ans à compter de la dissolution du mariage qui s'applique tant à la liquidation de la créance de participation qu'à celle des créances entre époux, au motif que leur règlement de ces dernières « participe de la liquidation du régime matrimonial de participation aux acquêts »775. Qu'en est-il lorsque les époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts sont propriétaires de biens indivis, qu'il convient de partager, et qui donnent lieu à des comptes d'indivision ? Doit-on considérer, à l'aune de cette jurisprudence, et parce qu'ils « participent de la liquidation du régime matrimonial participatif », que les créances nées de l'indivision sont soumises à la prescription triennale ? À notre sens, une réponse négative s'impose. Les comptes de l'indivision sont avant toute chose rattachés au partage de l'indivision et doivent suivre le régime de droit commun. Du reste, dans la pureté des principes, rien n'empêche les époux de régler leur créance de participation tout en conservant des biens en indivision, susceptibles de prêter le flanc à d'éventuels comptes d'indivision, dont on perçoit alors nettement que le régime ne saurait être calqué sur celui de la créance de participation776.

La prescription quinquennale contrariée

– Délai butoir. – La prescription des comptes d'indivision peut-être figée ou, plus radicalement encore effacée, par le biais d'une suspension ou d'une interruption. Alors que « la suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru » (C. civ., art. 2230), « l'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien » (C. civ., art. 2231). Il en découle deux régimes différents, que le notaire liquidateur doit maîtriser. Néanmoins, ces deux régimes partagent une règle commune, édictée à l'article 2232 du Code civil, lequel prévoit un délai butoir : ni la suspension, ni l'interruption ne peuvent avoir pour effet de porter le délai de la prescription au-delà de vingt ans à compter de la naissance du droit. Ceci dit, il y a donc lieu d'étudier successivement les cas de suspension (A) et ceux d'interruption (B) rencontrés dans les dossiers de liquidation-partage.

La suspension de la prescription

– Suspension de la prescription entre époux ou partenaires. – La prescription quinquennale est susceptible d'être suspendue, notamment en application de l'article 2236 du Code civil, selon lequel la prescription « ne court pas (…) entre époux, ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ». Il en résulte concrètement que la prescription quinquennale qui s'applique aux comptes de l'indivision ne peut commencer à courir qu'à compter du jour où le jugement de divorce acquiert force de chose jugée ou du jour de la dissolution du Pacs. Il va sans dire qu'une telle solution est susceptible d'aboutir à faire remonter le point de départ des comptes de nombreuses années en arrière, principalement entre époux, lorsque la procédure de divorce s'est éternisée. C'est le cas notamment, mais pas seulement, pour les époux s'agissant de l'indemnité d'occupation. En pareille occurrence, en effet, à défaut de gratuité pendant l'instance, lorsque le conjoint de l'époux occupant forme une demande d'indemnité d'occupation dans le délai de cinq ans suivant cette date, il est en droit d'obtenir paiement de celle-ci depuis l'origine, sans que la prescription quinquennale puisse lui être opposée777. Difficilement critiquable en droit, la solution peut avoir des répercussions dramatiques pour l'époux occupant, qui peut ainsi se retrouver condamné rétroactivement au paiement d'une indemnité, dont le montant est aussi lourd qu'imprévisible. Une situation analogue peut exister en matière de Pacs.
– Absence de suspension pour les concubins. – Aucun texte ne prévoit la suspension de la prescription pour le temps du concubinage. Partant, si la durée du concubinage est importante, sous peine d'être forclos, le concubin solvens est supposé agir au cours du concubinage, ce qui est de fait irréaliste. Cette différence de traitement avec le couple marié ou pacsé n'est pas de nature à sensibiliser la Cour de cassation, laquelle a récemment refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité, en considérant que ces questions, invoquant le principe d'égalité et le droit de mener une vie familiale normale, ne sont ni nouvelles ni sérieuses778.
– Expertises, MARD et suspension. – Certaines voies procédurales peuvent être cause de suspension.
C'est le cas du recours à un mode alternatif de règlement des différends (MARD), l'article 2238 du Code civil prévoyant, en effet, que la suspension commence à courir « à compter du jour où, après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation, ou à défaut d'accord écrit, à compter du jour de la première de médiation ou de conciliation. La prescription est également suspendue à compter de la conclusion d'une convention de procédure participative ou à compter de l'accord du débiteur constaté par l'huissier de justice pour participer à la procédure prévue à l'article L. 125-1 du Code des procédures civiles d'exécution ».
Selon l'article 2239 du Code civil : « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès ». La suspension suppose que la mesure d'instruction ait été ordonnée en justice. Une expertise amiable contradictoire n'a donc pas d'effet suspensif779. Par ailleurs, la mesure d'instruction doit être relative aux créances pour lesquelles est invoquée la suspension de prescription. Il en est ainsi, par exemple, d'une expertise visant à fixer la valeur locative d'un bien occupé par un indivisaire en en vue d'une demande de paiement d'une indemnité d'occupation. En revanche, une expertise visant uniquement à évaluer les biens en vue du partage ne suspend pas la prescription de l'indemnité d'occupation ou des créances de l'indivisaire qui a réglé des dépenses concernant les biens estimés.

L'interruption de la prescription

– Causes d'interruption. – La prescription peut être interrompue par une assignation en partage judiciaire ou par tout acte de procédure, tel un jeu de conclusions, dès lors que ces actes contiennent une demande, même implicite780, relative aux créances revendiquées. Postérieurement, dans le cadre des opérations de partage judiciaire, l'établissement d'un procès-verbal de dires ou d'un projet d'état liquidatif constatant les désaccords subsistant par le notaire chargé de la liquidation et du partage, aux termes d'une commise judiciaire (CPC, art. 1364, al. 1), est également interruptif, à condition là encore que la demande de créance soit formulée781. Un tel effet est également attaché à la demande qui serait formulée par l'avocat d'un indivisaire dans le cadre d'un « dire ».
– Effets de l'interruption. – L'interruption de la prescription a pour effet d'ouvrir un nouveau délai, identique au délai initial (C. civ., art. 2231). En clair, le compteur est remis à zéro à l'égard du débiteur concerné par l'acte interruptif. Cela étant, lorsque l'interruption résulte d'une demande en justice, le nouveau délai commence à courir non pas immédiatement mais seulement à l'extinction de l'instance (C. civ., art. 2242). Sur ce dernier point, soulignons que le procès-verbal de difficultés dressé par un notaire désigné par le juge doit être assimilé à une demande en justice.

Aménagements conventionnels de la prescription

Conformément aux règles de droit commun, les indivisaires peuvent abréger ou allonger la durée de la prescription, pourvu toutefois que celle-ci ne soit pas réduite à moins d'un an ni étendue à plus de dix ans, ces limites étant impératives (C. civ., art. 2254, al. 1er). Cette faculté peut être utile quand les indivisaires optent pour un maintien en indivision, dont la durée pourrait de fait excéder cinq années, afin d'éviter que l'indivisaire solvens ne se retrouve forclos.
Les indivisaires peuvent également ajouter des causes de suspension ou d'interruption dans la convention organisant leur indivision. Ces facultés peuvent être intéressantes, notamment, mais pas seulement, en présence de concubins, auxquels il pourrait être utilement conseillé de prévoir de telles clauses, en particulier à l'occasion d'un achat immobilier, pour ne pas se voir enfermés dans les délais stricts de la prescription quinquennale.