La pratique du faible loyer au regard de la détermination du revenu brut

La pratique du faible loyer au regard de la détermination du revenu brut

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Le loyer anormalement bas au regard du revenu brut locatif. – Il existe, en matière de droits d'enregistrement, un principe très connu selon lequel les droits sont perçus sur la valeur indiquée dans l'acte, ou sur la valeur réelle si celle-ci lui est supérieure. Cette règle, qui est apparue en droit français en 1797170, gouverne toujours les droits d'enregistrement au jour où ces lignes sont écrites171. Ce principe s'applique-t-il en matière de revenus fonciers ? Une illustration permet de mesurer les enjeux posés par cette question :

Imposition du bailleur sur le revenu perçu ou sur la valeur vénale réelle ?

Christophe louait un appartement à un tiers et percevait à ce titre un revenu brut de 600 € par mois.

Le locataire ayant donné congé, Christophe décide de louer son appartement à son fils pour un loyer brut de 250 € par mois. Il déclare dans son impôt sur le revenu un revenu brut de 250 € × 12 = 3 000 €.

L'administration est-elle en droit de redresser Christophe sur la valeur vénale locative du bien pour porter le revenu brut taxable à 600 € × 12 = 7 200 € ?

En cas de réponse affirmative, quelle procédure de rectification doit-elle suivre ?

– Un risque de rectification malgré l'absence de texte légal. – Bien que la loi fiscale soit silencieuse sur cette question, une jurisprudence séculaire décide que le prix des loyers stipulé dans les baux doit être augmenté du montant de la libéralité que le propriétaire a entendu faire à son locataire, lorsque ce prix est anormalement bas 172. La jurisprudence rendue sur la question l'a été principalement dans des affaires de baux familiaux et les solutions qui ont pu être dégagées et affinées au fils du temps sont aujourd'hui relayées dans la base BOFiP dans les termes suivants : « L'administration peut, sous le contrôle du juge, rectifier le revenu déclaré en majorant le prix du loyer du montant de la libéralité que le propriétaire a consentie à son locataire. Deux conditions cumulatives doivent être satisfaites :
  • le prix de la location doit être nettement inférieur à la valeur locative normale de l'immeuble loué ;
  • le propriétaire n'est pas en mesure d'établir que des circonstances indépendantes de sa volonté font obstacle à la location de l'immeuble à son prix normal »173.
La procédure de rectification ne repose pas sur l'abus de droit mais sur une simple méthode par comparaison, notamment avec les loyers pratiqués pour des immeubles analogues174. On peut également imaginer que la tâche de l'administration sera considérablement facilitée si le bail familial fait suite à un précédent bail conclu aux conditions du marché.
– Une solution jurisprudentielle fondée sur le principe de libre disposition du revenu. – La solution qui vient d'être exposée peut surprendre. Elle interroge en effet au regard du principe de légalité de l'impôt. Pour mémoire, ce principe fondamental du droit fiscal, qui figure à la fois dans le préambule de la Constitution175 et dans la Constitution elle-même176, fixe une compétence exclusive du législateur pour la détermination de l'assiette de l'impôt. Or, les textes légaux qui régissent l'assiette de perception du revenu foncier ne font aucune mention de la valeur vénale réelle du revenu locatif177. Malgré tout, il paraît difficile de combattre cette solution dans la mesure où elle paraît pouvoir s'appuyer sur un principe qui gouverne l'impôt sur le revenu : le principe d'imposition sur le revenu disponible. On sait en effet qu'aux termes de l'article 156 du Code général des impôts : « L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal ». Or, la notion de revenu disponible a toujours été entendue d'une manière très large : il est évident qu'un revenu effectivement encaissé par le contribuable constitue un revenu disponible.
Cependant, tout revenu dont le contribuable décide de son propre gré de ne pas percevoir le montant est assimilé à un revenu disponible178. À notre avis, la jurisprudence séculaire que nous avons évoquée en matière de revenu foncier peut s'appuyer sur ce principe afin de considérer que le bailleur a renoncé de son plein gré à percevoir le véritable revenu locatif de l'immeuble. Le contribuable a de quoi être abasourdi : d'une part, les aides personnelles au logement sont refusées au bail familial dans la mesure où il incombe à la famille de se « serrer les coudes » plutôt que de mettre à contribution la solidarité nationale179 et, d'autre part, le bailleur qui applique ce principe risque d'être redressé au titre des revenus fonciers. Est-ce réellement cohérent de payer des impôts sur des sommes qui n'ont pas été touchées alors que l'effort fourni par le bailleur permet de décharger la solidarité nationale ?
– Un moyen de défense pour le contribuable : la notion de pension alimentaire. – Le contribuable n'est pas pour autant totalement démuni. Il lui est en effet possible de démontrer que l'avantage en nature résultant de la mise à disposition pour un loyer très bas constitue une pension alimentaire déductible. Reprenons l'exemple précédent et habillons-le de nouveaux faits :
Cette possibilité admise de longue date par la jurisprudence180, et reprise par l'administration fiscale dans sa base BOFiP 181, suppose la réunion de plusieurs conditions.
La première condition réside dans le fait que le locataire doit être un créancier d'aliments. Pour mémoire, en vertu des articles 205 à 207 du Code civil, il existe une obligation alimentaire réciproque :
  • entre ascendants et descendants ;
  • entre gendre ou belle-fille et beau-père ou belle-mère, mais seulement tant qu'existent l'époux qui produit l'affinité ou des enfants issus de son mariage avec l'autre époux.
En revanche, l'obligation est moins étendue entre alliés. Elle existe, toujours réciproquement et dans les conditions prévues à l'article 206 du Code civil, entre beau-père et belle-mère, d'une part, gendre et belle-fille, d'autre part. Mais elle est limitée au premier degré. Notamment, le gendre ne doit pas d'aliments aux ascendants de ses beaux-parents. Les enfants d'un premier lit n'en doivent pas davantage au second conjoint de leur père ou de leur mère et réciproquement182.
La deuxième condition permettant de déduire une pension alimentaire correspondant à l'avantage en nature tient au fait que la valeur locative représentative de l'aide doit être en rapport avec la situation de la personne aidée183. Cela peut d'ailleurs conduire l'administration à vérifier chaque année si la situation de la personne aidée a évolué184.

Le faible loyer : avantage en nature vu comme une pension alimentaire

Christophe louait un appartement à un tiers et percevait à ce titre un revenu brut de 600 € par mois.

Le locataire ayant donné congé, Christophe décide de louer son appartement à son fils pour un loyer brut de 75 € par mois.

Son fils ne dispose d'aucun revenu, ce qui explique la modicité du loyer.

Il déclare dans son impôt sur le revenu un revenu brut de 75 € × 12 = 900 €.

L'administration est-elle en droit de redresser Christophe sur la valeur vénale locative du bien pour porter le revenu brut taxable à 600 € × 12 = 7 200 € ?

Comme cela a été vu précédemment, l'administration sera en droit de redresser le revenu foncier brut afin de le porter à la somme de 7 200 €. Mais corrélativement, Christophe serait en droit de déduire de son revenu global une pension alimentaire correspondant à l'avantage en nature consenti à son fils. L'admission de cette charge, d'un même montant que le supplément de revenu brut, devrait lui permettre de neutraliser les conséquences du redressement.

– La seconde arme à disposition de l'administration fiscale : la requalification du loyer anormalement bas en réserve de jouissance. – La rectification du revenu brut sur la valeur locative vénale n'est pas la seule arme dont dispose l'administration fiscale. Elle peut également requalifier le bail en réserve de jouissance afin d'écarter toute possibilité de déduction des charges. En effet, si la réserve de jouissance exonère le propriétaire de l'imposition aux revenus fonciers, elle a pour contrepartie l'impossibilité de déduire les charges afférentes à l'immeuble. L'exemple suivant expose une situation pouvant donner prise à une requalification en réserve de jouissance.
La requalification d'un bail en réserve de jouissance s'est principalement illustrée dans des hypothèses d'occupation gratuite par des membres d'une même famille. Ainsi, le propriétaire qui met gratuitement un logement à la disposition de sa mère doit être regardé comme en conservant la jouissance. En conséquence, il ne peut pas déduire des revenus fonciers de ses autres immeubles les charges afférentes à ce logement185. De la même manière, le propriétaire qui met gratuitement un logement à la disposition de son fils ne peut déduire les charges qui s'y rapportent186.
La requalification se rencontre également dans des hypothèses de loyer anormalement bas. Ainsi, la location de biens immobiliers au profit d'un fils pour un loyer de 100 francs a pu être considérée comme une location fictive interdisant la déduction d'un déficit foncier187. De la même manière, une location consentie à un fils pour un loyer inférieur à la valeur locative, et dont il ne pouvait s'acquitter faute de ressources personnelles, a été requalifiée en réserve de jouissance, privant ainsi le propriétaire de la possibilité de déduire un déficit foncier188. Récemment encore, la faiblesse d'un loyer a permis à l'administration de requalifier un bail en réserve de jouissance189.

Exemple de situation pouvant donner lieu à une requalification en réserve de jouissance

Jean-Robert décide d'acquérir un bien immobilier nécessitant une rénovation énergétique (il faut compter un montant de travaux d'environ 70 000 € pour passer de la nomenclature énergétique G à C).

Les travaux étant achevés, il loue ce bien immobilier à sa fille pour un loyer mensuel de 400 € (alors que la valeur locative pourrait être établie à 3 000 €).

Le solde, soit 43 800 €, pourra être reporté les années suivantes, soit sur l'ensemble de ses revenus (sur six ans), soit sur l'ensemble de ses revenus fonciers (dix ans).

L'administration dispose de la possibilité de taxer le revenu brut sur la valeur vénale réelle locative : si le loyer avait été fixé à 3 000 € (valeur locative réelle), Jean-Robert aurait déclaré un revenu brut annuel de 36 000 €. Il aurait certes pu déduire des charges pour un montant total de 70 000 €, mais son déficit aurait été alors de 34 000 € (au lieu de 65 200 €) et son report de déficit aurait été de 12 600 € (au lieu de 43 800 €).

Mais l'administration dispose également de la possibilité de <strong>contester la qualification de bail</strong> eu égard à la modicité du loyer : cette solution permettra à l'administration fiscale de <strong>remettre en cause la totalité du déficit foncier</strong>. Ainsi, dans le cadre d'une rectification fiscale, le revenu brut de Jean-Robert ne sera pas pris en compte (le bail étant requalifié en réserve de jouissance) et le déficit foncier sera remis en cause, conduisant à une reprise de l'impôt sur le revenu.

– L'abus de droit rampant. – La question est de savoir si la requalification du bail en réserve de jouissance impose à l'administration fiscale de recourir à la procédure de l'abus de droit fiscal. Pour mémoire, l'administration dispose de deux cadres procéduraux différents lui permettant de remettre en cause la qualification des contrats de droit privé : lorsque la mauvaise qualification de l'acte résulte d'une simple erreur du contribuable, l'administration peut rectifier les conséquences réelles de l'acte dans le cadre de son pouvoir général de rectification (LPF, art. L. 55).
Cependant, si l'administration estime que la mauvaise qualification résulte d'un agissement volontaire, et qu'elle remet ainsi en cause la sincérité du contribuable, elle doit mettre en œuvre la procédure spéciale de l'abus de droit (LPF, art. L. 64). Or, il arrive que l'administration procède à des rectifications en suivant la procédure de droit commun alors que ces rectifications, fondées sur l'insincérité du contribuable, relèvent par nature de la procédure de l'abus de droit. Dans une telle situation, la jurisprudence admet la possibilité pour le contribuable de contester la procédure d'imposition qui se fonde implicitement sur l'abus de droit190. L'enjeu essentiel réside dans l'annulation de la procédure de rectification eu égard au non-respect des garanties dont est entourée la procédure d'abus de droit fiscal et qui procèdent essentiellement de la possibilité de saisir le Comité de l'abus de droit fiscal191.
– Une jurisprudence ambiguë s'agissant des baux familiaux. – En matière de baux familiaux, la jurisprudence manque de clarté. Certaines décisions estiment que l'administration doit nécessairement recourir à la procédure de l'abus de droit si elle entend requalifier un bail dont elle conteste la sincérité192. D'autres décisions décident au contraire que l'administration ne se place pas implicitement sur le terrain de l'abus de droit lorsqu'elle se contente d'établir qu'un loyer est absent ou trop faible193.
Une très grande prudence s'impose donc lorsqu'un déficit foncier est généré dans le cadre d'un bail familial, dans la mesure où la jurisprudence est fâcheusement incertaine.