La mise en œuvre du droit de retour des père et mère

La mise en œuvre du droit de retour des père et mère

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Difficultés liquidatives. – La mise en œuvre de ce droit de retour pose de nombreuses difficultés liquidatives qui divisent la doctrine en présence d'une jurisprudence rare. Certaines sont liées à son régime (§ I), d'autres à son assiette (§ II) ou à la présence de donations-partages complexes (§ III).

Régime du droit de retour

– Conditions de mise en œuvre. – Quatre conditions doivent être réunies pour la mise en œuvre du droit de retour légal des père et mère :
  • le défunt ne doit pas avoir laissé de descendants ;
  • ses père et mère ou l'un d'eux doivent lui survivre ;
  • sont seuls concernés les biens ayant fait l'objet d'une donation consentie par les parents, quelles qu'en soient la nature (en avancement de part ou hors part successorale), la consistance (mobilière ou immobilière, corporelle ou incorporelle), la forme (don manuel, donation déguisée ou indirecte, tel un abandon de créance) ;
  • enfin, le retour légal ne joue qu'en l'absence d'un droit de retour conventionnel. Ce type de clause, en effet, opère un effet résolutoire de la donation. Le donateur récupère son bien comme si la donation n'avait jamais existé, en application de l'article 952 du Code civil.
– Modalités de mise en œuvre. – Aux termes de l'alinéa 3 de l'article 738-2 du Code civil : « Lorsque le droit de retour ne peut s'exercer en nature, il s'exerce en valeur, dans la limite de l'actif successoral ». On en déduit que le droit de retour s'exerce en nature lorsque le bien donné figure parmi les biens existants au décès et qu'il s'exerce en valeur lorsque ledit bien a été aliéné du vivant du gratifié. Il en résulte que ce retour légal ne fait pas obstacle à une cession des biens donnés et que le tiers acquéreur n'est pas susceptible d'être inquiété par un droit de suite.
– Articulation du droit de retour conventionnel et du droit de retour légal. – Lorsque les biens donnés, pour partie, ont été vendus du vivant du gratifié avec la renonciation au droit de retour conventionnel de ses parents donateurs et, pour partie, se retrouvent en nature dans ses biens existant à son décès, les deux droits de retour conventionnel et légal vont jouer dans le cadre de sa succession.
S'agissant, d'une part, des biens donnés qui se retrouvent en nature, le droit de retour conventionnel de l'article 951 du Code civil intervient de plein droit dès lors que les conditions de sa mise en œuvre se trouvent réunies. La donation de ces biens est alors résolue, c'est-à-dire rétroactivement anéantie et les biens « remontent » dans le patrimoine des donateurs. Ils ne font donc pas partie de la succession.
S'agissant, d'autre part, des biens donnés qui ont été vendus, le droit de retour légal va jouer en valeur eu égard au prix de vente. La Cour de cassation a jugé que la renonciation au droit de retour conventionnel était sans effet sur le droit de retour légal. En effet, ni la vente ni les autorisations données par les donateurs pour vendre n'ont résolu la donation.
– Droit de retour et subrogation. – Lorsque la donation au de cujus portait sur une somme d'argent, les père et mère ne peuvent exercer leur droit de retour qu'en valeur, devenant ainsi créanciers de la succession. En tant que tels, ils ne peuvent pas revendiquer la propriété des biens qui sont la représentation de la somme donnée, toute subrogation réelle étant exclue. En effet, il n'existe pas en droit français un principe de subrogation réelle, et celle-ci ne peut s'exercer que si elle a été expressément prévue par les parties ou par le législateur. À défaut de subrogation réelle, faut-il admettre une subrogation liquidative pour déterminer le montant du retour ? Rappelons que dans notre droit successoral, la subrogation liquidative, qui permet de déroger au principe du nominalisme, est d'utilisation courante. On la retrouve tant en matière de rapport successoral (C. civ., art. 860 et 860-1) que pour liquider la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible (C. civ., art. 922). Or, si ces textes prévoient des dérogations expresses au principe du nominalisme, il n'en est rien à l'article 738-2 du Code civil, de sorte qu'il faut manifestement s'en tenir, concernant le droit de retour, au principe du nominalisme monétaire. Dans cette logique, si le bien donné a été vendu par le de cujus, on fige la valeur du droit de retour au prix de vente.
– Droit de retour et legs. – En cas de legs par le défunt du bien donné, la question est de savoir si le retour légal s'exerce en nature ou en valeur. Comme on l'a vu, lorsque le bien a fait l'objet du vivant du donataire d'une aliénation à titre onéreux ou à titre gratuit, le droit de retour s'effectue en valeur. La doctrine considère qu'il en est de même lorsque le bien a été légué par le gratifié. D'autant que, depuis la loi du 23 juin 2006, tout legs est désormais réductible en valeur en vertu de l'article 924, alinéa 1 du Code civil. Aussi, admettre que le retour légal de l'article 738-2 du même code s'exerce en nature sur un bien légué reviendrait à privilégier l'ascendant donateur par rapport à un héritier réservataire, lequel ne dispose plus que d'une action en réduction en valeur.
Par ailleurs, l'article 738-2 du Code civil limite le retour en valeur à l'actif successoral afin d'éviter aux héritiers ordinaires de supporter le retour au-delà de l'actif net. Faut-il inclure les biens légués dans la détermination de l'actif net ? En vertu de la maxime Nemo liberalis nisi liberatus (« Nul ne peut faire de libéralité sans avoir payé ses dettes »), il y a lieu de considérer que les legs ne peuvent s'exécuter qu'après le droit de retour des père et mère. Admettre l'inverse reviendrait à vider le caractère d'ordre public de ce droit en privilégiant le légataire par rapport aux père et mère. Par conséquent, « l'actif successoral » au sens de l'article 738-2 in fine du Code civil doit être entendu comme l'actif existant au décès en ce compris les biens légués, déduction faite des dettes.
– Non-cumul du droit de retour et des droits légaux. – Selon le deuxième alinéa de l'article 738-2 du Code civil, le droit de retour légal du parent s'impute sur ses droits légaux. Il n'y a donc pas de cumul entre le droit de retour légal et la vocation légale du parent. Si le retour légal est inférieur à ses droits légaux, le parent a droit à un complément de droits successoraux au titre de sa vocation ab intestat. Si le droit de retour est supérieur aux droits successoraux, le parent donateur ne prend que son droit de retour.

Assiette du droit de retour

– Plusieurs interprétations. – L'article 738-2 du Code civil précise que le droit de retour des père et mère s'exerce « à concurrence des quotes-parts fixées au premier alinéa de l'article 738 », c'est-à-dire un quart. Ce texte peu clair divise la doctrine en l'absence de jurisprudence de la Cour de cassation. S'agit-il du quart de la succession ou du quart du bien donné ?
– Le bien donné dans la limite du quart de la succession. – De nombreux auteurs, dont Claude Brenner, Michel Grimaldi, Bernard Vareille et Christophe Vernières, considèrent que le droit de retour porte sur tout le bien donné mais dans la limite maximale du quart de la succession. Ainsi, si le bien donné a une valeur inférieure au quart de la succession, le droit de retour pourrait s'exercer sur l'entier bien. Ils avancent au soutien de cette thèse les travaux préparatoires de la loi de 23 juin 2006. Ils estiment que cette interprétation a plus de sens, car elle permet de renouer avec le fondement traditionnel de conservation des biens dans la famille, et d'éviter une indivision systématique.
– Variante en cas d'aliénation du bien donné. – Pour certains auteurs, dont Michel Grimaldi et Christophe Vernières, lorsque le bien donné a été aliéné et qu'aucun bien ne le représente dans l'actif successoral, le droit de retour en valeur serait évalué non pas sur les seuls biens existants au décès, mais sur une masse comprenant les biens existants et la « réunion fictive » du bien donné. La réunion fictive se justifierait par le mécanisme de l'imputation prévu par le texte. Si l'on impute, cela signifie que le bien est compris dans la masse à déduire. Le retour serait alors plafonné non pas à un quart des seuls biens existants, mais à un quart d'une masse formée des biens existants et de la « réunion fictive » du bien reçu en donation. Cette solution, qui permet d'accorder aux père et mère davantage que le quart des biens existants, justifie la règle posée à l'alinéa 3 de l'article 738-2 du Code civil selon laquelle le droit de retour ne peut s'exercer que dans la limite de l'actif successoral.
– Le quart du bien donné. – D'autres auteurs, parmi lesquels Nathalie Levillain, estiment au contraire que le droit de retour légal des père et mère porte sur un quart de la valeur du bien qui a été donné. Ils s'appuient sur la rédaction du texte. D'une part, à l'alinéa 2 de l'article 738-2 du Code civil, il est utilisé la formule « portion des biens », qui semble s'opposer à la possibilité d'une attribution de la totalité du bien. D'autre part, à l'alinéa 3, le texte précise que pour le cas où le droit de retour aurait lieu en valeur, il s'exécute « dans la limite de l'actif successoral ». Si ce droit de retour était limité au quart de la succession, il ne dépasserait jamais l'actif successoral, et cette limite posée par le législateur n'aurait aucun sens ni raison d'être.
Cette deuxième thèse, plus conforme à la lettre du texte, a été retenue lors d'une réunion inter-CRIDONs des 29 et 30 novembre 2007.
Il est évident que les conséquences liquidatives de ces courants doctrinaux sont importantes. Il n'appartient pas au notaire de trancher. Le choix entre ces différentes thèses devra être exposé aux parties. En l'absence d'accord sur l'interprétation à retenir, seul un tribunal sera susceptible de trancher le débat.

Exemple de droit de retour en valeur (bien donné aliéné)

X décède <em>ab intestat</em> laissant pour recueillir sa succession son père, A, et son épouse survivante Y. Son père lui avait donné un bien immobilier qu'il a vendu de son vivant 1 000. À son décès, il laisse des biens valant 800.

Toutes les conditions de l'article 738-2 étant réunies, le droit de retour joue en valeur. La vocation légale du père dans la succession de son fils s'établit à 800 x ¼ = 200.

<strong>Première thèse : le « bien donné dans la limite du quart de la succession » :</strong>

Le droit de retour légal joue en valeur eu égard au prix de vente (1 000), mais ne peut s'exercer que dans la limite du quart de la succession, soit 200.

Ses droits légaux n'étant pas supérieurs à la valeur de son droit de retour, il ne peut prétendre à rien de plus.

Le conjoint percevra le surplus, soit 800 – 200 = 600.

Variante première thèse en cas d'aliénation du bien :

Le droit de retour est plafonné à un quart d'une masse composée des biens existants et de la « réunion fictive » du bien reçu en donation aliéné, soit (800 + 1 000) x ¼ = 450.

La valeur de son droit de retour étant supérieure à ses droits <em>ab intestat</em>, il ne peut prétendre à rien d'autre.

Le conjoint percevra le surplus, soit 800 – 450 = 350.

<strong>Seconde thèse : « le quart de la valeur du bien » :</strong>

Le droit de retour porte sur le quart de la valeur du bien donné au moment de son aliénation, soit 1 000 x ¼ = 250.

La valeur de son droit de retour étant supérieure à ses droits <em>ab intestat</em>, il ne peut prétendre qu'à ce montant.

Le conjoint percevra le surplus, soit 800 – 250 = 550.

Cas des donations-partages complexes

– Donation-partage avec soulte. – Pour l'exercice du droit de retour légal des parents, en cas de donation-partage avec soulte, faut-il distinguer selon que le donataire prédécédé sans postérité est l'attributaire du bien ou celui de la soulte ? L'exemple est celui d'une donation-partage par le père ou la mère d'un bien immobilier unique avec attribution de celui-ci au fils, à charge pour lui de verser une soulte de la moitié de sa valeur à sa sœur, sans stipulation dans l'acte d'un droit de retour conventionnel. En l'espèce, l'égalité de traitement des deux situations semble s'imposer. Le droit de retour s'exercera en nature si le donataire prédécédé était l'attributaire du bien, et il s'exercera en valeur si le donataire était l'attributaire de la soulte, mais dans les deux cas uniquement à hauteur de leur part théorique du bien dans le partage, c'est-à-dire, dans notre exemple, à hauteur de la moitié du bien donné pour chacun d'eux.
– Donation-partage conjonctive ou cumulative. – Les donations-partages conjonctives ou cumulatives présentent l'intérêt de confondre en une masse unique les biens donnés provenant des lignes paternelles et maternelles, de sorte que, indépendamment des attributions effectivement réalisées, chacun des attributaires est censé avoir été alloti proportionnellement de biens provenant de chacune des lignes. De la même manière, le retour légal s'exerce proportionnellement aux biens apportés par le parent survivant dans la masse sans considération de l'origine réelle des biens composant le lot de l'enfant prédécédé. Il s'effectuera en nature ou en valeur selon le cas où le lot de l'attributaire a ou n'a pas été abondé par le parent survivant.

Fiscalité : identité de traitement avec le droit de retour conventionnel

Fiscalement, le traitement du droit de retour légal est identique à celui du droit de retour conventionnel. En application de l'alinéa 2 de l'article 791 ter du Code général des impôts : « En cas de retour des biens au donateur en application des articles 738-2, 951 et 952 du code civil, ce retour ouvre droit, dans le délai légal de réclamation à compter du décès du donataire, à restitution des droits de mutation à titre gratuit acquittés lors de la donation résolue ». La restitution doit être demandée au plus tard le 31 décembre de la seconde année suivant celle du décès du donataire. Par ailleurs, le droit de retour ne donne pas lieu à perception de droits de mutation à titre gratuit (CGI, art. 763 bis).