La fiscalité applicable à l'occupant

La fiscalité applicable à l'occupant

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Le débat historique sur la qualification fiscale de libéralité. – Sur le plan historique, la question de savoir si la mise à disposition gratuite d'un logement devait être taxée comme une libéralité a donné lieu à une importante controverse doctrinale. L'origine de la querelle résidait dans l'article 4 de la loi du 22 frimaire an VII. Cette disposition assujettissait au droit proportionnel d'enregistrement, non seulement les transmissions de propriété ou d'usufruit portant sur des meubles ou des immeubles, mais également les transmissions de jouissance portant sur de tels biens226. Pour cette raison, Garnier estimait que l'occupation gratuite d'un immeuble devait être soumise au droit déterminé pour les donations entre vifs, les parties devant se livrer à une évaluation de la jouissance gratuite ainsi concédée227.
Estimant au contraire que la concession d'une jouissance ne constituait pas une transmission à proprement parler, et qu'elle correspondait davantage à un acte innommé, Maguéro considérait qu'elle ne devait donner lieu qu'au seul droit fixe228. La controverse sera réglée par la loi du 27 ventôse an IX dont l'article 4 ne soumettra au droit proportionnel d'enregistrement que les seules transmissions de propriété ou d'usufruit.
– La question en termes de droit actuel. – De nos jours, il est bien admis que la mise à disposition gratuite d'un logement ne peut en principe motiver la perception des droits de mutation à titre gratuit que dans le cas où elle procède d'intentions de libéralité nettement exprimées dans les actes qui les constatent229. Les mises à disposition gratuites, qui sont le plus souvent verbales, ont donc vocation à échapper aux droits de mutation à titre gratuit. Cela est heureux car la solidarité familiale ne pourrait avoir lieu si le prêt de logement devait être taxé comme une libéralité. Il faut par ailleurs rappeler que dans une forte proportion de cas, la mise à disposition gratuite d'un logement correspond au paiement d'une obligation alimentaire exclusive de toute intention libérale.
Cependant, dans certaines hypothèses, l'occupation gratuite pourra être qualifiée de libéralité : tel sera le cas par exemple si cette occupation est réincorporée dans une donation-partage ou si elle est qualifiée de libéralité dans le cadre du règlement d'une succession230. Dans toutes ces situations, les énonciations de l'acte notarié (donation-partage ou partage successoral) seront explicites ; elles procéderont en effet à une requalification de l'occupation gratuite en libéralité à des fins liquidatives et permettront de constituer un lot dans le cadre d'une donation-partage ou de rétablir l'égalité dans un partage successoral. Dans toutes ces situations où la qualification de libéralité sera explicite, la fiscalité applicable aux droits de mutation à titre gratuit sera applicable. Il faut comprendre que la question de l'émergence d'une fiscalité à titre gratuit est largement tributaire de la présence d'un acte notarié dans lequel le notaire procédera lui-même à une liquidation des droits.
– Une matière taxable aisément détectable. – La question est de savoir si l'administration fiscale peut de son propre chef se livrer à une requalification d'une occupation gratuite en libéralité. Après tout, l'administration des impôts dispose aujourd'hui de moyens colossaux pour connaître l'occupation des logements : depuis le 1er janvier 2023, les propriétaires de locaux affectés à l'habitation sont tenus de déclarer à l'administration fiscale, avant le 1er juillet de chaque année, les informations relatives, s'ils s'en réservent la jouissance, à la nature de l'occupation de ces locaux ou, s'ils sont occupés par des tiers, à l'identité du ou des occupants desdits locaux231. Il n'est donc nul besoin d'un acte notarié pour que l'administration fiscale puisse savoir par exemple qu'un enfant est logé gratuitement par ses parents dans un luxueux appartement parisien depuis plusieurs années.
Comme il a été indiqué précédemment, les occupations gratuites sont en principe situées en dehors du champ d'application des droits de mutation à titre gratuit232, ce d'autant plus qu'elles correspondent le plus souvent au paiement d'une obligation alimentaire. Si l'administration veut requalifier une occupation gratuite en libéralité indirecte, elle doit rapporter la preuve de l'existence d'une telle libéralité, ce qui suppose de démontrer l'intention libérale, l'appauvrissement du donateur et l'enrichissement du donataire233. La preuve d'un simple avantage matériel n'est pas suffisante pour rendre exigibles les droits de mutation à titre gratuit234.
On note à cet égard qu'une jurisprudence rendue par la Cour de cassation en 2005 représentait une très grande dangerosité puisqu'elle posait le principe qu'une occupation gratuite d'un logement procédait d'un avantage indirect, même en l'absence d'intention libérale235. L'administration fiscale aurait certainement pu s'appuyer sur cette jurisprudence pour se dispenser d'avoir à rapporter l'intention libérale. Mais cette jurisprudence a été doublement remise en cause : d'une part, la réforme des successions adoptée en 2006 a introduit dans la loi la notion de « donation de fruits et revenus » et a présumé qu'une telle donation était rapportable236. En inscrivant l'avantage retiré d'une occupation gratuite dans le giron des libéralités, la loi les a nécessairement extraits de la catégorie des avantages indirects, et a rétabli la nécessité de prouver l'intention libérale237. Par ailleurs, la jurisprudence a elle-même corrigé ses excès, en rendant une série d'arrêts très remarqués dans lesquels la nécessité de démontrer l'intention libérale est très nettement rappelée238. Il est heureux que la jurisprudence de 2005 ait été remise en cause, car son maintien aurait permis à l'administration de taxer aux droits de mutation à titre gratuit les occupations gratuites au seul motif qu'elles constituent un avantage indirect.