La fiscalité applicable au propriétaire du bien

La fiscalité applicable au propriétaire du bien

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Notion de réserve de jouissance. – Le concept fiscal de réserve de jouissance est bien connu des notaires s'agissant des droits de mutation à titre onéreux : lorsqu'un vendeur se réserve pour un temps plus ou moins long la jouissance du bien cédé, cette réserve de jouissance constitue pour l'acquéreur une charge augmentative du prix204. Mais la notion de réserve de jouissance joue également un rôle important en matière de revenus fonciers : ce concept procède d'une fiction selon laquelle le propriétaire d'un immeuble qui en conserve la jouissance, pour lui-même ou pour un tiers, doit déclarer dans son imposition les loyers fictifs qu'il aurait pu obtenir s'il avait mis son logement en location. Cette disposition, qui figure à l'article 30 du Code général des impôts205, est un bel exemple d'autonomie fiscale : un usage non locatif d'un bien donne lieu à une fiscalité locative !
Cependant, le champ de cette fiscalité a été considérablement réduit par la loi de finances pour 1965, laquelle a exonéré de revenus fonciers les logements dont le propriétaire se réserve la jouissance206. Le but de cette réforme consistait à relancer l'accession à la propriété207 et à moderniser les règles d'assiette de l'impôt sur le revenu208. Depuis cette date, la mise à disposition gratuite d'un logement au profit d'un tiers (un membre de la famille dans notre propos) n'entraîne aucune taxation aux revenus fonciers. Cette exonération peut constituer un critère de choix important pour le propriétaire d'un logement qui n'entend pas réellement faire payer un loyer à son parent : plutôt que de consentir un bail et d'abandonner les loyers, loyers qui devront malgré tout être déclarés au titre des revenus fonciers, le propriétaire prêtera le logement afin de bénéficier de l'exonération prévue par l'article 15, II du Code général des impôts. Corrélativement, il ne pourra pas déduire les charges afférentes à ce logement. En effet pour être déduites, les charges doivent se rapporter à des immeubles dont les revenus sont imposables dans la catégorie des revenus fonciers209.
– Déduction d'une pension alimentaire. – Si le propriétaire ne peut pas déduire les charges de son immeuble (puisque celui-ci ne génère pas de revenus fonciers), il peut déduire de son revenu global une pension alimentaire dans les conditions prévues par l'article 156, II, 2o du Code général des impôts. Pour mémoire, les pensions alimentaires versées entre ascendants et descendants (sans limitation de degré) ou entre gendre ou belle-fille et beau-père ou belle-mère (limitée au premier degré), mais seulement tant qu'existent l'époux qui produit l'affinité ou des enfants issus de son mariage avec l'autre époux, peuvent être déduites du revenu global, toutes autres conditions posées par le texte devant par ailleurs être satisfaites210.
Parmi ces conditions, le contribuable doit pouvoir apporter la justification du caractère alimentaire de celle-ci qui s'entend principalement de l'état de besoin211. Il importe peu que la pension alimentaire soit payée en nature212, ce qui est précisément le cas de la mise à disposition gratuite d'un logement213. Il n'est pas nécessaire que cette pension soit constatée par une décision de justice ni même par un écrit214, ce qui encore une fois correspond à la généralité des situations d'occupation gratuite entre membres de la famille. En cas de contrôle, l'administration peut être amenée à vérifier si le bénéficiaire de la pension se situe bien dans une situation de besoin215. Corrélativement, l'aide constituée de la mise à disposition gratuite du logement doit être comprise dans le revenu imposable de la personne qui en bénéficie216.
Notons enfin qu'il existe un plafond de déduction : pour les revenus de l'année 2023, ce plafond est fixé à la somme de 6 674 € dans l'hypothèse d'une pension versée au profit d'un enfant majeur seul et sans enfant à charge. Le plafond atteint la somme de 13 348 € dans l'hypothèse d'un enfant marié ou pacsé ou chargé de famille.
– Impossibilité de déduire un paiement résultant d'une obligation naturelle. – Imaginons qu'une personne loge un membre de sa famille placé dans un état de besoin, mais que ce membre de la famille ne soit pas l'un de ceux visés par les articles 205 à 211 du Code civil. Plus concrètement, imaginons qu'un contribuable loge un frère, une sœur, un neveu, une nièce, ou encore s'agissant des familles recomposées, l'enfant de sa concubine. Peut-il déduire de son revenu général une pension alimentaire ? Une réponse négative s'impose puisque ces personnes ne sont pas visées par l'article 156, II, 2o du Code général des impôts, lequel renvoie aux articles 205 à 211 du Code civil.
Pourtant, si la question peut se poser, c'est en raison de l'existence d'un courant jurisprudentiel ayant reconnu en matière civile l'existence d'une obligation naturelle fondée sur un devoir moral d'entraide à l'égard des membres de sa famille. La jurisprudence civile reconnaît ainsi l'existence d'un devoir d'entraide entre collatéraux privilégiés217 ou entre collatéraux ordinaires218 placés dans un état de besoin. Un tribunal administratif a pu tirer toutes les conséquences de ce courant jurisprudentiel en admettant que les sommes versées par une personne au profit de son frère pouvaient être assimilées à une pension alimentaire au sens de l'article 156, II, 2o du Code général des impôts219. Mais cette décision non frappée d'appel restera isolée car le Conseil d'État, dans une décision rendue sur une autre affaire, s'est depuis lors catégoriquement opposé à ce que les obligations naturelles puissent être assimilées à des pensions alimentaires220 .

Exemple récapitulatif : comparaison entre bail et commodat sur le plan fiscal

Jean est propriétaire d'un appartement à Nantes qu'il loue 400 € par mois à un locataire.

Le loyer brut annuel de 4 800 € est déclaré au titre des revenus fonciers dans le régime dit du micro-foncier (abattement de 30 %).

Le revenu foncier imposable est donc de 3 360 €.

Ce revenu est soumis à la tranche d'imposition de 30 % et aux prélèvements sociaux de 17,2 %.

Soit une imposition annuelle de 1 586 €.

Soit un gain annuel pour Jean d'un montant de 3 214 € (4 800 € de loyers – l'imposition de 1 586 €).

Si Jean cesse de louer son appartement et décide d'y loger son fils Stéphane (étudiant sans ressources), il ne recevra plus de loyer.

Il perdra donc son gain annuel de 3 214 €.

Il pourra cependant déduire de son revenu global une somme maximale de 6 674 € au titre d'une pension alimentaire versée en nature à Stéphane.

Son économie fiscale annuelle sera alors de 2 002 € (6 674 × 30 %).

Cette économie fiscale réduira le manque à gagner de Jean à 1 212 € (3 214 € – 2 002 €).

Stéphane devra déclarer cette pension alimentaire au titre de ses revenus, mais compte tenu par ailleurs de l'absence de ressources de ce dernier, il ne sera probablement pas imposable.

Cet exemple montre que le manque à gagner induit par le commodat n'est pas nécessairement défavorable pour le propriétaire : la déduction d'une pension alimentaire permettra dans certains cas de <strong>compenser la perte de revenus</strong>.

– Le danger de la taxation des loyers fictifs. – Les développements précédents ont démontré que la mise à disposition gratuite d'un bien au profit d'un membre de la famille constitue un maillon essentiel de la solidarité familiale. Sur le plan fiscal, ce maillon repose sur la possibilité de déduire une pension alimentaire (dans le cas où l'occupant est placé dans une situation de besoin) mais également, et surtout, sur l'absence de taxation de la réserve de jouissance. Il deviendrait en effet fort délicat pour une personne de prêter un logement si cette mise à disposition devait générer pour elle un surcroît de fiscalité. Or, l'exonération des revenus fonciers au titre de la réserve de jouissance fait l'objet de nombreux débats parmi tous ceux qui réfléchissent aux moyens d'accroître les ressources budgétaires de l'État.
L'idée consistant à taxer les « loyers fictifs » s'inscrit de manière récurrente dans le débat public. Si des motifs tenant à l'égalité ou à la mobilité sociale sont régulièrement mis en avant pour justifier la taxation de la réserve de jouissance221, il est permis de penser que ce sont surtout les projections de rendement budgétaire, estimées à 10 milliards d'euros par an, qui procurent à ce débat une telle vivacité222. Sur le plan légistique, les choses sont très simples : il suffirait d'abroger l'article 15, II du Code général des impôts pour parvenir à une taxation des loyers fictifs. L'affaire est plus délicate sur le plan politique : la question de l'acceptabilité sociale d'une telle réforme se pose nécessairement. On peut même se demander si l'expression de « taxation des loyers fictifs » n'est pas déjà porteuse du slogan qui serait scandé par les héritiers des gilets jaunes223.
Empreinte de lucidité, la Cour des comptes a récemment fait part de ses doutes sur la compréhension des Français à l'égard de la taxation des loyers fictifs et a rappelé que seuls trois pays sur les trente-huit membres de l'OCDE avaient conservé un tel mécanisme224. Plus encore, un ministre a pu déclarer récemment que « la taxation des loyers fictifs n'est pas envisagée et ne sera pas mise en place »225. Il faut espérer que les gouvernements futurs adopteront la même posture puisque la taxation de la réserve de jouissance porterait un mauvais coup à l'entraide familiale : il deviendrait fort difficile pour une personne de prêter un logement à un membre de sa famille si cette mise à disposition gratuite devait se traduire par une augmentation de sa fiscalité.