– Plan. – Il convient tout d'abord d'analyser la délivrance amiable, qui constitue – fort heureusement – l'immense majorité des cas (§ I), avant d'étudier les difficultés pratiques en situations conflictuelles (§ II).
La délivrance de legs
La délivrance de legs
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
La délivrance amiable spontanée
– Forme. – La délivrance de legs ne pose pas d'importantes difficultés pratiques lorsqu'elle est consentie de manière spontanée. Les héritiers ratifient la vraisemblance du titre et accordent la saisine. La doctrine définit la délivrance comme une « habilitation du légataire à exercer ses droits ».
La délivrance ne revêt pas de forme solennelle obligatoire. Elle peut être écrite, verbale, ou tacite. Elle ne saurait être confondue avec le transfert de propriété du bien, ni avec le paiement du legs. Pour les biens incorporels et les biens immobiliers, un acte notarié constatera la date de la demande en délivrance, la quittance éventuelle, l'accord de l'héritier exerçant la police de l'hérédité et celui du légataire acceptant. Pour les actifs corporels, malgré la libération par la simple tradition de la chose, la délivrance notariée écrite garantira la preuve de ce transfert.
– Fruits et revenus. – Le légataire particulier (C. civ., art. 1014) a droit aux fruits et revenus de la chose léguée à compter de la date de la demande en délivrance, ou à défaut à la date à laquelle la délivrance de legs a été signée. S'agissant du légataire universel ou à titre universel, si la demande en délivrance est faite dans l'année qui suit l'ouverture de la succession, la jouissance est rétroactivement acquise au jour du décès (C. civ., art. 1005). À défaut de demande dans l'année, la date de la demande en délivrance ou la date de délivrance spontanée sera retenue pour la jouissance divise. Lorsque le légataire est en même temps héritier, cette qualité lui confère le droit aux fruits dès le décès.
Il est conseillé d'indiquer dans l'acte la date de la demande en délivrance et de porter attention au paragraphe sur la jouissance divise.
– Prescription. – La demande en délivrance était, antérieurement à la loi du 17 juin 2008, soumise à la prescription trentenaire de droit commun. Elle est a priori aujourd'hui de cinq ans. Un arrêt de la Cour de cassation du 23 octobre 2024 est venu confirmer la doctrine majoritaire en qualifiant de personnelle l'action en délivrance de legs, soumettant la demande en délivrance au délai de prescription selon les dispositions de l'article 2224 du Code civil. Il serait souhaitable qu'une intervention législative clarifie ce point en alignant la prescription sur celle, décennale, de l'option successorale. Il paraît utile que le notaire avertisse les légataires du délai, au titre de son obligation de conseil. Deux précisions méritent d'être rappelées :
- la prescription concerne la demande en délivrance et non la délivrance de legs ;
- le délai quinquennal de l'article 2224 du Code civil ne court qu'à compter de la connaissance de son droit par le légataire, sans pouvoir excéder vingt ans.
Les difficultés pour obtenir la délivrance
– Refus des héritiers. – La première difficulté rencontrée pour obtenir la délivrance concerne le refus des héritiers. L'hypothèse est la suivante : la dévolution successorale a été établie, les héritiers ont accepté la succession, mais refusent de délivrer le legs et d'exécuter les volontés du défunt. Il n'y a alors qu'une unique solution : l'assignation judiciaire pour obtenir la délivrance de legs judiciaire.
Une solution pour se prémunir d'un refus prévisible
La délivrance est d'ordre public. Le testateur ne saurait dispenser le gratifié de la solliciter même en situation conflictuelle prévisible. Il est précisé qu'en présence d'un exécuteur testamentaire, la solution est malheureusement identique. En l'état actuel du droit positif, même envoyé en possession, celui-ci n'a pas les pouvoirs pour délivrer les legs. Il serait utile, lors d'une refonte du statut de l'exécuteur testamentaire, qu'il soit saisi et dispensé d'envoi en possession judiciaire, d'une part, et habilité à délivrer les legs en tant que gardien choisi de la police de l'hérédité, d'autre part. L'intérêt d'une telle solution serait de se prémunir à l'encontre de refus nuisibles et prévisibles en situation de tensions connues. Il est raisonnable d'imaginer que la multiplication des recompositions familiales fasse émerger l'intérêt pratique d'une telle solution pacifiée. Le défunt pourrait choisir l'héritier le plus consensuel. Cette solution aurait également un intérêt évident en présence de familles internationales et de testaments anglo-saxons.
– Vacance successorale. – La deuxième difficulté rencontrée pour obtenir la délivrance concerne la vacance successorale. En pareil cas, la dévolution successorale n'est pas établie et les héritiers n'ont pas accepté la succession. Des recherches complémentaires, ou l'intervention d'un généalogiste peuvent s'avérer nécéssaires. La solution est alors le prononcé de la vacance par le tribunal avec la désignation d'un curateur sur le fondement de l'article 809 du Code civil, lequel délivrera les legs à l'issue du délai de six mois à compter de l'ouverture de la succession (C. civ., art. 810-1 et CPC, art. 1343).
On peut s'interroger sur la pertinence du délai. Le curateur doit attendre la fin du délai de six mois pour délivrer les legs, ce qui engendre nécessairement un retard fiscal préjudiciable pour le légataire. Ne serait-il pas utile de supprimer ce délai, pour laisser au curateur la possibilité de délivrer les legs à sa convenance ?
– Succession sous administration. – La troisième difficulté rencontrée pour obtenir la délivrance concerne la succession sous administration. Dans cette hypothèse, la dévolution a été établie, mais les ayants droit n'ont pas tous accepté la succession. L'issue est l'administration successorale. La demande en délivrance du légataire doit être adressée auprès de tous les ayants droit. Il conviendra de sommer d'opter les ayants droit taisants et de demander au juge d'habiliter spécialement l'administrateur à l'effet de délivrer les legs. Cette situation est loin d'être une hypothèse d'école. Elle place l'étude notariale, les ayants droit acceptants et le légataire dans une situation délicate.
Cette solution jurisprudentielle pourrait être étendue au cas des héritiers taisants. On pourrait imaginer que le legs ne soit délivré que par les héritiers connus acceptants.
Une très ancienne solution jurisprudentielle
Certains praticiens soutiennent, à l'appui d'un ancien arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation du 13 novembre 1855, que lorsque tous les héritiers ne sont pas connus, la demande en délivrance pourrait être adressée aux seuls successeurs connus au jour de la demande et la délivrance faite sans la présence de l'intégralité des successibles. Cette solution a le mérite de la simplicité, mais n'est pas proposée par les textes, ni entérinée par une jurisprudence constante et claire. Elle est pourtant de bon sens et est présentée par certains auteurs comme une exception au principe de la délivrance accordée par chacun des héritiers. La consécration de cette solution par le législateur permettrait de réduire les cas de blocage et la judiciarisation du règlement successoral complexe.