Des lacunes à combler

Des lacunes à combler

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Une désaffection en pratique. – Particulièrement attrayant de prime abord, ce régime matrimonial conventionnel, qui constitue le régime légal dans certains de nos pays voisins, n'a pourtant pas connu le succès escompté en France. Peu conseillé par les notaires et finalement encore largement méconnu de nos concitoyens, ce régime est réputé nébuleux et complexe à liquider.
Ce régime matrimonial est peu choisi à cause notamment de la complexité de sa liquidation. Des pistes peuvent être recherchées, pour la plupart, dans le régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts franco-allemand, né de la loi du 28 janvier 2013372, qui offre déjà une alternative à nos concitoyens.
– Un nécessaire inventaire du patrimoine originaire. – La première difficulté rencontrée au moment de la liquidation de la créance de participation consiste à déterminer la consistance et la valorisation du patrimoine originaire.
Aux fins de simplifier cette opération archéologique, souvent délicate, et donc de garantir l'exactitude de la consistance du patrimoine originaire, il pourrait être prévu, au moment de la conclusion du contrat de mariage, en lieu et place d'un « état descriptif »373 souvent lacunaire si ce n'est absent, que les époux doivent établir un inventaire de leur patrimoine originaire respectif, cet inventaire étant présumé exact lorsque les deux époux l'ont signé374. En l'absence d'inventaire, le patrimoine originaire est présumé nul375. Il faudrait cependant admettre que les présomptions d'exactitude de l'inventaire signé par les deux époux et d'absence de patrimoine originaire en cas d'absence d'inventaire sont simples et non irréfragables.
– Les règles d'évaluation du passif originaire. – Ensuite, une difficulté a été décelée concernant les règles d'évaluation du passif originaire. Le texte prévoit de revaloriser le passif du patrimoine initial selon les règles de l'article 1469, alinéa 3, du Code civil376. En effet le législateur a souhaité calquer les effets de la participation aux acquêts sur ceux d'une récompense. Or la revalorisation d'une dette, grevant un bien relevant du patrimoine originaire, non remboursée au jour de la dissolution du mariage ou remboursée au moyen de fonds issus de ce même patrimoine originaire, dans le patrimoine originaire et son absence de revalorisation dans le patrimoine final crée un acquêt fictif, exposant le conjoint à participer davantage qu'il ne le devrait. Il faudrait retenir que le même montant soit retenu dans les deux patrimoines originaire et final et, pour cela, prévoir l'absence de revalorisation du passif originaire. Cette solution éviterait l'apparition d'un acquêt fictif et permettrait ainsi que les règles soient cohérentes avec celles relatives aux reprises des propres dans le régime légal.
– La valorisation du patrimoine final. – Par ailleurs, une règle, particulièrement mal vécue en pratique, concerne la valorisation des biens existants au sein de l'actif final. Les textes prévoient en l'état que « les biens existants sont estimés d'après leur état à l'époque de la dissolution du régime matrimonial et d'après leur valeur au jour de la liquidation de celui-ci »377. Cette règle aboutit concrètement à ce que la plus-value éventuelle prise par les acquêts entre la date de dissolution du régime et la date de sa liquidation, parfois quelques années plus tard, soit partagée entre les deux époux. La solution semble parée de tous les atours d'une saine logique juridique dans la mesure où elle renvoie aux règles inhérentes au régime légal, lesquelles prévoient que les biens communs sont évalués à la date de jouissance divise, c'est-à-dire à la date la plus proche du partage378. Pourtant, en pratique, cette règle est souvent déjà mal vécue en régime de communauté, notamment lorsqu'elle aboutit au partage de la plus-value acquise par un bien professionnel durant l'indivision post-communautaire, alors que cette plus-value est le fruit du labeur de l'un des ex-époux après le divorce. A fortiori, ce ressenti est plus prégnant encore dans le régime de la participation aux acquêts, dans la mesure où le bien en question n'est pas un bien commun mais un bien personnel de l'époux concerné. S'agissant d'un régime destiné à consacrer une égalité en valeur et à permettre à l'un des époux de participer à l'enrichissement de son conjoint pendant le mariage, on a peine à comprendre pourquoi l'enrichissement de l'un devrait continuer à bénéficier à l'autre, une fois le régime matrimonial dissous. Au surplus, une telle règle ne peut que favoriser des attitudes dilatoires, plus rien n'incitant le conjoint de l'époux propriétaire à s'empresser de liquider alors que le temps faisant son œuvre, il s'enrichit chaque jour à l'aune de l'activité professionnelle déployée par son ex-conjoint. Aussi pourrait-il être proposé, à l'instar du régime franco-allemand, que les biens existants portés au patrimoine final soient évalués à la date de dissolution du régime matrimonial et non au jour de la liquidation379.
– L'estimation du passif final. – Mieux encore, on pourrait songer à mettre en place une règle identique concernant l'estimation du passif final, tant la règle actuelle aboutit là encore à des solutions perçues comme injustes, y compris si on les compare à celles qui ont cours dans le régime légal. Ainsi par exemple, lorsqu'un acquêt est grevé d'un prêt, la règle actuelle qui aboutit à retenir le solde dudit prêt à la date de la liquidation conduit à augmenter les acquêts de l'époux en question sans contrepartie, alors que dans le régime de la communauté, ce dernier détiendrait une créance à l'encontre de l'indivision du chef de ses remboursements sur le fondement de l'article 815-13 du Code civil.

Exemple chiffré

Au jour de la dissolution du régime matrimonial, l'époux détient des liquidités à hauteur de 100 000 € et doit faire face à un prêt dont le capital restant dû s'élève à 20 000 €. Au jour de la liquidation du régime matrimonial, l'époux détient toujours des liquidités à hauteur de 100 000 € et le prêt a été entièrement remboursé à l'aide des revenus qu'il a perçus pendant la période intermédiaire. Ses acquêts sont évalués à 100 000 € au jour de la liquidation alors qu'ils seraient estimés à 80 000 €, si le passif avait été estimé à la date de la dissolution du régime matrimonial, ce qui semblerait plus juste.

– La prescription de l'action en liquidation de la créance de participation. – Au rebours de l'action en partage, qui est imprescriptible, l'action en liquidation de la créance de participation s'éteint au bout de trois années à compter de la dissolution du régime380. La raison d'être de la divergence n'est pas malaisée à découvrir : la liquidation de la créance de participation ne tend pas à faire sortir les époux d'une indivision réelle. On pourrait toutefois songer à faire coïncider cette prescription avec la prescription quinquennale de droit commun. Une telle modification contribuerait à donner une véritable cohérence aux règles liquidatives, dans la mesure où la Cour de cassation considère aujourd'hui que les créances entre époux et les comptes d'indivision se prescrivent par cinq ans. Dans les faits, elle permettrait d'éviter que l'un des époux, profitant de l'ignorance de son ex-conjoint, demeure inactif ou fasse traîner la phase de liquidation amiable afin d'atteindre la période de trois ans, aux fins d'échapper au règlement d'une créance de participation.
– La suppression du correctif de l'équité. – Enfin, contrairement au système français381, l'on pourrait retirer au juge la faculté – manifestement très rarement usitée dans les faits – de moduler les conséquences des règles de liquidation de la créance de participation sur l'autel de l'équité, ce qui réduirait les risques d'insécurité juridique pour les époux.