Variations autour de l'hypothèque et de la famille

Variations autour de l'hypothèque et de la famille

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– La créativité notariale au service des familles. – Les liens entre la famille et le droit des hypothèques sont tout d'abord historiques : la confrontation entre la famille et le droit des hypothèques a conduit dans le passé à la naissance de concepts juridiques qui ont durablement façonné le Code civil. Il est essentiel de convoquer le passé afin de s'apercevoir que le notariat a toujours fait preuve d'une grande créativité pour permettre aux familles d'accéder au crédit bancaire (Sous-section I). Cette créativité du passé doit aujourd'hui guider nos pas s'agissant des difficultés que le droit hypothécaire rencontre actuellement lorsqu'il s'agit de garantir les opérations familiales (Sous-section II).

Petite histoire de la famille et du droit des hypothèques

– Plan. – La famille et le droit des hypothèques entretiennent des relations historiques dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles ont durablement façonné notre droit civil. Il n'est évidemment guère possible de relater la question de manière exhaustive. Nous retiendrons seulement deux exemples qui nous paraissent fournir les illustrations les plus intéressantes de ce lien historique. Il s'agira donc d'une petite histoire, mais qui contera une grande histoire. L'impérieuse nécessité d'assurer la paix des familles dans les partages de successions, paix qui était gravement menacée par les hypothèques, a conduit à l'émergence de l'un des concepts les plus fondamentaux du droit civil : l'effet déclaratif du partage (§ I). Le financement des ménages, qui était mis à mal par l'hypothèque légale de la femme mariée, a conduit les notaires à inventer de manière particulièrement ingénieuse une pratique que le Code civil s'est empressé de consacrer : la cession d'antériorité (§ II).

La naissance de l'effet déclaratif pour effacer les hypothèques de droits indivis

– L'hypothèque générale, un danger pour les partages translatifs. – Initialement, l'Ancien Droit avait la même compréhension du partage que le droit romain : le partage était assimilé à un échange de droits indivis et revêtait dès lors le caractère d'un acte translatif376. Cette conception translative, héritée du droit romain, recelait un très grave inconvénient : les hypothèques qui avaient été constituées par l'un des indivisaires sur sa quote-part indivise se perpétuaient après le partage, même lorsque le bien était attribué à un copartageant autre que celui qui les avait constituées377.
Cette situation n'avait rien de théorique puisque sous l'Ancien Droit, l'hypothèque était générale : tous les biens présents et à venir étaient automatiquement grevés de l'hypothèque en vertu de l'obligation notariée qui avait été contractée par le débiteur378. Il suffisait ainsi qu'un débiteur signe une obligation notariée pour que ses biens présents, mais également ses biens à venir, par succession notamment, soient automatiquement hypothéqués379. En l'absence à cette époque de système de publicité foncière380, ni les copartageants du débiteur, ni même le notaire en charge de réaliser le partage, ne pouvaient deviner la présence de ces hypothèques occultes, dont l'existence était passée sous silence ou même était ignorée par le débiteur. Il pouvait en effet échapper à la compréhension du débiteur qu'une obligation notariée signée de nombreuses années auparavant puisse avoir une incidence sur le règlement futur de la succession de ses parents. Finalement, l'exercice du droit de suite à l'encontre de l'attributaire remettait en cause l'équilibre du partage.
– La naissance de l'effet déclaratif pour sécuriser les partages familiaux. – C'est de ce constat qu'est née la conception déclarative du partage : les juristes médiévaux, soucieux de protéger l'attributaire contre les hypothèques constituées par son copartageant, prônèrent une conception déclarative du partage. Mais leur combat ne fut pas sans peine car les partisans du droit romain, au premier rang desquels figurait Dumoulin, ne pouvaient se résoudre à créer en droit civil une solution contraire à la tradition romaine381. La protestation énergique dont la plume de Dumoulin était pourvue eut pour effet de prolonger le débat jusqu'à la fin du XVI e siècle382.
Plusieurs arrêts mémorables des 8 janvier 1569, 20 juillet 1571, 15 mai 1581 et 2 août 1595 affirmèrent que le partage était investi d'un effet déclaratif de telle sorte que les hypothèques et autres droits réels constitués pendant l'indivision, par l'un des héritiers, ne pouvaient subsister, après le partage, sur les biens compris dans les lots de ses cohéritiers. Dumoulin fut ébranlé dans ses convictions et finit par admettre que les copartageants « étaient jà saisis de leur part, à die mortis »383. Ainsi, dès la fin du XVI e siècle, le caractère déclaratif du partage fut irrévocablement déterminé dans la législation civile384.
Pothier ne manquait pas de justifier cette révolution théorique, intervenue pour des raisons pratiques : « Les hypothèques étant extrêmement multipliées parmi nous, on n'aurait pu faire aucun partage sûrement si on ne se fût écarté du droit romain »385. Plus proche de nous, Wahl déclarait que « le sens de l'effet déclaratif est avant tout que les hypothèques inscrites du chef des copropriétaires qui ne sont pas définitivement propriétaires de l'immeuble disparaissent »386. De nos jours, l'effet déclaratif du partage est inscrit à l'article 883 du Code civil387 et son effet libérateur à l'égard des hypothèques grevant des quotes-parts indivises, qui en constitue sa raison historique, est affirmé par l'article 2412, alinéa 2 du même code388.

L'invention de la cession d'antériorité pour faciliter le crédit du ménage

– La famille, berceau de la cession d'antériorité. – Les cessions d'antériorité, et plus généralement les conventions sur le rang hypothécaire, sont parfaitement connues des notaires : pas une seule VEFA n'est signée sans contenir une cession par le vendeur de son rang hypothécaire au profit de la banque qui finance l'acquisition. De même, les dossiers de financement faisant intervenir plusieurs établissements financiers contiennent immanquablement des conventions sur le rang389. Pourtant, la pratique des cessions d'antériorité est née dans des circonstances très différentes : la cession d'antériorité puise ses racines dans la famille, et plus précisément dans l'hypothèque légale de la femme mariée. Cette sûreté, qui était censée protéger la femme contre l'omnipotence de son mari, était en réalité nuisible au crédit du couple : les banques refusaient en effet de financer le ménage de crainte que le rang de leur hypothèque soit finalement primé par cette hypothèque occulte dont le rang rétroactif prenait date au jour du mariage390.
De manière ingénieuse, les notaires du XIX e siècle ont songé à faire intervenir l'épouse au contrat de prêt afin que celle-ci cède l'antériorité de son hypothèque au profit de la banque qui consentait un crédit391. De la sorte, les notaires sont parvenus à faire de l'hypothèque légale non plus un obstacle au crédit, mais un instrument du crédit au service de la famille.
– Une pratique audacieuse rapidement consacrée par la loi. – La pratique de la cession d'antériorité, telle qu'inventée par les notaires du XIX e siècle, était particulièrement audacieuse. Il était même permis de s'interroger sur sa validité compte tenu des épineuses questions juridiques qu'elle suscitait : était-il du pouvoir d'un créancier de modifier le rang d'une sûreté légale ? La cession d'antériorité était-elle concevable lorsque la sûreté garantissait une créance incessible telle qu'une pension alimentaire392 ? Soucieux de consacrer la pratique notariale, dont l'intérêt immense était de faciliter le crédit du ménage, le législateur s'empressa de confirmer la validité de la cession de l'hypothèque légale de la femme mariée, y compris lorsque cette hypothèque garantissait une créance incessible393.
De nos jours, la question a beaucoup vieilli : la réforme de la publicité foncière intervenue le 4 janvier 1955 a mis un terme au caractère occulte des hypothèques légales394, ce qui a rendu inutile la cession d'antériorité de l'hypothèque légale de la femme mariée395. Par ailleurs, la loi no 65-570 du 13 juillet 1965 a bilatéralisé l'hypothèque légale de la femme mariée en une hypothèque légale des époux, laquelle ne subsiste plus que pour le régime de la participation aux acquêts depuis la réforme des sûretés du 15 septembre 2021396. La cession d'antériorité, quant à elle, a pris son envol pour participer dorénavant à toutes les opérations de VEFA et de financement faisant intervenir plusieurs créanciers. Elle est expressément visée par le Code civil dans son article 2425.

Problématiques actuelles du droit des hypothèques autour de la famille

– Plan. – Les opérations familiales les plus banales suscitent des difficultés juridiques d'une redoutable complexité tant au regard des hypothèques légales spéciales (§ I) qu'au regard de l'hypothèque conventionnelle (§ II).

Les hypothèques légales spéciales et la famille

– Délimitation du sujet. – Les développements qui suivent vont être consacrés aux difficultés suscitées par l'hypothèque légale du prêteur de deniers (A) et par l'hypothèque légale du copartageant (B). Le lecteur ne doit pas être surpris : il sera souvent fait référence au privilège de prêteur de deniers ainsi qu'au privilège de copartageant dans nos développements, alors même que ces sûretés ont disparu le 1er janvier 2022 pour être remplacées par des hypothèques légales spéciales397. Ces références à d'anciennes sûretés s'expliquent par le fait que les solutions auxquelles elles ont donné lieu par le passé sont transposables mutatis mutandis aux hypothèques légales qui les remplacent aujourd'hui.

La famille et l'hypothèque légale du prêteur de deniers

– Plan. – Les difficultés soulevées par l'hypothèque légale du prêteur de deniers dans un contexte familial sont de deux ordres398 : la première réside dans l'assiette de l'hypothèque, notamment dans la situation où un bien est acquis par une famille alors que l'un seul des membres a recours à un crédit hypothécaire (I). La seconde difficulté concerne la nature des opérations éligibles à l'hypothèque légale du prêteur de deniers. Aussi surprenant que cela puisse paraître, des opérations patrimoniales du quotidien posent des questions lancinantes quant à leur éligibilité à l'hypothèque légale du prêteur de deniers (II).
Problématiques relatives à l'assiette de la sûreté
– L'assiette de l'hypothèque légale du prêteur de deniers en cas d'acquisition en indivision. – C'est une situation très fréquente qui voit un indivisaire acheter un bien avec un autre indivisaire, acquisition pour laquelle un seul des indivisaires a recours à un emprunt. En garantie de cet emprunt, l'établissement prêteur demande le bénéfice de l'hypothèque légale du prêteur de deniers. C'est dans ce contexte des plus classiques que se pose une question lancinante pour laquelle loi n'offre que le silence : l'hypothèque légale du prêteur de deniers grève-t-elle la seule quote-part indivise financée par l'établissement prêteur ou grève-t-elle la totalité du bien399 ?
Dans un article fameux écrit il y a plus de trente ans, le professeur Philippe Théry a défendu la théorie de l'indivisibilité du privilège du prêteur de deniers selon laquelle le privilège grève le bien indivis dans son intégralité, sans égard au fait que le privilège soit relatif à la dette de l'un seul des indivisaires400. Cette conception présente un avantage considérable pour le créancier, dans la mesure où elle lui permet de bénéficier de la qualification de créancier de l'indivision dont les attributs ne sont plus à démontrer : le créancier de l'indivision peut être payé avant tout partage401, et il peut saisir le bien indivis alors même que son débiteur fait l'objet d'une liquidation judiciaire402. Le créancier est également protégé contre l'effet déclaratif du partage : puisque sa sûreté grève la totalité du bien, elle survit au partage quelles que soient les modalités d'attribution403.
La solution inverse, qui consisterait à admettre la divisibilité du privilège du prêteur de deniers, exposerait le créancier aux affres de l'indivision : il lui serait interdit de saisir la quote-part indivise de son débiteur404 et il encourrait le risque d'effacement de sa sûreté par application de l'effet déclaratif du partage405. Le créancier n'aurait alors pas d'autre choix que de solliciter des hypothèques conventionnelles complémentaires dont le coût fiscal renchérirait le crédit.
– De la théorie à la pratique. – La théorie de l'indivisibilité du privilège de prêteur de deniers a rapidement suscité l'adhésion tant de la doctrine406 que de la pratique notariale407. Cependant, si l'on tendait bien l'oreille, l'on pouvait entendre quelques bruissements de la pratique révélant une certaine réticence à admettre qu'un indivisaire puisse être impliqué dans un rapport de sûreté tout en étant étranger au rapport de dette qui en constitue le support. Il est vrai que la théorie de l'indivisibilité peut finalement se résumer à cette formulation : l'immeuble répond solidairement de la dette alors même que les indivisaires ne sont pas débiteurs solidaires ; et cette solidarité réelle, dénuée de toute solidarité personnelle, s'opère sans que les indivisaires aient voix au chapitre.
Le propos est juste mais il mérite d'être nuancé dans la mesure où c'est avant tout la réalité économique qui provoque l'entraide forcée : un créancier hypothécaire n'acceptera jamais de consentir un crédit à l'un des indivisaires si l'immeuble n'est pas garanti intégralement par l'hypothèque. Autrement dit, les indivisaires n'ont jamais voix au chapitre : s'ils veulent obtenir le crédit, ils doivent offrir l'immeuble entier en garantie. À cet égard, la théorie de l'indivisibilité du privilège de prêteur de deniers présente l'avantage d'éviter la multiplication des sûretés, ce qui produit l'effet vertueux de limiter le coût des garanties.
Au vrai, la seule véritable difficulté posée par la théorie de l'indivisibilité, outre le défi qu'elle représente lorsqu'un client exige que son notaire lui en dresse une explication parfaitement cartésienne, tient à sa formalisation hypothécaire. L'inscription de la sûreté nécessite en effet de déposer un bordereau collectif, c'est-à-dire un bordereau d'inscription mentionnant l'identité de tous les indivisaires. Là réside le cœur du problème puisque le décret de 1955 sur la publicité foncière n'autorise le dépôt d'un bordereau collectif qu'en cas de solidarité408. Or, la solidarité passive fait précisément défaut dans la théorie de l'indivisibilité du privilège de prêteur de deniers ; ou si elle existe, elle est de nature réelle et non de nature personnelle. Il existait donc le risque que les conservateurs des hypothèques refusent d'inscrire une sûreté prise du chef de plusieurs personnes alors que celles-ci ne sont pas codébitrices solidaires.
Cependant, cette crainte a été rapidement balayée en 1995 par l'Association mutuelle des conservateurs des hypothèques. Interrogée par un conservateur des hypothèques, qui ne savait pas quelle conduite tenir, l'Association mutuelle a répondu, d'une part, que le conservateur n'était pas juge de la validité des inscriptions, et d'autre part, qu'il suffisait que les deux acquéreurs soient désignés dans le bordereau sous la rubrique « propriétaire grevé » pour que l'inscription soit valablement prise409. Toutes les planètes étaient donc parfaitement alignées autour de la théorie du professeur Théry, ce qui lui a permis de rencontrer un vif succès dans la pratique notariale.
– Consécration de la théorie de l'indivisibilité. – L''indivisibilité du privilège de prêteur de deniers est donc passée de la théorie à la pratique, et l'usage le plus constant qui en a été fait par les notaires a produit l'étonnant effet de renforcer la théorie : lorsqu'une pratique est suivie depuis de nombreuses années, elle peut aboutir à la création d'un véritable usage professionnel, voire d'une coutume savante410. Mais quelle opinion s'en feraient les tribunaux en cas de contentieux ?
Dans une décision particulièrement remarquée du 9 janvier 2019, la première chambre civile de la Cour de cassation a repris trait pour trait la démonstration du professeur Théry et a ainsi consacré la théorie de l'indivisibilité du privilège de prêteur de deniers411. Le second enseignement de cette décision, se matérialisant sous la forme d'un engagement de responsabilité, est de rappeler aux notaires la nécessité de déposer des bordereaux collectifs afin de formaliser au plan hypothécaire le caractère indivisible de la sûreté quant à son assiette412. Cette solution jurisprudentielle est transposable mutatis mutandis à l'hypothèque légale du prêteur de deniers qui a remplacé le privilège du prêteur de deniers à compter du 1er janvier 2022413. On peut d'ailleurs se demander s'il n'eût pas été opportun que l'ordonnance no 2021-1192 du 15 septembre 2021 consacre cette solution dans la loi.
– L'assiette de l'hypothèque légale du prêteur de deniers en cas d'acquisition d'un bien commun. – Une problématique similaire, voire symétrique, se pose sous le régime de la communauté légale : l'hypothèque légale du prêteur de deniers permet-elle au créancier de saisir un bien commun qui a été financé par un seul époux ? Si la question se pose, c'est en raison des dispositions de l'article 1415 du Code civil, lesquelles prévoient que les emprunts souscrits par un époux seul, sans le consentement de son conjoint, n'engagent que les biens propres et les revenus de l'emprunteur. L'article 1415 du Code civil introduit une dérogation au mécanisme du gage général dans la mesure où il interdit au créancier de saisir les biens communs si le conjoint de l'emprunteur n'est pas intervenu pour donner son consentement à la dette (et donc à la saisie qui pourrait en résulter).
Que faut-il décider si la créance d'emprunt est garantie par une hypothèque légale du prêteur de deniers ? Cette question, pour laquelle la loi n'apporte aucune précision, a entraîné un important débat doctrinal dans le milieu des années 1980. Un premier courant de pensée a estimé que le bien commun, dans la mesure où il était intégralement grevé par le privilège de prêteur de deniers, pouvait faire l'objet d'une saisie même en l'absence de consentement du conjoint414. Cette position peut se recommander d'une idée très puissante : les sûretés légales étant attribuées par la loi, elles ne nécessitent aucunement l'accord des personnes intéressées415. Il faut donc en conclure que si l'accord de l'emprunteur n'est pas nécessaire pour donner naissance au privilège du prêteur de deniers, celui de son conjoint ne l'est pas davantage. Un autre argument en faveur de la possibilité de saisir le bien grevé résulte évidemment de la théorie de l'indivisibilité du privilège de prêteur de deniers. Le professeur Théry, qui avait imaginé cette théorie pour les biens indivis, considérait lui-même que sa position était applicable mutatis mutandis aux biens communs416. Il existe donc des arguments très forts en faveur de la possibilité de saisir le bien même lorsque le conjoint n'est pas intervenu à l'acte pour donner son consentement.
Pourtant, une seconde thèse a professé l'idée contraire : tout en admettant que le privilège puisse être inscrit sur le bien commun, des auteurs ont estimé que le créancier ne pouvait pas saisir le bien si le conjoint n'était pas intervenu à l'acte d'emprunt pour donner son consentement417. Cette position peut se prévaloir de la mécanique propre de l'article 1415 du Code civil : l'emprunt souscrit par un époux seul fait bien naître une créance, mais cette créance ne permet pas de saisir le bien commun. Or, une sûreté réelle étant l'accessoire d'une créance418, son régime doit suivre celui de la créance (accessorium sequitur principale). Il en résulte que le privilège du prêteur de deniers (aujourd'hui hypothèque légale du prêteur de deniers) peut certes naître (et peut donc être inscrit sur le bien commun), mais qu'il ne permet pas de saisir le bien commun si le conjoint n'est pas intervenu pour donner son consentement.
Chacune de ces deux théories s'appuie sur des arguments d'égale valeur si bien qu'il est très difficile de les départager.
– De la théorie à la pratique. – Alors que la question était débattue depuis plus de trente-cinq ans, la Cour de cassation a été récemment saisie d'un litige qui lui a permis de consacrer la seconde thèse. Dans une décision du 5 mai 2021, la première chambre civile a décidé en effet que l'assiette de l'hypothèque légale du prêteur de deniers est certes fixée sur le bien commun, mais que la saisie du bien demeure impossible si le conjoint n'est pas intervenu à l'acte d'emprunt pour donner son consentement419. Le second enseignement de cet arrêt réside dans l'engagement de responsabilité du notaire vis-à-vis du créancier pour défaut d'efficacité de la sûreté420.
Cette solution jurisprudentielle, qui est transposable à l'hypothèque légale du prêteur de deniers, complique singulièrement les acquisitions réalisées par des époux en instance de divorce : il est évident que le conjoint ne sera pas toujours disposé à accorder son consentement compte tenu du contexte de séparation. On peut également s'interroger sur la cohérence d'ensemble des solutions jurisprudentielles sur l'indivisibilité de l'hypothèque légale du prêteur de deniers : pour les indivisions, l'hypothèque légale du prêteur de deniers est dotée d'un effet réel permettant de saisir le bien indivis alors que l'un des indivisaires est étranger à la dette, et même sans qu'il ait à tout le moins été consulté421. Dans le régime de la communauté, l'hypothèque légale du prêteur de deniers, alors même qu'elle a pour assiette le bien commun, ne permet pas au créancier de procéder à une saisie si le conjoint étranger à la dette n'est pas intervenu pour donner son consentement422.
Il serait souhaitable que la loi intervienne pour éviter les situations kafkaïennes illustrées par la situation pratique suivante :

L'indivisibilité à géométrie variable de l'hypothèque légale du prêteur de deniers

M. et M<sup>me</sup> Foy, mariés sans contrat, sont en instance de divorce.

M. Foy décide d'acquérir avec sa nouvelle compagne, M<sup>me</sup> Monceau, un appartement à Bordeaux. Cette acquisition, qui se fera à concurrence de la moitié indivise chacun, sera financée de la manière suivante :

• M<sup>me</sup> Monceau dispose de fonds personnels pour acquérir sa moitié indivise ;

• M. Foy doit emprunter les fonds nécessaires auprès de la Société Générale.

La Société Générale demande l'attribution d'une hypothèque légale sur l'appartement de Bordeaux.

La situation juridique du bien sera la suivante :

• l'appartement de Bordeaux sera en indivision entre M. Foy et M<sup>me</sup> Monceau ;

• la quote-part indivise de M. Foy fera partie de la communauté légale qui existe entre lui-même et M<sup>me</sup> Foy.

Quel régime juridique s'appliquera à l'hypothèque légale du prêteur de deniers ?

En application de la théorie de l'indivisibilité de l'hypothèque légale du prêteur de deniers en cas d'indivision (Cass. 1<sup>re</sup> civ., 9 janv. 2019), l'hypothèque légale du prêteur de deniers, en garantie du prêt consenti à M. Foy, grèvera le bien indivis en son entier (et non la quote-part indivise de M. Foy). Le consentement de M<sup>me</sup> Monceau (coïndivisaire étranger à la dette) n'a pas à être recueilli car les conditions d'attribution de l'hypothèque légale dépendent de la loi et non du consentement des parties.

Mais, en application de l'article 1415 du Code civil, tel qu'interprété par la Cour de cassation (Cass. 1<sup>re</sup> civ., 5 mai 2021), le consentement de M<sup>me</sup> Foy est requis afin de permettre la saisie de la quote-part indivise dépendant de la communauté. D'un côté, le consentement de M<sup>me</sup> Monceau (coïndivisaire) n'est pas requis, tandis que celui de M<sup>me</sup> Foy (épouse en instance de divorce) est requis pour permettre la possibilité de saisir le bien.

Problématiques relatives aux opérations éligibles
– Constitution à titre onéreux d'un usufruit et hypothèque légale du prêteur de deniers. – Il ne fait aucun doute qu'un droit d'usufruit immobilier peut constituer l'assiette d'une sûreté réelle immobilière. La solution, déjà admise en droit romain423, est consacrée par le Code civil424. Certes, un usufruit immobilier n'est sans doute pas une assiette idéale puisque son extinction provoque celle automatique de la sûreté425. Passons pour le moment sur cette question pour nous concentrer sur une autre difficulté qui est celle de l'attribution de l'hypothèque légale de prêteur de deniers en cas d'acquisition d'un droit d'usufruit.
Pour mémoire, l'hypothèque légale du prêteur de deniers est attribuée à « celui qui a fourni les deniers pour l'acquisition d'un immeuble »426. Cet acte d'acquisition procède d'ailleurs d'une vente puisque la loi précise que le prix doit faire l'objet d'une « quittance du vendeur »427. La question est alors de savoir si l'acquisition d'un droit d'usufruit procède bien d'une vente. Cela est évidemment le cas lorsque l'usufruit est préconstitué : l'opération par laquelle l'usufruitier cède son droit d'usufruit est assurément une vente428. Mais qu'en est-il lorsque l'usufruit n'est pas préconstitué ? L'hypothèse est très simple à comprendre et peut être présentée de la manière suivante : soit une personne vendant un bien en pleine propriété à deux acquéreurs (Primus et Secundus) qui conviennent entre eux que l'usufruit sera acquis par Primus tandis que la nue-propriété sera acquise par Secundus 429.
Imaginons que Primus ait recours à un emprunt pour financer l'acquisition de son droit d'usufruit. Cet emprunt peut-il être garanti par une hypothèque légale du prêteur de deniers ? Il n'existe aucune difficulté si l'on considère que l'opération est une vente. Le doute apparaît si l'on considère que l'opération qui vient d'être décrite est constitutive d'un droit et non translative d'un droit : le droit d'usufruit n'étant pas préconstitué, il est en réalité l'objet d'une constitution à titre onéreux et non d'une cession à titre onéreux430. À ce jour, cette question n'appelle pas de réponse certaine. Néanmoins, l'opinion commune est que la constitution à titre onéreux d'un usufruit est assimilable à une véritable aliénation à titre onéreux431 de telle sorte qu'elle peut donner naissance à l'hypothèque légale du prêteur de deniers432. Il serait préférable que la loi consacre expressément cette opinion, car les explications un brin embarrassées des notaires aux questions qui leur sont posées par les banques conduisent parfois ces dernières à privilégier la constitution d'une hypothèque conventionnelle dont le coût de constitution renchérit le crédit.
– L'hypothèse de « l'emprunteur-spectateur ». – Il arrive fréquemment qu'une personne achète seule un bien immobilier en ayant recours à un crédit pour lequel l'établissement financier demande la garantie d'un membre de la famille. Le plus souvent, cette garantie sera un cautionnement. Mais le cautionnement est parfois décourageant pour les créanciers : il suscite un contentieux intarissable, nourri par le triptyque de la mention manuscrite, du devoir de mise en garde et de l'exigence de proportionnalité433. Il impose par ailleurs au créancier un certain nombre de diligences au titre des obligations d'information434.
Aussi, n'est-il pas surprenant que certains établissements de crédit se détournent du cautionnement pour exiger que le membre de la famille se porte non pas caution, mais coemprunteur solidaire. De cette manière, le créancier bénéficiera du régime juridique de la solidarité passive, bien moins contraignant que celui applicable au cautionnement435. Concrètement, l'emprunt sera consenti aux deux membres de la famille mais un seul d'entre eux se portera acquéreur, l'autre n'étant que le « spectateur » de cette acquisition.
Cette modalité d'entraide familiale, imposée par la banque, soulève une difficulté en matière d'hypothèque légale du prêteur de deniers. Pour mémoire, l'attribution de l'hypothèque légale du prêteur de deniers est conditionnée par une double certification du notaire : d'une part, le notaire doit certifier dans l'emprunt authentique que les fonds prêtés sont employés à l'acquisition d'un bien et, d'autre part, il doit certifier dans l'acte de vente, au stade de la quittance, que les deniers proviennent de l'emploi des fonds prêtés436. Mais le notaire peut-il procéder à cette certification si l'un des emprunteurs emploie les fonds non pour acquérir un bien, mais pour les mettre lui-même à disposition de son coemprunteur ? En effet, cette mise à disposition pourrait être considérée comme un prêt ou une libéralité de l'emprunteur en faveur de son coemprunteur et non plus comme un emprunt directement consenti par la banque au profit de l'acquéreur.
– Une affaire qui ne concerne que l'un seul des emprunteurs. – Malgré tout, la majorité des auteurs opine en faveur de l'attribution de l'hypothèque légale du prêteur de deniers dans une telle hypothèse437. Une opinion contraire, apparemment isolée mais dont la plume particulièrement autorisée peut ébranler les convictions, rappelle qu'une partie des fonds provient non pas de l'établissement prêteur, mais de la mise à disposition consentie dans le cadre de l'entraide familiale438.
À notre sens, l'opinion majoritaire peut être suivie en se fondant notamment sur les dispositions de l'article 1318 du Code civil. Cet article prévoit que : « Si la dette procède d'une affaire qui ne concerne que l'un des codébiteurs solidaires, celui-ci est seul tenu de la dette à l'égard des autres. S'il l'a payée, il ne dispose d'aucun recours contre ses codébiteurs. Si ceux-ci l'ont payée, ils disposent d'un recours contre lui ». Ce n'est pas tant la solution technique posée par cet article qui nous intéresse pour notre démonstration que la situation qu'il expose : le Code civil décrit en effet une hypothèse dans laquelle une dette est consentie à plusieurs personnes alors que cette dette concerne une opération juridique réalisée par l'une seule de ces personnes. Ainsi, le Code civil accrédite l'idée selon laquelle une personne peut être amenée à employer la totalité des fonds qui ont pu être prêtés à plusieurs personnes pour une opération juridique qui ne concerne qu'elle. À notre avis, la reconnaissance officielle d'une telle situation par le Code civil doit permettre au notaire d'opérer la double certification des deniers nécessaires à l'attribution légale du prêteur de deniers sans avoir la main (trop) tremblante.
Le notaire aura malgré tout grand intérêt à s'assurer que le remboursement du crédit est bien destiné à être effectué par le seul acquéreur, l'autre emprunteur n'étant en réalité qu'une caution déguisée. En effet, si le schéma est en réalité destiné à faire peser la charge du remboursement du prêt sur l'emprunteur-spectateur, il pourra être requalifié en donation déguisée.
L'impression générale qui domine est la suivante : n'est-il pas surprenant de constater que des opérations familiales si routinières fassent l'objet de tant d'incertitudes lorsqu'il s'agit de les garantir ? Il nous semble que la double certification de l'origine des deniers prévue par la loi pourrait être simplifiée.

La famille et l'hypothèque légale du copartageant

– Les deux visages de l'hypothèque légale du copartageant. – Les notaires peuvent se trouver en présence d'une hypothèque légale du copartageant dans deux situations très différentes. La première situation, de loin la plus classique, correspond à un partage faisant apparaître une soulte payable à terme. L'idée est très simple à comprendre : le copartageant qui accepte un paiement à terme de sa soulte mérite les faveurs du législateur.
En effet, le partage n'aurait pas pu être réalisé si le copartageant n'avait pas accordé une facilité de paiement à son coïndivisaire. Dès lors, l'article 2402, 4o du Code civil attribue au copartageant une hypothèque légale afin de le protéger contre le risque d'impayé. Cette protection permet d'assurer l'égalité, « âme du partage »439. La seconde configuration dans laquelle le notaire constate l'attribution d'une hypothèque légale du copartageant paraît étrange au premier abord, puisqu'elle correspond à une hypothèse de paiement au comptant de la soulte.
Seulement, si la soulte a pu être payée au comptant, c'est grâce à l'intervention d'une banque dont l'avance de fonds a permis de dénouer l'opération de partage. C'est alors la subrogation qui entre en jeu : la dette étant payée par un tiers (en l'occurrence la banque), elle n'est pas éteinte mais elle est transmise, avec tous ses accessoires (notamment les sûretés), au profit du tiers qui a apporté les capitaux nécessaires à son paiement. Concrètement, sans l'intervention de la banque, la soulte n'aurait pas pu être payée et l'hypothèque légale du copartageant serait née. Grâce à l'intervention de la banque la soulte est payée, ce qui satisfait l'indivisaire créancier de la soulte, mais comme le paiement est effectué par subrogation, il entraîne non pas l'extinction de la créance de soulte, mais sa transmission au profit de la banque avec l'hypothèque légale du copartageant440.
– Modernité de l'hypothèque légale attribuée au copartageant. – Le législateur de 2021 a prêté une grande attention à l'hypothèque légale du copartageant en modernisant le texte qui en constitue le fondement. La rédaction de l'article 2402, 3o du Code civil, issue de la réforme des sûretés, est bien meilleure car elle affirme d'emblée que l'hypothèque légale peut bénéficier à tout partage, quelle que soit l'origine de l'indivision. Auparavant, il fallait s'adonner à une lecture combinée des articles 2374 et 2381 du Code civil pour recevoir confirmation que toutes les indivisions pouvaient bénéficier du privilège de copartageant, et non les seules indivisions successorales, ce qui était regrettable pour la lisibilité du privilège441.
Par ailleurs, la loi adopte une compréhension plus large des créances susceptibles de bénéficier de l'hypothèque légale puisqu'elle y inclut de manière plus explicite toutes les créances nées du partage, et non plus seulement les soultes ou retours de lots. Cette rédaction va dans le sens de l'opinion majoritaire qui a toujours opiné en faveur d'une vision extensive du privilège du copartageant442, en dépit du principe d'interprétation stricte des privilèges443. Les effets pratiques induits par cette nouvelle rédaction se mesurent assez nettement dans l'hypothèse classique où un indivisaire accepte de prendre seul à sa charge le remboursement d'un emprunt pour lequel son coïndivisaire n'est pas désolidarisé. Avant la réforme des sûretés, la question de savoir si la créance éventuelle de recours du coïndivisaire pouvait être garantie par le privilège du copartageant ne trouvait pas de réponse évidente car le texte réservait l'attribution du privilège à la garantie des soultes et retours de lots. Depuis la réforme des sûretés, il est plus aisé d'admettre qu'une créance éventuelle de recours peut bénéficier de l'hypothèque légale du copartageant, le nouveau texte visant en effet de manière générale toutes les créances nées par l'effet du partage. On ne peut que se féliciter du travail accompli par le législateur sur l'hypothèque légale du copartageant à l'occasion de la réforme des sûretés.
– Triste déclin de l'hypothèque légale attribuée par voie de subrogation. – C'est un constat bien plus mesuré qu'il faut dresser au sujet de l'hypothèque légale du copartageant lorsque celle-ci est attribuée par voie de subrogation. Au vrai, dans un tel contexte, l'hypothèque légale du copartageant est en voie de déshérence, les banques lui préférant systématiquement l'hypothèque conventionnelle dont le coût supplémentaire renchérit les opérations familiales.
En effet, ce mécanisme est souvent mal compris des prêteurs : les notaires constatent fréquemment que les dossiers de crédit qui leur sont adressés pour finaliser les opérations de partage sont conditionnés par la constitution d'une hypothèque conventionnelle, et non par une hypothèque légale du copartageant. Pourtant, les notaires n'ont jamais ménagé leurs efforts pour tenter de convaincre les banques d'accepter une subrogation, mettant en avant l'intérêt financier qu'une telle solution pouvait représenter pour les emprunteurs444. Mais ils ont le plus souvent trouvé porte close, les banques leur rappelant que la subrogation ne permet pas aux intérêts et aux accessoires de bénéficier d'un rang privilégié445.
– Le soutien de la loi. – Cependant, l'ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des obligations avait réglé cette question : l'article 1346-4, alinéa 2 du Code civil, issu de cette réforme, permet dorénavant aux intérêts conventionnels d'être conservés à titre privilégié. Concrètement, le taux d'intérêt conventionnel (et non plus seulement l'intérêt moratoire) peut bénéficier du rang accordé par la sûreté depuis l'entrée en vigueur de la réforme des obligations. Il est vrai toutefois que le texte n'évoquait pas le sort des autres accessoires (les frais de poursuite par exemple), ce qui pouvait dissuader les banques de recourir à la subrogation.
L'ordonnance du 15 septembre 2021 réformant les sûretés a définitivement soldé la difficulté puisque l'article 2390 du Code civil prévoit désormais que « l'hypothèque s'étend aux intérêts et autres accessoires de la créance garantie. Cette extension profite au tiers subrogé dans la créance garantie pour les intérêts et autres accessoires qui lui sont dus »446. Le législateur n'a pas ménagé ses efforts pour rendre attractive la subrogation de l'hypothèque légale du copartageant. Pourtant, plus de trois années après l'entrée en vigueur de la réforme, le constat est le même : les prêteurs ignorent largement la subrogation dans l'hypothèque légale du copartageant, lui préférant l'hypothèque conventionnelle dont le coût surenchérit les opérations familiales.
– Le refinancement hypothécaire à l'épreuve de la subrogation. – La réticence que les banques nourrissent, parfois de manière inconsciente, à l'égard de la subrogation peut également trouver une explication dans le refinancement hypothécaire. Pour mémoire, les besoins en fonds propres des banques peuvent conduire ces dernières à se refinancer en cédant leurs créances hypothécaires. La circulation des créances hypothécaires est une question très ancienne qui a notamment fait l'objet d'une modernisation de ces conditions par la loi du 15 juin 1976447 afin de mettre un terme aux transmissions aux porteurs448. Les notaires connaissent bien cette loi puisque c'est elle qui organise la transmission des copies exécutoires à ordre.
La réglementation liée à la circulation des créances hypothécaires ne s'est pas arrêtée aux copies exécutoires à ordre : elle a évolué ces dernières décennies avec un esprit de financiarisation de plus en plus marqué : on peut notamment citer l'apparition du marché hypothécaire en 1985449 et de la titrisation en 1988450. L'idée, même si elle connaît des variations, reste la même : il s'agit pour une banque de revendre sa créance à une entité ou à un marché, lui permettant de reconstituer les fonds propres qui lui sont nécessaires pour consentir de nouveaux crédits451. La cession est parfois effectuée au profit d'un créancier international qui doit naturellement s'assurer que la créance acquise par lui est garantie par une sûreté hypothécaire similaire à celle que son système juridique connaît. À cet égard, il est certainement plus simple pour un créancier français de présenter à son homologue étranger une créance garantie par une hypothèque conventionnelle, sûreté bien connue et comprise, que de lui présenter une sûreté garantie par le mécanisme moins connu, et partant moins rassurant, de la subrogation personnelle.
– Opportunité de créer une hypothèque légale de prêteur de deniers spécifiquement pour les partages. – Pour toutes ces raisons, il semble nécessaire de créer une nouvelle hypothèque légale qui aurait pour objet de garantir de manière autonome (c'est-à-dire sans passer par la subrogation) les opérations de crédit finançant les partages. Ce texte, qui prendrait une forme similaire au texte qui organise actuellement l'hypothèque légale du prêteur de deniers, permettrait de diminuer l'influence que l'hypothèque conventionnelle connaît actuellement dans les opérations de financement de partage et qui est due aux incertitudes que provoque la subrogation dans l'hypothèque légale. À ce sujet, il est possible de rappeler que le privilège du prêteur de deniers, sûreté connue dans le Code civil depuis 1804, n'a rencontré de succès qu'après l'intervention de la loi interprétative du 16 juillet 1971, laquelle en a consacré l'autonomie par rapport à la subrogation dans le privilège du vendeur452. Il est probable que la nouvelle hypothèque légale du prêteur de deniers dans les opérations de partage connaîtrait le même destin en étant désormais libérée de toute référence à la subrogation.

L'hypothèque conventionnelle et la famille

– Problématique. – Les liens de famille conduisent l'hypothèque conventionnelle à être confrontée à des assiettes atypiques telles que des droits indivis ou des droits démembrés. La situation est d'ailleurs assez paradoxale : sans procéder à une enquête, on peut penser que la très grande majorité des dossiers de financement mettant en scène des membres d'une même famille, donnent lieu à des constitutions d'hypothèques conventionnelles sur des biens indivis, ou sur des biens détenus en démembrement de propriété. Ce sont donc des situations très banales sur le plan sociologique.
Pourtant sur le plan juridique, cette situation qui voit des droits indivis ou démembrés être affectés en garantie est anormale, ou plutôt atypique. La raison en est très simple : le statut juridique de ces droits incorporels n'a pas été conçu dans cet esprit. L'on pourrait même avancer l'idée que leur statut a été conçu autour de l'idée contraire : de nombreuses règles montrent en effet que le statut juridique des droits indivis ou des droits démembrés a été pensé dans l'idée de protéger leurs titulaires (et peut-être plus exactement leurs cotitulaires) contre les sûretés.
Pour rapidement s'en convaincre, il suffit de se rappeler que les créanciers personnels d'un indivisaire ne peuvent jamais saisir les droits indivis de leur débiteur453. Il est également possible de se remémorer l'effacement rétroactif des hypothèques que l'effet déclaratif du partage produit à l'égard des hypothèques de droits indivis454. En somme, les droits indivis constituent une assiette hostile aux hypothèques. Et que dire des droits démembrés ? L'hypothèque conventionnelle d'une nue-propriété ne paraît pas offrir d'utilité puisque son assiette est grevée d'un usufruit. Quant à l'hypothèque d'un usufruit, elle est condamnée à la disparition automatique en cas d'extinction de l'usufruit… Ces assiettes atypiques conduisent le plus souvent les créanciers à multiplier les sûretés afin de conjurer les risques qui viennent d'être évoqués, ce qui n'est pas sans soulever un certain nombre de problématiques. Celles-ci vont être rappelées en distinguant les droits indivis (A) puis les droits démembrés (B).

Hypothèque conventionnelle et indivision

– Mise en situation. – Nombre de situations familiales peuvent donner prise à la constitution d'une hypothèque sur des droits indivis. Pour la clarté du propos, nous retiendrons l'exemple d'un couple achetant un bien en indivision, pour lequel l'un seul d'entre eux a un recours à un emprunt bancaire pour financer sa quote-part indivise, mais également pour financer des travaux qui seront réalisés sur le bien. La partie du prêt couvrant le prix de vente pourra être garantie par une hypothèque légale du prêteur de deniers, dont on sait qu'elle grèvera la totalité du bien en application du principe d'indivisibilité455. L'hypothèque conventionnelle, quant à elle, aura vocation à grever uniquement la quote-part indivise appartenant au débiteur, le pouvoir d'affectation d'une personne étant en effet limité à son droit de propriété (Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet : nul ne peut transférer à autrui plus de droits qu'il n'en a lui-même).
Cette situation a de quoi inquiéter le créancier hypothécaire : en cas de partage ultérieur, sa sûreté pourra être annulée en application de l'effet déclaratif du partage si le bien est attribué à l'indivisaire autre que le débiteur456. Le constat est troublant : si l'effet déclaratif du partage protège effectivement les indivisaires contre les hypothèques, il peut en revanche dissuader les prêteurs de leur consentir un crédit.
– La question de la renonciation à l'effet déclaratif du partage. – La question est alors de savoir s'il entre dans le pouvoir des indivisaires de renoncer à l'effet déclaratif du partage. En cas de réponse positive, il suffirait au notaire de faire intervenir tous les indivisaires à l'acte d'affectation hypothécaire afin qu'ils renoncent par anticipation à l'effet déclaratif du partage. Le partage ultérieur, considéré désormais comme une opération translative, n'effacerait plus l'hypothèque qui pourrait dès lors suivre le bien entre les mains de l'attributaire en application du droit de suite457. L'effet déclaratif du partage ne serait ainsi pas un frein à l'obtention d'un crédit.
La question de la renonciation à l'effet déclaratif du partage a fait l'objet de réponses très contrastées en doctrine. Des auteurs ont pu considérer que la règle de l'effet déclaratif du partage n'était pas d'ordre public et qu'il était donc du pouvoir des parties de l'écarter458. D'autres ont rappelé que la règle ne protégeait pas seulement les copartageants mais également les tiers. En effet, en effaçant les hypothèques prises par des créanciers d'un indivisaire, l'effet déclaratif protège également les créanciers de l'attributaire : les hypothèques étant effacées, les créanciers de l'attributaire peuvent disposer d'une inscription en premier rang sur l'immeuble appartenant dorénavant à leur débiteur. À l'inverse, si les indivisaires renonçaient formellement à l'effet déclaratif du partage, ils nuiraient aux intérêts des créanciers de l'attributaire définitif en laissant subsister sur l'immeuble des hypothèques qui auraient dû être effacées. Pour cette raison, il serait impossible de renoncer à l'effet déclaratif du partage459.
Une grande prudence s'impose donc en pratique : il paraît aventureux de stipuler des clauses de renonciation à effet déclaratif du partage compte tenu des incertitudes qui affectent la question. Par ailleurs, les conséquences fiscales d'une telle renonciation devraient être mesurées avec attention : l'administration pourrait appliquer le droit de vente en lieu et place du droit de partage, et pourrait soumettre l'opération à l'impôt de plus-value alors que les partages en sont en principe affranchis460. Il ne semble pas qu'une jurisprudence ait été rendue à ce sujet mais il existe un antécédent jurisprudentiel très ancien ayant admis qu'un partage était passible du droit de transcription applicable aux ventes à partir du moment où il contenait une réserve du privilège du vendeur461. Il nous semble que ce risque fiscal est transposable à notre époque compte tenu de la théorie de l'apparence en droit fiscal : l'administration est en droit d'appréhender la matière taxable selon les apparences que le contribuable a lui-même créées462.
– Les hypothèques conventionnelles croisées. – La pratique bancaire a cherché une technique d'affaiblissement de l'effet déclaratif du partage, non pas dans une clause de renonciation à ses effets, mais dans la multiplication des hypothèques sur les quotes-parts indivises. Cette multiplication des hypothèques est souvent désignée sous le vocable de « cautionnement hypothécaire », mais dans la réalité, plusieurs techniques sont envisageables, dont certaines d'entre elles seulement se réfèrent à l'idée de cautionnement :
  • l'indivisaire non emprunteur affecte hypothécairement sa quote-part indivise en garantie de la dette de l'indivisaire emprunteur (schéma de l'affectation en sûreté de la dette d'autrui) ;
  • l'indivisaire non emprunteur se porte caution de la dette de l'indivisaire emprunteur et affecte hypothécairement sa quote-part indivise en garantie de la dette de l'indivisaire emprunteur (schéma du cautionnement personnel doublé d'une affectation en sûreté de la dette d'autrui) ;
  • l'indivisaire non emprunteur se porte caution de la dette de l'indivisaire emprunteur et affecte hypothécairement sa quote-part indivise en garantie de son engagement de cautionnement (schéma du cautionnement personnel doublé d'une hypothèque en garantie de l'engagement de cautionnement).
Quel que soit le schéma retenu, l'idée est la même : le créancier souhaite que chaque quote-part indivise soit grevée par une hypothèque de manière à ce que l'une de ces hypothèques au moins survive à l'effet déclaratif du partage. Il est important de comprendre que ce n'est pas le bien indivis en lui-même qui est grevé, mais les quotes-parts indivises. Le bien indivis n'est jamais hypothéqué en totalité ; ce sont les droits indivis qui le sont.
– Une difficulté fiscale ? – Par réflexe, le notaire pensera que la multiplication des hypothèques conventionnelles produit l'effet de multiplier la taxe de publicité foncière. Cela n'est pas nécessairement le cas.

Quelle taxation en cas d'inscriptions multiples ?

Sur le plan fiscal, se pose la question de savoir si la taxe de publicité foncière au taux de 0,715 % doit être perçue plusieurs fois compte tenu du fait que le notaire doive inscrire plusieurs inscriptions.
En principe, une réponse négative s'impose. En effet, l'article 844 du Code général des impôts dispose : « La taxe proportionnelle de publicité foncière applicable aux inscriptions d'hypothèques judiciaires ou conventionnelles visées au 1o de l'article 663 est perçue au taux de 0,70 %.
Elle est liquidée sur les sommes garanties en capital, intérêts et accessoires, même indéterminées, éventuelles ou conditionnelles, exprimées ou évaluées dans le bordereau. Il n'est perçu qu'une seule taxe pour chaque créance quel que soit le nombre des créanciers requérants et celui des débiteurs grevés.
Les inscriptions qui échappent à la taxe proportionnelle sont soumises à une taxe fixe de 25 € ».
Ainsi, et selon l'alinéa 2 de l'article 844, l'unicité de créance entraîne la perception d'une seule taxe proportionnelle dans l'hypothèse où plusieurs inscriptions sont déposées.
Cette règle est opportune sur le plan économique car elle permet à un créancier, pour une même créance, d'obtenir plusieurs sûretés sans aggravation du coût lié à sa sécurité.
Mais reprenons les trois schémas précédemment évoqués pour en mesurer la portée fiscale :
• en cas d'affectation hypothécaire en garantie de la dette d'autrui, il s'agit bien de la même créance qui est garantie par plusieurs inscriptions. Dans ce cadre, les dispositions de l'article 844 du Code général des impôts conduisent à ne percevoir qu'une seule taxe ;
• en cas de cautionnement doublé d'une affectation en sûreté de la dette d'autrui, il s'agit toujours de la même créance qui est garantie par plusieurs inscriptions. Là encore, une seule taxe sera perçue ;
• en cas de cautionnement doublé d'une hypothèque en garantie de l'engagement de caution, ce ne sont pas les mêmes créances qui sont garanties : une inscription garantit la dette d'emprunt tandis que l'autre inscription est prise en garantie de l'engagement de cautionnement. Plusieurs taxes de publicité foncière doivent donc être versées. Pour cette raison, le troisième schéma doit être formellement écarté.
Enfin, le texte de l'article 844 pose une difficulté purement pratique : comment le service de la publicité foncière peut-il, à la lecture des bordereaux d'inscription, savoir que l'une seule des inscriptions sera taxée et que l'autre ne le sera pas ?
En effet, ce texte a été conçu à une époque où le notaire devait déposer non seulement le bordereau d'inscription, mais également le titre générateur de la sûreté. Le service de la publicité foncière pouvait contrôler ainsi la taxation en parcourant l'acte d'affectation hypothécaire. C'est d'ailleurs dans l'acte d'affectation hypothécaire que le notaire invoquait les dispositions de l'article 844 du Code général des impôts.
Or, depuis une réforme de la publicité foncière intervenue en 1998 (L. no 98 261, 6 avr. 1998), le notaire est dorénavant dispensé de déposer le titre générateur de l'inscription. Seuls les bordereaux d'inscription doivent être déposés (C. civ., art. 2422). Or, le modèle de bordereau obligatoire prévu par le décret de 1955 ne prévoit pas la possibilité de justifier des dispositions de l'article 844 précité au sein même des bordereaux, ce qui a pu susciter des difficultés pratiques (refus du dépôt ou rejet de la formalité).
Il serait opportun que l'article 844 du Code général des impôts soit complété par l'alinéa suivant : « Afin de justifier de la perception unique de la taxe pour une même créance quel que soit le nombre de créanciers requérants ou de débiteurs grevés, le bordereau déposé fait référence aux dispositions de l'article 844 du Code général des impôts et précise que les conditions posées par ce texte sont satisfaites ».
– Une pratique moins attractive depuis la réforme des sûretés. – Concentrons-nous sur le schéma de l'affectation hypothécaire en sûreté de la dette d'autrui, qui est de loin le plus fréquent en pratique. Pour se représenter simplement les choses, il suffit d'imaginer Primus et Secundus, propriétaires d'un immeuble indivis à concurrence de 50 % chacun. Pour financer les besoins en fonds de roulement de son entreprise, Primus hypothèque sa quote-part indivise. La banque demande à Secundus d'affecter hypothécairement sa quote-part indivise en garantie de la dette de Primus.
Ce schéma est bien connu de la pratique notariale qui l'a toujours décrit sous le vocable de « cautionnement hypothécaire » ou de « cautionnement strictement hypothécaire » pour mieux comprendre le fait que l'opération était seulement constitutive d'une hypothèque. Après tout, cette appellation n'a rien d'absurde et elle constitue même une terminologie légale. Il suffit en effet de lire les articles L. 212-7 et L. 213-9 du Code de la construction et de l'habitation ainsi que l'article L. 322-20 du Code rural et de la pêche maritime pour constater qu'une société d'attribution, une société coopérative de construction ou encore un groupement foncier agricole peuvent se porter « caution hypothécaire » d'une dette d'un associé. Malgré cette reconnaissance officielle par la loi de l'expression « caution hypothécaire », une chambre mixte de la Cour de cassation a banni le concept de cautionnement réel en affirmant qu'« une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'implique aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui et n'est pas dès lors un cautionnement »463.
L'ordonnance du 15 septembre 2021 réformant les sûretés a confirmé la position de la Cour de cassation en rattachant définitivement la figure du cautionnement réel dans la famille des sûretés réelles464. Pour autant, le lien avec les sûretés personnelles n'est pas totalement coupé : en effet, le deuxième alinéa de l'article 2325 du Code civil prévoit que douze textes, sur les trente-sept que le droit du cautionnement renferme, sont dorénavant applicables à cette sûreté réelle465. Quelle étrange situation ! Le cautionnement réel n'est pas un cautionnement, mais il se voit appliquer des textes emblématiques du droit du cautionnement tels que le devoir de mise en garde, les obligations d'information, le bénéfice de discussion et de division…
Cette hybridation du cautionnement réel risque de déplaire aux créanciers : il faut s'attendre en effet à ce que les créanciers se détournent de l'affectation hypothécaire en garantie de la dette d'autrui, car cette sûreté leur impose dorénavant de respecter des contraintes trop strictes466. La réforme du droit des procédures collectives a également diminué l'intérêt que peut représenter le cautionnement réel en soumettant dorénavant son bénéficiaire à l'interdiction de poursuites467 et à la procédure de déclaration de créance468. Mais si les banques se détournent de cette sûreté, comment sera-t-il possible de financer les opérations juridiques sur droit indivis ?
– Vers le succès futur (et insoupçonné) de l'article 2412 Code civil. – Il se pourrait bien que la réforme des sûretés de 2021 produise l'étonnant effet de promouvoir indirectement, et bien involontairement, un très ancien schéma dont l'utilisation demeurait confidentielle. Un aperçu historique de la problématique permettra de mieux comprendre le propos. Rappelons simplement que la question du financement des indivisions est ancienne et qu'elle est devenue particulièrement problématique depuis l'institution de l'effet déclaratif du partage : les créanciers sont dissuadés de prêter aux indivisaires compte tenu du risque d'effacement de leur hypothèque469. Le notariat s'est évertué à imaginer des solutions pour rassurer les créanciers et favoriser ainsi le crédit des indivisaires.
Notamment, au XIX e siècle, les notaires avaient prévu d'insérer dans les actes d'emprunt des mentions de solidarité entre tous les indivisaires, dans l'espoir que cette mention permette à l'hypothèque constituée par l'un d'entre eux de survivre à l'effet déclaratif du partage470. Concrètement, un emprunt était souscrit par un seul indivisaire mais les autres indivisaires, se déclarant solidaires, acceptaient que l'hypothèque ait pour assiette la totalité du bien indivis (et non seulement des quotes-parts indivises). Cette invention de la pratique, validée dans un premier temps par les juges du fond471, fut finalement condamnée par la Cour de cassation dans une célèbre décision de 1909472. La pratique notariale fut ébranlée par une telle jurisprudence qui empêchait les indivisaires de se procurer du crédit473. Elle obtint le vote de la loi du 31 décembre 1910 qui, ajoutant un second alinéa à l'article 2125 du Code civil, disposa que l'hypothèque consentie par tous les indivisaires conserve ses effets quel que soit le résultat du partage. Cette disposition, qui légalise la pratique imaginée par les notaires pour défendre le crédit des familles, figure désormais à l'article 2412 du Code civil : « L'hypothèque d'un immeuble indivis conserve son effet quel que soit le résultat du partage si elle a été consentie par tous les indivisaires ».
– L'extension d'assiette plutôt que le cautionnement hypothécaire. – Le mécanisme d'extension de l'assiette d'une hypothèque est donc très ancien. Pourtant il n'a jamais réellement connu de succès en pratique car les banques, mues sans doute par la force des habitudes, lui ont préféré le cautionnement hypothécaire.
Mais, compte tenu de la réglementation contraignante qui s'applique désormais au cautionnement hypothécaire (devoir de mise en garde, obligations d'information, etc.), il n'est pas exclu que le regard de la pratique s'oriente davantage vers les dispositions de l'article 2412 du Code civil. Pour mémoire, ces dispositions permettent de constituer une unique hypothèque ayant pour assiette la totalité du bien indivis. Ce résultat est bien meilleur que celui qui consiste à hypothéquer chaque quote-part indivise, car il permet au créancier de recevoir la qualification de créancier de l'indivision, laquelle est infiniment préférable à la qualification de créancier d'un indivisaire. La formalisation hypothécaire des dispositions de l'article 2412 du Code civil est simple : il suffit de mentionner tous les propriétaires grevés dans un bordereau unique d'inscription et de certifier leur identité474.
Ce mécanisme d'extension d'assiette d'une hypothèque, qui correspond à une renonciation à l'effet déclaratif qui ne dit pas son nom, est idéal pour le créancier : durant l'indivision, le créancier peut saisir le bien indivis ; lors de la cessation de l'indivision, le créancier est préservé du risque d'effacement de l'hypothèque. Les établissements financiers seront sans doute intéressés par une autre conséquence produite par l'article 2412 du Code civil : le créancier paraît pouvoir échapper au devoir de mise en garde ainsi qu'à l'obligation d'information annuelle de la caution puisque le mécanisme prévu à l'article 2412 du Code civil ne constitue pas sur le plan technique une sûreté en garantie de la dette d'autrui.

Hypothèque et démembrement de propriété

– Entre disparition et consolidation. – L'hypothèque d'un droit d'usufruit se conçoit parfaitement sur le plan juridique. Le Code civil y a toujours fait référence explicitement475, mais, dans le cadre de la réforme des sûretés, la référence à l'usufruit a disparu pour laisser place à la généralisation du propos : tout droit réel immobilier dans le commerce peut faire l'objet d'une hypothèque476. Évidemment la situation est particulière pour le créancier, car l'extinction de l'usufruit entraîne extinction automatique de l'hypothèque477. En réalité, et hormis le cas des hypothèques judiciaires ou légales pour lesquelles les créanciers essaient d'obtenir les assiettes les plus larges, l'hypothèque d'un usufruit correspondra en pratique, et le plus souvent, à une hypothèque « de confort » que le créancier sollicitera dans une hypothèse particulière : un prêt consenti à un nu-propriétaire fait l'objet d'une constitution d'hypothèque conventionnelle sur la nue-propriété. En sus, la banque demande à l'usufruitier d'affecter hypothécairement son droit d'usufruit.
Ainsi, en cas de défaut de paiement du crédit en cours de démembrement, la banque pourra saisir la nue-propriété, mais elle pourra saisir également l'usufruit (saisie à tiers détenteur). Dans l'hypothèse où l'usufruit s'éteint avant le remboursement de l'emprunt, l'hypothèque sur l'usufruit sera certes éteinte, mais celle qui avait été constituée sur la nue-propriété portera dorénavant sur la pleine propriété du bien478. Il n'existe pas de mécanisme d'extension de l'assiette d'hypothèque tel que celui prévu par l'article 2412 du Code civil en matière de droits indivis. Cela signifie que le schéma permettant d'hypothéquer la nue-propriété et l'usufruit se traduit nécessairement par une affectation hypothécaire en sûreté de la dette d'autrui, laquelle implique pour le créancier de respecter le devoir de mise en garde, les obligations annuelles de la caution, etc.