Un acte de notoriété constatant les critères de la possession d'état

Un acte de notoriété constatant les critères de la possession d'état

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Pour établir le lien de filiation par une possession d'état, le notaire doit s'assurer à la fois d'une réunion suffisante de faits et de l'existence de certaines qualités (Sous-section I). La possession d'état doit en outre être constatée dans un acte de notoriété (Sous-section II).

Les éléments constitutifs de la possession d'état

Une réunion suffisante de faits

– La trilogie : tractatus, fama, nomen . – Selon l'article 311-1 du Code civil, « la possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir ». Parmi ces faits, les principaux, listés dans le Code civil, sont :
  • le tractatus – ou le traitement – : il est un élément essentiel de la possession d'état. La personne a traité ou traite l'enfant comme étant le sien et réciproquement, c'est-à-dire que l'enfant considère la ou les personnes comme ses parents. En outre, les personnes qui se sont considérées comme les parents ont pourvu, en cette qualité, à l'éducation, l'entretien et l'installation de l'enfant1253 ;
  • la fama – ou la réputation – découle du tractatus. En se comportant comme l'enfant, il est reconnu comme tel par la famille, les tiers, la société, l'autorité publique ;
  • le nomen – ou le nom – peut constituer un signe d'appartenance à la famille dont il se prétend issu. Le nom joue, depuis l'ordonnance du 4 juillet 2005, un rôle subsidiaire dans l'établissement de la possession d'état1254. Il fait même souvent défaut, ce qui n'empêche pas pour autant de caractériser une possession d'état1255.
– Un faisceau d'indices suffisants. – Le notaire a l'obligation de vérifier l'existence de ces faits. Néanmoins, la réunion de tous les éléments énumérés par l'article 311-1 du Code civil n'est pas nécessaire pour que la possession d'état puisse être considérée comme établie. Il suffit en effet « qu'il y ait une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté entre un individu et la famille à laquelle il est dit appartenir »1256. La preuve de ces éléments se fait par tous moyens1257 ; la difficulté pour le praticien résidant dans leur appréciation. La possession d'état doit, par ailleurs, présenter certaines qualités pour produire ses effets.

Les qualités de la possession d'état

– Une possession d'état continue, paisible, publique et non équivoque. – Selon l'article 311-2 du Code civil, « la possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque ». Certaines de ces qualités peuvent être difficiles à apprécier par le praticien. Ainsi, une possession d'état continue ne nécessite pas une « communauté de vie ou des relations constantes » avec l'enfant1258. Il n'est pas non plus demandé que la possession d'état existe depuis la naissance de l'enfant. En revanche, les faits doivent être habituels, réguliers et s'exécuter dans le temps sans pour autant exiger une durée minimale1259. Certains faits décrits peuvent être épisodiques tandis que d'autres seront bien plus réguliers. La Cour de cassation a précisé que « la continuité requise (…) doit être appréciée en fonction de l'ensemble des faits de diverses natures dont la réunion indique le rapport de filiation sans qu'il soit nécessaire que chacun d'eux, considéré isolément, ait existé pendant toute la durée de la période considérée »1260. Le notaire doit par conséquent apprécier les éléments de preuve dans leur ensemble. Par ailleurs, la possession d'état doit être exempte de vices. Celle-ci doit être paisible. Elle doit également être publique, c'est-à-dire que les parents et l'enfant sont reconnus comme tels par la société. Cette qualité vient conforter la fama. Enfin, la possession d'état ne doit pas être équivoque. Celle-ci l'est assurément lorsque le notaire est sollicité par une personne pour créer un lien de filiation à l'égard de l'enfant alors que celui-ci est déjà établi dans les deux branches paternelle et maternelle. Mais la principale difficulté pour le notaire réside dans des possessions d'état concurrentes, contrariées ou successives1261.
– Une appréciation subjective. – Comme l'écrit un praticien, « l'appréciation de la possession d'état est très délicate car subjective »1262. S'il a des doutes sur l'existence de la possession d'état au vu des pièces et documents remis ou s'il estime celle-ci viciée, il doit refuser d'établir l'acte de notoriété. Dans ce cas, le demandeur a toujours la possibilité de saisir le tribunal judiciaire afin de faire constater la possession d'état1263.

L'établissement d'un acte de notoriété

– L'obligation d'établir un acte de notoriété. – Pour permettre l'établissement d'un lien de filiation par la possession d'état, l'ordonnance du 4 juillet 2005 a exigé, a minima, la délivrance d'un acte de notoriété1264. Selon certains auteurs, cette obligation dénature la possession d'état, laquelle « n'apparaît plus comme une simple situation de fait, susceptible d'emporter des conséquences juridiques » ; elle n'aurait ainsi « plus de valeur par elle-même [puisqu'elle] doit nécessairement être constatée par un document officiel »1265. Si les critiques s'entendent, la preuve de la possession d'état est néanmoins facilitée avec cet acte de notoriété.
– Une compétence exclusive du notaire. – Le notaire est le seul professionnel du droit compétent pour établir l'acte de notoriété constatant la possession d'état1266.
– Plan. – Avant de traiter du contenu même de l'acte de notoriété (§ II), il sera abordé les conditions pour établir celui-ci (§ I). Enfin, il est conseillé de procéder à la publicité de l'acte de notoriété (§ III).

Les conditions de l'acte de notoriété

– Les demandeurs. – Selon l'article 317 du Code civil, « chacun des parents ou l'enfant peut demander à un notaire que lui soit délivré un acte de notoriété ». Toute autre personne qui y aurait un intérêt ne peut pas solliciter le notaire pour l'établissement de celui-ci. Elle doit alors saisir le juge dans le cadre d'une action en constatation de la possession d'état1267.
– Le délai pour agir. – La délivrance de l'acte de notoriété ne peut être demandée que dans un délai de cinq ans à compter de la cessation de la possession d'état alléguée ou à compter du décès du parent prétendu. La difficulté pour le praticien sera d'apprécier la date à partir de laquelle la possession d'état a cessé, autrement que par la mort. En effet, s'agissant de faits, les relations entre le parent et l'enfant ont pu se délier progressivement dans le temps. Le notaire devra donc apprécier cette date au vu des documents et renseignements fournis. Si le délai est expiré, il doit refuser d'instrumenter l'acte de notoriété. La personne concernée doit alors saisir le tribunal judiciaire, dans le cadre d'une action en établissement de la filiation, pour faire constater, par jugement, la possession d'état. Encore faut-il que l'action judiciaire ne soit pas elle-même prescrite.

La prescription dans le cadre de la possession d'état

– Un délai de prescription et non de forclusion. Qu'il s'agisse de l'article 317 ou de l'article 330 du Code civil, le délai de cinq ou dix ans pour agir commence à courir à compter de la cessation de la possession d'état alléguée ou à compter du décès du parent prétendu. Toutefois, l'article 321 du même code, qui ne s'applique qu'à défaut de textes spéciaux, prévoit que « les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté », en ajoutant, à l'égard de l'enfant, que « ce délai est suspendu pendant sa minorité ». Les délais mentionnés aux articles 317 et 330 du Code civil sont-ils suspendus pendant la minorité de l'enfant ? Dans la mesure où il n'existe pas de forclusion sans un texte spécial, les délais visés aux articles 317 et 330 doivent être considérés comme des délais de prescription et non de forclusion. Par conséquent, en application de l'article 2235 du Code civil, la prescription « est suspendue contre les mineurs non émancipés ». En outre, le délai butoir de vingt ans mentionné à l'article 2232, alinéa 1er, du Code civil « ne s'applique pas (…) aux actions relatives à l'état des personnes ». En conséquence, l'enfant est en droit de solliciter un notaire pour l'établissement d'un acte de notoriété constatant la possession d'état dans les cinq ans qui suivent sa majorité, soit jusqu'à ses vingt-trois ans. Il peut aussi demander au juge de la constater par jugement jusqu'à ses vingt-huit ans.
– La nécessité d'une absence de filiation dans une branche. – L'établissement de l'acte de notoriété suppose que l'enfant n'ait pas un lien de filiation déjà établi à l'égard d'une autre personne. Pour cela, le notaire est tenu de se faire communiquer toutes pièces permettant de vérifier cette absence de lien, comme la copie intégrale de l'acte de naissance de l'enfant. Si les pièces révèlent l'existence d'un autre lien de filiation, le notaire refusera d'instrumenter et informera le client de la nécessité de contester le lien de filiation existant conformément au principe chronologique posé à l'article 320 du Code civil. Contrairement à la reconnaissance qui pourrait être établie à titre conservatoire en attendant l'exercice d'une action en contestation1268, la possession d'état est considérée comme équivoque, de sorte que les conditions ne sont pas réunies pour la constater aux termes d'un acte de notoriété1269.

Le contenu de l'acte de notoriété

– Les déclarations des témoins. – L'acte de notoriété obéit à un formalisme strict. Il est établi « sur la foi des déclarations d'au moins trois témoins » dont le choix est libre1270. Le notaire est tenu de relater leur témoignage dans l'acte et d'apprécier les faits ainsi déclarés par eux pour déterminer s'ils sont constitutifs d'une possession d'état. À l'époque où seuls les magistrats établissaient les actes de notoriété pour constater la possession d'état, une circulaire du 2 mars 1973 relative à l'application de la loi du 3 janvier 1972 portant réforme de la filiation précisait qu'il y a « intérêt à faire préciser aux témoins l'époque et le lieu auxquelles ils ont fait connaissance des intéressés »1271. L'acte de notoriété constatant la possession d'état ne relève pas des actes où il est nécessaire de recourir à des témoins instrumentaires1272. En conséquence, si ces témoins doivent être majeurs ou émancipés, avoir la jouissance de leurs droits civils et comprendre la langue française, ils peuvent avoir un lien de parenté avec l'enfant ou le parent demandant la constatation de la possession d'état. Ce lien est même recommandé pour donner davantage de crédit au témoignage1273.
L'acte de notoriété est signé par les témoins et le notaire. Par conséquent, la personne qui sollicite la délivrance d'un acte de notoriété n'est pas signataire de celui-ci.

L'impossibilité d'un témoignage par procuration

Est-il possible de recourir à une procuration pour l'établissement d'un acte de notoriété constatant la possession d'état ? Si l'on se réfère à l'acte de notoriété établi dans le cadre du règlement d'une succession, « les procurations, pourtant usuelles, n'ont pas leur place ici : on ne fait pas de déclaration par procuration »1274. Il n'est en effet pas envisageable que le témoin relate les faits à déclarer dans un écrit en donnant ensuite pouvoir à un tiers de les relater. Selon les faits déclarés, le notaire peut avoir des questions complémentaires à poser lors de l'acte de notoriété constatant la possession d'état auxquelles le tiers ne pourra évidemment pas répondre. En conséquence, les témoins doivent intervenir personnellement à cet acte pour relater les faits dont ils ont connaissance. Une procuration sous seing privé ou authentique est donc exclue.
– La production de documents et pièces. – Les déclarations d'au moins trois témoins ne sont pas suffisantes pour l'établissement de l'acte de notoriété. Le demandeur doit fournir au notaire des documents et pièces qui attestent une réunion suffisante de faits au sens de l'article 311-1 du Code civil1275. Peuvent être produits des papiers de famille, des courriers, copie de SMS et de courriers électroniques, des photographies, des documents délivrés par des administrations tels que des relevés de la sécurité sociale, de la caisse d'allocations familiales1276, des documents scolaires tels que le livret de l'enfant ainsi que la copie de décisions de justice1277, etc. Le notaire doit rassembler le maximum d'éléments confortant la possession d'état.
– Des vérifications préalables à opérer par le notaire. – Le praticien ne doit pas se contenter de relater les documents remis par le client dans l'acte de notoriété. Il doit effectuer un travail de vérifications. S'il a des doutes sur l'existence d'une possession d'état, il est tenu d'inviter le client à lui fournir des éléments complémentaires, même s'ils sont parfois difficiles à obtenir en raison du nombre d'années écoulées. En revanche, il ne dispose pas d'un pouvoir d'investigation comme le juge à l'époque où il établissait l'acte de notoriété1278. La difficulté pour le professionnel du droit réside dans l'appréciation des éléments de preuve, lesquels peuvent être interprétés de différentes façons1279. L'acte de notoriété devra mentionner la teneur des déclarations des trois témoins et faire état de faits concrets, précis et en nombre suffisant pour révéler un véritable lien de filiation entre l'enfant et son parent1280. Toutes les pièces et documents devront être annexés à l'acte de notoriété.
– Le refus d'établir l'acte de notoriété. – Le notaire s'étant substitué au juge, il lui revient, sous sa responsabilité, d'apprécier les faits déclarés et de déterminer si la possession d'état existe ou non. Il doit refuser d'établir l'acte de notoriété s'il estime que les conditions et qualités de la possession d'état ne sont pas réunies ou que le délai pour obtenir un tel acte est prescrit. Le demandeur peut alors saisir le tribunal judiciaire d'une action en constatation de la possession d'état1281.

La publicité de l'acte de notoriété

– Mention à porter en marge de l'acte de naissance. – La filiation établie par possession d'état constatée dans un acte de notoriété est réputée l'être rétroactivement au jour de la naissance. Le notaire sollicitera, sans délai, l'officier d'état civil de la commune de naissance de l'enfant afin qu'il porte, en marge de l'acte de naissance, la mention de l'existence de l'acte de notoriété constatant la possession d'état1282. Cette mention doit être portée immédiatement car le délai de cinq ans pour contester la possession d'état commence « à courir à compter de la délivrance de l'acte de notoriété et non de son inscription sur l'acte de naissance de l'enfant »1283.

Les conséquences d'une possession d'état prénatale sur la dévolution du nom

– L'établissement d'un acte de notoriété avant l'accouchement. L'ordonnance du 4 juillet 2005 a mis fin au débat doctrinal sur la possession d'état prénatale. Un acte de notoriété constatant la possession d'état du père peut désormais être établi, surtout lorsqu'il est décédé avant la déclaration de naissance. L'acte de notoriété peut donc être délivré avant l'accouchement.
– Une demande sollicitée par le parent survivant. L'acte de notoriété ne peut alors être rédigé qu'à la demande du parent survivant, en l'occurrence la mère. Elle doit « rapporter la preuve de ce que le père prétendu s'est comporté jusqu'à son décès comme le ferait un futur père, notamment en ayant participé au choix du prénom ou à l'achat des effets nécessaires pour l'enfant, en étant présent lors des examens médicaux ou pour l'accomplissement de formalités [démarches auprès de crèches ou de nourrisses] ou encore pour l'annonce de sa future paternité à sa famille, ses proches ou son entourage »1284.
– Une filiation établie successivement. Lorsque l'officier d'état civil appose la mention relative à l'acte de notoriété constatant la possession d'état en marge de l'acte de naissance de l'enfant, la filiation à l'égard du père est établie, non pas de manière simultanée avec celle de la mère, mais successivement, ce qui engendre des conséquences sur la dévolution du nom de famille.
– Le choix du nom de l'enfant. Selon l'article 311-23, alinéa 1er, du Code civil, « lorsque la filiation n'est établie qu'à l'égard d'un parent, l'enfant prend le nom de ce parent ». Néanmoins, il est tout à fait possible, lors de l'établissement du second lien de filiation, que les parents choisissent, par déclaration conjointe devant l'officier d'état civil, « soit de lui substituer le nom de famille du parent à l'égard duquel la filiation a été établie en second lieu, soit d'accoler leurs deux noms, dans l'ordre choisi par eux, dans la limite d'un nom de famille pour chacun d'eux. Le changement de nom est mentionné en marge de l'acte de naissance »1285.
De deux choses l'une :
• soit la filiation du père est établie par la possession d'état successivement à celle de la mère : l'enfant prendra uniquement le nom de sa mère. En effet, compte tenu du prédécès du père, il est impossible pour les parents d'établir une déclaration conjointe portant sur le nom devant l'officier d'état civil ;
• soit la filiation du père est établie par la possession d'état de manière simultanée avec celle de la mère : l'enfant « prend le nom de celui de sesparents à l'égard duquel sa filiation est établie en premier lieu et le nom de son père si sa filiation est établie simultanément à l'égard de l'un et de l'autre »1286.
Lors de la signature d'un acte de notoriété constatant une possession d'état prénatale, il est conseillé de délivrer une copie authentique de celui-ci – sans annexes1287 – au demandeur – la future mère de l'enfant à naître. L'objectif est qu'elle puisse porter à la connaissance de l'officier d'état civil l'existence de cet acte de notoriété lorsqu'il établit l'acte de naissance afin que le lien de filiation soit créé simultanément à l'égard du père prédécédé et de la mère. L'enfant pourra ainsi porter le nom de son père, si telle est la volonté du parent survivant.
Par ailleurs, il convient de rappeler :
• que le nom dévolu ou choisi pour l'aîné de la fratrie vaut pour les autres enfants communs. En conséquence, même si la filiation n'était pas établie simultanément à l'égard du père prédécédé, l'enfant doit porter le même nom que ses frère et sœur déjà nés1288 ;
• qu'en vertu de l'article 61 du Code civil, toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom1289. Si la mère qui exerce seule l'autorité parentale arrive à démontrer l'intérêt légitime, le changement de nom pour son enfant pourrait être autorisé par décret ;
• que l'article 61-3-1 du Code civil permet également à l'enfant majeur de changer de nom une fois dans sa vie sans préjudice de l'article 61 du même code.
La naissance de l'enfant devra également être portée à la connaissance du notaire qui notifiera, de son côté, à l'officier d'état civil l'existence de l'acte de notoriété. Il ne pourra se dispenser de cette formalité qu'après s'être assuré, par la production d'une copie intégrale de l'acte de naissance de l'enfant, que la filiation est déjà établie. À défaut, il y procédera sans délai.