Réflexions pour une réserve héréditaire actuelle

Réflexions pour une réserve héréditaire actuelle

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – La proclamation de cette raison d'être a conduit notre réflexion sur les voies de prospectives à explorer en contexte international (Sous-section I) et en droit interne (Sous-section II).

Prospectives en contexte international

– Un calendrier adapté à nos travaux. – L'actualité jurisprudentielle et le calendrier législatif européen nous ont offert l'occasion de mûrir notre réflexion sur la manière dont le règlement européen no 650/2012 pourrait évoluer (§ I) et la pratique notariale s'adapter (§ II).

Une proposition pour la révision du règlement no 650/2012

– Propositions d'orientation. – La position du professionnel en droit international est extrêmement délicate. Bien que témoins de l'attachement de leurs concitoyens à la réserve, les notaires sont néanmoins conscients que cette connexion est plus ténue pour ceux qui ont quitté le territoire français.
Notre première conviction est qu'il convient de tenir compte dans l'esprit européen du degré de proximité du défunt avec la France ou avec un pays qui connaît la réserve héréditaire. C'est moins l'idée d'une injustice objective qui émerge que la nécessité d'un certain niveau d'intégration de l'ordre juridique rendant légitime le caractère impératif de l'article 913, alinéa 3 du Code civil.
Notre deuxième conviction est que le fondement alimentaire retenu est bien trop restrictif. Le droit des enfants à recueillir une partie du patrimoine se confond en droit français avec l'hérédité. Ne faut-il pas être pour avoir, avant d'avoir pour être ?
La dernière évidence tient au fait que le notariat se trouve démuni en présence de privilège de masculinité, de religion et de sexe, que l'article 913, alinéa 3 du Code civil n'est alors d'aucune aide, et qu'il ne sait pas s'il peut soulever d'office la question, sans en avoir été expressément requis par ses clients.
En conséquence, il nous semblerait souhaitable que, lors du réexamen du règlement no 650/2012 précité prévu au plus tard le 18 août 2025 selon les prévisions du considérant 82059, il soit envisagé une modification du considérant 58 pour proclamer que la réserve héréditaire est d'ordre public européen et définir le régime du soulèvement d'office de l'exception.

Une suggestion de pratique notariale

– Propositions de création de pratique notariale. – Outre le débat d'idées et les avancées normatives souhaitables, quelle doit être l'attitude du notaire français en présence d'une loi successorale méconnaissant la réserve060 ? Peut-il, sur le fondement de l'article 35 du règlement (UE) no 650/2012 précité, permettre aux enfants d'exercer le droit de prélèvement compensatoire ? Ou bien doit-il l'écarter comme étant contraire aux deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme061 (à laquelle s'impose la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne), au regard du considérant 58 dudit règlement ?
Dans l'attente d'une probable clarification et en l'état du droit positif, il est conseillé d'informer les héritiers qu'ils peuvent requérir expressément leur notaire pour exécuter le droit de prélèvement et écarter les dispositions du droit français incompatibles avec l'ordre public successoral, ce qui nécessite un accord unanime062. Une clause pourrait être insérée dans l'acte de notoriété ou l'attestation immobilière :

Exemple d'un Algérien vivant en France

Une personne algérienne désigne la loi de sa nationalité applicable à sa succession. Elle a deux fils et une fille. La loi algérienne, désignée par testament, accorde une part double aux garçons (soit 2/5<sup>es</sup> pour les fils et 1/5<sup>e</sup> pour la fille).

Quelle doit être l'attitude du notaire français appelé à régler la transmission des actifs sur le territoire français ?

En l'absence de conflit, le notaire peut se faire requérir <em>post mortem</em> par les enfants pour soulever l'exception d'ordre public et régler la succession en appliquant des quotités égales. Chaque enfant, quel que soit son sexe, recevra alors un tiers.

Propositions d'avancée en droit interne

La réserve du conjoint survivant

– Les réformes de 2001 et 2006. – Lorsqu'il est question de la réserve héréditaire sans autre précision, c'est très généralement de la seule réserve des descendants dont il s'agit. Rompant avec notre tradition juridique, la loi no 2006-728 du 23 juin 2006 est venue compléter la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 en accordant au conjoint une réserve subsidiaire portant sur le quart en propriété en l'absence de descendants, codifiée sous l'article 914-1 du Code civil063.
Ces lois ont été des réformes de compromis, le résultat d'une concession en commission mixte paritaire entre le droit de retour des ascendants proposé par le Sénat, traditionnellement favorable au lignage, et la réserve du conjoint défendue par l'Assemblée nationale. Il est aisé de reconnaître aujourd'hui qu'accorder une réserve héréditaire au conjoint survivant était probablement une erreur, bien qu'il soit évidemment difficile pour le législateur de revenir sur la création d'un droit présenté comme l'aboutissement d'un processus protecteur et sociétal. Mais, forts de vingt ans de pratique notariale et de jurisprudence, nous avons à présent le recul nécessaire pour dépasser les passions, lister les imperfections et procéder aux ajustements utiles.
– Un héritier pas comme les autres. – Comme le soulignait le professeur Catala, le conjoint survivant « n'est pas un héritier comme les autres » : « sa communauté de vie (…) avec le défunt a tissé bien d'autres liens patrimoniaux que la seule expectative successorale »064. Il n'est pas possible de raisonner par analogie avec la réserve des descendants dans la mesure où le mariage, lien essentiellement électif, peut être dissous par divorce alors que la filiation est juridiquement indissoluble.
– Des fondements difficiles à identifier. – Lors des travaux parlementaires de 2001, Badinter écrivait que le conjoint devait pouvoir bénéficier d'une « présomption d'amour ». L'expression est séduisante. Mais comment comprendre que la présomption d'amour soit irréfragable065 ? Ses fondements sont délicats à identifier. Au regard de la liberté, comment concevoir que la réserve du conjoint le protège d'une exhérédation qui se réalise librement par la rupture du lien conjugal ? Quant au principe d'égalité, il n'a pas de sens vis-à-vis du conjoint. Enfin, à l'égard de la solidarité, le conjoint peut compter, d'une part, sur la dissolution de son régime matrimonial et, d'autre part, sur différents mécanismes plus adaptés lui assurant par des gains de survie un droit à maintenance (réversion de retraite, réversion d'usufruit, contrat d'assurance-vie, droit au logement)066.
– Une réserve discriminante. – Le caractère subsidiaire de la réserve héréditaire du conjoint survivant crée une disparité de situations entre les conjoints survivants selon l'existence ou non d'un ou plusieurs descendants du défunt. Il semble paradoxal de priver de réserve le conjoint lorsqu'il est cofondateur de la lignée. Et cela est d'autant plus incohérent lorsque la réciprocité entre les époux n'est pas acquise en présence d'une descendance non commune. L'explication de bon sens, outre le souhait de ne pas imposer un cumul des réserves dans l'ordre juridique, pourrait se trouver dans le devoir de secours et d'assistance de ses enfants, qui se reporterait sur l'époux en leur absence.
– Une réserve malvenue. – Yvonne Flour résume parfaitement ces contradictions, en constatant que la réserve du conjoint « est plutôt déconcertante. C'est une réserve à éclipse, qui ne surgit qu'enl'absence de descendants pour s'évanouir lorsque l'enfant paraît. On comprend bien pourquoi le législateur n'a pas voulu d'un cumul de réserves. Néanmoins on peut s'interroger sur l'utilité d'une réserve aussi intermittente. Le plussouvent lorsqu'il n'y a pas d'enfants, le conjoint recueille la totalité des biens du prémourant, soit par l'effet de la loi,soit par celui d'une donation entre époux. S'il en est privé, c'est probablement le signe que le lien conjugal était, du vivant du de cujus, fortement altéré. Une réserve est-elle alors vraiment fondée ? »067.
– Une proposition de suppression. – La logique serait d'aligner les régimes : accorder une réserve à tous les conjoints mariés ou la supprimer pour tous. Nous aurions tendance à privilégier cette seconde voie en considérant que le droit du conjoint devrait se concevoir par un droit à la maintenance de ses conditions de vie et non par une transmission du patrimoine. C'est donc une amélioration de ses gains de survie (réversion de retraite, droit au logement) qu'il faut à notre sens rechercher. Le conjoint « dans le besoin » conserverait le recours du droit à pension de l'article 767 du Code civil068.

La réserve et les configurations familiales particulières

– Plan. – Dans le premier ordre, celui des descendants, certains d'entre eux posent des problématiques spécifiques, soit parce qu'ils sont plus vulnérables tels que les enfants en situation de handicap psychique ou mental (A), soit parce qu'ils sont plus sujets à exhérédation comme peuvent l'être parfois ceux de la première fratrie dont le de cujus s'est éloigné (B), soit parce que leur lien de filiation n'est pas établi au décès, comme l'enfant né d'une AMP post mortem (C).

L'enfant fragile

– Une logique de transmission différente pour un enfant différent. – Certains héritiers réservataires se trouvent en situation de handicap mental ou psychique les empêchant d'être autonomes. Ces héritiers fragiles modifient la logique de transmission et posent des questions spécifiques de vocation successorale069. Le regard porté par la société sur ces personnes qui ont « un p'tit truc en plus »070 a beaucoup progressé en quelques années, signe d'une vraie espérance de notre temps. Le notariat se doit d'accompagner ces familles aux problématiques singulières, dont l'objectif n'est pas de conserver les biens, mais plutôt de subvenir aux besoins de l'héritier handicapé. Il s'agit moins de transmettre un patrimoine que d'assurer un avenir, de protéger un cadre de vie, de prévenir les problématiques d'hébergement.
– Une anticipation indispensable. – Plus encore que dans toute autre situation, la succession en présence d'un enfant handicapé s'anticipe. Il est un ayant droit différent à la vocation successorale particulière, pour lequel la créativité notariale s'articule autour de deux considérations simples.
En premier lieu, la transmission s'axe moins sur le capital que les revenus. Outre les outils du droit civil, tels que les libéralités en usufruit, il existe des produits d'épargne relevant de l'assurance-vie adaptés au handicap et des pensions de réversion spécifiques permettant de lui assurer des subsides viagers. Ces contrats d'assurance sont de deux types. Il y a, d'abord, ceux abondés par les parents ou les proches à des conditions fiscales avantageuses pour assurer le versement, au décès de l'un d'eux, d'une rente viagère ou d'un capital (rente survie) et, ensuite, ceux souscrits par le responsable légal pour le compte du protégé mais qui sont alimentés sur fonds propres provenant d'une succession ou d'une donation (contrat épargne-handicap). La rente survie prend effet au décès des parents, tandis que le contrat épargne-handicap permet d'assurer immédiatement des ressources au bénéficiaire. En fonction de sa situation, la personne protégée peut en outre être bénéficiaire de prestations sociales à caractère subsidiaire, dont les plus importantes sont l'allocation adulte handicapé (AAH) et l'aide sociale à hébergement (ASH). Ces dernières n'ont pas vocation à se substituer à la solidarité familiale, qui demeure le premier mécanisme de protection, et certaines d'entre elles sont récupérables sur la succession.
En second lieu, il faut prendre en considération le fait que l'enfant en situation de handicap mental a rarement une postérité et n'est pas en mesure d'établir un testament. Ses propres héritiers sont le plus souvent ses parents ou ses frères et sœurs et son patrimoine est appelé à revenir en tout ou partie aux collectivités qui ont versé des aides sociales sa vie durant. Pour cette raison, certains hésitent à lui laisser les biens de famille en nature. À l'égard des réservataires handicapés, le principe d'une réserve en valeur est particulièrement adapté.
– Les outils au service du handicap. – L'ingénierie traditionnelle consiste à transmettre à l'enfant fragile une réserve en valeur, en instituant les autres enfants de la fratrie légataires universels. Mais il est cependant possible d'opter pour des solutions plus créatives et surtout, beaucoup plus protectrices de l'enfant.
La première d'entre elles est la constitution d'un capital par le biais de donations rapportables, échelonnées. Ce capital financier pourra être investi dans un contrat épargne-handicap qui s'avère en pratique le placement le plus approprié, pour une sortie future en rente. Nombreux sont les parents qui abondent directement les investissements financiers de leur enfant handicapé sans constater officiellement le don. Ces versements ne relèvent pas d'une bonne pratique. Outre l'aspect fiscal, il est essentiel de consentir le don par acte notarié ou a minima de l'enregistrer sous la forme d'un formulaire de don manuel de somme d'argent (Cerfa no 2735), afin de faciliter sa prise en compte dans le futur calcul de la réserve et de la quotité disponible.
La société civile immobilière ou la société de portefeuille est un outil exceptionnel et simple au service du handicap permettant d'allotir l'héritier fragile de sa réserve en propriété en préparant la transmission à son propre décès. La dissociation entre la gestion (nomination d'un gérant) et la propriété des parts combinée aux clauses d'agrément assure aux autres membres de la famille l'administration des actifs et le maintien dans la famille.
Une autre voie classique est de procéder en complément à des libéralités démembrées071. L'usufruit d'un appartement, d'un portefeuille-titres ou de parts sociales assurera au protégé des revenus sa vie durant, tout en laissant la vocation subsidiaire de la propriété au nu-propriétaire. Il ne peut s'agir que d'un complément. Sa vocation héréditaire lui garantit une réserve en propriété, libre de charges.
La solution consistant en une libéralité graduelle ou résiduelle est plus originale et encore trop peu usitée. Elle permet pourtant d'assurer un maintien des biens dans la famille en garantissant un retour au profit des gratifiés de second rang072. Chacune de ces solutions permet d'échapper à la fiscalité lourde entre collatéraux et de rester dans le cadre d'une taxation en ligne directe.

Libéralité résiduelle et réserve de l'enfant fragile

La libéralité résiduelle peut-elle porter sur la réserve de l'enfant fragile ? L'alinéa 3 de l'article 1059 du Code civil précise que le premier gratifié, héritier réservataire, conserve la possibilité de disposer entre vifs ou à cause de mort des biens donnés en avancement de part successorale. Contrairement à la donation graduelle, il n'existe aucune limite à l'efficacité d'une clause résiduelle portant sur la réserve du grevé. Même à supposer que la personne handicapée souhaite tester et disposer des biens, sous réserve de sa capacité, elle pourra cantonner la charge, c'est-à-dire écarter partiellement le caractère résiduel obérant sa réserve073. La libéralité résiduelle peut donc porter sur la réserve et s'avère être un outil particulièrement adapté à l'enfant fragile.
– Mécanismes prospectifs pour le handicap. – Le sujet du handicap est d'importance tant les familles se trouvent aujourd'hui démunies pour trouver et financer le cadre de vie futur de leur enfant fragile074. De nombreuses énergies sont à l'œuvre en cet âge 075. En matière notariale, deux pistes de réflexion méritent l'attention du législateur.
La première est l'élargissement du champ d'action du fonds de dotation familial au service d'initiatives privées. Compte tenu de la subsidiarité de la protection sociale nationale, d'une part, et de l'importance du déficit public, d'autre part, les initiatives familiales collectives sous la forme d'une philanthropie privée devraient être plus largement encouragées par la loi. La proposition est complexe dans la mesure où la mission à exercer par le fonds ne serait pas à proprement parler d'intérêt général, la somme des intérêts particuliers ne formant pas un intérêt général. Elle comporterait toutefois une utilité indéniable pour la société, une utilité publique d'intérêt collectif. Plusieurs familles pourraient, par exemple, constituer ensemble un fonds de dotation pour financer la création d'un ESAT, d'un FAM, d'un MAS ou d'un foyer de vie pour leurs propres enfants076. Le fonds pourrait avoir recours au financement participatif ou crowdfunding et réaliser sa mission lui-même (en étant fonds opérateur) ou par l'intermédiaire d'une personne morale à but non lucratif (en étant fonds distributeur). L'idée d'un tel élargissement germe régulièrement dans l'alcôve de nos offices.
La seconde voie prospective est la fiducie-libéralité077. C'est un outil d'anticipation permettant d'allier gestion et transmission qui a été étudié de manière très approfondielors du 118e Congrès des notaires de France et qui s'avère approprié à la protection du handicap078.

Les enfants nés de la première union

– Une problématique contemporaine. – La réserve héréditaire a été conçue à une époque où la famille était fondée sur un modèle unique. La multiplication des familles recomposées fait naître un mouvement de revendication des couples visant à privilégier les enfants de la seconde fratrie. Ce constat sociologique a été établi maintes fois au niveau européen079. Or, l'un des objectifs de la réserve est d'assurer l'égalité des filiations entre tous les enfants, selon les termes de l'article 310 du Code civil080. Forts de cet état de fait, certains de nos voisins, notamment l'Allemagne081, ont, sur ce fondement, reconnu une valeur constitutionnelle à la réserve héréditaire. La Cour constitutionnelle allemande a relevé que « la fonction de la réserve héréditaire qui, d'une part, restreint la liberté et d'autre part, protège la famille, est particulièrement importante s'il y a des enfants issus d'un mariage ou d'une relation antérieure qui souvent seraient exclus de la succession si la réserve n'existait pas. Cela vaut en particulier pour les enfants illégitimes du père »082.
Faut-il élargir la quotité disponible pour apporter plus de liberté au testateur, ou au contraire maintenir voire renforcer l'existant, au nom du principe d'égalité entre frère et sœur ?
– Un nouveau quantum ? – L'une des voies d'exploration des adaptations possibles des règles actuelles pourrait être de modifier le taux de la quotité disponible. Le 110e Congrès des notaires de France avait proposé, en 2014, une quotité fixe de moitié083. Le rapport sur la réserve héréditaire précité envisageait un élargissement de la quotité disponible, reprenant la proposition de l'offre de loi de Jean Carbonnier084, vers une réserve fixe des deux tiers (2/3) en présence de deux enfants ou plus085. La modification, si elle était envisagée, devra tenir compte du fait que les recompositions familiales font naître de nouvelles familles nombreuses. Or, la quotité disponible en présence de quatre enfants est plus importante que la part réservataire de l'enfant lui-même (une quotité de 1/4, contre une réserve de 3/16e).
– Un renversement des modalités de réduction ? – Une seconde voie de modification, dans un sens opposé, pourrait être de renverser le principe de modalité de réduction en présence d'enfants non communs. La loi no 71-523 du 3 juillet 1971 avait institué un mécanisme très équilibré réservant la réduction en valeur par exception à certains successibles et certaines libéralités, dans les limites de la réserve086. La loi no 2006-728 du 23 juin 2006 a bouleversé la cohérence du système en généralisant la réduction en valeur (C. civ., art. 924). La réduction en nature est désormais l'exception. Ceci revient, en présence d'un legs universel consenti à la seconde épouse ou aux enfants de la dernière union, à faire de l'héritier réservataire de la première union un simple créancier de somme d'argent. Il est privé des prérogatives attachées à la qualité de copartageant. La jurisprudence le réaffirme régulièrement : « Il n'existe aucune indivision entre un légataire universel et l'héritier réservataire »087. Or, lorsque le testateur prend ses dispositions, il n'est pas certain qu'il ait anticipé et compris cette réalité, et ceci d'autant que les dispositions en question peuvent avoir été prises avant l'entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006 et produire des effets différents de ceux escomptés à l'époque. Les souvenirs et les biens de famille, petits et gros, peuvent échapper alors aux enfants des premières unions088.
Or, l'offre de loi du doyen Carbonnier formulée en 2003089 ne préconisait pas la généralisation de la réduction en valeur mise en place quelques années plus tard, en 2006. Aussi la combinaison de la réduction en valeur avec l'élargissement du taux de la quotité disponible nous semble une atteinte trop importante aux droits des réservataires. S'il devait y avoir une modification du quantum, une option pourrait être de renverser le principe de la réduction en valeur au bénéfice d'une réduction en nature. Ce qui assurerait, dans le cadre des familles recomposées notamment, le maintien des biens de famille. Rien n'empêche le disposant d'imposer dès à présent au gratifié une réduction en nature ou de prévoir au sein de la libéralité les modalités de cantonnement090.

L'enfant né d'une assistance médicale à la procréation post mortem

– Pour hériter, il faut être conçu. – L'article 725 du Code civil énonce clairement le principe : « Pour succéder, il faut exister à l'instant de l'ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable ». Cette règle, qui existe depuis 1804, revêt une nouvelle importance avec la procréation médicalement assistée.
– L'AMP après décès est interdite en France 091 . – L'interdiction légale de la procréation post mortem (C. santé publ., art. L. 2141-2, L. 2141-9 et L. 2141-11-1) et de l'exportation des gamètes et embryons à l'étranger découle d'une certaine « conception de la famille » et relève d'un « choix politique constamment réitéré » issu d'un « juste équilibre entre la protection des droits et libertés d'autrui et la protection de la morale »092.
Les justifications résultant des débats parlementaires et des travaux antérieurs sont rappelées synthétiquement pour éclairer les questions successorales qui suivent :
  • faire naître un orphelin ab initio dans un contexte de deuil n'est pas une idée sage. Le projet parental de la procréation d'un bébé consolateur ne serait pas motivé par l'intérêt supérieur de l'enfant, mais par l'intérêt de la mère en détresse ;
  • le projet parental initial d'AMP est modifié par le décès d'un des deux parents ;
  • le caractère plus difficilement vérifiable du consentement du père au moment même de la procréation ne permet pas de concrétiser le projet parental 093 ;
  • la levée de l'interdiction ferait naître des enjeux éthiques spécifiques et des difficultés juridiques. À ce titre, les députés ont relevé « le risque de pressions familiales ou sociales sur les veuves, la possibilité d'un récit identitaire de l'enfant marqué par le contexte de deuil ou, sur un autre plan, le risque de susciter des débats sur le statut de l'embryon »094, et enfin la question du statut d'héritier de l'enfant095.
– Les enfants post mortem nés à l'étranger. – En dépit de l'interdiction légale en France de l'assistance médicale à la procréation (AMP) post mortem résultant des articles L. 2141-2, L. 2141-9 et L. 2141-11-1 du Code de la santé publique et 342-10 du Code civil et de l'interdiction des transferts de gamètes et d'embryons à l'étranger096, subsistent néanmoins plusieurs questions. Celles-ci résultent des procréations après décès réalisées légalement à l'étranger par des législations qui les autorisent. Les enfants nés plus de neuf mois après la disparition de leur auteur doivent-ils hériter de lui ?
– Le statut de l'embryon, un sujet éminemment éthique. – Cette interrogation porte en elle la question éthique de la notion de conception et, par voie de conséquence, du statut de l'embryon, qu'il ne nous appartient pas de trancher. Sa nature ambiguë, sa vocation dite « téléologique » (c'est-à-dire variant en fonction du projet), sa virtualité d'être humain en devenir, sa dignité sacrée ou non sont des questions très complexes impliquant des convictions philosophiques, religieuses et morales inconciliables conduisant aujourd'hui à une absence d'accord sur son statut ontologique097.
Deux situations auraient dû être distinguées : celle de la conservation des gamètes, tout d'abord, et celle des embryons, ensuite. S'il est raisonnable de penser que l'insémination post mortem des gamètes de la personne décédée reporte le moment de la conception après décès, l'implantation post mortem d'embryons est plus délicate. L'embryon existe et la conception en termes scientifiques a déjà eu lieu098. Ceci devrait logiquement rendre le futur enfant, héritier, s'il naît viable, et conduit à s'interroger sur tous les embryons cryoconservés au moment du décès, tous héritiers en puissance, sous la condition suspensive de leur naissance et de leur viabilité099. Ce sujet, on le comprend, dépasse l'AMP post mortem.
Cette dichotomie est peu relevée en réalité100. Jean-René Binet le souligne : « Appliqué au droit de la biomédecine, le principe « Infans conceptus » se révèle ambivalent. Certains auteurs en tirent la conclusion de la personnalité de l'embryon ; d'autres non »101. Dès lors, faut-il accorder un statut d'héritier en distinguant, parmi les enfants nés d'AMP posthumes à l'étranger, ceux issus d'une insémination de gamètes de ceux issus d'une implantation d'embryon ?
– Les conséquences sur le statut d'héritier. – Il peut paraitre déraisonnable et facteur d'insécurité juridique de reconnaître la qualité d'héritier réservataire à un enfant né plusieurs années après le décès de son auteur, fût-il issu d'un embryon cryoconservé. Le Conseil d'État102 et le CCNE103 préconisent, dans cette éventualité, d'imposer un délai minimal de six mois auquel s'ajouteraient celui de la grossesse puis celui des délais judiciaires d'acceptation. Ceci reporterait inévitablement la naissance à une date supérieure à un an et demi, date à laquelle toute succession est normalement réglée et liquidée. La situation conduirait donc, sous réserve de l'établissement d'un lien de filiation post mortem avec la personne décédée, à la naissance d'un héritier réservataire bien après la liquidation d'une succession qui serait alors à rouvrir.
– Une période intercalaire sans maître. – Certains proposent, pour permettre à l'enfant d'hériter, de différer ou de « figer » la succession qui serait confiée à un administrateur jusqu'à la naissance éventuelle et jusqu'au rendu de la décision judiciaire d'acceptation104. Cette période intercalaire entre le décès et la procréation créerait une situation inédite de « droits sans sujets de droit », ou de « droits sans maître », peu compatible avec la saisine héréditaire de plano inhérente au système latin de la continuation de la personne105. Une autre voie serait d'accorder aux héritiers légaux, sous réserve de la réussite de l'AMP, une saisine virtuelle106 dont ils seraient dépossédés (ou qu'ils partageraient) éventuellement au profit de l'être en devenir.
On imagine aisément l'ampleur des difficultés sur les plans civil et fiscal, que nous livrerons sous la forme d'un catalogue non exhaustif : report ou modification de la dévolution successorale, diminution du quantum de la quotité disponible, variation du montant de la réserve (voire avènement d'une réserve, en l'absence d'autres enfants, ou conjoint), incidence sur les droits du conjoint du de cujus, sur ceux de ses parents et de ses frères et sœurs, sur le sort des actifs successoraux vendus sans la signature d'un héritier, sur la représentation dans la succession des ascendants, sur le partage déjà signé, sur l'action en comblement de part, sur l'action en réduction des libéralités, sur l'action en retranchement, sur la délivrance des legs, sur le consentement à exécution, sur le régime des délais de prescription, sur les contentieux en cours, sur la déclaration de succession, sur les droits de mutation, sur les intérêts de retard, sur les pénalités fiscales, sur la prescription fiscale, etc. À toutes ces conséquences, dont la liste n'est donc pas limitative, il convient d'ajouter le fait que l'héritier à naître sera bien évidemment mineur et que son acceptation sera naturellement soumise à l'autorisation du juge et insusceptible de renonciation contractuelle107.
– Absence de vocation successorale de l'enfant né – post mortem . – Il est compliqué de ne pas céder à la douleur du parent endeuillé tant il semble cruel d'ajouter de la peine à la peine. Il est donc tentant de faire prévaloir la souffrance de la mère sur l'intérêt de l'enfant. Comme le précise la Cour européenne des droits de l'homme : « Tous ces textes soulignent le dilemme éthique qui oppose le fait de faire naître délibérément un enfant orphelin de père, à la souffrance de la femme qui souhaite poursuivre le projet parental de son couple et qui n'a d'autre choix que la destruction des embryons ou le don à un autre couple »108. Mais l'on ne saurait procréer pour soi, ni en souvenir de l'être aimé. Ce qui est avant tout cruel, c'est la disparition tragique de l'un des membres du couple, le reste est la conséquence du décès109. C'est pourquoi il peut paraître raisonnable qu'avec le défunt disparaisse également le projet parental.
On déduit de ces questions une considération factuelle et trois considérations de prospectives juridiques :
  • la conservation des embryons pose des problématiques notariales beaucoup plus compliquées que celle des gamètes ;
  • certains présentent l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules comme similaire par ses effets à l'AMP post mortem, ayant pour conséquence la naissance d'un enfant sans père ab initio 110. À y regarder attentivement, elle n'a pourtant aucun rapport sur le plan du droit de la filiation111, du droit successoral, ni à notre sens sur le plan identitaire (l'enfant à naître n'est pas celui d'un mort) ;
  • au regard de la pratique notariale, le maintien de l'interdiction de l'AMP post mortem est conforme à la position adoptée par les parlementaires au cours des débats préalables à la loi du 2 août 2021112. Ce n'est pas celle du Conseil d'État dans son étude du 28 juin 2018, lorsqu'il annonce : « L'étude n'identifie aucun obstacle juridique à la levée de l'interdiction »113, tout en relevant de manière indirecte, dans le même paragraphe, les « obstacles juridiques » suivants : nécessité d'aménagement du droit de la filiation et du droit des successions, inconvénient de concevoir un enfant orphelin de père et, plusieurs pages plus loin, en soulevant indirectement la question du statut de l'embryon, sujet de droit ;
  • pour toutes ces raisons et pour conclure simplement, il paraît préférable, à notre sens, que les enfants conçus illégalement à l'étranger par AMP post mortem n'héritent pas selon la loi française de leur géniteur prédécédé114. À l'instar du mariage posthume que le Code civil a « dépouillé de ses aspects pécuniaires », selon les termes d'un auteur115, l'enfant posthume né d'une AMP illégale serait dépouillé de droits pécuniaires.

Réserve et philanthropie

Vers une nouvelle RAAR

– De la prohibition à l'exception sous contrôle. – Jusqu'en 2006, les présomptifs héritiers réservataires ne pouvaient renoncer ante mortem à exercer l'action en réduction. L'acte était formellement interdit suivant le principe de la prohibition des pactes sur successions futures140. La loi du 3 juillet 1971 avait porté une première atteinte, fondée sur la recherche de la sécurité juridique, en adoptant la possibilité de renoncer à agir à l'encontre du tiers acquéreur (C. civ., ancien art. 930, désormais art. 924-4)141. Bien que non prévue dans l'offre de loi de Carbonnier, la loi du 23 juin 2006 a introduit une innovation sans précédent en admettant que les héritiers réservataires puissent renoncer de manière anticipée à exercer l'action en réduction avec le consentement du de cujus 142.
– Les conditions de fond. – La RAAR est faite du vivant du de cujus par tous ou certains de ses présomptifs héritiers réservataires. La renonciation peut être générale ou ne concerner qu'une libéralité en particulier, mais doit viser précisément le bénéficiaire (C. civ., art. 929, al. 1). Elle se doit d'être exempte de tout vice du consentement (C. civ., art. 930, al. 2) ; elle ne peut pas être abstraite et doit être dénuée de contrepartie. Elle permet ainsi à l'auteur de la libéralité de se prémunir d'une réduction future et de garantir l'efficacité de sa planification successorale. Elle pourra néanmoins faire l'objet d'une révocation dans les cas exceptionnels prévus par la loi : si le disposant ne remplit pas ses obligations alimentaires, si le renonçant est en état de besoin, ou si le bénéficiaire s'est rendu coupable d'un crime ou d'un délit contre le renonçant.
– Les conditions de forme. – L'acte est si grave que le législateur a pris le soin de l'encadrer d'une solennité particulière par une multiplicité de précautions. La loi a prévu une information particulière donnée au renonçant sur la portée de sa renonciation (C. civ., art. 930, al. 1) et a imposé la présence de deux notaires dont l'un est désigné par le président de la Chambre des notaires, les contraignant à recueillir séparément et isolément le consentement de chaque renonçant143. La renonciation de chacun peut être constatée dans le même acte et n'engage le renonçant que du jour où elle a été acceptée par le de cujus. Une étude statistique réalisée il y a dix ans révèle que 68 % des notaires étaient favorables au maintien de ce formalisme imposant.
– Les hésitations liquidatives. – Lors de la parution du texte, une partie de la doctrine considérait que l'héritier renonçait à réclamer sa part de réserve selon la méthode dite « de l'imputation », tandis qu'une autre partie soutenait que le renonçant abandonnait sa quote-part dans l'indemnité de réduction. Une réponse ministérielle du 12 août 2008144 s'est positionnée en faveur de cette seconde interprétation, en précisant que l'héritier perd uniquement, par le biais de la RAAR, sa part dans l'indemnité de réduction. Il serait utile que le législateur confirme cette appréciation145.

La méthode liquidative

Joël est décédé laissant quatre enfants, Claire, Véronique, Adèle et Jean-Roch, et sa compagne Marie-Claude, légataire à titre universel de la moitié des biens existants.

Seul l'un des enfants a renoncé par anticipation à agir contre le legs consenti à Marie-Claude.

Les biens existants s'élèvent à 1 600.

La masse de calcul de la quotité disponible est de 1 600.

La quotité disponible est d'un quart, soit 400.

La réserve héréditaire individuelle est de 300.

Le legs à titre universel (800) s'impute sur la quotité disponible (800 – 400) qu'il excède de 400. Le legs est réductible en valeur à concurrence de ce montant.

La RAAR de l'enfant s'analyse comme une renonciation à sa part dans l'indemnité de réduction (1/4 de 400, soit 100). Le renonçant n'a accepté une atteinte à sa réserve qu'à concurrence de 100. Il recevra 200 dans la succession de son père malgré la RAAR.

– Les réticences de la profession. – La RAAR, pourtant appelée de ses vœux par la profession146, suscite chez les notaires, telle qu'elle résulte du texte de 2006, une appréhension naturelle. Elle apparaît inquiétante parce que : soit la démarche du de cujus est faite en accord avec ses enfants, chacun s'accordant sur l'équité de l'acte, alors il n'y a pas de raison que le consensus familial change après décès ; soit la renonciation est faite sous pression du disposant, alors l'acte perd aussitôt sa légitimité. Des sociologues ayant mené des entretiens auprès de notaires ont relevé que « plusieurs notaires expriment ainsi leur gêne de demander à un héritier de renoncer explicitement à ses droits ». Un notaire dit ainsi : « On n'en fait pas tous les jours (…) Et heureusement, parce que si vous allez dans un office où vous trouvez dans le répertoire officiel énormément de RAAR… c'est que (…), il y a eu énormément de transmissions déséquilibrées. Et ça, c'est quand même pas notre métier ! »147. Ces propos simples, rapportés par Cécile Bessière, révèlent très exactement le sentiment légitime partagé par une partie de la profession : la RAAR demeure un acte anormal, témoignant d'une forme d'échec de la transmission équilibrée idéale148.
– L'impact sur l'ordre public successoral. – Malgré son utilisation exceptionnelle, l'introduction de la RAAR dans le paysage juridique français a contribué à fragiliser la réserve, ou du moins son caractère d'ordre public. Certains y voient la preuve la plus éclatante du déclin de « l'ordre public coercitif » en faveur « d'un ordre privé impératif »149. Elle est de toute évidence l'une des manifestations du mouvement de contractualisation.
– Les critiques. – La première critique de la RAAR est liée à son caractère « consubstantiellement déséquilibré »150. Malgré l'enthousiasme de quelques auteurs151, l'accueil est plutôt mitigé. Dès 2007, le professeur Catala écrivait à son sujet : « La renonciation anticipée à l'action en réduction, dernière innovation saillante du droit des libéralités, appelle de sérieuses réserves. Elle constitue, à nos yeux, une innovation dangereuse en raison de son caractère unilatéral »152. Le rapport Pérès-Potentier a relevé à la fois le danger de la RAAR, la méfiance des professionnels et l'inadéquation de l'outil aux aspirations contemporaines153. C'est donc l'absence de contrepartie possible, sa gratuité, qui rendent la RAAR éminemment délicate.
La deuxième critique est liée aux conséquences de l'acte, difficiles à mesurer au moment de la renonciation. Or les notaires, en principe, doivent éclairer le renonçant sur la portée de l'abdication consentie.
La troisième critique consiste dans le fait que l'acte rend plus complexe une future planification successorale. Le disposant par exemple, qui laisse son entreprise à l'un de ses enfants, obtenant la renonciation des autres enfants, ne réalise pas que la donation entre époux à cause de mort qu'il pourrait consentir par la suite sera réductible puisque par hypothèse la quotité disponible est entièrement absorbée.
– L'évolution de la RAAR vers un véritable pacte de famille. – La comparaison avec le droit suisse ou le droit allemand est éclairante154. Nos voisins ont mis en place le pacte de famille avec contrepartie. L'acte germanique comprend un dédommagement et se conçoit comme une sorte de transaction entre les espérances des enfants et le projet du disposant.
Les notaires français témoignent de leur côté que la RAAR vient le plus souvent en compensation d'avantages directs ou indirects consentis par le disposant : libéralités consenties à l'étranger soumises à une autre loi successorale, donation-partage signée concomitamment, assurance-vie, logement ou aide matérielle non quantifiable accordé à un enfant155, dissension entre les parents, avec un enfant favorisé par le père et l'autre par la mère. L'acte s'intègre généralement dans une équité globale, passée sous silence pour risque de nullité156.
Il conviendrait de faire évoluer la RAAR en pacte de famille en équité, tenant compte d'une justice naturelle. Il est notamment envisageable qu'elle devienne un outil attractif pour les familles recomposées qui ne souhaitent pas passer par un lien adoptif artificiel. Le disposant pourrait gratifier ses enfants et beaux-enfants élevés ensemble de manière équilibrée en accord avec une équité familiale, scellant la transmission sous la forme d'un pacte. On pourrait imaginer aussi que la vulnérabilité d'un enfant (handicap, situation financière compliquée, accident de vie) ou la spécificité d'un actif (entreprise, exploitation agricole ou monument historique onéreux à entretenir157) conduise la famille à une forme de déséquilibre « juste » choisi par tous et discerné avec l'aide du notaire. On pourrait enfin concevoir que l'acte permette de rectifier une anomalie liquidative, tel qu'un mécanisme de dette de valeur pathologique, sur un outil de travail, ou des parts de société dont le donataire est dirigeant. Et à ceux qui auraient préféré se contenter d'un consensus amiable, il convient de rappeler que le prédécès d'un des successibles peut remettre en cause l'équilibre, soit parce que ses propres enfants ne seraient pas enclins au même accord, soit parce que ceux-ci étant mineurs, ils ne pourraient pas renoncer à leur part de réserve, le moment venu. Nous proposons par conséquent de transformer la RAAR en pacte de famille. Une modification de l'article 929 du Code civil devrait être envisagée pour rectifier la sémantique et supprimer la référence à l'absence de contrepartie158.
– Conclusion sur la réserve. – Aux termes de l'analyse qui nous a conduits à rechercher la raison d'être de la réserve, à réaffirmer son importance et ses limites en droit interne comme en contexte international, il nous semble que cinq pistes de réflexion pourraient être explorées :
  • maintenir la réserve héréditaire des descendants dans son principe et son quantum (no 1) ;
  • promouvoir une reconnaissance européenne de la réserve héréditaire et le soulèvement d'office d'ordre public par le notaire (no 2) ;
  • supprimer la réserve héréditaire du conjoint survivant (no 3) ;
  • supprimer le droit de retour légal de l'article 738-2 du Code civil (no 4) ;
  • faire évoluer l'actuelle renonciation anticipée à l'action en réduction vers un véritable pacte de famille en rendant possibles les contreparties (no 5).